CJCE, 21 mars 1990, n° C-142/87
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Royaume de Belgique
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
MM. Kakouris, Schockweiler
Avocat général :
M. Tesauro
Juges :
MM. Mancini, Joliet, Rodríguez Iglesias, Díez de Velasco
Avocats :
Mes Matray, Hanot, Schubert.
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 8 mai 1987, le Royaume de Belgique a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation de la décision 87-507-CEE du 4 février 1987, par laquelle la Commission a constaté que le concours financier prêté, sous diverses formes, par l'État belge à l'entreprise SA des Usines à tubes de la Meuse-Tubemeuse (ci-après "Tubemeuse") constituait une aide illégale, en raison de l'inobservation de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 3, du traité CEE, et de son incompatibilité avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité CEE, et devait, dès lors, être supprimée par voie de récupération.
2. Selon l'acte attaqué, l'entreprise Tubemeuse, fondée en 1911 dans la région liégeoise, s'est orientée vers la construction de tubes d'acier sans soudure destinés à l'industrie pétrolière. Ayant déjà connu des difficultés pendant les années 70, Tubemeuse s'est trouvée dans une situation critique vers 1979, qui a conduit au désengagement de certains actionnaires privés et à leur remplacement par l'État belge à concurrence de 72 % du capital social.
3. Les nouveaux actionnaires de Tubemeuse ayant opté pour la restructuration industrielle de l'entreprise et pour la rénovation de son outil de production, la Commission a autorisé, en 1982, un ensemble d'aides de la part de l'État belge en vue de la réalisation d'un programme d'investissements, visant à assurer l'avenir de l'entreprise dans le cadre de deux contrats à moyen et à long terme, conclus avec l'Union soviétique.
4. Les résultats espérés grâce à l'effort de modernisation de Tubemeuse ne se sont pas réalisés, et l'évolution de la situation a conduit au désengagement définitif des actionnaires privés et à l'acquisition, par l'État belge, de la quasi-totalité des actions de Tubemeuse.
5. Dans la décision attaquée, la Commission expose que le Gouvernement belge lui a notifié le 19 juillet 1984, au titre de l'article 93, paragraphe 3, son intention de procéder, au bénéfice de Tubemeuse, à une augmentation de capital et à la souscription à une émission d'obligations convertibles participantes conditionnelles. Le Gouvernement belge aurait procédé à la réalisation du concours financier précité, notifié à l'état de projet, avant que la procédure de l'article 93, paragraphe 2, entre-temps engagée par la Commission, ait abouti à une décision finale. Par ailleurs, le Gouvernement belge aurait confirmé, par lettre du 29 juillet 1985, que Tubemeuse avait précédemment reçu d'autres concours publics, sans que ceux-ci aient fait l'objet d'une notification à la Commission. L'ensemble de ces interventions s'élèverait à un montant de 9,085 milliards de francs belges (BFR).
6. En outre, le Gouvernement belge aurait notifié à la Commission, par lettre du 6 juin 1986, un projet de conversion en capital de 3,010 milliards de BFR, de prêts garantis, toujours en faveur de Tubemeuse, et aurait finalement procédé à cette opération pour un montant de 2,510 milliards de BFR, alors que ce projet faisait l'objet d'une procédure engagée par la Commission sur le fondement de l'article 93, paragraphe 2, précité.
7. Le montant total des interventions en question se serait élevé à environ 12 milliards de BFR.
8. Dans l'acte attaqué, la Commission conclut que ces aides sont illégales du fait de l'inobservation de la procédure de l'article 93, paragraphe 3. Sur le fond, elles seraient en outre incompatibles avec le marché commun en vertu de l'article 92, paragraphe 1, et ne pourraient bénéficier d'aucune des dérogations prévues au paragraphe 3 de cet article. Sur la base de cette double motivation, la Commission a ordonné à l'État belge de supprimer les aides par voie de récupération et lui a imparti un délai de deux mois pour l'informer des mesures prises.
