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Décisions

CJCE, 17 septembre 1980, n° 730-79

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Philip Morris Holland Bv

Défendeur :

Commission des Communautés Européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseillers :

MM. Cervino, Monnet, Kirchberg, MDR Gilmour

Avocats :

Mes MBH Ter Kuile, MFOW Vogelaar, MJ Loesch, MAF de Savornin Lohman.

CJCE n° 730-79

17 septembre 1980

LA COUR,

1. Par recours du 12 octobre 1979, la requérante demande, en application de l'article 173 du traité CEE, l'annulation de la décision 79-743-CEE de la Commission, du 27 juillet 1979, concernant une aide que le Gouvernement néerlandais projette d'accorder en faveur de l'accroissement des capacités de production d'un fabricant de cigarettes (JO n° L 217, p. 17).

2. La requérante est la filiale Néerlandaise d'un grand producteur de tabacs manufacturés. Par lettre du 7 octobre 1978, le Gouvernement Néerlandais a informé la Commission de son intention d'accorder à la requérante la prime supplémentaire pour grands projets prévue par la loi Néerlandaise du 29 juin 1978 sur la stimulation et l'orientation des investissements (Staatsblad 1978, n° 368). Cette prime, qui bénéficie aux projets d'investissement d'une valeur excédant trente millions de florins, est modulée en fonction du nombre d'emplois crées et peut atteindre 4 % de la valeur de l'investissement concerné. D'après l'article 6 de cette loi, la prime n'est pas octroyée pour autant que l'octroi serait, de l'avis de la Commission, incompatible avec le Marché commun en vertu des articles 92 à 94 du traité.

3. L'aide en cause visait à aider la requérante à concentrer et développer sa production de cigarettes en fermant l'une des deux usines qu'elle possède aux Pays-Bas, et en portant la capacité de production de la seconde, située à Bergen-op-Zoom, dans le Sud du pays, à 16 milliards de cigarettes par an, accroissant ainsi de 40 % les capacités de production de la firme et de 13 % environ la production totale Néerlandaise.

4. Après avoir examiné le projet d'aide conformément aux dispositions de l'article 93 du traité, la Commission a pris la décision attaquée, qui dispose que le Royaume des Pays-Bas ne peut mettre à exécution son projet, communiqué à la Commission par lettre du 4 octobre 1978, d'octroyer la prime supplémentaire pour grands projets en faveur des investissements réalisés à Bergen-op-Zoom.

5. Quant à la recevabilité du recours la Commission ne conteste pas que la requérante, en sa qualité d'éventuel bénéficiaire de l'aide visée par la décision, est en droit de former un recours en annulation, même si la décision est adressée un Etat membre.

6. Quant au fond la requérante fait valoir deux moyens d'annulation de la décision attaquée en premier lieu, la décision de la Commission a) violerait l'article 92, paragraphe 1, du traité, b) violerait un ou plusieurs principes généraux du droit communautaire, en particulier les principes de bonne administration, de protection de la confiance légitime et de proportionnalité, ou, du moins, un ou plusieurs principes de la politique de concurrence de la Commission, c) violerait l'article 190 du traité, en ce que la Commission aurait motivé la décision de manière incompréhensible ou contradictoire.

7. En second lieu, la décision selon laquelle les dispositions dérogatoires de l'article 92, paragraphe 3, du traité ne seraient pas applicables, dans les conditions de l'espèce, violerait les dispositions précitées du traité, et les principes précités du droit communautaire.

8. Sur le premier moyen l'article 92, paragraphe 1, du traité de Rome dispose que sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le Marché commun, dans la mesure ou elles affectent les échanges entre états membres, les aides accordées par les états ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

9. La requérante soutient que, afin de pouvoir décider dans quelle mesure une aide déterminée est incompatible avec le Marché commun, il y aurait lieu d'appliquer en premier lieu les critères qui déterminent l'existence de restrictions de concurrence dans le cadre des articles 85 et 86 du traité. La Commission devrait dès lors déterminer d'abord le "marché en cause" et cela en fonction du produit, du territoire et de la période de temps dont il s'agit. Ensuite elle devrait examiner la structure du marché en cause afin de pouvoir apprécier dans quelle mesure l'aide en question affecte, le cas échéant, les rapports de concurrence. Or ces éléments essentiels feraient défaut dans la décision attaquée. La décision ne définirait pas le marché en cause ni du point de vue du produit, ni dans le temps. la structure du marché ne serait aucunement précisée, pas plus d'ailleurs que les rapports de concurrence qui en découlent, lesquels pourraient, le cas échéant, être faussés par l'aide litigieuse.

