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Décisions

CJCE, 11 juillet 1996, n° C-39/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syndicat français de l'Express international e.a.

Défendeur :

La Poste e.a.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Kakouris, Puissochet, Hirsch

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Mancini, Gulmann, Murray, Jann, Ragnemalm

Avocats :

Me Morgan de Rivery, Bouaziz Torron, Berlin, Derenne, Bosque.

CJCE n° C-39/94

11 juillet 1996

LA COUR,

1. Par jugement du 5 janvier 1994, parvenu à la Cour le 31 janvier suivant, le Tribunal de commerce de Paris a posé, en application de l'article 177 du traité CE, plusieurs questions relatives à l'interprétation des articles 92 et 93 du même traité.

2. Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige qui oppose le Syndicat français de l'Express international (ci-après le "SFEI") et cinq entreprises en faisant partie, DHL International, Service Crie-LFAL, May Courier International, Federal Express et Express Transports Communications, d'une part, à la Société française de messagerie internationale (ci-après la "SFMI"), Chronopost, la Poste, Holding des filiales de la Poste, Sofipost (ci-après "Sofipost"), la Société de transport aérien transrégional (ci-après "TAT") et TAT Express, d'autre part. Ce litige porte sur l'assistance logistique et commerciale fournie par la Poste à la SFMI et à Chronopost dans leur activité de courrier express.

3. Le courrier express est un service personnalisé d'acheminement de documents et de colis à bref délai. Il répond aux besoins d'une clientèle d'affaires pour laquelle la remise au destinataire dans un délai garanti est essentielle. En France, ce secteur est ouvert à la libre concurrence, à la différence du courrier ordinaire qui fait l'objet d'un monopole de la Poste.

4. Afin d'améliorer sa position sur le marché du courrier express, l'administration postale française a modernisé son service en la matière, Postadex, qu'elle a rebaptisé EMS Chronopost. Fin 1985, elle en a confié la gestion et le développement à une société de droit privé créée à cet effet, la SFMI. Le capital de celle-ci était alors détenu à concurrence de 66 % par Sofipost, elle-même filiale à 100 % de la Poste. Les 34 % restants du capital avaient été souscrits par TAT.

5. Pendant les premiers mois de l'année 1986, la Poste a invité les clients du service Postadex à adhérer au service EMS Chronopost. Ensuite, une instruction du ministère des Postes et Télécommunications du 19 août 1986 (Bulletin officiel des PTT 1986, p. 311 et suivantes) a précisé les modalités d'exploitation et de commercialisation du service EMS Chronopost. Celui-ci serait exploité par la SFMI principalement grâce aux moyens de la Poste, complétés par ceux de TAT Express, une société de transport express, filiale de TAT. La Poste fournirait à la SFMI une assistance consistant, d'une part, dans la mise à disposition de ses bureaux de poste et d'une partie de son personnel pour la collecte, le tri, le transport et la distribution des envois aux clients (ci-après l'"assistance logistique") et, d'autre part, dans la promotion, la prospection et le conseil auprès de la clientèle (ci-après l'"assistance commerciale").

6. Le démarrage et la croissance de la SFMI ont été rapides. De 200 millions de FF lors de son premier exercice en 1986, son chiffre d'affaires est passé à 720 millions de FF en 1988, à 1,03 milliard de FF en 1989 et à 1,34 milliard de FF en 1991.

7. Le 1er janvier 1991, la Poste, jusqu'alors intégrée à l'administration de l'État, est devenue une personne de droit public autonome. La loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, l'a expressément autorisée à développer, à côté de ses missions de service public, des activités dans des domaines ouverts à l'initiative privée.

8. En 1992, la structure de l'activité dans le domaine du courrier express a été modifiée à la suite de la constitution par la Poste française, et les postes allemande, néerlandaise, canadienne et suédoise, d'une part, et la messagerie d'origine australienne TNT, d'autre part, d'un opérateur commun en matière de courrier express international, GNEW (concentration autorisée par la Commission le 2 décembre 1991, JO C 322, p. 19). L'activité nationale a été confiée à une nouvelle société, Chronopost, détenue à 66 % par Sofipost et à 34 % par TAT. Le volet international, quant à lui, a été laissé à la SFMI, qui est passée sous le contrôle de GNEW France, la filiale française de l'opérateur commun. Dans cette nouvelle structure, Chronopost collecte et distribue pour le compte de la SFMI les envois internationaux confiés à GNEW. Jusqu'au 1er janvier 1995, la Poste a garanti l'exclusivité de l'accès à son réseau à GNEW-SFMI et Chronopost n'a pu faire concurrence à la SFMI.

9. Estimant que les conditions de l'assistance logistique et commerciale fournie par la Poste à la SFMI constituaient des aides d'État incompatibles avec le marché commun et rompaient l'égalité de concurrence, le SFEI a déposé plainte, le 21 décembre 1990, auprès de la Commission des Communautés européennes et du Conseil français de la concurrence. Il a notamment fait valoir que le concours de l'administration postale permettait à la SFMI de pratiquer des tarifs nettement inférieurs à ceux de ses concurrents.