9. Par les moyens de la requête, le Gouvernement belge :
a) conteste que le concours financier litigieux constitue une aide;
b ) soutient que, s'il y a aide, il s'agit d'une aide à l'exportation, régie donc par l'article 112 du traité CEE, à l'exclusion des articles 92 à 94 de celui-ci;
c ) conteste que les échanges entre États membres aient été affectés au sens de l'article 92, paragraphe 1;
d ) soutient qu'au stade de l'examen contradictoire de l'aide, conformément à l'article 93, paragraphe 2, ses droits de défense ont été violés;
e ) fait valoir que l'acte attaqué est sans objet, du fait que, au moment de son adoption, Tubemeuse se trouvait en état de concordat judiciaire;
f ) fait valoir que le concours financier en cause était justifié sur la base de l'article 92, paragraphe 3, sous a ) et c );
g ) soutient que la récupération de l'aide était impossible du fait de la procédure concordataire à laquelle était soumise Tubemeuse.
10. La Commission conclut à l'irrecevabilité des moyens de la requête, selon lesquels le concours financier litigieux était justifié sur la base de l'article 92, paragraphe 3, sous a ) et c ).
11. Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur l'exception d'irrecevabilité
12. L'exception d'irrecevabilité en question était initialement soulevée à l'égard du recours dans son ensemble, mais a été limitée par la Commission, dans sa duplique et lors de l'audience devant la Cour, uniquement à l'égard des moyens du recours dirigés contre les constatations contenues dans l'acte attaqué, selon lesquelles l'aide en question ne pourrait pas être considérée comme compatible avec le marché commun en application des dispositions de l'article 92, paragraphe 3, sous a ) et c ).
13. La Commission soutient que ces constatations ne constituent qu'une motivation subsidiaire et superflue de l'acte attaqué, la motivation principale et suffisante étant que l'aide en question était illégale, du fait qu'elle avait été mise à exécution, en violation de l'interdiction de l'article 93, paragraphe 3, avant la fin de la procédure engagée sur la base de cette disposition. Même si l'aide en question était compatible quant au fond avec le marché commun, en application de l'article 92, paragraphe 3, sous a ) ou c ), cette circonstance ne pourrait pas faire disparaître son illégalité en raison de la violation de l'article 93, paragraphe 3.
14. Il convient de relever que, en ce qui concerne les conséquences des violations de cette disposition, la Cour a précisé dans son arrêt du 14 février 1990, France/Commission (C-301-87, Rec. p. 0000 ) les points suivants.
15. La Commission, lorsqu'elle constate qu'une aide a été instituée ou modifiée sans avoir été notifiée, a le pouvoir, après avoir mis l'État membre concerné en mesure de s'exprimer à cet égard, d'enjoindre à celui-ci, par une décision provisoire, en attendant le résultat de l'examen de l'aide, de suspendre immédiatement le versement de celle-ci et de fournir à la Commission, dans le délai qu'elle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour examiner la compatibilité de l'aide avec le marché commun.
16. La Commission dispose du même pouvoir d'injonction au cas où l'aide a été notifiée à la Commission, mais où l'État membre concerné, sans attendre l'issue de la procédure prévue par l'article 93, paragraphes 2 et 3, procède à la mise en exécution de l'aide, contrairement à l'interdiction prévue au paragraphe 3 de cet article.
17. Lorsque l'État membre se conforme entièrement à l'injonction de la Commission, celle-ci est tenue d'examiner la compatibilité de l'aide avec le marché commun, conformément à la procédure prévue par l'article 93, paragraphes 2 et 3.
18. Au cas où l'État membre omet, nonobstant l'injonction de la Commission, de fournir les renseignements sollicités, celle-ci a le pouvoir de mettre fin à la procédure et de prendre la décision constatant la compatibilité ou l'incompatibilité de l'aide avec le marché commun sur la base des éléments dont elle dispose. Le cas échéant, cette décision peut exiger la récupération du montant d'aide déjà versé.
