CCE, 26 juillet 1988, n° 89-43
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Aides accordées par le Gouvernement italien à ENI-Lanerossi
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 93 paragraphe 2 premier alinéa, après avoir mis, conformément aux dispositions dudit article, les intéressés en demeure de présenter leurs observations, et au vu de ces observations, considérant ce qui suit:
I
En 1962, Lanerossi SpA a été reprise par le holding d'État Ente Nazionale Idrocarburi (ENI), dans le double but de créer un groupe textile verticalement intégré et de résoudre les difficultés économiques et financières de certaines sociétés privées du secteur textile/vêtements, que Lanerossi avait reprises à cet effet.
Avec le temps et au prix d'un effort de restructuration considérable, certaines de ces filiales ont retrouvé une viabilité telle qu'elles ont pu être rétrocédées au secteur privé.
D'autres, en revanche, ont continué à subir des pertes, que le Gouvernement italien a compensées pour leur permettre de poursuivre leurs activités. Tel est notamment le cas de quatre filiales de Lanerossi SpA dans le sous-secteur des vêtements pour hommes : Lanerossi Confezioni (Arezzo, Macerata, Orvieto), Intesa (Maratea, Nocera, Gagliano), Confezioni di Filottrano (Ancona) et Confezioni Monti (Pescara). Entre 1974 et 1979, les pertes de ces firmes sont passées de 2 milliards de lires italiennes à 39 milliards de lires italiennes par an. En 1979, la Commission a été saisie d'une plainte officielle de l'Association européenne de l'industrie de l'habillement (AEIH), suivie par celles d'autres fédérations de l'industrie textile, qui estimaient que la compensation constante des pertes d'exploitation des filiales était de nature à fausser considérablement le jeu de la concurrence dans le marché commun.
Après un examen détaillé de la situation et de l'évolution des entreprises publiques fabriquant des vêtements pour hommes et à la lumière des informations fournies par le Gouvernement italien, la Commission a estimé que les interventions précitées devaient être considérées comme des aides au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité CEE. Dans sa lettre du 26 juin 1980, elle faisait savoir au Gouvernement italien que ces mesures ne pourraient bénéficier d'une dérogation à la règle de l'incompatibilité, énoncée à l'article 92 paragraphe 1, que si l'aide était limitée dans le temps et que le programme de restructuration qui lui avait été fourni était exécuté, dans le but de réduire les capacités des sociétés concernées et de les rendre, à court terme, viables et autonomes.
La Commission, qui avait suivi de très près l'évolution des entreprises publiques du secteur, a adressé au Gouvernement italien, le 20 mai 1983, une lettre concernant une cinquième filiale de Lanerossi, Lebole SpA ; elle y estimait que les efforts de restructuration passés et futurs faisaient contrepoids à la compensation des pertes et que leur nature excluait qu'il puisse s'agir d'une simple opération de sauvetage ou d'une aide à l'exploitation. La Commission en concluait que cette aide financière pouvait bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c) du traité CEE, ce qui la rendait compatible avec le marché commun. La Commission a continué à suivre l'avancement du programme de restructuration après le 31 décembre 1983 et a pu, sur cette base, confirmer sa position et clore définitivement le dossier de Lebole SpA.
S'agissant des quatre autres filiales de ENI-Lanerossi, les résultats économiques et financiers au 31 décembre 1982 ont confirmé l'échec des efforts de restructuration déjà entrepris ; il ne faisait aucun doute que ces usines continueraient à connaître de graves difficultés d'ordre structurel, en dépit du soutien constant des pouvoirs publics. Les pertes enregistrées de 1980 à 1982 ont dépassé de loin les 150 milliards de lires italiennes. Le programme de restructuration pour 1983-1986, notifié à la Commission par le Gouvernement italien, indiquait que les pouvoirs publics seraient encore amenés à intervenir massivement pour compenser les pertes des quatre sociétés.
Dans sa lettre du 20 mai 1983, la Commission faisait valoir que dans un secteur commun hautement concurrentiel, marqué par des surcapacités au niveau communautaire, par la faiblesse de ses prix et par l'intensité des échanges intracommunautaires, le maintien d'un volume, même relativement restreint, de productions et d'exportations par des moyens artificiels - en l'occurrence, par une injection de fonds publics - était de nature à accroître les difficultés des entreprises non bénéficiaires d'aides d'État. Consciente de l'importance sociale et régionale de ces usines, la Commission ne s'est pas opposée à l'octroi d'aides jusqu'à la fin de 1982; en revanche, elle s'est montrée fort sceptique quant à la possibilité que les déficits d'exploitation puissent, à l'avenir, continuer à être couverts par des interventions du secteur public d'une manière compatible avec le bon fonctionnement du marché commun. La Commission a prévenu le Gouvernement italien que, en cas d'autres interventions de ce genre, elle agirait en conséquence. Elle rappelait également au Gouvernement italien que, aux termes de l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE, les États membres sont tenus de l'informer, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Elle invitait le Gouvernement italien à lui faire part de ses intentions dans les deux semaines à compter de la réception de la lettre du 20 mai 1983.
Par télex du 24 juin 1983, le Gouvernement italien confirmait à la Commission son intention de lui notifier, conformément à l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE, toute intervention future en faveur des quatre fabricants de vêtements pour hommes.
Ces usines ont continué à accuser des pertes considérables; la Commission, l'ayant appris, a écrit au Gouvernement italien à la date du 22 juillet 1983 pour lui rappeler la teneur de sa lettre du 20 mai et lui confirmer que, étant donné l'évolution des filiales et du marché, aucune nouvelle aide en leur faveur ne pourrait être considérée comme compatible avec le marché commun.
Par lettre du 2 novembre 1983, le Gouvernement italien confirmait qu'aucune aide d'État n'était envisagée en faveur de ces usines, que la direction d'ENI-Lanerossi jugeait leur restructuration impossible et qu'en conséquence le programme de restructuration prévu pour les années 1983-1986 ne serait pas mis à exécution.
