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Décisions

CJCE, 3 octobre 1991, n° C-261/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République italienne

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, O'Higgins, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias

Avocat général :

M. Van Gerven

Juges :

MM. Slynn, Schockweiler, Grévisse, Zuleeg

Avocat :

Me Ferri

CJCE n° C-261/89

3 octobre 1991

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 août 1989, la République italienne a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation de la décision 90-224-CEE de la Commission, du 24 mai 1989, concernant les aides accordées par le Gouvernement italien à Aluminia et Comsal, deux entreprises publiques du secteur de l'aluminium. Cette décision, notifiée au Gouvernement italien par lettre du 7 juin 1989, a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 9 mai 1990 (JO L 118, p. 42).

2. Par cette décision, la Commission a constaté que :

"Les deux aides sous forme de prêts sans intérêt qui doivent être convertis en capital, d'un montant de 70 milliards de LIT et 30 milliards de LIT, que le Gouvernement italien a accordées aux entreprises Aluminia et Comsal sont incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE, parce que ces aides ont été octroyées en violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité CEE, et des conditions prévues par la décision de la Commission du 17 décembre 1986."

3. Il ressort du dossier que les autorités italiennes ont soumis à la Commission un plan de réorganisation et d'assainissement de l'industrie de l'aluminium à participation d'État pour la période 1983-1988 ("plan aluminium"). La Commission a ouvert la procédure de l'article 93, paragraphe 2, à l'égard des aspects financiers de ce plan. Par décision en date du 17 décembre 1986, elle a clos la procédure et autorisé les aides prévues, après avoir constaté que le montant des apports en capital était réduit à la somme de 989 milliards de LIT. Elle a, en outre, invité le Gouvernement italien à s'abstenir d'octroyer d'autres aides, sous quelque forme que ce soit, au groupe à participation d'État du secteur de l'aluminium jusqu'à la fin de 1988.

4. Le 18 septembre 1987, les autorités italiennes ont décidé d'autoriser l'EFIM (Ente partecipazione e finanziamenti industrie manifatturiere) à effectuer une émission obligataire à la charge de l'État, dont les recettes seraient affectées, à hauteur de 100 milliards de LIT, au financement des investissements dans les sociétés Aluminia (70 milliards de LIT) et Compagnia Sarda Alluminio (ci-après "Comsal"; 30 milliards de LIT). Ayant eu connaissance de ce fait, la Commission a demandé au Gouvernement italien de lui notifier ses interventions financières. Ce Gouvernement lui a fourni par lettre du 29 mars 1988 des renseignements à cet égard. Sur la base de ces renseignements la Commission a décidé d'ouvrir la procédure qui a abouti à la décision attaquée.

5. Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

6. Le Gouvernement italien a invoqué trois moyens à l'appui de son recours. Par le premier, il a fait valoir que les apports financiers mis en cause auraient respecté le plafond de 989 milliards de LIT autorisé par la décision de la Commission du 17 décembre 1986. Le deuxième moyen est tiré de l'inexistence d'une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE. Enfin, le troisième moyen est fondé sur le fait que la Commission aurait omis d'apprécier la compatibilité des apports financiers avec le marché commun dans le cadre des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité. Au cours de l'audience le Gouvernement italien s'est désisté du premier moyen qui n'a donc pas à être examiné.

Sur le moyen tiré de l'inexistence d'une aide d'État, au sens de l'article 92 du traité

7. Le Gouvernement italien estime que la Commission n'a pas appliqué correctement le critère de la comparaison de l'attitude de l'État avec celle d'un investisseur privé pour apprécier l'existence d'une aide au sens de l'article 92 du traité. Il relève que la Commission a pris seulement en considération les pertes et l'endettement global subis par Aluminia et Comsal au cours des années 1985 à 1987, sans accorder aucune importance au fait qu'en 1988, Aluminia a clôturé son bilan par un bénéfice net, et que Comsal a réduit progressivement ses pertes, ce qui, selon lui, était prévisible à la date où ces entreprises ont bénéficié des sommes litigieuses. La Commission n'aurait pas non plus, d'après le Gouvernement italien, pris en considération le fait que ces sommes étaient destinées à des projets spécifiques d'investissement productif. Enfin, le Gouvernement italien souligne que, en ne tenant pas compte de ce qu'une entreprise privée appartenant à un groupe de dimension importante pourrait compter sur la capacité de financement du groupe, la Commission n'aurait pas assuré une application correcte du principe d'égalité entre entreprises privées et entreprises publiques.

