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Décisions

CJCE, 6e ch., 7 mars 1990, n° C-362/88

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

GB-INNO-BM

Défendeur :

Confédération du commerce luxembourgeois

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kakouris

Avocat général :

M Lenz

Juges :

MM. Koopmans, Mancini, O'Higgins, Diez de Velasco

Avocats :

Mes Decker, de Bruyn, Bunnen, Mahieu, Hamilius, Gross

CJCE n° C-362/88

7 mars 1990

LA COUR (sixième chambre),

1 Par arrêt du 8 décembre 1988, parvenu à la Cour le 14 du même mois, la Cour de cassation du grand-duché de Luxembourg a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 30, 31, premier alinéa, et 36 du même traité, en vue de pouvoir apprécier la compatibilité, avec ces dispositions, d'une réglementation nationale en matière de publicité commerciale.

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige entre la Confédération du commerce luxembourgeois (ci-après "CCL"), association sans but lucratif qui déclare représenter les intérêts des commerçants luxembourgeois, et la société anonyme belge GB-INNO-BM, qui exploite des supermarchés sur le territoire belge, entre autres à Arlon près de la frontière belgo-luxembourgeoise. La société belge ayant fait distribuer des dépliants publicitaires sur le territoire belge aussi bien que sur celui du Grand-Duché, elle s'est vue citer en référé devant un magistrat luxembourgeois par la CCL, qui a demandé que soit ordonnée la cessation de la distribution des dépliants en cause. La CCL a fait valoir que la publicité contenue dans les dépliants était contraire au règlement grand-ducal du 23 décembre 1974 concernant la concurrence déloyale (Mémorial A 1974, p 2392), selon lequel des offres comportant une réduction de prix ne doivent comporter ni indication de la durée de l'offre ni référence aux anciens prix.

3 Le président de la chambre commerciale du tribunal d'arrondissement de Luxembourg a donné suite à la demande en référé, en considérant que la distribution des dépliants en cause constituait une offre de vente prohibée par le règlement grand-ducal de 1974 ainsi qu'une pratique déloyale interdite par le même règlement. Après confirmation de cette ordonnance par la cour d'appel, GB-INNO-BM s'est pourvu en cassation Elle a soutenu que la publicité contenue dans les dépliants était conforme aux dispositions belges en matière de concurrence déloyale et qu'il serait, dès lors, contraire à l'article 30 du traité CEE de lui appliquer les interdictions prévues par la réglementation luxembourgeoise.

4 La Cour de cassation a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée à titre préjudiciel sur la question suivante :

"Les articles 30, 31, premier alinéa, et 36 du traité CEE sont-ils à interpréter en ce sens qu'ils s'opposent à ce que la législation d'un État membre prévoie que les offres de vente ou ventes en détail comportant temporairement une réduction des prix et pratiquées en dehors des ventes spéciales ou liquidations ne sont autorisées qu'à la condition que les offres n'indiquent pas leur durée et qu'aucune référence ne soit faite aux anciens prix?"

5 Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des observations déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci- dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

6 Il y a lieu d'examiner, à titre liminaire, un argument soulevé par la CCL ainsi que par les gouvernements allemand et luxembourgeois. Il consiste à soutenir que les dispositions des articles 30, 31 et 36 du traité sont étrangères à l'objet du litige au principal, qui ne concernerait que la publicité commerciale sans mettre en cause la circulation de marchandises entre États membres. Par ailleurs, GB-INNO-BM ne vendrait ses marchandises que sur le territoire belge.

7 Cet argument ne saurait être accueilli. La Cour a déjà considéré, dans son arrêt du 15 décembre 1982, Oosthoek's Uitgeversmaatschappij (286-81, Rec. p. 4575), qu'une législation qui limite ou interdit certaines formes de publicité et certains moyens de promotion des ventes, bien qu'elle ne conditionne pas directement les échanges, peut être de nature à restreindre le volume de ceux-ci par le fait qu'elle affecte les possibilités de commercialisation.