II Par la suite, la presse a révélé que, en dépit des affirmations du Gouvernement italien, ces usines étaient restées en activité, qu'elles continuaient à accuser des pertes et ne pourraient sans doute échapper à la faillite qu'avec de nouvelles aides de l'État. La Commission a demandé à plusieurs reprises au Gouvernement italien de l'informer de la situation réelle.
Par lettre du 30 août 1984, le Gouvernement italien a transmis à la Commission un résumé du nouveau programme de restructuration des usines de vêtements pour hommes d'ENI-Lanerossi ; il en ressort que la direction d'ENI-Lanerossi estime toujours que ces usines ne se prêtent pas à une restructuration. Elles restent cependant en activité, alors que le déficit d'exploitation, au cours du seul exercice 1983, a atteint 78 milliards de lires italiennes. Les pertes ont été compensées par une réduction du capital, suivie d'une augmentation sous forme d'apport du secteur public. Le résumé faisait apparaître que les pertes devraient encore être compensées à l'avenir, les usines ayant peu de chances de se retrouver prochainement en équilibre.
Il s'avérait aussi que la compensation des pertes était postérieure au 31 décembre 1982, date limite assignée par le Gouvernement italien aux efforts de restructuration des usines.
À l'examen, la Commission a jugé illicites les aides accordées sous forme de compensation des pertes, au motif qu'elles n'avaient pas été notifiées au préalable et que le Gouvernement italien avait manqué, de ce fait, à ses obligations au titre de l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE. La Commission estimait également que, compte tenu des résultats et de la situation financière et économique des usines, l'intervention en faveur des quatre filiales d'ENI-Lanerossi était à considérer comme une aide au sauvetage. Or, elle a pour principe de n'admettre de telles aides que dans la perspective d'un futur plan de restructuration, pour une courte période et sous forme de crédits ou de prêts au taux du marché; les États membres en ont été informés par lettre du 24 janvier 1979. Dès lors, les aides visées ne répondaient pas aux conditions posées par la Commission.
La Commission a également estimé que les interventions enfreignaient sa décision interdisant l'octroi de toute nouvelle aide à ces usines à dater du 1er janvier 1983, communiquée au Gouvernement italien par lettres des 20 mai et 22 juillet 1983 et réitérée par lettre du 7 décembre 1983.
La Commission était d'avis que les interventions effectuées et envisageables ne favorisaient en rien un développement susceptible de compenser leurs effets de distorsion sur les échanges dans la Communauté. De plus, elles visaient un secteur communautaire souffrant de surcapacités structurelles, du faible niveau de ses prix, marqué par un fort courant d'échanges intracommunautaires, et considéré de ce fait comme l'un des plus sensibles de toute l'industrie du textile et de l'habillement. Aussi, la Commission a-t-elle estimé que les aides ne pouvaient être considérées comme compatibles avec le marché commun et ne pouvaient bénéficier d'aucune des dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 du traité CEE.
Elle a donc engagé la procédure de l'article 93 paragraphe 2 premier alinéa du traité CEE.
Par lettre du 19 décembre 1984, elle mettait le Gouvernement italien en demeure de présenter ses observations. Les autres États membres en ont été informés le 12 février 1985 et les tiers intéressés le 23 février 1985.
III Après un rappel de la Commission en date du 26 février 1985, le Gouvernement italien a sollicité et obtenu un nouveau délai pour présenter ses observations dans le cadre de la procédure ainsi ouverte. Par lettre du 28 mai 1985, il notait que les usines faisaient moins de pertes et qu'elles réduisaient leur main-d'œuvre, qu'elles avaient été reprises au secteur privé alors qu'elles étaient au bord de la faillite, et que l'on ne pouvait s'attendre, dans ces conditions, à ce que les efforts de restructuration aboutissent rapidement. La restructuration s'étant avérée depuis pratiquement impossible, ce qui obligeait à reconvertir les usines, sans compromettre pour autant les activités de Lanerossi, le succès de l'entreprise supposait qu'elle puisse s'étendre sur une plus longue période. L'ordre de la Commission d'avoir à cesser immédiatement toute intervention en faveur des sociétés réduirait à néant tous les efforts du passé et aurait d'importantes conséquences sur le plan social.
Dans sa lettre du 28 mai 1985, le Gouvernement italien faisait également valoir que Lanerossi n'avait reçu qu'une partie des apports de capitaux faits à l'ENI par l'État et qu'il ne s'agissait donc pas d'une aide totale. Par ailleurs, le droit italien faisant obligation aux actionnaires de compenser immédiatement les pertes pour éviter une faillite, la notification au titre de l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE était impossible. Enfin, les usines avaient vu se réduire leurs parts du marché et des exportations de 1980 à 1983, de sorte que les aides n'auraient aucun effet sur les échanges et sur la concurrence.
Lors d'une réunion bilatérale tenue le 21 juin 1985, le Gouvernement italien annonçait l'envoi d'un complément d'informations sur le nouveau programme qui visait à restructurer certains éléments des usines et à en reconvertir d'autres, ce qui permettrait à la Commission d'examiner en bloc tout le programme de restructuration et de reconversion. Il laissait également entendre que ce programme aboutirait à une solution rapide et définitive, de sorte que l'examen de la Commission pourrait porter non seulement sur les efforts en cours, mais aussi sur leurs résultats finaux.
La Commission, n'ayant pas reçu ces données, envoyait un rappel au Gouvernement italien par télex en date du 7 août 1985. Par télex du 25 septembre 1985 et par lettre du 12 décembre 1985, le Gouvernement italien demandait et obtenait des délais supplémentaires.
Par lettre du 5 février 1986, il transmettait à la Commission des indications partielles sur l'état d'avancement du programme de restructuration et de reconversion, annonçait qu'une solution définitive était en vue et invitait la Commission à réexaminer le cas sur cette base.
Au cours d'une réunion bilatérale tenue le 12 juin 1986, les autorités italiennes confirmaient le paiement de 78 milliards de lires italiennes en compensation des pertes de 1983 et de 56,8 milliards de lires italiennes et 42,2 milliards de lires italiennes pour les exercices 1984 et 1985 respectivement. Elles confirmaient également que les usines seraient soit transférées au secteur privé, soit reconverties, soit partiellement transférées et partiellement reconverties, mais que la solution retenue, quelle qu'elle fût, prendrait du temps.