10. Le 10 mars 1992, la Commission a rejeté la plainte du SFEI au titre de l'article 92 du traité. Le SFEI et trois des entreprises le constituant ont alors, par requête du 16 mai 1992, introduit un recours en annulation contre cette décision devant la Cour (affaire C-222-92). La Commission ayant retiré sa décision afin, "compte tenu de certains éléments de cette requête ... d'acquérir au dossier des éléments supplémentaires", la Cour a radié l'affaire par ordonnance du 18 novembre 1992.

11. Depuis lors, la Commission poursuit l'examen du dossier; elle a notamment demandé à deux reprises des informations aux autorités françaises. Elle n'a toutefois ni statué définitivement ni même pris position sur la question de savoir si les mesures en cause constituent des aides d'État au sens de l'article 92 du traité.

12. C'est dans ces conditions que le SFEI et les cinq sociétés précitées ont introduit, le 16 juin 1993, devant le Tribunal de commerce de Paris une action contre la SFMI, Chronopost, la Poste, Sofipost, TAT et TAT Express. Celle-ci tendait à faire constater que l'assistance logistique et commerciale consentie par la Poste à la SFMI et à Chronopost constituait une aide d'État et qu'elle avait été mise en œuvre sans notification préalable à la Commission, en violation de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité. Elle visait en conséquence à faire ordonner, d'une part, à la Poste de cesser immédiatement de fournir lesdites aides d'État et, d'autre part, à la SFMI ainsi qu'à Chronopost de restituer à la Poste l'intégralité des aides d'État illicites perçues depuis leur création, soit 2 139 millions de FF pour la période qui va de 1986 à 1991. Les demanderesses au principal réclamaient également 216 millions de FF de dommages-intérêts aux défenderesses.

13. Des conclusions déposées par le SFEI e.a. devant la juridiction nationale, il ressort que l'assistance logistique alléguée consiste dans la mise à la disposition de la SFMI des infrastructures postales, comprenant 300 000 personnes, 73 000 tournées quotidiennes de facteurs, 16 835 bâtiments, 50 000 véhicules, 300 wagons et 22 avions, moyennant une rémunération anormalement faible, ainsi que dans l'octroi d'une procédure privilégiée de dédouanement et de termes de paiement envers la Poste anormalement favorables. La Poste assurerait également une assistance commerciale à la SFMI et à Chronopost. D'une part, ces dernières auraient accès à la clientèle de la Poste. d'autre part, elles bénéficieraient de ses opérations de promotion et de publicité. Selon le SFEI, l'aide serait constituée par l'écart entre la rémunération versée pour cette assistance et le prix du marché de celle-ci.

14. Les défenderesses au principal ont notamment opposé que l'affaire relevait de la compétence de la Commission ou de celle du Conseil d'État français. Les demanderesses ont répliqué qu'elles ne cherchaient pas à obtenir l'annulation d'actes administratifs, mais qu'elles reprochaient seulement à un exploitant public de contribuer au développement de sociétés commerciales en violation des règles de concurrence auxquelles celles-ci sont soumises.

15. Au vu de ces circonstances de fait et de droit, le Tribunal de commerce de Paris a décidé, par jugement avant dire droit, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les huit questions suivantes:

"1°) Des mesures prises par un État membre consistant notamment au travers du ministère de l'Économie et des Finances et du ministère des Postes et Télécommunications de cet État membre, à subventionner une société de messagerie express en lui fournissant une assistance logistique et commerciale et en renonçant à demander une compensation normale en rémunération de ses prestations techniques, commerciales ou financières, doivent-elles être considérées comme des aides d'État faussant ou menaçant de fausser la concurrence et affectant les échanges entre États membres au sens de l'article 92 du traité?

2°) En cas de réponse positive à la première question, la récupération des soutiens financiers déjà versés en violation de l'interdiction édictée par la dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3, ne constitue-t-elle pas, outre la suspension immédiate du versement de l'aide concernée, le seul moyen de garantir l'efficacité d'une telle interdiction?

3°) En cas de réponse positive à la première question, une entreprise bénéficiant de l'octroi de telles aides a-t-elle l'obligation, en vertu du droit communautaire, et en particulier du principe de la primauté de celui-ci, de faire preuve de diligence en vérifiant notamment la régularité de la procédure d'octroi de l'aide par rapport à l'article 93, paragraphe 3, du traité CE avant de recevoir l'aide en cause?

4°) En cas de réponse positive à la troisième question, le préjudice subi par les entreprises concurrentes de l'entreprise bénéficiaire de ces aides, du fait du manquement de celle-ci à son devoir de diligence, doit-il être également réparé, suivant les règles du droit national en vigueur, pour remédier à la violation des dispositions du droit communautaire envisagées?