8 Or, la libre circulation des marchandises concerne non seulement le commerce professionnel, mais également les particuliers. Elle implique, notamment dans les régions frontalières, que les consommateurs résidant dans un État membre puissent se rendre librement sur le territoire d'un autre État membre en vue de s'y approvisionner dans les mêmes conditions que la population locale Cette liberté des consommateurs est compromise lorsque l'accès à la publicité disponible dans le pays d'achat leur est refusé. Par conséquent, une interdiction de diffusion d'une telle publicité doit être appréhendée au regard des articles 30, 31 et 36 du traité.

9 Dans ces conditions, il apparaît que la question préjudicielle concerne la compatibilité, avec l'article 30 du traité, d'un obstacle à la libre circulation des marchandises résultant de disparités entre des réglementations nationales applicables. Il ressort, en effet, du dossier qu'une publicité d'offres de vente comportant une réduction de prix avec indication de la durée de l'offre et des anciens prix est interdite par la réglementation luxembourgeoise, alors qu'elle est admise selon les dispositions en vigueur en Belgique.

10 A cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle, en l'absence d'une réglementation commune de la commercialisation, les obstacles à la libre circulation intracommunautaire résultant de disparités entre les réglementations nationales doivent être acceptés, dans la mesure où la réglementation en cause est indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés et peut être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant, entre autres, à la défense des consommateurs ou à la loyauté des transactions commerciales (voir, en particulier, les arrêts du 20 février 1979, Rewe, 120-78, Rec. p. 649, et du 26 juin 1980, Gilli et Andres, 788-79, Rec. p. 2071).

11 Selon la CCL et le gouvernement luxembourgeois, les deux interdictions en cause - celle d'indiquer la durée d'une offre spéciale et celle de publier l'ancien prix - sont justifiées par des raisons de protection des consommateurs. L'interdiction concernant la durée de l'offre spéciale aurait pour but d'éviter un risque de confusion entre les ventes spéciales et les soldes semestriels, limités dans le temps par la réglementation luxembourgeoise. L'interdiction de faire figurer l'ancien prix dans l'offre se justifierait par le fait que le consommateur ne serait, normalement, pas en mesure de contrôler la véracité d'un ancien prix de référence. Au surplus, l'affichage d'un ancien prix pourrait exercer sur le consommateur une pression psychologique excessive. Le gouvernement allemand partage, en substance, ce point de vue.

12 Celui-ci est contesté par GB-INNO-BM ainsi que par la Commission, qui signale que le consommateur moyennement averti sait que les soldes annuels ne sont pratiqués que deux mois par an. En ce qui concerne la comparaison des prix, la Commission donne un aperçu de législations nationales en la matière, pour en déduire que celles-ci ont pour point commun, exception faite des dispositions luxembourgeoises et allemandes, d'autoriser l'indication des deux prix, dès lors que le prix de référence est le prix réellement pratiqué.

13 Ainsi, le problème est soulevé de savoir si une législation nationale qui empêche le consommateur d'accéder à certaines informations peut être justifiée par l'intérêt de la protection des consommateurs.

14 Sur ce point, il y a lieu de rappeler, d'abord, que la politique communautaire en la matière établit un lien étroit entre la protection et l'information du consommateur. C'est ainsi que le "programme préliminaire" adopté par le Conseil en 1975 (JO C 92, p. 1) prévoit la mise en œuvre d'une politique "de protection et d'information des consommateurs " Par résolution du 19 mai 1981 (JO C 133, p. 1), le Conseil a approuvé un "deuxième programme de la Communauté économique européenne pour une politique de protection et d'information des consommateurs", dont les objectifs ont été confirmés par la résolution du Conseil du 23 juin 1986 concernant les futures orientations de la Communauté pour la protection et la promotion des intérêts des consommateurs (JO C 167, p. 1).