La Commission a souligné que la compensation des pertes de 1984 et 1985 avait eu lieu, une fois de plus, sans notification préalable et que certaines données lui faisaient toujours défaut pour pouvoir examiner le cas d'espèce en connaissance de cause.
La Commission a reçu une réponse partielle par lettre du 8 septembre 1986 et, après un rappel du 17 septembre 1986, une réunion bilatérale, tenue le 7 novembre 1986, a permis de clarifier un certain nombre d'autres points. En même temps, les autorités italiennes répétaient qu'une solution définitive était en vue et que la Commission en serait informée en temps utile.
Au cours d'une réunion bilatérale tenue le 11 septembre 1987, il est apparu que le transfert au secteur privé et la reconversion vers d'autres activités étaient en cours, sans être encore achevés. Dans une lettre en date du 15 décembre 1987, le Gouvernement italien confirmait ces informations et donnait des précisions sur les transferts déjà effectués.
Lors d'une nouvelle réunion tenue le 26 janvier 1988, il est apparu que, en mars de la même année, ENI-Lanerossi aurait transféré au secteur privé toutes ses usines restantes, ce qui mettait fin à toute participation de l'État dans le secteur des vêtements pour hommes. À la suite des divers transferts, sur les 3 563 travailleurs de 1983, 38 % auraient pris une retraite anticipée, 25 % seraient transférés au secteur des vêtements civils pour hommes, 20 % au secteur des vêtements militaires et 17 % à d'autres sous-secteurs du textile/habillement et à d'autres industries, notamment la chaussure. La production serait transférée de la même manière. D'après le Gouvernement italien, ces reconversions réduiraient la pression qui pesait sur le secteur des vêtements pour hommes, ce qui aurait un effet bénéfique sur toute l'industrie communautaire du textile et de l'habillement.
Le transfert des machines, du matériel et des stocks s'était effectué aux conditions du marché, sur la base d'une évaluation menée par une banque internationale.
Ces éléments étaient confirmés par un télex du 5 mars et par une lettre du 22 juillet 1988. Le Gouvernement italien confirmait également que la compensation des pertes avait atteint le chiffre de 45,9 milliards de lires italiennes en 1986 et de 37,5 milliards de lires italiennes en 1987.
Trois autres États membres et trois tiers intéressés ont présenté des observations dans le cadre de la procédure.
IV Les 260,4 milliards de lires italiennes d'interventions de l'État italien en faveur de ENI-Lanerossi, destinés à couvrir les pertes d'exploitation subies de 1983 à 1987 par ses filiales fabriquant des vêtements pour hommes, ont pris la forme d'apports de capitaux expressément et spécifiquement prévus à cet effet. Lorsqu'il est établi qu'une autorité publique injecte des capitaux dans une société à des conditions anormales pour une économie de marché, le cas doit être évalué à la lumière de l'article 92 du traité CEE.
En l'occurrence, la compensation des pertes des filiales d'ENI-Lanerossi a empêché le jeu des forces du marché d'exercer son effet normal, à savoir la disparition de ces usines non compétitives; elle les a maintenues en activité artificiellement pendant une période prolongée et a engorgé la structure du secteur communautaire des vêtements pour hommes, confrontée à de graves problèmes d'adaptation en raison de ses surcapacités structurelles, de ses prix déprimés et de la vive concurrence qui s'y livre tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Communauté.
La compensation des pertes s'est faite dans des conditions qui auraient été inacceptables pour un investisseur privé travaillant dans les conditions normales du marché; en effet, la situation financière et économique des usines visées, compte tenu notamment de la durée et du volume de leurs pertes, excluait toute possibilité d'un revenu normal sous forme de dividendes ou d'une plus-value sur le capital investi. En outre, le Gouvernement italien et ENI-Lanerossi étaient d'accord pour penser que la restructuration des usines était impossible et qu'elles continueraient à accuser des pertes d'exploitation à moins d'être fermées ou reconverties.
À cet égard, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié l'application de l'article 92 paragraphe 1 du traité aux holdings publics (voir l'arrêt du 14 novembre 1984 dans l'affaire 323-82, Intermills, et l'arrêt du 10 juillet 1986 dans les affaires 234-84, Meura, et 40-85, Boch). Pour déterminer si une prise de participation constitue une aide d'État, la Cour a jugé qu'il fallait vérifier si la société en question aurait pu obtenir les fonds sur le marché privé des capitaux. Lorsqu'il s'avère que le bénéficiaire n'aurait pu survivre sans fonds publics, parce qu'il n'aurait pu obtenir le capital sur le marché privé des capitaux, l'on est en droit d'en conclure que cet apport constitue une aide d'État.
La Commission a précisé cette position dans sa lettre aux États membres du 17 septembre 1984.
Dans le cas d'espèce et compte tenu des éléments précités, les usines visées avaient fort peu de chances de pouvoir obtenir sur le marché privé des capitaux suffisants pour assurer leur survie; en effet, aucun investisseur privé, mû par la recherche du profit et non par des considérations d'ordre social, régional ou sectoriel, n'aurait couvert les pertes d'exploitation par des apports de capitaux pendant une aussi longue période. Les interventions à hauteur de 260,4 milliards de lires italiennes constituent donc bien des aides d'État au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité.
V De telles aides devaient être notifiées à la Commission comme prévu à l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE. Sans notification préalable par le Gouvernement italien, la Commission était dans l'impossibilité de se prononcer à l'égard de ces mesures avant leur exécution. Cette circonstance les rendait illicites au regard du droit communautaire dès leur mise en application. L'absence de la notification obligatoire a produit une situation d'autant plus fâcheuse que les aides sont, d'ores et déjà versées. En outre, comme le Gouvernement italien l'a confirmé, une grande partie des aides a été accordée après que la Commission a engagé, le 5 décembre 1984, la procédure formelle d'examen au titre de l'article 93 paragraphe 2 du traité CEE.
