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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 25 juillet 2001, n° 1999-02499

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Agip Française (SA)

Défendeur :

Rabanit (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moussa

Conseillers :

Mme Robert, M. Simon

Avoués :

SCP Junillon-Wicky, SCP Dutrievoz

Avocats :

Mes Benmussa, Jourdan

T. com. Lyon, du 1er avril 1999

1 avril 1999

Faits, procédure et demandes des parties

Le 23 octobre 1980, la société Agip Française a conclu avec les époux Rabanit Emile et Renée un contrat de fourniture exclusive de carburants et lubrifiants ainsi qu'un contrat de "participation de financement" par lequel elle leur a consenti un prêt de 356 000 F destiné à les aider à l'achat et à la réalisation des travaux d'aménagement de la station-service. Le même jour, la société Agip Française leur a consenti un prêt complémentaire de 500 000 F destiné aux mêmes fins.

En 1988, la créance de la société Agip Française sur les époux Rabanit s'élevait à la somme de 783 871,45 F. Suite à la vente des murs de leur station-service, ils ont réglé la somme de 360 000 F en janvier 1989. Le 29 juin 1989, la société Agip Française, les époux Rabanit et les cautions ont transigé et mis un terme au contrat. Cependant, les époux Rabanit, contestant la transaction intervenue, n'ont pas respecté les engagements en découlant.

Le 18 juin 1990, la société Agip Française a assigné les époux Rabanit devant le Tribunal de commerce de Lyon afin d'obtenir la résolution judiciaire de la transaction et la condamnation des époux Rabanit à lui payer la somme de 363 719,10 F au titre des prêts ainsi que celle de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 9 juillet 1992, le tribunal saisi a déclaré nuls les contrats passés entre la société Agip Française et les époux Rabanit et a désigné Monsieur Vincent, auquel sera substitué Monsieur Pitiot, en qualité d'expert avec pour mission d'établir les comptes entre les parties. Le rapport d'expertise, déposé le 3 janvier 1997, conclut que la société Agip Française est redevable envers les époux Rabanit, compte tenu des profits réalisés, et de la juste rémunération dont auraient pu bénéficier lesdits époux, de la somme de 2 262 773 F, hors charges patronales d'un montant de 787 124 F, mais après compensation avec la somme de 160 531 F due par eux au titre des prêts.

Par jugement rendu le 1er avril 1999, le même tribunal a rejeté la demande en nullité du rapport d'expertise et a condamné la société Agip Française à payer aux époux Rabanit la somme de 2 262 773 F outre intérêts légaux à compter du 18 juin 1990 ainsi que celle de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, aux motifs que la nullité des contrats est définitivement acquise, le jugement du 9 juillet 1992 n'ayant pas fait l'objet d'un appel, qu'il n'est pas démontré par la société Agip Française que l'expert n'aurait pas respecté les articles 224, 237, 238 et 276 du nouveau Code de procédure civile et que le tribunal ne retiendra pas le principe du remboursement des charges patronales, les époux Rabanit ne pouvant bénéficier d'un enrichissement direct supérieur à celui qu'ils auraient perçu normalement.

Appelante de ce seul jugement, la société Agip Française sollicite sa réformation, l'annulation du rapport d'expertise et la condamnation des époux Rabanit à lui payer la somme de 363 719,10 F, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du "10" juin 1990, avec capitalisation, la somme de 39 665,42 F (dans les motifs de ses conclusions) ainsi que la somme de 50 000 F pour frais irrépétibles, aux motifs:

- que le rapport d'expertise est nul, l'expert n'ayant pas accompli sa mission avec conscience, objectivité et impartialité et ayant violé les dispositions légales, en ne tenant qu'une seule réunion, en ne lui soumettant pas le résultat de ses investigations ni verbalement, ni par le dépôt d'un pré-rapport, en ne répondant pas à ses dires, en ne demandant pas communication de documents aux tiers, en n'effectuant pas de vérifications personnelles, en s'abstenant de demander un avis spécialisé, en donnant des indications erronées, s'agissant des pièces prétendument transmises, en se fondant sur des éléments non probants, en homologuant des rapports partiaux, en commettant une erreur sur la convention collective applicable et en ne répondant pas à certains points de la mission qui lui était impartie,