5°) Aux termes du droit communautaire applicable, une juridiction nationale, saisie d'une demande visant à tirer, sur le plan civil et conformément à son droit national, les conséquences d'une mesure étatique instaurée sans tenir compte de la procédure de contrôle préalable de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité, a-t-elle l'obligation de se déclarer incompétente si la Commission a été saisie dans le cadre d'une plainte déposée devant elle en vue de faire constater l'incompatibilité avec le marché commun de la mesure incriminée, et ce alors même que la Commission n'a pas rendu sa décision finale et n'a même pas statué sur le point de savoir si les mesures incriminées constituaient ou non des aides d'État?

6°) Alternativement, et dans la même situation, la juridiction nationale qui se serait déclarée compétente, est-elle néanmoins obligée de surseoir à statuer en attendant une décision de la Commission sur le point de savoir si les mesures incriminées sont des aides d'État?

7°) La situation visée en 5 et 6 est-elle affectée par le fait que la Commission n'aurait toujours pas statué alors même qu'elle a été saisie plus de deux années auparavant et que par ailleurs le demandeur aurait justifié devant la juridiction nationale de l'urgence qu'il y a à faire cesser les conséquences dommageables pour lui de la violation de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase?

8°) Au contraire, ne peut-il pas être déduit, dans des circonstances telles que celles visées aux paragraphes 5 à 7 ci-dessus, des termes de l'arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, C-354-90 (particulièrement l'attendu n 14), que la juridiction nationale, en se déclarant compétente et en statuant comme il lui est demandé sur le fondement de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, ne fait que remplir sa mission de sauvegarde, jusqu'à la décision finale de la Commission, des droits des justiciables face à une méconnaissance par les autorités étatiques de l'interdiction visée à l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité?"

16. Le 4 février 1994, la Poste et Sofipost ont assigné le SFEI devant le premier président de la Cour d'appel de Paris statuant en la forme des référés afin de se voir autoriser à interjeter appel du jugement avant dire droit du 5 janvier 1994. Cette demande a été rejetée par ordonnance du 24 mars 1994.

Sur la recevabilité des questions préjudicielles

17. TAT et la SFMI soutiennent que les questions préjudicielles sont irrecevables en raison de l'incompétence de la juridiction de renvoi, de l'absence de description du contexte factuel et juridique de l'affaire dans l'ordonnance de renvoi, de la violation du principe du contradictoire et, enfin, d'un détournement de procédure.

18. Elles font valoir, en premier lieu, que l'objet essentiel du litige au principal est de savoir si la République française a violé l'article 93, paragraphe 3, du traité en ne notifiant pas à la Commission les mesures bénéficiant à la SFMI et à Chronopost et, dans l'affirmative, les conséquences qui en découlent. Or, en France, seules les juridictions administratives seraient compétentes pour contrôler la légalité d'actes administratifs relatifs à l'octroi d'une aide. Les juridictions civiles seraient également dépourvues de compétence pour ordonner le remboursement d'une aide ou pour condamner l'État à verser des dommages et intérêts. Le Tribunal de commerce de Paris étant dès lors manifestement incompétent, les questions posées ne seraient pas nécessaires à la solution du litige.

19. Deuxièmement, le jugement de renvoi ne préciserait pas la nature de l'assistance logistique et commerciale fournie par la Poste à la SFMI et à Chronopost. De plus, le caractère anormalement bas de la contrepartie de cette assistance serait seulement invoqué, sans être démontré. Dans ces conditions, les parties qui souhaitent soumettre des observations à la Cour seraient quasiment dans l'impossibilité de le faire de façon pertinente et la Cour ne pourrait répondre utilement aux questions qui lui sont posées.

20. Troisièmement, alors que les débats devant la juridiction de renvoi n'auraient porté que sur des questions de compétence, celle-ci aurait considéré que certains éléments de fait étaient établis. Par conséquent, si la Cour se prononçait sur la demande préjudicielle, elle le ferait sur la base d'allégations inexactes et en violation des droits de la défense des défenderesses au principal.

21. Quatrièmement, la procédure du renvoi préjudiciel aurait été abusivement utilisée afin de contourner l'obstacle qui résulte pour les demanderesses au principal de la lenteur de la Commission à statuer. Par sa première question, le juge national ne se limiterait pas en effet à demander si les mesures en cause constituent une aide au sens de l'article 93, paragraphe 3, du traité, mais il chercherait au surplus à savoir si elles sont compatibles avec le traité, ce qui relève de la compétence exclusive de la Commission. Il appartiendrait aux demanderesses au principal d'engager contre cette dernière soit un recours en carence, soit un recours en annulation de la décision de refus d'ouvrir la procédure d'examen contradictoire au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité.

22. Pour sa part, le Gouvernement français conteste uniquement la recevabilité de la première question. Telle qu'elle est formulée, celle-ci donnerait l'impression que la juridiction nationale est déjà arrivée à la conclusion que la SFMI et Chronopost ont reçu des avantages sans contrepartie normale, et donc qu'elles ont bénéficié d'aides d'État. Cependant, le jugement de renvoi ne comporterait pas l'énoncé des considérations de fait ou de droit qui ont conduit le Tribunal de commerce de Paris à une telle conclusion. l'irrecevabilité serait d'autant plus évidente que les questions de fait litigieuses seraient extrêmement complexes.