À cet égard, il convient d'attirer l'attention sur le caractère impératif des règles de procédure définies à l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE, qui sont d'ordre public et dont la Cour de justice a reconnu l'effet direct dans son arrêt du 19 juin 1973 dans l'affaire 77-72, s'il ne peut être remédié à l'illégalité des aides a posteriori.
Le caractère illicite des aides en cause résulte de l'inobservation des règles de procédure définies à l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE. En outre, dans les cas d'incompatibilité des aides avec le marché commun, la Commission peut recourir à la possibilité que lui offre l'arrêt de la Cour de justice du 12 juillet 1973 dans l'affaire 70-72, confirmé par son arrêt du 24 février 1987 dans l'affaire 310-85, et obliger les États membres à recouvrer auprès des bénéficiaires le montant des aides qui leur ont été versées indûment.
VI En l'occurrence, les aides visées sont incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité CEE.
L'industrie du textile et de l'habillement, et notamment celle des vêtements pour hommes, fait l'objet d'échanges entre les États membres - ce que montrent à suffisance les statistiques - et la concurrence y est fort vive. Le commerce intracommunautaire dans ce groupe de produits, qui comprend les catégories 14 A + B (pardessus masculins en tissu), la catégorie 16 (costumes masculins en tissu) et la catégorie 17 (vestons masculins en tissu) de l'arrangement multifibres, a représenté 19,3 % de la production communautaire en 1983 et 29,1 % en 1986. La production italienne dans ces catégories représente 38,6 % de la production totale de la Communauté et les exportations de vêtements italiens pour hommes vers d'autres États membres ont augmenté de 32 % de 1983 à 1986.
Les quatre usines en cause ont représenté, en 1983, 2,5 % de la production du secteur en Italie, alors que leur part de la main-d'œuvre s'élevait à 11 %. Avec ses 3 563 travailleurs, ces filiales figuraient en 1983 parmi les principaux fabricants de vêtements de la Communauté; en effet, la plupart des entreprises communautaires du secteur sont de petites entreprises et la grande société constitue l'exception. Même les grandes entreprises ont souvent des usines de petite taille. Outre les entreprises, considérées comme industrielles dès lors qu'elles occupent 20 travailleurs au moins, il existe toujours un grand nombre d'ateliers. Les exportations d'ENI-Lanerossi ont représenté en 1983 14 % de leur production totale de vêtements pour hommes; le groupe a donc participé activement aux échanges intracommunautaires dans ce secteur. Ces parts se sont réduites depuis 1983 par suite de fermetures ou de reconversions à d'autres sous-secteurs du textile/habillement ou à d'autres industries. Toutefois, certains sites, représentant quelque 45 % de la main-d'œuvre de 1983, ont été vendus à des sociétés privées indépendantes, qui continuent à produire des vêtements pour hommes (civils et militaires); par ailleurs, la reconversion d'autres installations, représentant quelque 17 % de la main-d'œuvre et de la production de 1983, a accru la production dans des secteurs également marqués par une vive concurrence et par l'intensité et la progression des échanges entre États membres, tels que les jeans, vêtements pour femmes, pyjamas, les chaussures et le cuir.
Les aides en cause ont faussé le jeu de la concurrence en améliorant sensiblement la situation financière d'ENI-Lanerossi et des quatre filiales, leur procurant ainsi un avantage concurrentiel sur d'autres fabricants, également touchés par la stagnation de la demande, la faiblesse des prix et les surcapacités. En outre, les aides accordées pour couvrir les pertes d'exploitation de ces usines - pour un montant à peu près équivalant au chiffre d'affaires qu'elles ont réalisé de 1983 à 1987 - ont rétabli les finances d'entreprises qui auraient normalement dû disparaître au plus tard en 1983. La compensation des pertes à hauteur de 260,4 milliards de lires italiennes a non seulement rétabli les finances des usines, mais facilité leur reconversion et leur reprise dans une mesure qui conférait à ENI-Lanerossi un avantage très substantiel sur ses concurrents non bénéficiaires d'aides.
Lorsqu'une aide financière accordée par l'État membre renforce la position d'une entreprise par rapport à ses concurrentes du marché commun, ces dernières doivent être considérées comme affectées par cette aide. En l'espèce, les aides ont permis aux quatre filiales d'ENI-Lanerossi de survivre après 1982 et ont facilité la reconversion et la liquidation de certains sites de production, opérations dont ENI-Lanerossi devait normalement assumer le coût; de telles aides sont susceptibles d'affecter les échanges entre les États membres et de fausser la concurrence, en favorisant le groupe bénéficiaire au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité CEE.
La disposition précitée pose le principe que toute aide est incompatible avec le marché commun dès lors qu'elle présente les caractéristiques qui y sont énoncées.
Les dérogations au principe de l'incompatibilité, énumérées à l'article 92 paragraphe 2, sont inapplicables en l'espèce, les aides n'ayant ni le caractère ni les objectifs requis.
L'article 92 paragraphe 3 énumère des aides qui peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun. La compatibilité avec le traité doit être appréciée dans le contexte communautaire et non dans celui d'un unique État membre. Pour sauvegarder le bon fonctionnement du marché commun et observer la règle énoncée à l'article 3 point f) du traité, les exceptions au principe de l'article 92 paragraphe 1, définies au paragraphe 3 du même article, sont à interpréter d'une manière restrictive lors de l'examen de tout régime d'aides ou cas d'application de ce régime.
Ces dérogations ne peuvent jouer que si la Commission s'est assurée que le seul jeu des forces du marché, en l'absence de toute aide, n'aurait pas incité le bénéficiaire potentiel à adopter un comportement susceptible de contribuer à la réalisation d'un des objectifs énumérés.
Appliquer les exceptions à des cas non conformes à l'un des objectifs énoncés à l'article 92 paragraphe 3 ou sans qu'elles soient nécessaires pour atteindre cet objectif reviendrait à conférer un avantage indu à des industries ou à des entreprises déterminées en améliorant, sans plus, leur position financière, et à admettre que les conditions des échanges soient altérées et la concurrence faussée, sans qu'il y aille de l'intérêt commun comme l'exigent les dispositions de l'article 92 paragraphe 3.
