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Décisions

CJCE, 14 septembre 1994, n° C-278/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Royaume d'Espagne

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Edward

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Joliet, Schockweiler, Rodríguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg, Murray

Avocats :

Mes Silva de Lapuerta, Calvo Diaz, Bravo-Ferrer Delgado.

CJCE n° C-278/92

14 septembre 1994

LA COUR,

1. Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 19 juin 1992, le Royaume d'Espagne a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation des articles 2, 3, 4 et 5 de la décision 92-317-CEE de la Commission, du 25 mars 1992, concernant les aides accordées par l'Espagne à Hilaturas y Tejidos Andaluces SA (ci-après "Hytasa"), aujourd'hui appelée Mediterráneo Técnica Textil SA, et à son acquéreur (JO L 171, p. 54), des articles 2, 3, 4 et 5 de la décision 92-318-CEE de la Commission, du 25 mars 1992, concernant les aides accordées par l'Espagne à la société Industrias Mediterráneas de la Piel SA (Imepiel) (JO L 172, p. 76), et des articles 2, 3, 4 et 5 de la décision 92-321-CEE de la Commission, du 25 mars 1992, concernant l'aide accordée par l'Espagne à la société Intelhorce SA (ex-Industrias Textiles Guadalhorce SA), aujourd'hui appelée GTE, General Textil España SA, entreprise publique, productrice de textiles de coton (JO L 176, p. 57).

2. Ayant appris entre 1987 et 1989 que, par le biais du Patrimonio del Estado (Office de la propriété d'État du ministère de l'Économie et des Finances), les autorités espagnoles avaient consenti des apports en capital à trois sociétés appartenant à l'État espagnol, dont deux opérant dans le secteur du textile (Hytasa et Intelhorce) et une dans le secteur de la chaussure (Imepiel), la Commission a engagé des procédures pour apprécier la compatibilité de ces interventions avec les articles 92 et 93 du traité.

3. Il résulte des constatations de la Commission qu'entre 1986, date de l'adhésion de l'Espagne à la Communauté, et 1989, l'État a apporté 7 100 millions de PTA à Hytasa, 6 029 millions de PTA à Imepiel et 7 820 millions de PTA à Intelhorce au moyen d'augmentations de capital destinées à couvrir des pertes d'exploitation. Face à cette situation durablement déficitaire, l'État espagnol a décidé de privatiser les trois entreprises.

4. Les conditions de vente prévoyaient notamment:

- dans le cas de la société Hytasa, une augmentation de capital de 4 300 millions de PTA par le Patrimonio del Estado, lors de la vente, pour améliorer la situation financière de cette entreprise, pour réaliser des investissements et pour financer des licenciements, et un prix de vente de 100 millions de PTA pour l'ensemble des actions;

- dans le cas d'Imepiel, une injection de capital de 8 500 millions de PTA par le Patrimonio del Estado, lors de la vente, pour améliorer la situation financière de la société, pour réorganiser la main-d'œuvre et pour effectuer les investissements adéquats en matière d'équipement, et un prix de vente de 100 millions de PTA;

- dans le cas d'Intelhorce, une augmentation de capital de 5 869 millions de PTA par le Patrimonio del Estado et un prix de vente de 2 000 millions de PTA, à régler en trois versements avant la conclusion de la vente.

5. Ces nouvelles augmentations de capital effectuées, les contrats de vente ont été signés respectivement le 22 juillet 1990 (Hytasa), le 3 février 1990 (Imepiel) et le 4 août 1989 (Intelhorce). Ils prévoyaient en outre l'engagement des acquéreurs de ne pas vendre les sociétés pendant des périodes de trois à quatre ans.

6. Par les trois décisions attaquées, la Commission a déclaré illégales les aides fournies entre 1986 et 1989, au motif qu'elles avaient été accordées en violation des règles de procédure prévues à l'article 93, paragraphe 3, du traité. Elle a toutefois estimé que ces aides satisfaisaient aux conditions de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, et qu'elles étaient donc compatibles avec le marché commun (article 1er de chacune des décisions).