19. Si l'État membre omet de suspendre le versement de l'aide, il convient de reconnaître à la Commission le droit de saisir directement la Cour de cette violation du traité, tout en poursuivant l'examen quant au fond. Une telle saisine se justifie, au vu de l'urgence, parce qu'il y a eu une décision d'injonction arrêtée après que l'État membre concerné a été mis en mesure de présenter ses observations et donc à l'issue d'une procédure précontentieuse contradictoire, comme dans le cas de la voie de recours prévue par l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa. En effet, cette voie n'est qu'une variante du recours en manquement, adaptée de manière spécifique aux problèmes particuliers que présentent les aides étatiques pour la concurrence dans le marché commun.
20. Au vu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de retenir l'argumentation de la Commission, selon laquelle l'irrégularité intervenue du fait de la mise à exécution de l'aide avant l'achèvement de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 3, rend illégale l'aide en question et rend ainsi superflu l'examen de la compatibilité de l'aide au regard de l'article 92, paragraphe 3.
21. Il s'ensuit que l'exception d'irrecevabilité des moyens du recours concernant l'application de l'article 92, paragraphe 3, doit être rejetée et que, par conséquent, tous les moyens du recours doivent être examinés.
Sur le caractère d'aide du concours financier litigieux
22. Dans l'acte attaqué il est constaté que la situation financière de l'entreprise était aléatoire, que le secteur dans lequel celle-ci exerçait son activité connaissait de fortes surcapacités structurelles et que la situation du marché pétrolier conduisait au ralentissement des activités de forage et à la chute de la demande des tubes sans soudure. Dans ces circonstances, aucun investisseur privé n'aurait procédé à un apport de capital. Par conséquent, les interventions précitées de l'État belge constitueraient des aides d'État, qui devraient être appréciées sur la base de l'article 92.
23. Par son premier moyen, l'État belge invoque l'application erronée de l'article 92, paragraphe 1, en ce que le concours financier litigieux ne constitue pas une aide au sens de cette disposition, mais un apport normal d'un actionnaire à la société.
24. A l'appui de ce moyen, le Gouvernement belge fait valoir que ses interventions en faveur de Tubemeuse ne constituent pas des aides proprement dites, mais la suite logique du large programme de restructuration et de rénovation de l'entreprise et l'achèvement de l'investissement autorisé par la Commission elle-même en 1982. Le projet d'investissement avait alors été notifié à la Commission, bien qu'aucune obligation ne pesait à cet égard sur le Gouvernement belge, puisqu'il ne s'agissait pas d'une aide d'État. Son concours litigieux à Tubemeuse serait donc la réaction normale de tout investisseur lorsque son investissement initial est en péril.
25. Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'intervention des pouvoirs publics dans le capital d'entreprises, sous quelque forme que ce soit, peut constituer une aide étatique lorsque les conditions visées à l'article 92 du traité sont remplies (voir arrêts du 14 novembre 1984, Intermills, 323-82, Rec. p. 3809, et du 13 mars 1985, Leeuwarder Papierwarenfabriek, 296-82 et 318-82, Rec. p. 809 ).
26. En vue de déterminer si de telles mesures présentent le caractère d'aides étatiques, il est pertinent d'appliquer le critère, indiqué dans la décision de la Commission et d'ailleurs non contesté par le Gouvernement belge, qui est basé sur les possibilités pour l'entreprise d'obtenir les sommes en cause sur le marché des capitaux.
27. En l'occurrence, il ressort de l'acte attaqué, considéré en combinaison avec les éléments du dossier, que Tubemeuse, outre l'inadaptation technique de son outil de production qui a nécessité le large programme de rénovation de 1982, réalisé grâce au concours des pouvoirs publics alors autorisé par la Commission, était confrontée depuis 1979 à des difficultés financières structurelles; des coûts de production trop élevés, une succession d'exercices déficitaires ayant accumulé des pertes continues d'exploitation, une situation de trésorerie précaire et un lourd endettement ont conduit au désengagement quasi total des actionnaires privés de l'entreprise en question.