Aucune des données fournies par le Gouvernement italien ou parvenues à la connaissance de la Commission n'incite à croire que les aides puissent tomber dans l'une des catégories d'exception définies à l'article 92 paragraphe 3.
VII Les quatre filiales en cause d'ENI-Lanerossi relevaient du sous-secteur de la fabrication des vêtements pour hommes, qui relève lui-même du secteur de l'industrie du textile et de l'habillement. Le groupe ENI-Lanerossi avait alors des participations dans d'autres entreprises importantes du secteur. De ce fait, les 260,4 milliards de lires italiennes d'aides financières accordées à ENI de 1983 à 1987 sont intégralement soumises aux conditions qui régissent les aides à l'industrie du textile et de l'habillement, selon les orientations communautaires de 1971 et 1977, communiquées aux États membres par lettres du 30 juillet 1971 et du 4 février 1977.
Ces orientations englobent certains critères, élaborés par la Commission avec l'aide d'experts nationaux, à titre d'orientation pour les gouvernements des États membres qui envisagent d'intervenir dans le secteur. Dans les orientations de 1971, la Commission met l'accent sur l'intensité de la concurrence dans le secteur au niveau communautaire et souligne que celle-ci menace de fausser la concurrence dans une mesure que ne sauraient admettre les concurrents qui ne bénéficient pas de semblables interventions. Selon ces orientations, les aides, qui ont généralement de fortes répercussions dans ce secteur industriel, peuvent néanmoins se justifier si elles améliorent la structure de l'industrie textile. Par " aides structurelles ", on entend les mesures qui visent notamment à faciliter, dans les entreprises textiles, l'élimination des surcapacités existantes et à encourager la reconversion des activités marginales vers d'autres activités en dehors du secteur. Les aides de l'espèce doivent cependant répondre à certaines conditions précisées dans les orientations de 1971.
L'évolution ultérieure, et notamment certains régimes d'aides et interventions ponctuelles déterminés par la pression des circonstances économiques et la situation de l'emploi et jugés, à divers titres, comme étant contraires à l'intérêt de la Communauté, a confirmé les appréhensions de la Commission et l'ont incitée à formuler les orientations de 1977.
L'industrie communautaire du textile/habillement a subi, au cours des dix dernières années, un processus de transformation extrêmement rapide. La production s'est réduite sous la pression de la concurrence extérieure, tant sur les marchés d'exportation traditionnelle que sur le marché communautaire. Un million de postes, représentant près de 40 % de l'emploi total du secteur, ont été perdus de 1975 à 1985. L'intensité de la crise et sa durée, ont obligé les entreprises du secteur à un effort considérable de restructuration et de modernisation des usines. Le secteur a pu ainsi se réadapter et retrouver progressivement sa compétitivité et sa rentabilité. Le rôle important des orientations communautaires dans le retour à un certain équilibre et dans le maintien ou le rétablissement d'une véritable économie de marché est largement reconnu. Le secteur n'en reste pas moins vulnérable, notamment du fait de la concurrence internationale, toujours aussi vive. Aussi la Commission estime-t-elle qu'une intervention non coordonnée des États serait contraire à l'intérêt de la Communauté, en particulier parce qu'elle compromettrait sérieusement les efforts passés et présents accomplis par les producteurs communautaires du secteur textile/habillement pour s'adapter à l'évolution des conditions du marché. C'est pourquoi la Commission attache toujours la même importance au respect des orientations susmentionnées par les États membres.
Les aides en cause ne répondent pas à plusieurs critères des orientations: en premier lieu, les orientations ne prévoient pas l'octroi d'aides destinées à maintenir une société en activité.Au contraire, dans le secteur textile, le sauvetage des sociétés malades a toujours été considéré, à juste titre, comme inapte à améliorer le secteur au niveau tant national que communautaire et comme étant, au contraire, susceptible d'altérer les conditions de la concurrence dans le marché commun sans améliorer pour autant la position concurrentielle du secteur, condition préalable à son rétablissement et à sa réussite sur le marché international.
En second lieu, les orientations n'admettent l'octroi d'aides aux sociétés du textile et de l'habillement que pour une courte durée. Cette condition n'est pas remplie en l'occurrence. La Commission a approuvé des aides pendant la période 1974-1982, pour permettre l'exécution de plusieurs programmes de restructuration destinés à rendre les usines de vêtements pour hommes viables et financièrement autonomes, programmes qui ont d'ailleurs échoué. Le Gouvernement italien n'en a pas moins poursuivi son assistance financière pendant cinq années encore, c'est-à-dire de 1983 à 1987.
En troisième lieu, d'après les orientations, les aides doivent avoir pour objectif de conférer au bénéficiaire, à court terme, un niveau de compétitivité suffisant pour assurer sa réussite sur le marché communautaire du textile et de l'habillement. Or, les quatre usines visées, qui avaient déjà reçu des aides très substantielles avant 1983, n'ont cessé d'accuser des pertes substantielles. La plupart du temps, celles-ci ont atteint le niveau de leur chiffre d'affaires annuel. À noter également que, à partir de 1984 au moins, tous les intéressés se sont trouvés d'accord pour reconnaître que la restructuration des usines était impossible. Dès lors, l'objectif des aides destinées à améliorer la structure du secteur par voie d'adaptation et de restructuration devenait irréalisable.
En quatrième lieu, les aides accordées en l'espèce n'étaient pas destinées à des opérations spécifiques, mais devaient être et ont été utilisées, d'une manière générale, pour améliorer la situation financière des usines. Dès le début, c'est-à-dire dès 1983, il était bien improbable que les aides puissent servir à autre chose qu'à les maintenir artificiellement en production.
Dans ces conditions, un autre critère des orientations s'avère irréalisable: en l'absence de tout lien direct ou même indirect entre les aides et des opérations précises, il devient impossible d'évaluer l'incidence des aides sur les opérations bénéficiaires.