8. Face à ces arguments, il convient de rappeler d'abord que, selon une jurisprudence constante, l'intervention des pouvoirs publics dans le capital d'une entreprise, sous quelque forme que ce soit, peut constituer une aide étatique lorsque les conditions visées à l'article 92 du traité sont remplies et que, en vue de déterminer si de telles interventions présentent le caractère d'aides étatiques, il y a lieu d'apprécier si, dans des circonstances similaires, un investisseur privé d'une taille qui puisse être comparée à celle des organismes gérant le secteur public, aurait pu être amené à procéder à des apports de capitaux de la même importance (arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission, points 18 et 19, C-305-89, dit "Alfa Romeo", Rec. p. I-1603).

9. Contrairement à ce que le Gouvernement italien soutient, la circonstance qu'une intervention financière soit destinée à des investissements productifs n'exclut pas à elle seule la nature d'aide d'une telle intervention dès lors que, compte tenu de la situation de l'entreprise, il apparaît comme invraisemblable qu'un investisseur privé aurait effectué un tel apport de moyens financiers.

10. Il ressort de la décision attaquée, qui, sur ce point, n'a pas été contestée, que les entreprises bénéficiaires des opérations litigieuses avaient subi, de 1985 à 1987, soit pendant la période précédant immédiatement les opérations litigieuses, des pertes continues et importantes, à savoir 77,8; 57,5 et 98,3 milliards de LIT pour Aluminia et, pour Comsal, 14,2; 10,2 et 9,4 milliards de LIT. En outre leur situation financière était caractérisée par un fort volume d'endettement, qui en 1987 atteignait 133 % du chiffre d'affaires d'Aluminia et 142 % du chiffre d'affaires de Comsal.

11. Toutefois, le Gouvernement italien fait valoir qu'au cours de l'année 1988 Aluminia a clôturé son bilan par un bénéfice net de 7 milliards de LIT et que Comsal a réduit ses pertes de moitié. Il relève en outre que ces résultats étaient déjà prévisibles en septembre 1987, date des apports financiers.

12. A supposer même que, comme le Gouvernement italien le soutient, ces résultats fussent déjà prévisibles au moment des opérations de financement en cause, il convient de relever que de telles prévisions n'étaient pas de nature à entraîner un investisseur privé à engager des sommes d'une telle importance. Par ailleurs celles-ci doivent être appréciées dans le contexte de l'ensemble des opérations effectuées par le Gouvernement italien au cours des années 1983 à 1988.

13. Pour ce qui est en particulier de Comsal, il suffit de relever que la circonstance que ses pertes aient été réduites au cours de l'année 1988 ne modifie pas la constatation que cette entreprise a subi des pertes continues et importantes de façon ininterrompue depuis 1982.

14. Pour ce qui concerne Aluminia, il y a lieu de souligner que le résultat positif de 7 milliards de LIT, à supposer qu'il ait été prévisible, n'aurait pas suffi à inciter un hypothétique investisseur privé à effectuer l'apport de capital en cause, car un tel résultat est encore trop faible pour contrecarrer l'écrasant volume de l'endettement, égal à presque une fois et demie son chiffre d'affaires, et les pertes accablantes dont l'accumulation depuis 1982 a atteint 929,8 milliards de LIT, et qui représentaient encore 98,3 milliards de LIT pour la seule année 1987, soit l'année précédant immédiatement celle où le résultat positif est apparu.

15. Pour ce qui est de l'argument tiré du principe d'égalité entre entreprises privées et entreprises publiques, il convient de rappeler que, comme la Cour l'a relevé dans l'arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission, point 20 (C-303-88, dit "ENI-Lanerossi", Rec. p. I-1433), il résulte dudit principe d'égalité de traitement que les capitaux mis à la disposition d'une entreprise, directement ou indirectement, par l'État, dans des circonstances qui correspondent aux conditions normales du marché, ne sauraient être qualifiés d'aides d'État. Or, compte tenu des données relevées ci-dessus, on ne saurait soutenir que les entreprises en cause ont reçu les capitaux qui ont été mis à leur disposition dans des circonstances qui correspondraient aux conditions normales du marché.