23. Ces moyens et arguments ne sauraient être retenus.

24. En ce qui concerne la prétendue incompétence de la juridiction de renvoi, il y a lieu de rappeler qu'il n'appartient pas à la Cour de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d'organisation et de procédure judiciaires. La Cour doit s'en tenir à la décision de renvoi émanant d'une juridiction d'un État membre, tant qu'elle n'a pas été rapportée dans le cadre des voies de recours prévues éventuellement par le droit national (voir arrêts de la Cour du 20 octobre 1993, Balocchi, C-10-92, Rec. p. I-5105, points 16 et 17, et du 14 janvier 1982, Reina, 65-81, Rec. p. 33, points 7 et 8).

25. S'agissant des arguments tirés du défaut de description du contexte factuel et juridique du litige dans le jugement de renvoi, de la violation du principe du contradictoire et du détournement de procédure, il convient, à titre liminaire, de relever qu'ils ne se rapportent qu'à la première question.

26. En effet, le jugement de renvoi expose dans le détail les mesures que les demanderesses au principal sollicitent pour le cas où la juridiction nationale constaterait la violation de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, ainsi que les positions des parties au principal sur la compétence de la juridiction de renvoi compte tenu de la saisine parallèle de la Commission. Or, d'une part, les questions 2 à 4 portent précisément sur les conséquences qu'une juridiction nationale peut tirer du défaut de notification préalable des projets d'aide d'État. d'autre part, les questions 5 à 8 concernent la compétence de la juridiction de renvoi en cas de saisine parallèle de la Commission.

27. S'il est vrai que le jugement de renvoi ne présente que très succinctement le cadre factuel et juridique qui sous-tend la première question, cette circonstance n'est toutefois pas de nature, en l'espèce, à entraîner son irrecevabilité. En effet, cette présentation succincte permet de comprendre la première question comme se limitant à demander à la Cour si la fourniture d'une assistance logistique et commerciale sans contrepartie normale par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence est susceptible de constituer une aide d'État au sens de l'article 92 du traité.

28. Des considérations qui précèdent, il découle par ailleurs que l'argument tiré d'un prétendu détournement de procédure doit également être rejeté. Par sa première question, la juridiction de renvoi ne demande pas à la Cour d'empiéter sur la compétence exclusive de la Commission en se prononçant sur la compatibilité des mesures en cause avec le marché commun. Elle se borne à demander des éclaircissements sur l'applicabilité de l'article 92, paragraphe 1, du traité à des mesures telles que celles en cause afin d'être à même de tirer les conséquences d'une éventuelle violation de l'interdiction de mise en œuvre préalable des projets d'aide prévue par l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité.

29. Il y a donc lieu d'examiner les questions posées.

30. Étant donné que les questions 5 à 8 concernent le point de savoir si la juridiction nationale est compétente et peut poursuivre l'examen de l'affaire en dépit d'une saisine parallèle de la Commission, il y a lieu de les aborder avant les questions 1 à 4, relatives à la notion d'aide d'État et aux mesures qu'il y a lieu d'accorder en cas de violation de la dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3, du traité.

Sur les questions 5 à 8

31. Par ses questions 5 à 8, la juridiction nationale demande en substance quelle attitude elle doit adopter lorsqu'elle est saisie d'une demande visant à ce qu'elle tire les conséquences de la violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité, alors que la Commission est parallèlement saisie et n'a pas encore statué sur la question de savoir si les mesures étatiques en cause constituent des aides d'État. La juridiction nationale se demande plus précisément si elle doit se déclarer incompétente (question 5) ou, à tout le moins, surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission prenne position sur la qualification des mesures en cause (question 6) ou, au contraire, si elle doit se déclarer compétente et sauvegarder les droits des justiciables en cas de violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité par l'État en rendant la décision demandée (question 8). Enfin, la juridiction nationale demande si la circonstance que la Commission est saisie depuis plus de deux ans et que les demanderesses au principal ont démontré l'urgence de la situation a une incidence sur la réponse à apporter à la question précédente (question 7).

32. Selon TAT, lorsque la Commission a été saisie mais doit encore décider si les mesures en cause constituent une aide d'État, la juridiction nationale doit se déclarer incompétente sous peine d'engendrer un risque de divergence entre sa décision et celle de la Commission. Au cas où la Commission déciderait ultérieurement que les mesures ne constituent pas une aide d'État, la procédure nationale tendant au recouvrement de l'aide au titre de l'article 93, paragraphe 3, perdrait, en effet, toute base juridique. A titre subsidiaire, TAT soutient que la juridiction nationale est tenue de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission décide si les mesures constituent une aide. Enfin, elle fait observer que l'aide, à supposer qu'elle existe, devrait être considérée comme une aide existante en raison du temps anormalement long mis par la Commission pour parvenir à une décision, de sorte qu'elle ne pourrait faire l'objet d'une restitution, mais seulement être supprimée ou modifiée pour l'avenir.