Enfin, les orientations précisent que les aides ne peuvent affecter la concurrence et les échanges plus qu'il n'est absolument nécessaire. À cet égard, l'on notera qu'en 1983 les quatre filiales d'ENI-Lanerossi fabriquant des vêtements pour hommes ont exporté 14,3 % de leur production et que leurs pertes ont été compensées à hauteur de 78 milliards de lires italiennes alors que leur chiffre d'affaires pour l'année 1983 se monte à 78,2 milliards de lires italiennes.
Au cours des années ultérieures, le chiffre d'affaires a baissé à la suite des fermetures, de la vente et de la reconversion de certains sites, mais les pertes sont restées proches de son niveau; en 1987, elles ont atteint 37,5 milliards, pour un chiffre d'affaires de 36,8 milliards de lires italiennes. Entre-temps, de 1983 à 1986, la production communautaire dans le sous-secteur visé a diminué de 15,3 %, alors que les échanges intracommunautaires y augmentaient de 27,7 % pour s'établir à 29,1 %. Dans ces conditions, le maintien de la production non concurrentielle des quatre filiales d'ENI-Lanerossi, fabricants de vêtements pour hommes, dont une grande partie était exportée vers d'autres États membres, ne pouvait qu'affecter la concurrence et les conditions des échanges, d'autant que ces filiales, qui occupaient 3 563 travailleurs en 1983, figuraient parmi les principaux fabricants de ces produits dans la Communauté économique européenne. Le secteur, fortement morcelé, compte plusieurs centaines de petits concurrents. Les aides accordées à l'un des principaux fabricants du secteur sont donc susceptibles d'avoir des effets particulièrement néfastes sur les échanges et sur la concurrence.
Des éléments qui précèdent, il ressort que toutes les aides en cause ont été accordées en infraction aux orientations communautaires sur les aides à l'industrie du textile et de l'habillement.
VIII Les 260,4 milliards de lires italiennes d'aides en question ont servi essentiellement à rétablir les finances des quatre usines de vêtements pour hommes. À cet égard, il convient de rappeler que la Commission avait informé les États membres, par lettre du 24 janvier 1979, des conditions auxquelles les aides au sauvetage pouvaient être considérées comme compatibles avec le marché commun. Les aides au sauvetage ne peuvent être accordées que pour maintenir une entreprise en activité jusqu'à ce que les causes de ses difficultés soient établies et qu'un remède leur soit trouvé; elles doivent notamment répondre aux conditions suivantes:
- Elles doivent être versées en espèces, sous forme de garanties de prêt ou de prêts à intérêt normal, ce qui n'est pas le cas des 260,4 milliards de lires italiennes d'aides en question.
- Elles ne peuvent être payées que pendant la période requise pour élaborer les mesures de redressement nécessaires et réalisables; en général, cette période ne peut dépasser les six mois.
En l'occurrence, les aides au sauvetage versées de 1983 à 1987 ont pris la forme de compensations successives des pertes par voie de recapitalisation. Elles n'ont donc pas été accordées pour une courte période. Aucune durée et aucun prix de vente n'ont été fixés à l'avance et elles n'ont pas été recouvrées. Les aides accordées aux filiales n'étaient assorties d'aucune condition et elles avaient pour unique but de maintenir en activité ces sociétés malades.
Au surplus, les aides ont été accordées sans que les mesures de redressement nécessaires et réalisables aient été prévues. Plusieurs plans de restructuration ont bien été élaborés, pour être abandonnés peu après et, en 1984, le Gouvernement italien et ENI-Lanerossi étaient d'accord pour admettre l'impossibilité de restructurer les quatre filiales.
- Elles ne peuvent avoir un effet défavorable sur la situation industrielle d'autres États membres.
Les filiales concernées, nous l'avons vu, participaient activement aux échanges intracommunautaires. En outre, depuis le début des années 1970, la situation de ce sous-secteur de l'industrie communautaire du textile et de l'habillement a toujours été considérée comme étant très dangereuse et difficile, en raison de la concurrence acharnée aussi bien dans la Communauté qu'en dehors, des réductions de production, de la faiblesse des prix et de surcapacités persistantes qui, aujourd'hui encore, atteindraient 20 à 25 %.
L'industrie communautaire du vêtement pour hommes, qui compte des centaines de sociétés petites et moyennes, a répondu à ces défis en entreprenant un effort considérable d'adaptation, de modernisation des usines et du matériel et d'accroissement de sa productivité. Les entreprises qui n'ont pu être restructurées ont disparu, comme le révèlent le grand nombre de fermetures d'usines et les réductions d'emploi constatées dans le secteur depuis 1975. À l'échelle de la Communauté, l'industrie du vêtement a perdu, de 1975 à 1985, près de 3 000 sociétés (28 % du total) et 398 000 emplois (36,6 %). En Italie, le secteur des vêtements a perdu quelque 600 sociétés (32 % du total) et 83 000 emplois (42 %).
Dans ces conditions, la situation industrielle des autres États membres a été affectée par ces aides. Même si les quatre filiales d'ENI-Lanerossi ne représentaient que 2,5 % du secteur italien des vêtements pour hommes, les 260,4 milliards de lires italiennes d'aides ont représenté, de 1983 à 1987, un avantage à peu près équivalant à leur chiffre d'affaires, sauvant les usines de la faillite et renforçant considérablement leur position par rapport à celle de leurs concurrents à l'intérieur de la Communauté. De ce fait, elles ont affecté les échanges intracommunautaires et par-delà toutes les industries du secteur établies dans d'autres États membres.
- Les cas significatifs doivent être notifiés préalablement à la Commission.
Le cas d'espèce est significatif, compte tenu notamment de l'ampleur des aides et de la taille d'ENI-Lanerossi et de ses quatre filiales en termes absolus comme en termes relatifs. L'on ne peut qu'en déduire que le Gouvernement italien n'a pas répondu à l'obligation de notifier les aides en temps utile pour permettre à la Commission de présenter ses observations et, au besoin, d'engager à leur égard la procédure administrative prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité CEE.