- que la société Agip Française ayant fait appel du jugement rendu le 9 juillet 1992, appel soumis à l'autorisation du premier Président de la cour d'appel qui lui a été refusée, l'autorité de la chose jugée ne peut être attachée à ce jugement et qu'il doit être fait application du revirement jurisprudentiel, opéré par quatre arrêts rendus le 1er décembre 1995 par la Cour de cassation en matière d'indétermination du prix dans les contrats-cadres, et que les contrats litigieux ne sont donc pas nuls,

- qu'en tout état de cause, le rapport d'expertise ne saurait être homologué, qu'en effet, selon elle, la nullité des contrats ne peut justifier qu'une remise des parties dans l'état où elles se trouvaient, avant de contracter, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de l'enrichissement d'une partie et de l'appauvrissement de l'autre, que de plus, les contrats litigieux ne sont pas des contrats de commission ou de mandat mais seulement des contrats de vente avec exclusivité,

- que la créance de la société Agip Française, constituée par le solde non amorti des deux prêts et évaluée à la somme de 171 821,90 F au titre du prêt de 500 000 F et à celle de 163 245,44 F au titre du prêt de 356 000 F, ne saurait être contestée et que les époux Rabanit sont également redevables de la somme de 39 665,42 F au titre des comptes divers.

Les époux Rabanit sollicitent la confirmation du jugement déféré et la condamnation de la société Agip Française à leur payer la somme supplémentaire de 40 000 F pour frais irrépétibles, aux motifs:

- que le rapport d'expertise est valable et que la société Agip Française, qui a tardé à fournir les documents et renseignements demandés par l'expert, ne saurait se plaindre de prétendues imperfections, au demeurant non démontrées, de son travail.

- que si les contrats se présentaient initialement comme des contrats de fourniture, ceux-ci ont évolué suite à la libéralisation des prix du pétrole en 1982 et 1985 et sont devenus des contrats de commission, la société Agip Française imposant un prix de vente aux consommateurs et rétrocédant une commission aux époux Rabanit, que la nullité des contrats ayant été définitivement prononcée par le jugement du 9 juillet 1992, seule reste en discussion la question des conséquences de cette nullité, que dans le cadre des contrats à exécution successive, la nullité suppose que chaque partie soit remise en l'état initial, aucune ne pouvant tirer profit ou avoir souffert du fonctionnement du contrat, que s'ils reconnaissent devoir rembourser la partie non amortie des avances financières consenties par la société Agip Française, celle-ci doit leur restituer la contre-valeur, telle que calculée par l'expert, du service fourni par la distribution du carburant.

Motifs de la décision

Sur la prétendue nullité du rapport d'expertise:

Attendu que la demande d'annulation du rapport de l'expert Pitiot est totalement injustifiée;

Qu'en effet, et d'une part, l'examen de ce rapport montre que l'expert a tenu les parties informées de ses opérations et des difficultés rencontrées, leur demandant à plusieurs reprises de lui communiquer les éléments nécessaires à l'accomplissement de sa mission, que le 11 juin 1996, il les a informées de l'état d'avancement de ses travaux et a sollicité leurs observations, que l'avocat de la société Agip Française, qui prétend pourtant n'avoir pas été informé, lui a adressé le 28 juin 1996 un courrier comportant un dire, "pour faire suite à (son) pré-rapport", que l'expert a ainsi respecté le principe du contradictoire, ce respect n'impliquant pas nécessairement la tenue de plus d'une réunion, qu'il a parfaitement répondu sur l'essentiel, soit expressément, soit implicitement, aux dires de la société Agip Française, que quand il a pris en compte des informations émanant de tiers, des époux Rabanit ou de leur conseil, il s'en est expliqué et ne s'est pas contenté "d'homologuer" purement et simplement des rapports dont l'inexactitude et la partialité ne sont nullement démontrées, qu'il a examiné les éléments et données qui lui ont été fournis par Monsieur et Madame Rabanit à la lumière d'autres éléments et les a comparés avec ceux fournis par la société Agip Française chaque fois que c'était possible et qu'il a répondu globalement à la mission qui lui avait été confiée;