33. Ces arguments ne sauraient être accueillis.

34. A cet égard, il convient de rappeler le système de contrôle des aides étatiques institué par le traité et les rôles qu'assument respectivement la Commission et les juridictions nationales dans sa mise en œuvre.

35. L'article 92, paragraphe 1, du traité stipule que "Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions".

36. Cette interdiction de principe des aides d'État n'est ni absolue ni inconditionnelle puisque notamment l'article 92, paragraphe 3, accorde à la Commission un large pouvoir d'appréciation en vue d'admettre des aides par dérogation à l'interdiction générale dudit paragraphe 1. L'appréciation, dans ces cas, de la compatibilité ou de l'incompatibilité avec le marché commun d'une aide d'État soulève des problèmes impliquant la prise en considération et l'appréciation de faits et circonstances économiques complexes et susceptibles de se modifier rapidement (arrêt du 14 février 1990, dit "Boussac", France/Commission, C-301-87, Rec. p. I-307, point 15).

37. Pour ce motif, le traité a prévu, en son article 93, une procédure spéciale organisant l'examen permanent et le contrôle des aides par la Commission. En ce qui concerne les aides nouvelles que les États membres auraient l'intention d'instituer, il est établi une procédure préalable sans laquelle aucune aide ne saurait être considérée comme régulièrement instaurée. En vertu de l'article 93, paragraphe 3, première phrase, du traité, les projets tendant à instituer ou à modifier des aides doivent être notifiés à la Commission préalablement à leur mise en œuvre.

38. Celle-ci procède alors à un premier examen des aides projetées. Si, au terme de cet examen, il lui apparaît qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, elle ouvre sans délai la procédure d'examen contradictoire prévue à l'article 93, paragraphe 2. Il ressort de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase du traité que, tout au long de la phase préliminaire, l'État membre concerné ne peut mettre à exécution le projet d'aide. En cas d'ouverture de la procédure d'examen contradictoire, cette interdiction subsiste jusqu'à l'adoption de la décision de la Commission sur la compatibilité du projet d'aide avec le marché commun (voir arrêt du 30 juin 1992, Italie/Commission, C-47-91, Rec. p. I-4145, point 24). En revanche, si la Commission n'a pas réagi dans les deux mois de la notification, l'État membre concerné peut alors mettre à exécution le projet d'aide après en avoir averti la Commission (arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz, 120-73, Rec. p. 1471, point 4).

39. L'intervention des juridictions nationales, quant à elle, résulte de l'effet direct reconnu à l'interdiction de mise à exécution des projets d'aide édictée par l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase. A cet égard, la Cour a précisé que le caractère immédiatement applicable de l'interdiction de mise à exécution visée par cet article s'étend à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être notifiée et que, en cas de notification, il se produit pendant la phase préliminaire et, si la Commission engage la procédure contradictoire, jusqu'à la décision finale (arrêts Lorenz, précité, point 8, et du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C-354-90, Rec. p. I-5505, point 11, ci-après l'"arrêt FNCE").

40. Les juridictions nationales doivent garantir aux justiciables que toutes les conséquences d'une violation de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité en seront tirées, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes d'exécution que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d'éventuelles mesures provisoires (voir arrêt FNCE, précité, point 12).

41. Dans le cadre du contrôle du respect par les États membres des obligations mises à leur charge par les articles 92 et 93 du traité, les juridictions nationales et la Commission remplissent des rôles complémentaires et distincts.

42. Lorsqu'elles tirent les conséquences d'une violation de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, les juridictions nationales ne peuvent pas se prononcer sur la compatibilité des mesures d'aide avec le marché commun, cette appréciation relevant de la compétence exclusive de la Commission, sous le contrôle de la Cour (voir arrêt FNCE, précité, point 14).

43. Quant à la Commission, elle ne peut, contrairement aux juridictions nationales, ordonner la restitution d'une aide d'État au seul motif qu'elle n'a pas été notifiée conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité (voir arrêts Boussac, précité, points 19 à 22, et du 21 mars 1990, Belgique/Commission, C-142-87, Rec. p. I-959, points 15 à 20; FNCE, précité, point 13). Elle doit d'abord, après avoir mis l'État membre concerné en mesure de s'exprimer à cet égard, enjoindre à celui-ci, par une décision provisoire, en attendant le résultat de l'examen de l'aide, de suspendre immédiatement le versement de celle-ci et de fournir à la Commission, dans le délai qu'elle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour examiner la compatibilité de l'aide avec le marché commun. Ce n'est que si l'État membre omet, nonobstant l'injonction de la Commission, de fournir les renseignements sollicités, que celle-ci a le pouvoir de mettre fin à la procédure, de prendre la décision constatant la compatibilité ou l'incompatibilité de l'aide avec le marché commun sur la base des éléments dont elle dispose et, le cas échéant, d'exiger la récupération du montant de l'aide déjà versé (voir arrêt Boussac, précité, points 19 et 21).

