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Décisions

CJCE, 6e ch., 12 juillet 1990, n° C-169/84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CdF Chimie azote et fertilisants (SA), société chimique de la Grande Paroisse (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kakouris

Président de chambre :

M. Schockweiler

Avocat général :

M. Mischo

Juges :

MM. Mancini, O'Higgins, Díez de Velasco

Avocat :

Me Voillemot.

Comm. ce, du 17 avr. 1984

17 avril 1984

LA COUR (sixième chambre),

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 2 juillet 1984, la Compagnie française de l'azote (Cofaz) SA, la société CdF Chimie azote et fertilisants SA et la société chimique de la Grande Paroisse SA ont, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation de la décision de la Commission, du 17 avril 1984, par laquelle celle-ci a clos la procédure ouverte au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE, à l'encontre du système tarifaire des prix du gaz naturel aux Pays-Bas, par lettre du 4 novembre 1983 adressée au Gouvernement néerlandais.

2. Le 25 octobre 1983, la Commission a décidé d'engager la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE, à la suite de la plainte déposée par différents producteurs français d'engrais azotés à l'encontre d'un système tarifaire préférentiel appliqué par les Pays-Bas, en faveur des producteurs néerlandais d'engrais azotés, pour les fournitures de gaz naturel destiné à la fabrication d'ammoniac.

3. Selon la Commission, le régime d'aide en question consistait, à l'origine, en un système en vertu duquel le Gouvernement néerlandais, par l'intermédiaire de l'entreprise Gasunie, détenue à concurrence de 50 %, directement ou indirectement, par l'État néerlandais, aurait accordé des remises spéciales aux producteurs néerlandais d'ammoniac grâce à une structure tarifaire à deux niveaux qui aurait eu pour effet de réduire le coût du gaz naturel utilisé comme matière première par ces producteurs.

4. Dans le cadre de cette procédure, la Commission a émis, le 13 mars 1984, un avis motivé dans lequel elle a constaté que cette structure tarifaire constituait une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE et ne pouvait bénéficier d'aucune des dérogations prévues au paragraphe 3 du même article.

5. Par télex en date du 14 avril 1984, le Gouvernement néerlandais a fait savoir à la Commission que Gasunie avait supprimé le tarif contesté et avait ajouté, rétroactivement au 1er novembre 1983, un nouveau tarif à sa structure tarifaire industrielle, dit "tarif F", à l'usage des très grands utilisateurs industriels établis aux Pays-Bas qui, à l'exclusion de ceux du secteur de l'énergie, remplissent les conditions suivantes :

a) consommer une quantité de gaz d'au moins 600 millions de m3/an;

b) présenter un facteur de charge de 90 % ou plus;

c) accepter l'interruption totale ou partielle des livraisons à la discrétion de Gasunie;

d) accepter la fourniture de gaz de valeurs calorifiques différentes.

6. Le nouveau tarif F est facturé au niveau du tarif dit "E", applicable aux utilisateurs dont la consommation annuelle se situe entre 50 millions et 600 millions de m3, diminué de 5 cents néerlandais par m3. Il est cependant apparu, au cours de la procédure, que le niveau de la consommation minimale exigée des bénéficiaires du tarif F était de 500 millions de m3/an.

7. Estimant que le nouveau système tarifaire de Gasunie était compatible avec le marché commun, la Commission a décidé, au cours de sa réunion du 17 avril 1984, de clore la procédure qu'elle avait engagée à l'encontre de Gasunie au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE. Par lettre en date du 24 avril 1984, la Commission a informé les requérantes qu'après un examen approfondi des éléments techniques inclus dans la composition du nouveau tarif elle était parvenue à la conclusion que ce dernier, qui faisait partie de la structure générale des tarifs domestiques néerlandais et qui n'était pas discriminatoire au niveau sectoriel, ne contenait aucun élément d'aide étatique. Elle a considéré que Gasunie opérait de considérables économies de fournitures en raison de l'importance du facteur de charge et des conditions de fourniture présentées par les très grands usagers industriels. Selon elle, le niveau des prix du tarif F ne couvrait pas la valeur totale des économies de fournitures que ces contrats offrent à Gasunie. La Commission a déclaré, enfin, que le tarif F se justifiait du point de vue économique et commercial dans la mesure où il est comparé aux prix facturés à d'autres consommateurs importants.