Que, d'autre part, l'expert n'était pas tenu de solliciter des avis spécialisés ou de demander communication de documents aux tiers dans la mesure où les questions traitées n'excédaient pas sa spécialité et sa compétence et que les documents nécessaires n'étaient pas détenus par des tiers; que s'agissant des déclarations fiscales des époux Rabanit, il indique les avoir reçues (p. 30 du rapport) mais il ne précise nullement qu'il les a jointes à son rapport, le renvoi à l'annexe 5 fait à la page 30 du rapport d'expertise ne concernant que le "rapport sur l'état de la comptabilité des époux Rabanit" transmis par le Cabinet Avier; qu'il n'a donc pas fourni des "indications erronées, s'agissant des pièces prétendument transmises";

Qu'enfin, aucun élément ne permet de constater que l'expert a manqué à son obligation d'accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité, les erreurs d'appréciation éventuellement commises par lui étant soumises au contrôle du juge et ne pouvant être considérées comme une violation de ladite obligation, d'autant que certaines critiques formulées par la société Agip Française portent sur des éléments qui ne sont pas pris en compte pour la solution du litige;

Attendu que c'est donc à juste titre et dans le respect des dispositions des articles 455 du nouveau Code de procédure civile et 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme que le jugement déféré a rejeté, dans ses motifs, la demande d'annulation du rapport d'expertise, demande que la cour rejettera à son tour;

Sur la nullité des contrats:

Attendu que le 18 juin 1990, la société Agip Française a fait assigner Monsieur et Madame Rabanit devant le Tribunal de commerce de Lyon, demandant la résolution judiciaire de la transaction intervenue entre les parties et la condamnation des défendeurs à lui payer la somme restant de 363 719,10 F due au titre des conventions de financement et de prêt; que Monsieur et Madame Rabanit se sont opposés à cette demande et ont sollicité l'annulation de l'ensemble des conventions passées avec la société AUIP Française ainsi que de la transaction, l'organisation d'une expertise pour, notamment, faire les comptes entre les parties et la condamnation de la société Agip Française à leur payer une provision de 150 000 F ; que la société Agip Française a alors demandé au tribunal de lui donner acte de ce qu'elle ne contestait pas la nullité du contrat de fournitures mais de dire que Monsieur et Madame Rabanit restaient tenus au paiement des sommes à eux prêtées;

Attendu que par jugement du 9 juillet 1992, le tribunal saisi a, dans son dispositif, annulé les contrats passés entre la société Agip Française et les époux Rabanit, ordonné une mesure d'expertise pour établir les comptes entre les parties et sursis à statuer sur les autres demandes; que dans ses motifs, ce jugement a précisé, notamment, que la nullité était reconnue par la société Agip Française et frappait les contrats de fournitures et de financement, que la transaction était résolue, que chacune des parties doit être remise en état de façon à ce qu'aucune ne tire profit ou ne subisse de préjudice du fait des contrats annulés, qu'aucune pénalité ne saurait découler de ces contrats, que la nullité de ces derniers ne saurait avoir pour effet de dispenser l'emprunteur de restituer ce qui lui a été prêté et que l'expert devra faire les comptes entre les parties et calculer la légitime rémunération des époux Rabanit;

Attendu que ce jugement a ainsi tranché dans son dispositif une partie du principal puisqu'il a annulé les conventions servant de fondement à la demande de la société Agip Française et ordonné une mesure d'instruction; qu'il pouvait donc être immédiatement frappé d'appel en application de l'article 544 du nouveau Code de procédure civile; que cet appel n'était pas soumis à l'autorisation préalable du premier Président de la cour d'appel, autorisation exigée par l'article 272 du nouveau Code de procédure civile pour le cas, différent, où la décision ordonnant l'expertise ne tranche pas une partie du principal;