15 L'existence d'un lien entre la protection et l'information des consommateurs est expliquée par les "orientations générales" du deuxième programme. Elles soulignent que les mesures prises ou en cours d'élaboration, en application du programme préliminaire, contribuent à améliorer la situation du consommateur en protégeant sa santé, sa sécurité et ses intérêts économiques, en lui fournissant une doivent régir la protection des intérêts économiques des consommateurs comporte des passages visant à l'exactitude des informations fournies au consommateur, sans pourtant lui refuser l'accès à certains renseignements. C'est ainsi que, selon l'un de ces principes (point 28 information et une éducation appropriées et en lui permettant de s'exprimer sur les décisions qui le concernent. Ces mêmes mesures auraient également souvent pour effet de rapprocher les conditions de concurrence auxquelles doivent se conformer producteurs ou distributeurs.

16 Les orientations générales du deuxième programme précisent, ensuite, que le but de celui- ci est de poursuivre et d'approfondir l'action entreprise et, notamment, de contribuer à la création des conditions d'un meilleur dialogue entre consommateurs et producteurs- distributeurs. A cet effet, le programme définit "cinq droits fondamentaux" du consommateur, parmi lesquels figure le "droit à l'information et à l'éducation. "L'une des actions proposées dans le programme est l'amélioration de l'éducation et de l'information des consommateurs (point 9, sous D) La partie du programme qui fixe les principes qui, paragraphe 4), aucune forme de publicité ne doit induire en erreur l'acquéreur tout auteur d'une publicité devrait être en mesure de "justifier par des moyens appropriés la véracité de ce qu'il a affirmé".

17 Il y a lieu de rappeler, ensuite, que selon la jurisprudence de la Cour une interdiction d'importer certains produits dans un État membre est contraire à l'article 30 lorsque le but poursuivi par une telle interdiction peut également être atteint par un étiquetage du produit en cause qui serait susceptible de fournir les renseignements nécessaires au consommateur et de lui permettre ainsi de fixer son choix en toute connaissance de cause (arrêts du 9 décembre 1981, Commission/Italie, 193-80, Rec. p. 3019, et du 12 mars 1987, Commission/République fédérale d'Allemagne, 178-84, Rec. p. 1227).

18 Il résulte de ce qui précède que le droit communautaire en matière de protection des consommateurs considère l'information de ceux-ci comme l'une des exigences principales. Dès lors, l'article 30 du traité ne saurait être interprété dans un sens impliquant qu'une législation nationale refusant l'accès des consommateurs à certaines informations puisse être justifiée par des exigences impératives tenant à la protection des consommateurs.

19 Par conséquent, les obstacles au commerce intracommunautaire résultant d'une réglementation nationale du type de celle qui est en cause dans le litige au principal ne sauraient être justifiés par des raisons tenant à la protection des consommateurs. Ils relèvent donc de l'interdiction prévue par l'article 30 du traité. Les exceptions à l'application de cette disposition qui figurent à l'article 36 n'y sont pas applicables elles n'ont d'ailleurs pas été invoquées au cours de la procédure devant la Cour.

20 Dès lors que l'article 30 s'applique, il n'est pas nécessaire d'interpréter l'article 31 du traité, également évoqué par la question préjudicielle.

21 Il convient donc de répondre à la question posée que les articles 30 et 36 du traité CEE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que soit appliquée à une action publicitaire qui à été légalement diffusée dans un autre État membre une réglementation nationale comportant une interdiction d'indiquer, dans la publicité commerciale relative à une offre spéciale d'achat, la durée de l'offre et l'ancien prix.

Sur les dépens

Les frais exposés par le gouvernement du grand-duché de Luxembourg, par le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par la Cour de cassation du grand-duché de Luxembourg, par ordonnance du 8 décembre 1988, dit pour droit :

Les articles 30 et 36 du traité CEE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que soit appliquée à une action publicitaire qui a été légalement diffusée dans un autre État membre une réglementation nationale comportant une interdiction d'indiquer, dans la publicité commerciale relative à une offre spéciale d'achat, la durée de l'offre et l'ancien prix.