8. C'est contre cette décision de clôture que les requérantes ont introduit le présent recours, au motif qu'elle serait entachée d'erreurs manifestes dans l'appréciation des faits essentiels, ces erreurs résidant, notamment, dans la conclusion que le tarif F peut être considéré comme faisant partie de la structure générale des tarifs domestiques néerlandais, que ce tarif n'a aucune spécificité sectorielle, qu'il est justifié par la valeur des économies de fournitures que les très grands utilisateurs offrent à Gasunie.

9. Par arrêt du 28 janvier 1986, Cofaz/Commission (169-84, Rec. p. 391), la Cour a déclaré le recours recevable.

10. Par ordonnance du 27 février 1986, la Cour (deuxième chambre) a ordonné une expertise. Les experts ont présenté leur rapport le 23 décembre 1987 (ci-après "rapport d'expertise ").

11. Par ordonnance du 16 mars 1988, la Cour a ordonné, suite au désistement de la Compagnie française de l'azote (Cofaz) SA, que le nom de cette dernière soit radié de la liste des parties requérantes.

12. Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure, des moyens et arguments des parties ainsi que des conclusions de l'expertise, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la place du tarif F dans la structure générale des tarifs domestiques néerlandais

13. Par leur premier moyen, les requérantes soutiennent que, contrairement à ce que la Commission expose dans sa décision, le tarif litigieux constitue un tarif spécial, simplement superposé, mais non intégré à la structure générale des tarifs domestiques néerlandais.

14. A l'appui de leur argumentation, elles font valoir, d'une part, que le tarif F est entièrement secret et que le contrat de fourniture contenant ce tarif est négocié directement avec certains utilisateurs dans un cadre confidentiel. D'autre part, l'obtention du tarif F serait subordonnée à des conditions tout à fait différentes de celles prévues pour les autres tarifs. En effet, le seuil d'applicabilité serait calculé par client et non par usine, de manière à permettre de grouper les consommations de plusieurs sites d'exploitation. En outre, ce tarif serait appliqué dès le premier mètre cube de gaz consommé, tandis que, pour les tarifs B à E, il y aurait application successive des différentes tranches des tarifs A à D pour les quantités prévues respectivement par ces tarifs.

15. Il convient de relever, à cet égard, comme l'indique le rapport d'expertise, que, contrairement aux affirmations des requérantes, le tarif F est, d'une part, un tarif public, dont les conditions d'accès sont publiques et parfaitement transparentes, à la différence du système antérieur qui résultait de contrats passés directement entre Gasunie et les producteurs néerlandais d'ammoniac. D'autre part, comme le tarif E, le tarif F est également applicable par usine. Enfin, le tarif F est, comme les tarifs A à E, accessible à tous les clients qui remplissent les conditions objectives d'application.

16. Ainsi que les requérantes l'ont affirmé, le tarif F se distingue des autres tarifs appliqués par Gasunie en ce que l'acheteur satisfaisant aux conditions d'application de ce tarif en bénéficie dès le premier mètre cube consommé. Il ressort cependant de la décision de la Commission du 17 avril 1984 que l'affirmation selon laquelle le tarif F fait partie de la structure générale des tarifs domestiques néerlandais ne constitue pas un motif essentiel de cette décision. Par conséquent, l'erreur commise à cet égard par la Commission ne saurait justifier l'annulation de la décision de la Commission.

17. Il s'ensuit que le premier moyen des requérantes doit être rejeté.

Sur la spécificité sectorielle du tarif F

18. Les requérantes allèguent que le tarif F a été institué à l'intention des seuls producteurs néerlandais d'ammoniac et qu'il comporte, dès lors, une spécificité sectorielle et un caractère discriminatoire.

19. A cet égard, elles font valoir que les conditions d'accès au tarif F ont été délibérément choisies de manière à favoriser les producteurs néerlandais d'ammoniac destiné à la fabrication d'engrais azotés, puisque seul ce type d'entreprise serait en mesure de consommer au moins 500 millions de m3 de gaz par an et remplirait, en outre, la condition relative au facteur de charge exigé, à savoir 90 %.