28. En outre, il n'a pas été contesté que le secteur des tubes d'acier sans soudure, destinés principalement à la prospection pétrolière, était en situation de crise, caractérisée par des fortes capacités excédentaires dans les pays producteurs et par de nouvelles capacités de production créées dans les pays en voie de développement et dans les pays à commerce d'État. Par ailleurs, les restrictions que les États-Unis ont imposées aux importations de tubes d'acier dans leur territoire et la chute des prix du pétrole au niveau mondial, qui a contribué au ralentissement des activités de forage, ont entraîné la chute de la demande de tubes en question et, partant, le recul substantiel de leurs prix et la diminution de la production mondiale de ceux-ci. D'où les efforts des autres États membres pour réduire leurs capacités de production dans le secteur considéré.
29. Dans ces circonstances, il n'existe aucun élément qui soit susceptible de faire apparaître comme erronée l'appréciation de la Commission, selon laquelle les possibilités de rentabilité prévisibles de Tubemeuse ne pouvaient pas inciter un investisseur privé, opérant dans les conditions normales d'une économie de marché, à procéder aux opérations financières en cause, qu'il était peu vraisemblable que l'entreprise en question pût obtenir les sommes indispensables à sa survie sur le marché des capitaux et que, de ce fait, les interventions critiquées du Gouvernement belge en faveur de Tubemeuse présentaient le caractère d'une aide étatique.
30. Il s'ensuit que le premier moyen doit être rejeté.
Sur l'article 92, paragraphe 1, du traité
31. L'État requérant soutient que, même si les interventions en cause constituent bien des aides, elles sont des aides à l'exportation, du fait que Tubemeuse exportait 90 % de sa production vers les pays tiers. Elles seraient donc régies par l'article 112, ce qui exclurait l'application des articles 92 à 94.
32. Il y a lieu de relever à cet égard que, indépendamment de la question de savoir si les aides litigieuses pourraient être considérées comme des aides à l'exportation, l'article 112, qui concerne l'harmonisation des aides nationales à l'exportation dans le cadre de la politique commerciale commune, n'exclut pas l'application des articles 92 à 94. En effet, il n'est pas exclu qu'une aide à l'exportation affecte les échanges entre les États membres.
33. Selon le Gouvernement belge, le concours financier en question ne saurait affecter les échanges entre États membres ni fausser la concurrence dans le marché commun, dès lors que 90 % de la production de Tubemeuse sont exportés en dehors de la Communauté, même à supposer que, comme l'affirme l'acte attaqué, sa production de tubes sans soudure représente 17 % de la production communautaire.
34. L'entreprise aurait été restructurée en vue de servir avant tout le marché de l'Union soviétique; dès lors, les nouvelles capacités de production ainsi créées ne pourraient pas inonder le marché commun, et les échanges intracommunautaires ne pourraient pas être affectés du fait des interventions incriminées de l'État belge. A cet égard, la décision attaquée ne serait, par conséquent, pas motivée à suffisance de droit.
35. Il convient d'observer d'emblée que, compte tenu de l'interdépendance entre les marchés sur lesquels opèrent les entreprises communautaires, il n'est pas exclu qu'une aide puisse fausser la concurrence intracommunautaire, même si l'entreprise bénéficiaire exporte la quasi-totalité de sa production en dehors de la Communauté. En effet, l'exportation d'une partie de la production de l'entreprise considérée vers des pays tiers ne constitue qu'une des circonstances, parmi d'autres, qui doivent être appréciées à cet égard.
36. En l'occurrence, la Commission a relevé dans l'acte attaqué que l'activité des producteurs communautaires de tubes sans soudure était en majeure partie orientée vers la grande exportation, tout en soulignant que le marché communautaire continue à offrir des débouchés.
37. Par ailleurs, la Commission a fait valoir que le secteur des tubes sans soudure connaissait au niveau mondial une situation de crise, de récession et de concurrence accrue, caractérisée par de fortes capacités excédentaires dans les pays producteurs et par l'instabilité des prix qui en résulte, et accentuée par les restrictions imposées aux importations aux États-Unis et par les nouvelles capacités des pays en voie de développement et des pays à commerce d'État. Tout avantage donné à une entreprise du secteur considéré aurait donc été susceptible de favoriser sa position compétitive à l'égard des autres.