7. En revanche, en ce qui concerne les augmentations de capital effectuées au profit des trois sociétés lors de leur privatisation (moins le montant du prix de vente), la Commission a décidé qu'il s'agissait d'aides non seulement accordées en violation des règles de procédure de l'article 93, paragraphe 3, du traité, mais de surcroît ne satisfaisant à aucune des conditions des exceptions prévues à l'article 92, paragraphes 2 et 3, du traité, et qu'elles étaient donc incompatibles avec le marché commun (article 2 de chacune des décisions).

8. La Commission a demandé que ces aides soient restituées conformément aux procédures et dispositions de la législation nationale (article 3 de chacune des décisions).

9. Selon l'article 4 de la décision 92-317 relative à Hytasa, aucun accord prévoyant l'indemnisation des acheteurs par l'État ou par le Patrimonio del Estado ne peut être exécuté comme conséquence de l'obligation de restitution de l'aide imposée par les décisions.

10. Enfin, l'article 5 de la même décision et l'article 4 de chacune des décisions 92-318 et 92-321 relatives respectivement à Imepiel et Intelhorce imposent au Gouvernement espagnol l'obligation d'informer la Commission des mesures prises.

11. Le Royaume d'Espagne fait valoir que les décisions litigieuses ont été prises en violation des articles 92 et 93 du traité. Il invoque à cet égard différents moyens tirés de l'illégalité de la constatation de la Commission selon laquelle le Royaume d'Espagne aurait violé les règles de procédure prévues à l'article 93, paragraphe 3, du traité, de la violation de l'article 92, paragraphes 1 et 3, sous a) et c), du traité, de la violation de l'article 190 du traité et de l'illégalité de l'obligation de restitution.

Sur l'illégalité de la constatation de la Commission selon laquelle le Royaume d'Espagne aurait violé l'article 93, paragraphe 3, du traité

12. Dans l'affaire C-278-92, le Royaume d'Espagne soutient que l'intervention financière de l'État lors de la privatisation d'Hytasa n'était pas illégale, car elle était accordée en conformité avec les dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité. Selon lui, les éléments essentiels de l'aide ont été notifiés à la Commission au moyen des documents transmis les 30 mai et 25 juin 1990, c'est-à-dire avant leur mise à exécution le 25 juillet 1990 et avant que ne soit notifiée, le 3 août 1990, la décision d'engager la procédure visée à l'article 93, paragraphe 2, du traité.

13. Aux termes de l'article 93, paragraphe 3, du traité, "la Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 92, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale".

14. Il résulte de la jurisprudence de la Cour que l'objectif de cette disposition, qui tend à prévenir la mise en vigueur d'aides contraires au traité, implique que l'interdiction énoncée à cet égard par la dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3, produise ses effets tout au long de la phase préliminaire, estimée par la Cour à deux mois (arrêts du 11 décembre 1973, Lorenz, 120-73, Rec. p. 1471, point 4, et du 20 mars 1984, Allemagne/Commission, 84-82, Rec. p. 1451, point 11).

15. Ce délai n'étant pas expiré en l'espèce, le Royaume d'Espagne ne pouvait pas, sans violer l'article 93, paragraphe 3, du traité, procéder à l'exécution de l'aide litigieuse.

16. Le premier moyen soulevé par le Royaume d'Espagne doit par conséquent être rejeté.

Sur la violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité

17. Le Royaume d'Espagne soutient dans les trois affaires que les apports en capital consentis aux entreprises en cause ne constituent pas des aides au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Il estime que la Commission a fait une application incorrecte du critère de l'investisseur privé, tel qu'il a été élaboré par la Cour (arrêts du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 234-84, Rec. p. 2263, points 14 et suivants, et 40-85, Rec. p. 2321, points 13 et suivants; arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission, C-305-89, Rec. p. I-1603, points 19 et suivants). En particulier, il conteste la conclusion de la Commission selon laquelle la privatisation des entreprises n'était pas la solution économiquement la plus avantageuse.