44. Dans ces conditions, l'ouverture par la Commission d'une procédure d'examen préliminaire au titre de l'article 93, paragraphe 3, ou de la procédure d'examen contradictoire prévue à l'article 93, paragraphe 2, ne saurait décharger les juridictions nationales de leur obligation de sauvegarder les droits des justiciables en cas de violation de l'obligation de notification préalable.

45. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l'inobservation par les États membres de l'interdiction de mise à exécution des projets d'aide. Étant donné que la Commission ne peut ordonner que la suspension de versements supplémentaires tant qu'elle n'a pas adopté sa décision définitive sur le fond, l'effet utile de l'article 93, paragraphe 3, du traité serait amoindri si la saisine de la Commission devait empêcher les juridictions nationales de tirer toutes les conséquences de la violation de cette disposition.

46. De même, il ne saurait être admis que le retard avec lequel la Commission a achevé son examen préliminaire puisse avoir pour effet de transformer une aide nouvelle octroyée en violation de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité, en une aide existante, laquelle ne pourrait être supprimée que pour le futur.

47. Certes, la Cour a jugé que, lorsqu'un État membre notifie un projet de mesures à la Commission, cette dernière doit décider dans un délai de deux mois d'ouvrir ou non la procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2. Si la Commission ne prend pas position dans ce délai, l'État membre peut mettre le projet à exécution après lui en avoir donné préavis. L'aide est alors considérée comme une aide existante soumise au contrôle instauré par l'article 93, paragraphes 1 et 2 (arrêt Lorenz, précité, points 4 et 5).

48. Cette jurisprudence est toutefois fondée sur la nécessité de tenir compte de l'intérêt légitime de l'État membre concerné à être rapidement informé de la situation de droit. Cet élément fait défaut lorsque ce dernier a mis à exécution des projets de mesures sans les avoir préalablement notifiés à la Commission. S'il avait des doutes sur la nature d'aide d'État des mesures qu'il projetait, il lui était loisible de sauvegarder ses intérêts en notifiant son projet à la Commission, ce qui aurait obligé cette dernière à prendre position dans le délai de deux mois.

49. Enfin, il convient de relever que, afin d'être à même de déterminer si une mesure étatique instaurée sans tenir compte de la procédure d'examen préliminaire établie par l'article 93, paragraphe 3, devait ou non y être soumise, une juridiction nationale peut être amenée à interpréter la notion d'aide, visée à l'article 92 du traité (arrêts du 22 mars 1977, Steinike et Weinlig, 78-76, Rec. p. 595, point 14, et du 30 novembre 1993, Kirsammer-Hack, C-189-91, Rec. p. I-6185, point 14).

50. Si elle éprouve des doutes sur la qualification d'aide d'État des mesures en cause, la juridiction nationale peut demander à la Commission des éclaircissements sur ce point. Dans sa communication du 23 novembre 1995 relative à la coopération entre la Commission et les juridictions nationales dans le domaine des aides d'État (JO C 312, p. 8), la Commission a expressément encouragé les juridictions nationales à prendre contact avec elle lorsqu'elles rencontrent des difficultés dans l'application de l'article 93, paragraphe 3, du traité et a expliqué la nature des informations qu'elle était en mesure de fournir. A cet égard, il y a lieu de souligner que, en vertu de l'obligation de coopération loyale entre les institutions communautaires et les États membres découlant de l'article 5 du traité (ordonnance de la Cour du 13 juillet 1990, C-2-88 Imm., Zwartveld e.a., Rec. p. I-3365, points 17 et 18), la Commission doit répondre dans les meilleurs délais aux demandes des juridictions nationales.

51. En outre, la juridiction nationale peut ou doit, conformément à l'article 177, deuxième et troisième alinéas, du traité, poser une question préjudicielle à la Cour sur l'interprétation de l'article 92 du traité.

52. Lorsqu'il est vraisemblable qu'un certain temps s'écoulera avant que la juridiction nationale statue définitivement, il lui appartient d'apprécier la nécessité d'ordonner des mesures provisoires telles que la suspension des mesures en cause afin de sauvegarder les intérêts des parties.

53. Il y a lieu, dès lors, de répondre aux questions 5 à 8 qu'une juridiction nationale, lorsqu'elle est saisie d'une demande visant à ce qu'elle tire les conséquences de la violation de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité, alors que la Commission est parallèlement saisie et n'a pas encore statué sur la question de savoir si les mesures étatiques en cause constituent des aides d'État, n'est tenue ni de se déclarer incompétente ni de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission prenne position sur la qualification des mesures en cause. En vue de déterminer si ces dernières auraient dû être notifiées à la Commission, une juridiction nationale peut être amenée à interpréter et à appliquer la notion d'aide. En cas de doute, elle peut demander à la Commission des éclaircissements. En outre, elle peut ou doit, conformément à l'article 177, deuxième et troisième alinéas, du traité, poser une question préjudicielle à la Cour. En cas de consultation de la Commission ou de renvoi préjudiciel à la Cour, elle doit apprécier la nécessité d'ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder les intérêts des parties jusqu'à ce qu'elle statue définitivement.