10. Il est constant qu'après la réalisation des investissements projetés, la requérante assurera près de 50 % de la production Néerlandaise de cigarettes et qu'elle prévoit l'exportation vers les autres états membres de plus de 80 % de sa production. La prime supplémentaire pour grands projets que le Gouvernement Néerlandais proposait d'accorder à la requérante s'élevait a 6,2 millions de florins (2,3 millions d'unités de compte européennes), soit 3,8 % du montant des investissements réalisés.

11. Lorsqu'une aide financière accordée par l'Etat renforce la position d'une entreprise par rapport à d'autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l'aide. En l'espèce, l'aide que le Gouvernement Néerlandais projetait d'accorder concernait une entreprise ayant une orientation vers le commerce international, comme le prouve le pourcentage élevé de sa production qu'elle se propose d'exporter dans d'autres états membres. L'aide en question devait contribuer a l'augmentation de sa capacité de production et, en conséquence, à l'accroissement de sa capacité d'alimenter les courants d'échange, y compris ceux existant entre états membres. D'autre part, l'aide aurait allégé le coût de la transformation des installations de production et par là même aurait procuré à la requérante un avantage dans la concurrence avec des fabricants qui ont réalisé ou ont l'intention de réaliser à leurs propres frais une augmentation analogue de la capacité de rendement de leurs installations.

12. Ces circonstances, qui ont été évoquées par les considérants de la décision attaquée et qui n'ont pas été contestées par la requérante, constituent une justification suffisante pour permettre à la Commission de juger que l'aide projetée serait de nature à affecter les échanges entre états membres et menacerait de fausser la concurrence entre les entreprises établies dans différents états membres.

13. Il résulte de ces considérations que le premier moyen doit être rejeté, aussi bien quant au fond qu'en ce qui concerne l'insuffisance de motivation.

Sur le deuxième moyen

14. Par son deuxième moyen, la requérante critique la décision de la Commission pour autant qu'elle est fondée sur l'inapplicabilité en l'espèce des dérogations visées à l'article 92, paragraphe 3, du traité, et en particulier ses lettres a), b) et c).

15. Cet article dispose que peuvent être considérées comme compatibles avec le Marché commun :

a) les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi ;

b) les aides destinées à promouvoir la réalisation d'un projet d'intérêt européen ou à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un Etat membre ;

c) les aides destinées a faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire a l'intérêt commun...'

16. Selon la requérante, c'est à tort que la Commission pose comme principe général que les aides accordées à des entreprises par un Etat membre ne tombent sous le coup des dispositions dérogatoires de l'article 92, paragraphe 3, du traité que si la Commission est à même d'établir que, sans elles, le jeu des lois du marché ne permettrait pas d'obtenir, à lui seul, des entreprises bénéficiaires qu'elles adoptent un comportement de nature à contribuer à la réalisation d'un des objectifs vises par ces dispositions. La seule condition pour l'admissibilité d'une aide au titre de l'article 92, paragraphe 3, consisterait dans la conformité du plan d'investissement considéré aux finalités indiquées aux lettres a), b) ou c).

17. Cet argument ne saurait être retenu. d'une part, il méconnaît que l'article 92, paragraphe 3, contrairement à l'article 92, paragraphe 2, donne un pouvoir d'appréciation à la Commission en prévoyant que les aides qu'il énumère peuvent être considérées comme compatibles avec le Marché commun. D'autre part, il aurait pour résultat de permettre aux états membres d'effectuer des versements qui apporteraient une amélioration de la situation financière de l'entreprise bénéficiaire sans être nécessaires pour atteindre les buts prévus par l'article 92, paragraphe 3.

18. Il convient d'observer à cet égard que la décision attaquée constate explicitement que le Gouvernement Néerlandais n'a pu donner, et la Commission n'a pu déceler, aucune justification permettant d'établir que l'aide en question réunit des conditions techniques de mise en jeu d'une des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3, du traité.