18. Dans le cas de l'entreprise Hytasa, le Royaume d'Espagne fait notamment valoir que les coûts de liquidation de cette entreprise auraient été nettement supérieurs aux estimations de la Commission. Or, tandis que la Commission évalue le coût total de la liquidation d'Hytasa à la valeur nette de cette société, la liquidation aurait entraîné un solde négatif pour l'État de 5 312,6 millions de PTA. Pour arriver à ce montant, le Royaume d'Espagne déduit de la valeur ajustée des actifs de la société (8 741,8 millions de PTA) la valeur ajustée de ses engagements (6 388 millions de PTA) et le coût des licenciements de membres du personnel (7 666, 4 millions de PTA). Le plan de privatisation aurait donc été profitable au Patrimonio del Estado.

19. Dans le cas des entreprises Imepiel et Intelhorce, le Royaume d'Espagne fait notamment valoir que leur liquidation aurait entraîné des coûts très supérieurs résultant notamment du licenciement de 1 450 travailleurs (Imepiel) et de 1 671 travailleurs (Intelhorce) coûts s'établissant respectivement à 7 900 millions et 11 362, 8 millions de PTA, des salaires et prestations de chômage à la charge de l'État (3 000 millions en ce qui concerne Intelhorce), de la perte des actifs des entreprises, des aides pour la régénération du tissu industriel, etc.

20. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que l'intervention des pouvoirs publics dans le capital d'une entreprise, sous quelque forme que ce soit, peut constituer une aide étatique lorsque les conditions visées à l'article 92 du traité sont remplies (arrêt Italie/Commission, précité, point 18).

21. En vue de déterminer si de telles mesures présentent le caractère d'aides étatiques, il y a lieu d'apprécier si, dans des circonstances similaires, un investisseur privé d'une taille qui puisse être comparée à celle des organismes gérant le secteur public aurait pu être amené à procéder aux apports de capitaux de cette importance (même arrêt, point 19).

22. A cet égard, il faut établir une distinction entre les obligations que l'État doit assumer en tant que propriétaire actionnaire d'une société et les obligations qui peuvent lui incomber en tant que puissance publique. Les trois sociétés en cause ayant été constituées sous forme de société anonyme, le Patrimonio del Estado en tant que propriétaire actionnaire de ces sociétés n'était responsable de leurs dettes qu'à concurrence de la valeur de liquidation de leurs actifs. Cela signifie en l'espèce que les obligations résultant des coûts du licenciement des travailleurs, du paiement des allocations de chômage et des aides pour la reconstitution du tissu industriel ne doivent pas être prises en considération pour l'application du critère de l'investisseur privé.

23. Dans ces conditions, il convient de rejeter l'argument avancé par le Royaume d'Espagne.

24. Le Royaume d'Espagne souligne ensuite, à propos des coûts politiques, sociaux et économiques toujours entraînés par la fermeture d'entreprises de plus de 1 000 salariés dans des zones socialement en crise, que l'image de marque du Patrimonio del Estado, en tant qu'actif incorporel, pouvait se trouver gravement affectée par une telle opération.

25. Selon la jurisprudence de la Cour (arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission, C-303-88, Rec. p. I-1433, point 21), une société mère peut, pendant une période limitée, supporter les pertes d'une de ses filiales afin de permettre la cessation d'activité de cette dernière dans les meilleures conditions. De telles décisions peuvent être motivées non seulement par la probabilité d'en tirer un profit matériel indirect, mais également par d'autres préoccupations, comme le souci de maintenir l'image de marque du groupe, ou de réorienter ses activités.

26. Cependant, la Commission est fondée à affirmer qu'un investisseur privé poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle, guidée par des perspectives de rentabilité à long terme, ne saurait raisonnablement se permettre, après des années de pertes ininterrompues, de procéder à un apport en capital qui, en termes économiques, s'avère non seulement plus coûteux qu'une liquidation des actifs, mais est en outre lié à la vente de l'entreprise, ce qui lui enlève toute perspective de bénéfice, même à terme.