Sur la première question

54. Par sa première question, la juridiction nationale cherche à savoir en substance si la fourniture d'une assistance logistique et commerciale sans contrepartie normale par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence est susceptible de constituer une aide d'État au sens de l'article 92 du traité.

55. A titre liminaire, il y a lieu d'observer, d'une part, que les mesures en cause n'ont jamais été notifiées à la Commission, le Gouvernement français estimant qu'elles ne constituaient pas des aides d'État, et, d'autre part, que, saisie d'une plainte en 1990, la Commission n'est toujours pas en mesure, après le retrait d'une première décision de rejet en 1992, de se prononcer sur la qualification de l'assistance logistique et commerciale fournie par la Poste à la SFMI et à Chronopost.

56. Il convient également de relever que le Gouvernement français et la Commission s'accordent sur le fait que, telle qu'elle est posée, la première question appelle une réponse affirmative. Tous deux soulignent aussi que l'appréciation de ce qu'est une rémunération normale nécessite une analyse économique approfondie et complexe des coûts liés aux prestations en cause et que le jugement de renvoi ne contient pas suffisamment de renseignements à cet égard.

57. Il y a lieu d'accueillir le point de vue selon lequel la fourniture d'une assistance logistique et commerciale sans contrepartie normale par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence est susceptible de constituer une aide d'État au sens de l'article 92 du traité.

58. En effet, cette disposition a pour objet de prévenir que les échanges entre États membres soient affectés par des avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (arrêts du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C-387-92, Rec. p. I-877, point 12, et du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173-73, Rec. p. 709, point 26). La notion d'aide recouvre dès lors non seulement des prestations positives telles que des subventions, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d'une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (arrêt Banco Exterior de España, précité, point 13).

59. Des considérations qui précèdent, il découle que la fourniture de biens ou de services à des conditions préférentielles est susceptible de constituer une aide d'État (arrêts du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219, point 28, et du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56-93, non encore publié au Recueil, point 10).

60. Afin d'apprécier si une mesure étatique constitue une aide, il convient donc de déterminer si l'entreprise bénéficiaire reçoit un avantage économique qu'elle n'aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché.

61. Dans le cadre de cet examen, il appartient à la juridiction nationale de déterminer la rémunération normale pour les prestations en cause. Une telle appréciation suppose une analyse économique qui tienne compte de tous les facteurs qu'une entreprise, agissant dans des conditions normales de marché, aurait dû prendre en considération lors de la fixation de la rémunération pour les services fournis.

62. Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que la fourniture d'une assistance logistique et commerciale par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence est susceptible de constituer une aide d'État au sens de l'article 92 du traité si la rémunération perçue en contrepartie est inférieure à celle qui aurait été réclamée dans des conditions normales de marché.

Sur la deuxième question

63. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande en substance si une juridiction nationale à laquelle il est demandé d'ordonner la restitution d'aides doit faire droit à cette demande si elle constate que les aides n'ont pas été notifiées à la Commission.

64. Selon le Gouvernement espagnol, la violation de l'obligation de notification inscrite à l'article 93, paragraphe 3, ne peut donner lieu qu'à des mesures provisoires dont la plus rigoureuse est la suspension du versement de l'aide. Le remboursement ne pourrait être ordonné qu'une fois constatée l'incompatibilité de l'aide avec le marché commun. Si elles l'ordonnaient, les juridictions nationales préjugeraient de l'examen du fond.

65. TAT, les gouvernements espagnol, français et allemand font également valoir que les juridictions nationales ne sont jamais obligées d'ordonner la restitution. Il serait en effet paradoxal que la violation de l'obligation de forme prévue par l'article 93, paragraphe 3, du traité entraîne nécessairement la restitution de l'aide, alors que la Commission ne serait pas forcée de l'ordonner lorsqu'elle constate l'incompatibilité de l'aide avec le marché commun.

66. Ces positions ne sauraient être adoptées.

67. Il y a lieu de relever d'abord que le rôle d'une juridiction nationale saisie d'une demande fondée sur la dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3, du traité excède celui d'un juge statuant au provisoire. La juridiction nationale a l'obligation d'assurer, par le jugement définitif qu'elle rend dans une telle affaire, une protection contre les effets de la mise à exécution illégale d'aides. De plus, sa décision n'est pas susceptible d'être remise en cause par la Commission. Une décision finale de compatibilité de celle-ci ne régularise pas, en effet, a posteriori les mesures de mise en œuvre illégales d'une aide (voir arrêt FNCE, précité, point 16).