38. Selon l'acte attaqué, dans le contexte général ainsi décrit, le nouvel objectif avoué de Tubemeuse, dont la production de tubes sans soudure correspondait à une part considérable de la production communautaire et dont les exportations représentaient environ 90 % de son chiffre d'affaires, était de se désengager du marché soviétique, jugé insuffisamment lucratif, et de s'orienter, grâce aux aides qui lui ont été accordées, vers d'autres marchés. Une réorientation des activités de Tubemeuse vers le marché intérieur communautaire aurait donc été raisonnablement prévisible.
39. A cet égard, la Commission a ajouté lors de l'audience devant la Cour, sans avoir été contredite par le Gouvernement belge, qu'au premier semestre de 1988 les exportations de Tubemeuse vers l'Union soviétique avaient chuté à 33,3 % de sa production globale, tandis que ses exportations vers les pays communautaires représentaient 31,8 % de celle-ci.
40. Au vu de ces éléments, l'appréciation portée par la Commission dans l'acte attaqué, selon laquelle les aides accordées à Tubemeuse étaient susceptibles d'avoir une incidence sur la position concurrentielle des entreprises communautaires du secteur considéré et, partant, d'affecter les échanges et de fausser la concurrence au sens de l'article 92, paragraphe 1, est motivée à suffisance de droit et n'apparaît pas comme erronée.
41. Quant à l'argument de l'État requérant selon lequel Tubemeuse ne détient pas 17 % de la production communautaire en tubes sans soudure, mais beaucoup moins, il convient de relever que, même si cette assertion est exacte, elle n'infirme nullement l'appréciation portée ci-dessus quant à l'incidence des aides incriminées sur la position concurrentielle des entreprises communautaires du secteur considéré.
42. L'État requérant soutient également que, puisque aucune norme n'existe pour définir, en matière d'aides étatiques, le seuil à partir duquel les échanges intracommunautaires sont affectés, il est possible de se référer au taux de 5 % du marché habituellement retenu par la Commission en matière de concurrence.
43. Cet argument ne peut être retenu. Il convient, en effet, de rappeler que, selon les arrêts du 17 septembre 1980, Philip Morris (730-79, Rec. p. 2671 ), et du 11 novembre 1987, France/Commission (259-85, Rec. p. 4393 ), l'importance relativement faible d'une aide ou la taille relativement modeste de l'entreprise bénéficiaire n'excluent pas a priori l'éventualité que les échanges entre États membres soient affectés.
44. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que ce moyen n'est pas fondé et doit, dès lors, être rejeté.
Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense
45. L'État requérant relève que la Commission fait référence, dans la décision attaquée, aux observations présentées par "trois autres États membres et par quatre associations professionnelles de producteurs de tubes d'acier", sans avoir déposé les documents y afférents et sans avoir mis le requérant en mesure de commenter ces observations. Ainsi, l'influence que ces observations ont pu exercer sur la décision de la Commission ne serait pas connue. Il y aurait eu, en conséquence, violation des droits de la défense ainsi que du principe du "procès équitable".
46. Il convient de souligner à cet égard que, ainsi que la Cour l'a déjà relevé dans sa jurisprudence constante et notamment dans les arrêts du 10 juillet 1986, Belgique/Commission (234-84, Rec. p. 2263 ), et du 11 novembre 1987, précité, le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte lui faisant grief constitue un principe fondamental du droit communautaire et doit être assuré, même en l'absence d'une réglementation spécifique.
47 Dans les arrêts précités, la Cour a jugé que ce principe exige que l'État membre en cause soit mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur les observations présentées par des tiers intéressés, conformément à l'article 93, paragraphe 2, et sur lesquelles la Commission entend fonder sa décision, et a précisé que, dans la mesure où l'État membre n'a pas été mis en mesure de commenter de telles observations, la Commission ne peut pas les retenir dans sa décision contre cet État.