20. La Commission conteste cet argument en relevant qu'il existe un contrat souscrit, pour l'application de ce tarif, entre Gasunie et une entreprise non productrice d'ammoniac. Or, dès lors que ce tarif serait généralisé, il n'y aurait, de toute façon, plus d'aide.

21. A cet égard, il convient de rappeler que l'article 92 du traité ne s'applique qu'aux aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État qui favorisent certaines entreprises ou certaines productions.

22. En l'espèce, il y a lieu de constater que la circonstance qu'une entreprise qui ne fait pas partie du secteur de la production d'ammoniac bénéficie du tarif F n'infirme pas la constatation selon laquelle c'est ledit secteur qui est essentiellement visé par ce tarif. En effet, le rapport d'expertise fait apparaître que les producteurs néerlandais d'ammoniac, qui bénéficiaient de l'ancien système tarifaire, continuent, dans leur ensemble, à profiter de ce tarif. Il résulte, au surplus, de ce rapport que, pour quatre de ces producteurs, le bénéfice du tarif F est maintenu bien que leur consommation soit inférieure à 500 millions de m3 de gaz par an. En outre, il faut ajouter que, selon le rapport d'expertise, Gasunie s'était, par lettre du 23 juin 1986 adressée à la compagnie néerlandaise de l'azote (Nederlandse Stikstof Maatschappij NV), engagée à réexaminer le niveau de la remise du tarif F si le nouveau prix du gaz risquait de porter atteinte à sa compétitivité.

23. Il résulte des considérations qui précèdent que le moyen des requérantes, selon lequel le tarif F revêt un caractère sectoriel en ce qu'il s'applique à certaines entreprises, à savoir les producteurs néerlandais d'ammoniac, doit être retenu.

Sur la valeur des économies que les contrats conclus sous tarif F offrent à Gasunie

24. Dans sa lettre du 24 avril 1984, par laquelle elle a informé les requérantes de la décision attaquée, la Commission a fait valoir, notamment, que la différence de prix de 5 cents/m3 entre les tarifs E et F était justifiée par la différence de coût du service fourni. Pour expliquer cette différence de coût, la Commission a invoqué les économies considérables de fournitures qui découlaient, pour Gasunie, de l'importance du facteur de charge et des conditions de fourniture présentées par les très grands utilisateurs industriels. Selon la Commission, le niveau de prix du tarif F ne couvrait pas la valeur des économies de fournitures que ces contrats offraient à Gasunie.

25. Dans la réponse qu'elle a donnée le 1er avril 1986 à la question qui lui avait été posée par la Cour, la Commission a précisé les raisons pour lesquelles la différence entre les tarifs E et F ne couvrait pas la valeur totale des économies que ces contrats offrent à Gasunie. Elle a expliqué, à cet égard, que la réduction de prix par rapport au tarif E était de 5 cents/m3, alors que la valeur totale des économies était de l'ordre de 5,5 à 7 cents/m3, comme détaillée ci-dessous :

Conditions objectives Économies (cents/m3)

Volume consommé et régularité

des enlèvements 3

Interruption des livraisons 1-2

Variation de la qualité du gaz 1, 5-2

Total 5, 5-7

26. Les requérantes soutiennent au contraire, sur la base du rapport établi par un expert français dans le domaine du gaz naturel, que le montant de la différence objectivement justifiée entre le tarif E et le tarif F devrait être de l'ordre de 1 cent/m3 et ne saurait être supérieur à 1,60 cent/m3. L'aide s'élèverait donc à 4 ou, au moins, à 3,40 cents/m3. Dans ces conditions, la conclusion de la Commission, selon laquelle la différence de prix de 5 cents/m3 entre les tarifs E et F est compatible avec la différence de coût du service fourni, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

27. Pour vérifier le bien-fondé de l'argumentation indiquée ci-dessus, il convient de déterminer la valeur des économies, en termes de coût des services fournis, que Gasunie peut réaliser lorsqu'elle fournit du gaz naturel aux entreprises susceptibles de remplir les conditions posées pour l'accès au tarif F.