Or, attendu que la société Agip Française ne justifie pas avoir interjeté immédiatement appel du jugement en question; que ce jugement bénéficie en conséquence de l'autorité de la chose jugée en ce qu'il a prononcé la nullité des contrats passés entre les parties et la société Agip Française est irrecevable à contester l'autorité de la chose ainsi jugée et à prétendre à la validité des contrats;

Attendu, certes, que la société Agip Française justifie qu'elle a demandé le 7 août 1992 au premier Président de la Cour d'appel de Lyon l'autorisation d'interjeter un appel immédiat contre le jugement du 9 juillet 1992, en application de l'article 272 du nouveau Code de procédure civile, et que cette demande a été rejetée par ordonnance du 26 août 1992;

Attendu, cependant, que cette ordonnance ne l'empêchait pas de former appel immédiatement, l'article 272 n'étant pas applicable, comme il a été dit ci-dessus;

Attendu qu'en tout état de cause, à supposer même que l'appel immédiat n'était pas possible, la société Agip Française aurait dû interjeter appel du jugement du 9 juillet 1992 en même temps que l'appel formé contre le jugement rendu sur le fond le 1er avril 1999, ce qu'elle n'a pas fait;

Attendu qu'il s'ensuit que les contrats litigieux doivent être considérés comme ayant été définitivement annulés, comme l'ont retenu à juste titre les premiers juges dans les motifs de leur jugement déféré, et que les moyens fondés sur ces contrats ou tirés de la jurisprudence issue des décisions rendues par l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 1er décembre 1995 sont inopérants;

Sur le fond:

Attendu que l'annulation des contrats litigieux doit avoir pour conséquence de remettre les choses dans l'état où elles se trouvaient avant leur conclusion; que s'agissant de contrats à exécution successive, la restitution totale et en nature des prestations déjà effectuées par Monsieur et Madame Rabanit est impossible ; que dès lors, le rétablissement des situations initiales doit se faire à leur égard au moyen de restitutions par équivalent, ce qui implique qu'ils reçoivent une légitime rémunération de leur travail dont a bénéficié la société Agip Française et le remboursement de leurs pertes d'exploitation subies en raison de l'exécution de contrats nuls, conformément d'ailleurs à la mission donnée à l'expert par le jugement du 9 juillet 1992 non frappé d'appel ; que leur refuser ce droit comme le voudrait la société Agip Française reviendrait à priver d'effet la nullité prononcée ; que de leur côté, Monsieur et Madame Rabanit restent redevables de la partie non remboursée des prêts, comme ils l'admettent d'ailleurs;

1. La rémunération

Attendu que pour calculer la rémunération, l'expert a admis les résultats d'une étude réalisée, à la demande de Monsieur et Madame Rabanit, par un organisme dénommé "Agec", étude figurant en annexe 13 du rapport; que cette étude, après avoir estimé à six employés le personnel nécessaire à l'exploitation en gestion directe d'une station-service semblable à celle des époux Rabanit et à 554 316 F par an le montant des charges salariales de ce personnel, a, en se référant à la Convention collective de l'automobile, estimé à la somme totale de 1 967 810 F, hors charges sociales patronales, la rémunération à laquelle auraient pu prétendre pendant la durée d'exécution du contrat annulé (5 ans et 3 mois) Monsieur et Madame Rabanit et leur fils Jean-Marc, qui, selon eux, participait avec eux à l'exploitation de la station-service; que cependant, l'expert a ramené cette somme à 1 754 826 F après avoir déduit l'économie de l'impôt sur le revenu auquel cette rémunération aurait donné lieu (212 984 F), soit 1 287 809 F pour Monsieur et Madame Rabanit et 467 017 F pour leur fils Jean-Marc;