48. Pour qu'une telle violation des droits de la défense entraîne une annulation, il faut cependant que, en l'absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent. A cet égard, il convient de constater que les observations en cause, déposées à la Cour sur la demande de celle-ci, ne contiennent aucun élément d'information supplémentaire par rapport à ceux dont la Commission disposait déjà et que le Gouvernement belge connaissait. Dans ces conditions, la circonstance que le Gouvernement belge n'ait pas eu la possibilité de commenter lesdites observations n'a pas été de nature à influer sur le résultat de la procédure administrative. Ce grief doit donc également être écarté.
Sur le moyen tiré du fait que, au moment de l'adoption de la décision attaquée, Tubemeuse se trouvait en état de concordat judiciaire par abandon d'actif
49. L'État requérant soutient, à titre subsidiaire, qu'à supposer même que le concours prêté à Tubemeuse constituat une aide prohibée par l'article 92, paragraphe 1, la décision de la Commission était sans objet, car, au moment où celle-ci a été prise, l'entreprise se trouvait en état de concordat judiciaire pour abandon d'actif, ce qui signifie qu'elle avait cessé d'exister au sens économique. En conséquence, les échanges entre États membres ne pouvaient plus être affectés ni la concurrence faussée.
50. L'État requérant fait encore valoir que, au moment de l'adoption de la décision attaquée, l'aide incriminée avait pris fin par le dépôt du bilan de l'entreprise bénéficiaire, et la suppression de l'aide se trouvait consommée par la mise en liquidation des actifs de l'entreprise. En ignorant cette situation, la décision attaquée se baserait dès lors sur des faits inexacts et, en ordonnant la récupération de l'aide, elle serait sans objet.
51. Il convient d'observer, à cet égard, qu'en droit belge le tribunal du concordat peut autoriser le liquidateur à continuer les opérations commerciales de l'entreprise concernée. En l'occurrence, il n'est pas contesté que Tubemeuse a continué ses activités de production, fussent-elles réduites, tout au long de la procédure concordataire, qu'elle n'a pas cessé d'exister, ni au sens économique ni au sens juridique du terme, et qu'elle a été cédée finalement à une autre entreprise. On ne saurait donc prétendre que la décision attaquée fût sans objet.
52. Par conséquent, ce moyen ne peut être accueilli.
Sur l'article 92, paragraphe 3
53. Pour ce qui est de l'application de l'article 92, paragraphe 3, sous a ), la Commission renvoie, dans l'acte attaqué, à une analyse socio-économique approfondie des régions belges, qu'elle avait effectuée (décision 82-740-CEE du 22 juillet 1982, JO L 312, p. 18, modifiée par la décision 85-544-CEE du 31 juillet 1985, JO L 341, p. 19 ) et dans le cadre de laquelle elle avait considéré que la région liégeoise ne souffrait pas d'un niveau de vie anormalement bas ou de grave sous-emploi; le Gouvernement belge n'aurait pas mis en cause cette analyse ni présenté, depuis lors, des éléments nouveaux susceptibles de l'infléchir.
54. Quant à l'application de l'article 92, paragraphe 3, sous c ), la Commission expose, dans l'acte attaqué, que les interventions litigieuses de l'État belge en faveur de Tubemeuse ne pouvaient pas faciliter le développement de la région susmentionnée, du fait que l'entreprise bénéficiaire n'était pas en mesure d'assurer sa propre viabilité.
55. Le Gouvernement belge fait valoir, à cet égard, que les données socio-économiques ont changé depuis l'analyse de la Commission, susmentionnée, et que les aides en question auraient dû bénéficier des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3, sous a ) et c ), dans la mesure où elles étaient destinées à favoriser le développement économique de la région liégeoise, qui serait durement frappée ces derniers temps par des fermetures d'usines et par des suppressions d'emplois.
56. Les arguments de la requérante ne peuvent être retenus. Il y a lieu de rappeler que, dans le domaine de l'article 92, paragraphe 3, la Commission jouit d'un large pouvoir d'appréciation dont l'exercice implique des évaluations d'ordre économique et social, qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire.