68. Ensuite, il ressort de l'arrêt FNCE, précité, point 12, que la constatation qu'une aide a été octroyée en violation de la dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3, doit, en principe, entraîner son remboursement conformément aux règles internes de procédure.

69. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l'inobservation par les États membres de l'interdiction visée à l'article 93, paragraphe 3, du traité. Ainsi, dans l'hypothèse où les juridictions nationales ne pourraient ordonner que la suspension de tout nouveau versement, les aides déjà octroyées subsisteraient jusqu'à la décision finale de la Commission constatant l'incompatibilité de l'aide avec le marché commun et ordonnant sa restitution.

70. Eu égard à l'importance pour le bon fonctionnement du marché commun que revêt le respect de la procédure de contrôle préalable des projets d'aides d'État, les juridictions nationales doivent, en principe, faire droit à une demande de remboursement des aides versées en violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité. Toutefois, comme l'a relevé M. l'avocat général aux points 73 à 77 de ses conclusions, des circonstances exceptionnelles peuvent se présenter dans lesquelles il serait inapproprié d'ordonner le remboursement de l'aide.

71. Il y a dès lors lieu de répondre à la deuxième question qu'une juridiction nationale à laquelle il est demandé d'ordonner la restitution d'aides doit faire droit à cette demande si elle constate que les aides n'ont pas été notifiées à la Commission, à moins que, en raison de circonstances exceptionnelles, la restitution ne soit inappropriée.

Sur les troisième et quatrième questions

72. Par ses troisième et quatrième questions, la juridiction nationale demande en substance si le bénéficiaire d'une aide qui ne vérifie pas si celle-ci a été notifiée à la Commission conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité est susceptible d'engager sa responsabilité sur la base du droit communautaire.

73. Il convient de constater que le mécanisme de contrôle et d'examen des aides d'État organisé par l'article 93 du traité n'impose pas d'obligation spécifique au bénéficiaire de l'aide. D'une part, l'obligation de notification et l'interdiction préalable de mise en œuvre des projets d'aide prévues par l'article 93, paragraphe 3, s'adressent à l'État membre. D'autre part, celui-ci est également le destinataire de la décision par laquelle la Commission constate l'incompatibilité d'une aide et l'invite à la supprimer dans le délai qu'elle détermine.

74. Dans ces conditions, le droit communautaire n'offre pas une base suffisante pour engager la responsabilité du bénéficiaire qui n'aurait pas vérifié si l'aide qu'il a reçue a été dûment notifiée à la Commission.

75. Ceci ne préjudicie toutefois pas à l'éventuelle application du droit national de la responsabilité extracontractuelle. Si, d'après celui-ci, l'acceptation par un opérateur économique d'un soutien illicite de nature à occasionner un préjudice à d'autres opérateurs économiques est susceptible, dans certaines circonstances, d'engager sa responsabilité, le principe de non-discrimination peut conduire le juge national à retenir la responsabilité du bénéficiaire d'une aide d'État versée en violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité.

76. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux troisième et quatrième questions que le bénéficiaire d'une aide qui ne vérifie pas si celle-ci a été notifiée à la Commission conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité n'est pas susceptible d'engager sa responsabilité sur la seule base du droit communautaire.

Sur les dépens

77. Les frais exposés par les gouvernements français, allemand et espagnol, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 5 janvier 1994, dit pour droit:

1°) Une juridiction nationale, lorsqu'elle est saisie d'une demande visant à ce qu'elle tire les conséquences de la violation de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité CE, alors que la Commission est parallèlement saisie et n'a pas encore statué sur la question de savoir si les mesures étatiques en cause constituent des aides d'État, n'est tenue ni de se déclarer incompétente ni de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission prenne position sur la qualification des mesures en cause. En vue de déterminer si ces dernières auraient dû être notifiées à la Commission, une juridiction nationale peut être amenée à interpréter et à appliquer la notion d'aide. En cas de doute, elle peut demander à la Commission des éclaircissements. En outre, elle peut ou elle doit, conformément à l'article 177, deuxième et troisième alinéas, du traité CE, poser une question préjudicielle à la Cour. En cas de consultation de la Commission ou de renvoi préjudiciel à la Cour, elle doit apprécier la nécessité d'ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder les intérêts des parties jusqu'à ce qu'elle statue définitivement.

2°) La fourniture d'une assistance logistique et commerciale par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence est susceptible de constituer une aide d'État au sens de l'article 92 du traité CE si la rémunération perçue en contrepartie est inférieure à celle qui aurait été réclamée dans des conditions normales de marché.

3°) Une juridiction nationale à laquelle il est demandé d'ordonner la restitution d'aides doit faire droit à cette demande si elle constate que les aides n'ont pas été notifiées à la Commission, à moins que, en raison de circonstances exceptionnelles, la restitution ne soit inappropriée.

4°) Le bénéficiaire d'une aide qui ne vérifie pas si celle-ci a été notifiée à la Commission conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité n'est pas susceptible d'engager sa responsabilité sur la seule base du droit communautaire.