Attendu que la société Agip Française reproche à l'expert d'avoir purement et simplement "homologué" le rapport de l'Agec, sans aucune vérification ni recherche personnelles, de n'avoir pas répondu à son dire du 28 juin 1996 qui exprimait cette critique et qui mettait en cause la partialité de l'Agec, d'avoir considéré, sans justificatif, que Jean-Marc Rabanit, fils des époux Rabanit, "était salarié de la station-service", d'avoir "homologué" les horaires de travail indiqués par Monsieur et Madame Rabanit en se fiant à leurs seules indications et d'avoir admis la référence à la Convention collective nationale du commerce et de la réparation automobile, du cycle et du motocycle alors que cette convention ne concerne que ceux qui concourent à l'exploitation d'une station-service en qualité de salariés, situation inapplicable aux époux Rabanit, commerçants individuels;

Attendu que rien n'interdit à un expert d'adopter les conclusions d'une étude lui paraissant pertinente et communiquée à toutes les parties, même si l'une des parties en est, comme en l'espèce, le commanditaire;

Attendu que l'expert a répondu, bien que partiellement, au dire du 28 juin 1996 à la page 48 de son rapport en indiquant: "Nous n'avons pas homologué le rapport Agec mais utilisé les éléments qui nous ont été communiqués afin d'accomplir notre mission. Les taux de rémunération utilisés (par l'Agec) correspondent aux bases minimum de rémunération de la convention collective applicable en la matière selon les coefficients et donc vérifiables. Par contre, les heures supplémentaires telles que prises en compte ne peuvent être vérifiées. Le montant des rémunérations déterminé ci-dessus n'apparaît cependant pas exorbitant et démesuré" ; que l'expert a donc pu considérer que l'étude réalisée par l'Agec était pertinente;

Attendu qu'il est exact que l'expert n'a pas répondu au grief de partialité fait à 1'Agec dans le dire susvisé; qu'une telle omission est cependant sans conséquence puisque ce grief est présenté devant la cour;

Attendu que la société Agip Française fonde son grief sur les termes de la conclusion de l'étude de l'Agec et sur une appréciation portée sur l'Agec par un jugement du Tribunal de commerce de Paris;

Attendu, cependant, que dans la mesure où l'étude réalisée par l'Agec peut être considérée comme pertinente, sa conclusion et l'appréciation portée par le jugement en question sont sans conséquence;

Attendu que cette étude est fondée sur la convention collective de l'automobile, applicable aux salariés des stations-services et sur les déclarations de Monsieur et Madame Rabanit quant à leurs horaires de travail et à la participation de leur fils Jean-Marc à leur activité;

Attendu que ces éléments ne privent pas l'étude de l'Agec de son caractère probant et pertinent; qu'en effet, pour éviter toute appréciation arbitraire, la fixation de la légitime rémunération de Monsieur et Madame Rabanit doit être effectuée sur la base de critères comparatifs et il ne peut être sérieusement contesté que les critères comparatifs les plus proches sont ceux prévus par la convention en question puisque, comme le font remarquer à juste titre les intimés, c'est cette convention qui eût été appliquée si le contrat de fournitures n'avait pas fonctionné ; que d'ailleurs, la société Agip Française se garde bien d'indiquer sur quelle autre base pourrait être déterminée la légitime rémunération de Monsieur et Madame Rabanit; que d'autre part, la société Agip Française ne démontre pas l'inexactitude des déclarations fournies par ces derniers quant aux horaires d'ouverture de leur station-service; que dès lors, la rémunération proposée par l'expert pour Monsieur et Madame Rabanit, soit la somme de 1 287 809 F, qui correspond "aux bases minimum de rémunération de la convention collective" susvisée et dont le montant n'apparaît, selon l'avis non contesté de l'expert, ni exorbitant, ni démesuré, doit être retenue;

Attendu, cela étant, que la participation du fils Jean-Marc Rabanit à l'activité de ses parents n'est pas établie alors qu'elle est contestée ; qu'aucun élément ne démontre qu'il était salarié de ses parents ou qu'il travaillait avec eux à un autre titre ; que son régime d'affiliation à la Sécurité Sociale pendant la période considérée n'est même pas précisé; que Monsieur et Madame Rabanit ne s'expliquent même pas sur cette question dans leurs conclusions; que dans ces conditions, ils ne sont pas fondés à revendiquer une quelconque rémunération au titre de l'activité de leur fils;