27. Dans les affaires C-278-92 et C-280-92, concernant respectivement Hytasa et Intelhorce, le Royaume d'Espagne fait valoir en outre que le caractère ouvert et inconditionnel des ventes ne devrait pas susciter de doute, puisque la Commission elle-même reconnaît que les entreprises ont été vendues aux soumissionnaires les plus offrants. Ainsi, dans le cas d'Hytasa, la promotion en vue de la vente aurait été réalisée au moyen d'une brochure par laquelle 160 entreprises, espagnoles et étrangères, étaient invitées à présenter une offre. L'invitation à soumissionner n'aurait été assortie d'aucune condition préalable. Les conditions finalement imposées seraient le fruit de négociations directes avec les soumissionnaires. Ces conditions seraient raisonnables et proportionnées à des objectifs aussi légitimes que la prévention de la spéculation ou l'exécution du plan de restructuration.

28. Au point IV, sixième considérant, de la décision 92-317 et au point V, sixième considérant, de la décision 92-321, la Commission précise, à propos des modalités de vente de chacune des sociétés Hytasa et Intelhorce que

- la société a effectivement été cédée au mieux-disant;

- toutefois, ce fait n'est pas à lui seul suffisant pour garantir qu'aucun élément d'aide d'État n'apparaît dans la vente;

- avant d'en arriver à une telle conclusion, il faut d'abord établir que cette vente a fait l'objet d'une offre ouverte et sans condition; autrement dit, qu'elle a donné lieu à une procédure d'appel d'offres dans laquelle tout acheteur potentiel était invité à soumissionner et que l'État n'imposait aucune condition à la conclusion de la vente;

- à cet égard, les informations fournies par les autorités espagnoles indiquent que l'État a bien imposé certaines conditions aux acheteurs en limitant temporairement leur liberté de disposer des actions acquises et leur droit de demander l'autorisation de procéder à des mises à pied provisoires.

29. Le Royaume d'Espagne n'ayant pas contesté cette dernière affirmation, il convient de rejeter son argumentation sur ce point.

30. Dans l'affaire C-278-92, le Royaume d'Espagne observe encore que le contrat de vente de l'entreprise Hytasa exige de l'acquéreur qu'il renonce formellement à une créance de 822 750 396 PTA détenue par l'entreprise contre le Patrimonio del Estado, qui a été reconnue par un arrêt du Tribunal Supremo du 22 mars 1990, passé en force de chose jugée. Ce montant devrait en tout Etats de cause être déduit de l'apport de 4 200 millions de PTA, puisque cette créance a été abandonnée exclusivement en considération de la vente et a permis d'éviter une dépense publique qui, dans toute autre hypothèse, aurait été inéluctable. Le montant de l'intervention qu'il faudrait par conséquent prendre en compte serait de 3 377, 3 millions de PTA.

31. Cette thèse ne saurait être retenue. Ainsi que la Commission le souligne à juste titre, elle pouvait difficilement déduire de la formule utilisée dans le contrat de vente ("renonciation à des droits éventuels") qu'Hytasa avait une créance de 822 750 396 PTA sur l'État. Étant donné que cet élément n'a pas été avancé au cours de la procédure précontentieuse prévue à l'article 93 du traité, mais qu'il l'a été pour la première fois dans la requête, le Royaume d'Espagne ne saurait s'en prévaloir.

32. Le Royaume d'Espagne relève enfin que la Commission n'a pas établi que les apports en capital effectués par l'administration espagnole en faveur des trois entreprises en cause ont affecté les échanges intracommunautaires. En effet, une influence ne s'exercerait pas automatiquement sur les échanges intracommunautaires, l'existence d'une altération actuelle ou potentielle ou d'une distorsion de la concurrence devant être établie concrètement cas par cas.

33. S'agissant de l'entreprise Hytasa, le Royaume d'Espagne reproche à la Commission de n'avoir pas réussi à démontrer que le marché communautaire des produits finis dérivés de la laine et du coton allait être affecté. La décision attaquée rapporterait toutes ses données, études et analyses au marché des filés et tissés, duquel pourtant Hytasa devait disparaître en tant que fournisseur à partir de la vente, pour se convertir en cliente. En revanche, concernant les produits finis sur lesquels devaient porter les futures productions et ventes d'Hytasa, la Commission se bornerait à se plaindre de l'absence de statistiques.