16. Il résulte de ce qui précède que les interventions financières en cause constituent des aides d'État au sens de l'article 92 du traité CEE. Il y a donc lieu de rejeter le premier moyen.

Sur le moyen tiré de l'omission d'apprécier la compatibilité des interventions financières discutées avec le marché commun dans le cadre des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3, sous c)

17. Le Gouvernement italien fait valoir que la Commission aurait dû apprécier comme elle l'avait fait pour le plan aluminium, dans le cadre duquel s'inscriraient les aides litigieuses, si ces dernières étaient compatibles avec le marché commun sur le fondement de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité CEE. A l'appui de cette prétention le Gouvernement italien soutient, d'abord, que la Commission ne peut pas, au titre de l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité, prendre une décision qui se limite à constater le manquement à des obligations imposées par une décision précédente. En vue d'une telle constatation elle ne pourrait que saisir la Cour au titre du deuxième alinéa du même paragraphe. Le Gouvernement italien estime, ensuite, que la décision du 17 décembre 1986 ne contenait qu'une invitation et non pas une obligation contraignante de ne pas accorder de nouvelles aides. Il ajoute, enfin, que cette décision ne pouvait pas comporter une interdiction absolue d'aides futures, lesquelles devraient au contraire être appréciées par rapport à leur finalité ainsi qu'à la situation économique du marché commun au moment où elles seraient octroyées.

18. Il y a lieu de relever d'abord que, dans la mesure où ce moyen vise à mettre en cause la décision du 17 décembre 1986, qui, n'ayant pas été attaquée dans les délais, est devenue définitive, il est irrecevable.

19. Il y a lieu de relever ensuite qu'on ne saurait accueillir l'argument du Gouvernement italien selon lequel la condition, imposée par la décision du 17 décembre 1986, de s'abstenir d'octroyer de nouvelles aides jusqu'à la fin de l'année 1988 n'est pas contraignante. En effet, il convient de souligner que la décision du 17 décembre 1986 répondait à un engagement préalable du Gouvernement italien de réduire les apports de capital qu'il avait prévus et qu'elle clôturait de ce fait la procédure. Dans ce contexte, nonobstant le fait que la Commission ait utilisé le terme "invite", une telle condition ne pouvait être que contraignante.

20. En ce qui concerne l'argument selon lequel la Commission, pour constater la violation de la décision précédente, aurait dû saisir la Cour, il y a lieu de relever d'abord que, lorsque la Commission examine la compatibilité d'une aide d'État avec le marché commun, elle doit prendre en considération tous les éléments pertinents, y compris le cas échéant le contexte déjà apprécié dans une décision antérieure ainsi que les obligations que cette décision précédente a pu imposer à un État membre. En l'espèce on ne saurait reprocher à la Commission d'avoir apprécié la nouvelle aide dans le contexte de l'ensemble des aides à l'industrie de l'aluminium, comme l'a fait d'ailleurs le Gouvernement italien lui-même dans ses observations au cours de la phase précontentieuse.

21. En outre, la procédure d'examen des aides au titre de l'article 93, paragraphe 2, permet d'apprécier tout nouvel élément de fait de nature à modifier l'appréciation de la Commission, compte tenu de la finalité des nouvelles aides ainsi que de toutes les circonstances économiques pertinentes au moment où les aides sont accordées.

22. Il y a lieu de constater qu'en l'espèce le Gouvernement italien n'a fourni, à aucun moment de la procédure, d'éléments nouveaux de nature à modifier l'appréciation que la Commission avait déjà portée dans sa décision du 17 décembre 1986. Il s'est borné, sans apporter aucun argument, à demander que les nouvelles aides fussent appréciées à la lumière de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité CEE.

23. Il s'ensuit que, dès lors que la Commission n'avait obtenu, lorsqu'elle a pris la décision litigieuse, aucun élément nouveau lui permettant d'apprécier si les aides en cause pouvaient bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, elle était fondée à baser sa décision sur les appréciations qu'elle avait déjà portées dans la décision précédente et sur l'inobservation de la condition qu'elle y avait imposée.

24. Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen doit également être rejeté.

25. Par conséquent il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

Sur les dépens

26. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République italienne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête :

1°) Le recours est rejeté.

2°) La République italienne est condamnée aux dépens.