2. Les pertes d'exploitation

Attendu que l'expert chiffre les pertes d'exploitation de Monsieur et Madame Rabanit à la somme de 668 478 F ainsi détaillée:

- charges externes impôts et taxes: 170 633 F

- amortissements: 8 425 F

- charges financières (hors emprunts Agip): 456 924 F

- intérêts prêts Agip: 436 462 F

- moins-value sur cession murs station-service: 22 170 F

- moins-value sur cession fonds de commerce: 250 000 F

Sous-total:1 353 614 F

A déduire : marges réalisées sur la distribution: 685 136 F

Total: 668 478 F;

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise que ces éléments ont été calculés au vu des pièces produites et, notamment, des différents actes notariés de vente et actes de prêts, que l'expert a fait la distinction entre les charges d'exploitation liées à l'activité de distribution de carburant et de lubrifiants et celles liées à l'activité "garages et prestations annexes", ne retenant que les premières, que les charges financières représentent les intérêts des prêts bancaires souscrits pour financer la seule activité professionnelle de Monsieur et Madame Rabanit, que les documents relatifs à ces prêts ont été produits à l'exception de trois, que répondant au dire de la société Agip Française en date du 28 juin 1996, l'expert confirme que les intérêts des prêts bancaires ont été calculés au vu des documents justificatifs et que l'utilisation à des fins professionnelles du montant des prêts n'est pas remise en cause par la non-production des documents relatifs à trois de ces prêts compte tenu de l'analyse du financement de la station-service à laquelle il a procédé dans son rapport;

Attendu que, eu égard à ces éléments, les critiques formulées par la société Agip Française quant à la détermination des charges financières et d'exploitation de la station-service et à l'absence de vérifications de la part de l'expert ne sont pas justifiées, sauf en ce qui concerne la moins-value de 250 000 F sur cession du fonds de commerce;

Attendu, en effet, que pour retenir cette moins-value, l'expert se limite à indiquer: "Il est à noter que le fonds de commerce acquis initialement pour 250 000 F n'a pas fait l'objet d'une cession malgré la vente des murs et constitue donc une moins-value à retrancher";

Attendu, cependant, qu'aucune explication n'est fournie par l'expert sur les raisons de cette absence de cession et sur le sort du fonds de commerce après la cessation des relations entre les parties; que Monsieur et Madame Rabanit ne fournissent aucune indication sur ce point et ne produisent aucun justificatif alors que la société Agip Française conteste expressément dans ses conclusions qu'une moins-value puisse être retenue à ce titre; qu'en particulier, ils n'établissent pas que leur fonds de commerce a perdu toute valeur ou sa valeur d'acquisition; que dès lors, la somme de 250 000 F sera déduite du montant des pertes d'exploitation qui sera ramené à la somme de (1 353 614 - 250 000 =) 1 103 614 F avant déduction des marges réalisées par Monsieur et Madame Rabanit;

Attendu que, s'agissant des marges réalisées par Monsieur et Madame Rabanit, l'expert a fait la distinction (p. 30 et s. du rapport) entre les marges réalisées sur les produits fournis par la société Agip Française et celles liées à l'activité de garage, ne retenant, à juste titre, que les premières; que c'est donc à tort que la société Agip Française lui reproche d'avoir "occulté" l'activité de garage; que d'autre part, l'expert indique (p. 30) que le cabinet d'expertise comptable Jean Avier lui avait transmis non seulement 2 rapports sur la comptabilité de Monsieur et Madame Rabanit, mais aussi leurs déclarations fiscales des années 1981 à 1986; que si l'expert renvoie à l'annexe 5, ce renvoi concerne le seul 1er rapport du cabinet Avier et non les déclarations fiscales, lesquelles n'ont pas été annexées au rapport; que la société Agip Française n'est donc pas justifiée à prétendre que les déclarations fiscales ont été "prétendument" jointes selon le rapport;