Pour rappel, une partie considérable des aides ont encore été payées après que la procédure a été engagée le 5 décembre 1984. Ce défaut de notification est d'autant plus grave que le Gouvernement italien, par télex du 24 juin 1983, avait fait savoir à la Commission qu'il notifierait en temps utile, conformément à l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE, toute nouvelle intervention en faveur des quatre usines.
Compte tenu de cette affirmation, il convient de rejeter l'argument avancé par le Gouvernement italien dans le cadre de la procédure, par sa lettre du 28 mai 1985, selon lequel le défaut de notification préalable serait dû aux dispositions de la loi italienne. Une telle législation ne saurait fonder une intervention de l'État qui s'avère incompatible avec le traité.
En outre, les pertes d'exploitation se sont accumulées au fil des ans. La notification préalable de la compensation des pertes était donc possible, avec ou éventuellement sans indications des montants exacts.
Enfin, il ressort clairement des arrêts de la Cour de justice dans les affaires 234-84 et 40-85, auxquels il a déjà été fait allusion, qu'une aide au sauvetage ne peut bénéficier d'aucune des dérogations prévues à l'article 92 lorsqu'elle ne contribue pas à assainir une entreprise, c'est-à-dire à rendre son exploitation potentiellement viable sans nouvelle aide dans un laps de temps raisonnable, a fortiori lorsque le secteur visé souffre de surcapacités à l'échelle communautaire. En l'espèce, il est apparu dès 1983 que, malgré les aides considérables qu'elles avaient reçues de 1974 à 1982 pour couvrir leurs pertes d'exploitation, les quatre filiales d'ENI-Lanerossi continueraient à dépendre très largement des interventions de l'État et des autres pouvoirs publics. C'est ce que les faits ont démontré jusqu'en mars 1988, lorsque le Gouvernement italien a déclaré renoncer définitivement à toute participation de l'État dans le secteur en question.
Il ressort des considérations qui précèdent que les injections de capitaux sous forme de compensation des pertes ne répondaient pas à plusieurs des conditions imposées aux aides au sauvetage par la lettre de la Commission aux États membres du 24 janvier 1979 et définies par les arrêts de la Cour de justice.
IX De 1983 à mars 1988, ENI a transféré au secteur privé la plupart de ses usines Lanerossi fabriquant des vêtements pour hommes. Sur les 3 563 travailleurs occupés en 1983, 38 % ont été mis à la retraite anticipée et les autres ont été repris par des sociétés privées indépendantes en même temps que les sites de production. D'après les informations reçues du Gouvernement italien, ces sites ont été vendus sur la base d'une évaluation économique et financière effectuée par une banque internationale.
ENI-Lanerossi s'est ainsi complètement retiré du secteur des vêtements pour hommes.
À la suite de ces transferts, 45 % de la capacité de production initiale (1983) sont restés dans le secteur des vêtements pour hommes (civils et militaires) et 17 % ont été reconvertis dans d'autres sous-secteurs de l'industrie du textile/habillement et d'autres branches industrielles.
Dans le cadre de la procédure, le Gouvernement italien a fait valoir que ces reconversions avaient considérablement réduit la pression qui pesait sur le secteur des vêtements pour hommes, pour le plus grand bien de l'industrie communautaire du textile et de l'habillement. À cet argument, l'on répondra tout d'abord qu'il n'est nullement certain que la capacité de production dans le secteur des vêtements pour hommes ait réellement diminué de 55 %. Les chiffres soumis par le Gouvernement italien ne se fondaient pas sur les installations et les machines, mais prenaient pour indicateur la réduction de la main-d'œuvre. Or, les effectifs de ces usines étaient fortement excédentaires en 1983 et la production aurait, sans doute, pu être maintenue en dépit de la forte réduction du personnel. En toute hypothèse, une réduction sensible de la main-d'œuvre s'imposait pour accroître la productivité; en effet, la productivité du travail dans les entreprises publiques du secteur s'avérait beaucoup plus faible que chez les fabricants italiens privés; c'est ce qui ressort des données de l'Istat (Institut italien des statistiques) pour les années en cause.
En outre, les reconversions ont été opérées vers les sous-secteurs suivants de l'industrie du textile/habillement: jeans, vêtements pour femmes, pyjamas, bas et collants. Tous ces sous-secteurs sont également très sensibles dans la Communauté en raison de la faiblesse des prix, d'une demande et d'une production stagnantes ou en baisse, de la pression des pays tiers, des surcapacités et de l'intensité croissante de la concurrence et des échanges intracommunautaires.
Il en va de même de la situation dans les secteurs non textiles - cuir et chaussures - qui ont absorbé les deux autres sites de production.
En définitive, ces reconversions ont sans doute atténué quelque peu, après 1987, les pressions qui pesaient sur l'industrie des vêtements pour hommes dans la Communauté économique européenne en opérant certaines réductions de capacités, d'ailleurs moins importantes que le Gouvernement italien ne le prétend, mais elles ont en même temps augmenté les pressions en développant les capacités dans d'autres sous-secteurs de l'industrie du textile/habillement et dans d'autres branches industrielles connaissant des difficultés structurelles du même ordre. Les difficultés ayant été accrues par les reconversions, celles-ci ne peuvent être considérées comme ayant facilité le développement de l'industrie communautaire dans les secteurs visés.
X S'agissant de la dérogation prévue au paragraphe 3 point c) de l'article 92, en faveur des " aides destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques ", il ressort des considérations qui précèdent que les aides ont facilité le développement d'ENI - qui, entre-temps, a vendu Lanerossi et s'est ainsi défait du solde de ses participations dans l'industrie textile - mais qu'en revanche, elles n'ont pas facilité le développement des secteurs communautaires visés et qu'elles ont altéré les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Elles ont maintenu artificiellement en vie les usines de vêtements pour hommes, dans un secteur marqué par l'intensité croissante des échanges intracommunautaires et par l'âpreté de la concurrence. Elles ont réduit les dépenses qui incombaient à ENI et ont affaibli la position concurrentielle d'autres producteurs communautaires; de ce fait, elles ont augmenté les pressions qui pesaient déjà sur ces entreprises et fait baisser les prix sur le marché communautaire. Elles ont nui de la sorte à d'autres producteurs, au point parfois de les contraindre à se retirer du marché, alors même que certains d'entre eux n'avaient pu survivre qu'au prix d'un effort de restructuration, en améliorant leur productivité et leur qualité et en réduisant leur main-d'œuvre et ce en puisant dans leurs propres ressources. Les aides ont soulagé ENI, artificiellement, de certaines dépenses qui lui incombaient; dès lors, sa position sur le marché ne résultait plus exclusivement de son efficacité, de ses mérites et de ses capacités propres. Pareilles aides ne peuvent être considérées comme contribuant à un développement susceptible de compenser la distorsion qu'elles entraînent sur les échanges communautaires. C'est pourquoi ces aides ne peuvent bénéficier de la dérogation sectorielle prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c).