28. Devant les appréciations contradictoires formulées par la Commission et les requérantes quant à la valeur des économies susceptibles de résulter, pour Gasunie, des conditions posées pour l'accès au tarif F (volume consommé et facteur de charge, possibilité d'interruption des livraisons et substituabilité), la Cour a décidé d'avoir recours à l'aide d'experts économiques indépendants des parties. Il convient, dès lors, d'apprécier l'argumentation des parties à la lumière des conclusions du rapport de ces experts.

a) Sur les économies dues au volume de gaz consommé et au facteur de charge

29. La Commission estime que les économies sur les coûts de fourniture qu'offrent les contrats conclus aux fins d'application du tarif F à Gasunie par rapport à ceux correspondant à l'application du tarif E du fait du volume de gaz consommé et de la régularité des enlèvements (facteur de charge) doivent être évaluées à 3 cents/m3.

30. Les experts ont estimé que les économies dues au volume et au facteur de charge des consommateurs du tarif F par rapport à celles réalisées par les consommateurs au tarif E se situent dans la fourchette approximative d'économies suivantes (en cents/m3):

- pour un volume de gaz fourni (minimum : 600 x 106 m3/an): 0,07-0, 242;

- pour la régularité (facteur de charge): 0,273-0, 512.

Ils ont précisé, en outre, que les économies totales correspondant au volume et au facteur de charge doivent être inférieures à la somme des valeurs les plus élevées indiquées ci-dessus et seraient de l'ordre de 0,754, compte tenu des relations entre le facteur de charge et le volume consommé par les clients soumis au tarif F comparés aux clients soumis au tarif E.

31. Au vu de la motivation détaillée et cohérente, basée sur des données précises de l'expertise, il y a lieu de constater que, en évaluant les économies résultant du volume consommé et du facteur de charge à 3 cents/m3, la Commission a surévalué ces économies, selon un montant cinq fois trop élevé par rapport à l'estimation contenue dans le rapport d'expertise.

32. Il s'ensuit que la Commission a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des faits sur ce point.

b) Sur les économies dues à la possibilité d'interrompre les livraisons de gaz

33. Les requérantes considèrent que, dans les conditions du marché aux Pays-Bas, l'hypothèse que Gasunie puisse se trouver obligée d'interrompre les livraisons ne correspond pas à la réalité, puisque ses capacités de production et de transfert sont telles qu'elles lui permettent de faire face à toute demande exceptionnelle à cet égard.

34. Les requérantes soutiennent, en outre, que la possibilité d'interruption des livraisons n'est pas génératrice d'économies pour Gasunie, que celle-ci ne donne lieu à aucun rabais pour les autres clients et que l'octroi d'un rabais à ce titre aux producteurs néerlandais d'ammoniac en général ne saurait d'ailleurs trouver de justification.

35. La Commission affirme que la possibilité d'interruption des livraisons n'est pas théorique, puisqu'un producteur d'ammoniac a été partiellement privé d'approvisionnements en gaz au cours de l'hiver 1983-1984. Elle soutient, ensuite, que cette possibilité réduit la nécessité pour Gasunie d'investir dans des systèmes de sécurité supplémentaires et présente donc pour elle une économie certaine. La Commission estime que la valeur des économies que présente pour Gasunie la clause d'interruptibilité figurant dans les contrats soumis au tarif F se situe entre 1 et 2 cents/m3.

36. Il ressort du rapport d'expertise que les conditions de livraison de gaz aux Pays-Bas, précisées dans un contrat général, sont, en principe, les mêmes pour tous les types de consommateurs industriels. Il existe, toutefois, des conditions spéciales pour les clients bénéficiant du tarif F.

37. Il convient, dès lors, de vérifier s'il existe des différences dans l'exercice du droit de Gasunie d'interrompre l'approvisionnement des deux groupes de clients.