Attendu qu'il est exact que l'expert indique que "malgré le travail fourni, il n'a pas été possible de reconstituer en totalité les chiffres figurant sur les déclarations fiscales annuelles"; qu'il ajoute toutefois, sans se contredire, que celles-ci (dont il a reçu communication) "restent cependant exploitables pour obtenir les informations nécessaires sur l'activité de la station-service des époux Rabanit"; qu'il explique ensuite comment, à partir desdites informations, il a pu chiffrer les marges réalisées par ces derniers; qu'il n'a donc pas "purement et simplement homologué les analyses des époux Rabanit" ou du cabinet Avier, comme le lui reproche la société Agip Française; que celle-ci ne démontre d'ailleurs pas que le chiffrage retenu par l'expert serait inexact; que la cour retiendra, en conséquence, que les marges réalisées par Monsieur et Madame Rabanit et devant être déduites de leurs pertes d'exploitation s'élèvent bien à la somme de 685 136 F, de sorte que le montant de ces pertes est de: 1 103 614 - 685 136 = 418 478 F;

Attendu que compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, la société Agip Française est redevable envers Monsieur et Madame Rabanit en raison de l'annulation des contrats la somme totale de: 1 287 809 + 418 478 = 1 706 287 F, outre intérêts au taux légal à compter du 18 juin 1990, l'exigibilité de ces intérêts et leur point de départ n'étant pas contestés;

3. La créance de la société Agip Française

Attendu que Monsieur et Madame Rabanit admettent être redevables à la société Agip Française de la partie non amortie des prêts; que la société Agip Française précise, sans être contestée, qu'il lui reste dû la somme de 171 821,90 F au titre du solde du capital du prêt de 500 000 F et celle de 163 245,44 F au titre du prêt de 356 000 F, soit au total la somme de 335 067,34 F; que Monsieur et Madame Rabanit ne contestent pas non plus être redevables de la somme de 39 665,42 F que la société Agip Française réclame dans les motifs de ses dernières conclusions à différents titres et dont elle fournit les justificatifs; que c'est donc une somme totale de: 335 067,34 + 39 665,42 374 732,76 F (et non de 363 719,10 F réclamée dans le dispositif des conclusions de l'appelante et de 39 665,42 F réclamée en plus dans les motifs) que Monsieur et Madame Rabanit doivent à la société Agip Française, outre intérêts au taux légal à compter du 18 juin 1990, date de l'assignation; que la demande de capitalisation sera rejetée, le retard mis par Monsieur et Madame Rabanit à payer cette dette étant dû au refus de la société Agip Française de reconnaître le bien-fondé de leur propre créance;

Sur la compensation et les demandes accessoires:

Attendu que compte tenu des créances réciproques ci-dessus fixées et de l'identité du taux et du point de départ des intérêts correspondants, il y a lieu d'ordonner la compensation à due concurrence; que par l'effet de cette compensation, la société Agip Française reste redevable envers Monsieur et Madame Rabanit de la somme de:

1 706 287 - 374 732,76 = 1 331 554,24 F, outre intérêts au taux légal à compter du 18 juin 1990; qu'elle sera donc condamnée à payer cette créance; que le jugement déféré sera en conséquence réformé mais seulement quant au montant de la créance;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application, en cause d'appel, de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties;

Attendu que succombant sur l'essentiel, la société Agip Française sera condamnée en tous dépens;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déboute la société Agip Française de sa demande d'annulation du rapport d'expertise; Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné la société Agip Française à payer à Monsieur et Madame Rabanit la somme de 2 262 773 F, outre intérêts au taux légal à compter du 18 juin 1990; Le réformant de ce chef et statuant à nouveau, Condamne la société Agip Française à payer à Monsieur et Madame Rabanit la somme de 1 331 554,24 F, outre intérêts au taux légal à compter du 18 juin 1990; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel; Condamne la société Agip Française aux dépens et autorise la SCP Dutrievoz, avoué, à recouvrer directement contre elle ceux des dépens d'appel dont cet avoué a fait l'avance sans avoir reçu provision.