S'agissant des exemptions prévues à l'article 92 paragraphe 3 points a) et c), relatives aux aides destinées à favoriser ou à promouvoir le développement régional, il convient de noter que seules certaines des zones concernées (Pescara, Maratea, Nocera, Gagliano) ont un niveau de vie très bas et souffrent d'un grave sous-emploi. Dans d'autres (Ancona, Orvieto, Arezzo et Macerata) il n'y a ni niveau de vie anormalement bas, ni grave sous-emploi au sens de l'article 92 paragraphe 3 point a). Le développement régional recherché par cette dérogation repose essentiellement sur l'octroi d'aides destinées à couvrir les dépenses d'équipement et les frais accessoires entraînés par des investissements nouveaux ou par une expansion ou une reconversion d'entreprises. En l'espèce, les interventions, qui ont assaini la situation financière et les bilans d'usines en difficultés, ne peuvent être considérées comme répondant aux conditions de cette dérogation.
Dans toutes les régions concernées, l'analyse de la Commission doit partir de la situation économique et sociale, vue sous l'angle de l'intérêt commun. Dans le secteur des vêtements pour hommes, cet intérêt oblige à réduire les capacités et à éviter toute aide susceptible de favoriser le maintien d'une production non concurrentielle et, partant, à contrôler les effets sectoriels des aides régionales; il faut en outre que ces aides soient destinées à promouvoir le développement régional. Il ressort des orientations communautaires sur les aides au secteur textile que l'aspect régional des aides doit être évalué à la lumière des problèmes de développement régional et de leurs effets sur la concurrence et les échanges intracommunautaires dans ledit secteur.
La situation passée et présente du secteur, qui risque fort de se prolonger, implique que les aides n'ont pas augmenté la viabilité financière et économique des usines et n'y ont pas garanti l'emploi. Elles se sont bornées à maintenir ces sites en activité en absorbant leurs pertes d'exploitation, alors que l'emploi s'y réduisait. Les aides n'ont donc pas contribué à promouvoir le développement économique des régions concernées au sens de l'article 92 paragraphe 3 points a) et c), puisqu'elles n'ont entraîné, à terme, aucune augmentation de revenu, ni aucune réduction du chômage.
S'agissant de la dérogation régionale prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c) et compte tenu de la situation du secteur des vêtements pour hommes et des secteurs de reconversion de certains sites, les aides ont altéré les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.
Il ressort des considérations qui précèdent que les aides ne répondaient pas aux conditions requises pour pouvoir bénéficier des dérogations régionales de l'article 92 paragraphe 3 points a) et c).
Enfin, s'agissant des exemptions prévues à l'article 92 paragraphe 3 point b), il s'avère que les aides en cause n'étaient destinées, ni à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun, ni à remédier à une perturbation grave de l'économie italienne, et qu'elles n'étaient pas en mesure de contribuer à de tels objectifs. Le Gouvernement italien n'a d'ailleurs pas invoqué cette dérogation.
En conclusion, il ressort de toutes les considérations qui précèdent que les aides en question (260,4 milliards de lires italiennes) sont illicites, le Gouvernement italien n'ayant pas rempli ses obligations au titre de l'article 93 paragraphe 3. Elles ne répondent pas davantage aux conditions voulues pour pouvoir bénéficier de l'une des dérogations à l'article 92 paragraphes 2 et 3.
XI La Commission peut, nous l'avons vu, obliger les États membres à recouvrer auprès des bénéficiaires les aides qui leur ont été accordées d'une manière illicite. En l'espèce, le montant des aides accordées était considérable. Il dépassait même sensiblement le montant d'autres propositions de régimes d'aides rejetés par la Commission au motif qu'ils risquaient de fausser le jeu de la concurrence, tels que le régime français des taxes parafiscales applicables à l'industrie du textile et de l'habillement [décision finale négative, décision 85-380-CEE de la Commission (1)], le régime d'aides à l'industrie du textile/habillement proposé par le Royaume-Uni [décision finale négative, décision 85-305-CEE de la Commission (2)] et le régime belge d'aides au même secteur proposé pour 1984 [décision finale négative, décision 84-564-CEE de la Commission (3)].
La gravité et l'ampleur de l'infraction au droit communautaire commise en l'espèce appellent des mesures appropriées.
En conséquence, il sera procédé, par voie de recouvrement, au retrait du montant total des aides illicites, soit 260,4 milliards de lires italiennes,
A arrêté la présente décision:
Article premier
Les 260,4 milliards de lires italiennes d'aides accordées, de 1983 à 1987, au groupe ENI-Lanerossi, sous forme d'injections de capitaux dans ses filiales fabriquant des vêtements pour hommes, sont illicites, au motif qu'elles enfreignent les dispositions de l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE. Elles sont également incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité.
Article 2
Il sera procédé par voie de recouvrement au retrait des aides précitées.
Article 3
Le Gouvernement italien informe la Commission, dans un délai de deux mois à dater de la notification de la présente décision, des mesures prises pour s'y conformer.
Article 4
La République italienne est destinataire de la présente décision.
(1) JO n° L 217 du 14. 8. 1985, p. 20.
(2) JO n° L 155 du 14. 6. 1985, p. 55.
(3) JO n° L 312 du 30. 11. 1984, p. 27.