38. Le contrat général, qui comprend également le tarif E, prévoit, à cet égard, que "s'il s'avère nécessaire de réduire ou d'interrompre la consommation de gaz par suite de difficultés de fourniture, le fournisseur sera autorisé à donner des instructions à ce sujet et le client se verra forcé de s'y conformer ". Les conditions spéciales correspondantes, figurant dans le contrat sous tarif F, sont les suivantes : "A la première demande de Gasunie, le client sera obligé, selon le cas, de réduire ou d'arrêter son enlèvement, conformément aux indications de Gasunie. Au cas où Gasunie exercerait ce droit, le client ne serait pas en mesure de faire appel de cette décision pour traitement inégal. Gasunie s'efforcera autant que possible de notifier au client une telle demande de diminution ou d'arrêt de la consommation, au moins 12 heures à l'avance. Tout non-enlèvement dû à la mise en application de cet article sera considéré comme un cas de force majeure pour le client."

39. Il découle de ce qui précède que les clients bénéficiant du tarif E sont soumis pour l'essentiel aux mêmes obligations que les bénéficiaires du tarif F en cas d'exercice par Gasunie de son droit d'interrompre la livraison de gaz.

40. Il convient, en outre, de constater, ainsi que les requérantes le signalent, que si Gasunie devait chercher des possibilités d'interrompre ses livraisons, elle devrait s'adresser en priorité aux industriels utilisant le gaz comme combustible. En effet, ceux-ci disposent, le plus souvent, d'équipements qui leur permettent de remplacer le gaz par un autre combustible. Au contraire, les producteurs d'ammoniac utilisent le gaz comme matière première et n'ont d'autre possibilité que d'arrêter leur fabrication si leur approvisionnement en gaz est interrompu.

41. En ce qui concerne, par ailleurs, l'affirmation de la Commission selon laquelle un producteur d'ammoniac s'est vu interrompre partiellement ses livraisons de gaz par Gasunie, il y a lieu d'observer que la Commission n'a pas apporté la preuve de cette affirmation et que les experts ont constaté que Gasunie n'a interrompu la livraison à aucun producteur d'ammoniac, même durant l'hiver particulièrement rigoureux de 1984-1985.

42. A la lumière de ces considérations, il faut constater qu'il n'y a pas, pour Gasunie, d'avantage économique provenant des clauses spéciales d'interruptibilité du tarif F. Il s'ensuit que, en estimant que cet avantage représentait 1 à 2 cents/m3, la Commission a commis également une erreur manifeste d'appréciation des faits.

c) Sur les économies dues à la substituabilité des gaz (possibilité de varier le pouvoir calorifique du gaz livré)

43. Les requérantes font valoir que la substituabilité ne permet pas une économie de coût importante parce que, en raison des réglages longs et minutieux qu'elle nécessite, le passage d'un gaz à un autre ne peut être fait que pour une longue période et est, dès lors, réalisable pour tous les secteurs de l'industrie.

44. La Commission considère que, dans la mesure où la substituabilité n'est possible ni pour la consommation domestique ni pour l'exportation, mais qu'une certaine substituabilité est nécessaire à Gasunie pour diminuer ses frais de stockage de gaz H, la livraison à de très gros consommateurs, à savoir les souscripteurs du tarif F, lui permettrait de diminuer ses frais. La Commission situe cette économie de coût entre 1,5 et 2 cents/m3.

45. En ce qui concerne la possibilité pour Gasunie de faire le transfert vers des qualités de gaz s'écartant des spécifications mentionnées dans le contrat, il y a lieu de constater que si, comme l'indique le rapport d'expertise, il est exact que, à la différence des clients soumis au tarif F, les clients soumis au tarif E doivent être consultés par Gasunie afin d'arriver par accord mutuel à une solution raisonnable, il n'en reste pas moins que, d'après les experts, un certain nombre d'abonnés soumis aux tarifs E et F sont alimentés à partir du même point d'alimentation et sont donc soumis aux mêmes conditions du point de vue des possibilités de substitution.

46. Selon les renseignements fournis par les experts, les clients soumis au tarif F ne peuvent pas tous être alimentés alternativement en gaz G ou en gaz H parce que les conditions de raccordement ne le permettent pas. Ils ont mentionné, en particulier, une usine qui utilise un volume annuel de gaz correspondant à environ 30 % du total des prélèvements au tarif F et qui ne peut être alimentée en gaz H.