19. La requérante soutient que la Commission a considéré à tort que la zone de Bergen-op-Zoom n'est pas une région où l'on trouve un niveau de vie anormalement bas ou un grave sous-emploi au sens de la disposition de l'article 92, paragraphe 3 a) la région de Bergen-op-Zoom serait caractérisée par un taux de sous-emploi plus élevé et par un revenu par capita inférieur à celui de la moyenne nationale Néerlandaise.

20. En ce qui concerne l'article 92, paragraphe 3 b), la requérante conteste l'affirmation de la Commission que le système de prime supplémentaire ne pouvait être assimilé à une aide destinée à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un Etat membre, et que prendre une autre position aurait permis aux Pays-Bas, dans le contexte d'une croissance ralentie et d'un chômage important dans toute la communauté, de déplacer a leur profit des investissements susceptibles de se réaliser dans d'autres états membres connaissant une situation moins favorable.

21. Selon la requérante, on ne saurait répondre à la question de savoir s'il y a perturbation grave de l'économie d'un Etat membre, et, dans l'affirmative, si une aide nationale déterminée porte remède à cette perturbation, en examinant, comme l'a fait la Commission, si les investissements de l'entreprise auxquels l'aide de l'Etat membre concerné se rapporte pourraient être réalisés le cas échéant dans d'autres états membres connaissant une situation moins favorable que cet Etat membre.

22. La requérante conteste enfin l'affirmation de la décision selon laquelle l'examen du secteur de la production de cigarettes dans la Communauté et aux Pays-Bas montrerait que le jeu du marché serait à lui seul, et sans intervention étatique, de nature à assurer son développement normal, et que, dès lors, l'aide litigieuse ne pourrait être considérée comme destinée à faciliter le développement, au sens de l'article 92, paragraphe 3 c).

23. Selon la requérante, il serait sans intérêt, en principe, de savoir si sans intervention étatique le jeu du marché est de nature à assurer à lui seul le développement normal de la production dans un Etat membre et dans la Communauté. La seule chose qui importerait serait de savoir si l'aide en facilite ou non le développement. Au surplus, la décision serait motivée de manière incompréhensible et contradictoire.

24. Ces arguments de la requérante ne peuvent être retenus. Il y a lieu de rappeler que la Commission jouit d'un pouvoir discrétionnaire dont l'exercice implique des appréciations d'ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire.

25. C'est dans ce contexte que la Commission a, avec raison, apprécié le niveau de vie et le sous-emploi grave dans la zone de Bergen-op-Zoom, non par référence au niveau moyen national Néerlandais, mais par rapport au niveau communautaire. en ce qui concerne l'argument de la requérante tiré de l'article 92, paragraphe 3 b), du traité, la Commission pouvait très bien considérer, comme elle l'a fait, que l'investissement à réaliser en l'occurrence ne constituait pas un projet important d'intérêt commun et que l'aide projetée ne pouvait être assimilée à une aide destinée à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un Etat membre, étant donné que l'aide projetée aurait permis de déplacer des investissements susceptibles d'être réalisés dans d'autres états membres connaissant une situation économique moins favorable que celle des Pays-Bas, ou le niveau national de chômage est un des plus bas de la Communauté.

26. En ce qui concerne l'article 92, paragraphe 3 c), du traité, les arguments avancés par la requérante ne sont pas pertinents. La compatibilité de l'aide en question avec le traité doit être appréciée dans le cadre communautaire et non dans celui d'un seul Etat membre. L'appréciation de la Commission est fondée en grande partie sur la constatation que l'accroissement de la production de cigarettes prévu serait exporté vers les autres états membres, ceci dans le contexte d'une croissance ralentie de la consommation, ce qui ne permettait pas de considérer que les conditions des échanges ne seraient pas altérées dans une mesure contraire à l'intérêt commun par une telle aide. Cette appréciation est fondée. La constatation que le jeu du marché dans le secteur de la production de cigarettes est a lui seul, et sans intervention étatique, de nature a assurer son développement normal, et que, dès lors, l'aide ne peut être considérée comme destinée à en faciliter le développement, est également justifiée, alors qu'on apprécie la nécessité d'une aide du point de vue communautaire plutôt que de celui d'un seul Etat membre.

27. Le recours est donc rejeté.

Sur les dépens

28. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ; la requérante ayant succombé en son action, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) le recours est rejeté

2) la partie requérante supporte les dépens.