57. Au vu de ce pouvoir dont dispose la Commission, le moyen d'annulation, par lequel le Gouvernement requérant s'est borné à contester, de manière générale, les appréciations contenues dans la motivation de l'acte attaqué, sans avoir produit des éléments susceptibles de mettre en doute ces appréciations, doit être rejeté.
Sur le moyen tiré de l'impossibilité d'exécution immédiate de la décision attaquée
58. L'État requérant soutient que l'exécution immédiate de la décision de la Commission, dans la mesure où celle-ci ordonne la récupération de l'aide incriminée, est impossible. En effet, la récupération des aides accordées en violation du traité ne pourrait s'effectuer que conformément aux règles du droit national en la matière. En l'occurrence, la procédure concordataire à laquelle est soumise Tubemeuse serait opposable à toute prétention de l'État belge. L'actif de l'entreprise serait abandonné à ses créanciers, et l'État n'aurait dès lors aucun pouvoir pour ordonner la restitution de l'aide en question.
59. L'État requérant ajoute que la décision de la Commission, tout comme un arrêt de la Cour, ne pourrait avoir pour effet de créer, à son profit, un privilège quelconque qui lui permettrait de déroger, au préjudice des créanciers de Tubemeuse, aux règles applicables en la matière. L'État belge pourrait uniquement, dans le cadre de la procédure concordataire, déclarer sa créance au passif de l'entreprise en tant que créancier chirographaire. La décision attaquée, dans la mesure où elle ordonne la récupération immédiate de la prétendue aide, constituerait donc une violation des principes généraux communs aux États membres en matière de droit des sociétés et de droit de la faillite.
60. Il convient d'observer, à cet égard, que l'argumentation du Gouvernement belge part de l'idée que la décision attaquée ordonne la récupération par voie privilégiée de l'aide en question. Or, l'acte litigieux se limite à prescrire la récupération de l'aide sans fixer les modalités de cette récupération.
61. A cet égard, il convient de relever que, en principe, la récupération d'une aide illégalement accordée doit avoir lieu selon les dispositions de procédure pertinentes du droit national, sous réserve toutefois que ces dispositions soient appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible la récupération exigée par le droit communautaire (voir arrêt du 2 février 1989, Commission/République fédérale d'Allemagne, 94-87, Rec. p. 0000 ).
62. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la Commission a déclaré lors de l'audience que le Gouvernement belge avait accompli ses obligations, découlant de l'acte attaqué, quant à la récupération de l'aide, étant donné que, après le rejet de sa demande en référé par le président de la Cour, le Gouvernement en question avait demandé l'inscription de sa créance au passif chirographaire de Tubemeuse et avait interjeté appel contre le jugement portant rejet de cette demande.
63. Il y a lieu d'ajouter que des difficultés éventuelles, procédurales ou autres, quant à l'exécution de l'acte attaqué ne sauraient influer sur la légalité de celui-ci.
64. Par conséquent, le moyen considéré doit être rejeté.
65. L'État requérant soutient, en outre, que l'obligation imposée par la décision attaquée, qui ordonne la suppression de l'aide incriminée par voie de récupération, est disproportionnée par rapport aux objectifs des articles 92 et 93, dans la mesure où la déclaration de la créance de la part de l'État belge dans la procédure concordataire causerait un grave préjudice aux tiers créanciers.
66. Il y a lieu de relever, à cet égard, qu'il découle de la jurisprudence de la Cour (voir, par exemple, arrêt du 24 février 1987, Deufil/Commission, 310-85, Rec. p. 901 ), que la suppression d'une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité. Par conséquent, la récupération d'une aide étatique illégalement accordée, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait, en principe, être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité en matière d'aides d'État.
67. Il y a donc lieu de rejeter ce moyen.
68. Aucun des moyens avancés par le Gouvernement belge n'ayant pu être retenu, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.
Sur les dépens
69. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Royaume de Belgique ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.