47. En revanche, les experts ont constaté que certains industriels qui ne bénéficient pas du tarif F pouvaient être raccordés aux deux réseaux H et G. En raison de ces considérations, ils ont estimé ne pas devoir identifier un avantage économique provenant des clauses spéciales du tarif F.

48. Sur la base de ces données, il y a lieu de constater que la Commission, en estimant entre 1,5 et 2 cents/m3 les économies de fournitures susceptibles de résulter de la clause de substituabilité, a commis une erreur manifeste d'appréciation.

d) Sur la valeur globale des économies dues aux différentes conditions

49. Il y a lieu de rappeler à ce sujet que, dans l'avis qu'ils ont formulé, à la demande de la Cour, en ce qui concerne la valeur globale des économies sur les coûts de fourniture qui présenteraient pour Gasunie les contrats conclus selon les conditions du tarif F par rapport à ceux conclus selon les conditions du tarif E, les experts ont précisé qu'il a été difficile d'identifier des économies globales d'une valeur supérieure à 0,5 cent/m3, compte tenu, notamment, d'autres facteurs, comme la souplesse de fonctionnement du gisement de Groningue ou les caractéristiques extrêmement favorables du réseau néerlandais, en particulier les bouclages et le grand diamètre des canalisations (jusqu'à 48 pouces) permettant de faire transiter 45 % du débit vers l'exportation, caractéristiques qui fournissent des capacités importantes de stockage.

50. De l'avis des experts, il résulte de ces considérations que les économies sur les charges de Gasunie réalisées grâce aux conditions auxquelles sont soumis les clients du tarif F, par rapport à celles auxquelles sont soumis les clients du tarif E, ont une valeur très inférieure à la différence de prix observée entre ces deux tarifs. Les experts en concluent que les rabais accordés aux clients du tarif F doivent procéder d'autres considérations.

51 Par conséquent, la Commission, en affirmant que la différence de prix de 5 cents/m3 entre les tarifs E et F correspondait à la différence de coût des services fournis, a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des faits. Il y a donc lieu d'accueillir le moyen formulé par les requérantes sur ce point.

52. Il découle de l'ensemble des considérations qui précèdent que la décision de la Commission, du 17 avril 1984, par laquelle celle-ci a clos la procédure engagée au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE à l'encontre du système tarifaire du prix du gaz naturel aux Pays-Bas, décision portée à la connaissance des requérantes par lettre de la Commission du 24 avril 1984, doit être annulée.

Sur les dépens

53. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris les deux tiers de ceux exposés à l'occasion de l'expertise effectuée conformément à l'ordonnance du 27 février 1986.

54. Toutefois, aux termes du paragraphe 4 du même article, la partie qui se désiste est condamnée aux dépens, sauf si ce désistement est justifié par l'attitude de l'autre partie. La Compagnie française de l'azote (Cofaz) SA s'est désistée du recours par lettre déposée au greffe le 29 décembre 1987, c'est-à-dire postérieurement à l'arrêt interlocutoire du 28 janvier 1986 (169-84, précité) et postérieurement au dépôt du rapport d'expertise (23 décembre 1987). Il y a lieu de constater que ce désistement n'est pas justifié par l'attitude de la Commission, mais motivé uniquement par des raisons qui sont propres à la société concernée. Il convient donc de condamner ladite requérante à un tiers des dépens encourus par la Commission jusqu'à son désistement, y inclus un tiers de ceux dus en raison de l'expertise susmentionnée.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

déclare et arrête :

1) La décision de la Commission du 17 avril 1984, par laquelle celle-ci a clos la procédure engagée au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE à l'encontre du système tarifaire du prix du gaz naturel aux Pays-Bas, décision portée à la connaissance des requérantes par lettre de la Commission du 24 avril 1984, est annulée.

2) La Commission est condamnée aux dépens, y compris les deux tiers de ceux exposés à l'occasion de l'expertise effectuée conformément à l'ordonnance du 27 février 1986.

La compagnie française de l'azote (Cofaz) SA est condamnée à un tiers des dépens encourus par la Commission jusqu'à son désistement, y inclus un tiers de ceux dus en raison de l'expertise susmentionnée.