34. Dans le cas de l'entreprise Imepiel, le Royaume d'Espagne fait valoir que la part du marché détenue par l'entreprise reprivatisée est marginale: 1,5 % du marché national et 0,8 % du marché communautaire, du point de vue de sa capacité, et 0,2 % du marché communautaire, du point de vue de la production; les exportations auraient atteint pour l'année 1988 le chiffre négligeable de 940 millions de PTA. Il fait valoir ensuite que les apports litigieux consentis par le Patrimonio del Estado n'ont provoqué aucune discrimination pour la part du marché occupée par les entreprises concurrentes. En effet, ils visaient à éliminer les charges financières découlant principalement des dettes antérieures et donc à permettre la survie de l'entreprise. Les effets sur les échanges intracommunautaires seraient donc nuls ou minimes.

35. Enfin, s'agissant de l'entreprise Intelhorce, le Royaume d'Espagne fait valoir que la Commission se borne à analyser la situation générale du secteur du textile dans la Communauté, sans mentionner aucune donnée qui reflète la situation du marché espagnol dans le marché communautaire, ou la situation d'Intelhorce, ou encore la part de cette dernière dans l'ensemble du marché commun.

36. Il y a lieu d'observer que les décisions attaquées comportent, autant que nécessaire, un examen des secteurs du textile et de la chaussure.

37. Dans les décisions concernant les entreprises Hytasa et Intelhorce, la Commission relève qu'en 1988, la production totale de textiles dans la Communauté a atteint 86 691 millions d'écus, dont plus de 20 % pour le secteur du coton et plus de 15 % pour celui de la laine. Le commerce intracommunautaire des textiles en coton serait très important, les taux d'exportation intracommunautaires atteignant respectivement 22 %, 34 % et 64 % de la production communautaire pour les produits filés, les produits tissés et les produits finis.

38. D'après la décision concernant l'entreprise Hytasa, celle-ci participe au commerce communautaire à la fois directement, par ses ventes de tissus en laine aux pays tiers, et, indirectement, du fait de la part importante du marché espagnol qu'elle détient pour les produits en laine et en coton. Cela vaut également, d'après les données fournies par le Royaume d'Espagne lui-même, pour les ventes de produits finis en laine et en coton qu'Hytasa envisage de fabriquer après sa privatisation. Quant à Intelhorce, elle participe aux échanges des textiles en coton et occupe une position importante sur le marché espagnol.

39. Dans la décision concernant l'entreprise Imepiel, la Commission fait observer que la production de chaussures de la Communauté s'élève à 1 050 millions de paires de chaussures et accuse une tendance à la baisse qui s'est traduite par une diminution d'environ 15 % depuis 1986. Le volume total du marché serait d'environ 1 290 millions de paires et le commerce intracommunautaire porterait sur environ 440 millions de paires (42 % de la production, 34 % du marché). En 1986, l'Espagne disposait de quelque 14 % du marché de la Communauté en termes de production, dont elle exportait 61 %. Selon la Commission, même si Imepiel ne prend pas une part significative des exportations espagnoles, sa présence artificielle sur le marché espagnol rend la pénétration de ce marché plus difficile pour les autres producteurs de la Communauté.

40. Il résulte de la jurisprudence de la Cour que lorsqu'une aide accordée par l'État renforce la position d'une entreprise par rapport à d'autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l'aide (arrêt du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission, 730-79, Rec. p. 2671, point 11). A cet effet, il n'est pas nécessaire que l'entreprise bénéficiaire participe elle-même aux exportations. En effet, lorsqu'un État membre octroie une aide à une entreprise, la production intérieure peut s'en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d'autres États membres d'exporter leurs produits vers le marché de cet État membre en sont diminuées (arrêt du 13 juillet 1988, France/Commission, 102-87, Rec. p. 4067, point 19).

41. Eu égard aux difficultés spécifiques des marchés des textiles en coton et en laine ainsi que des chaussures, l'affirmation de la Commission selon laquelle toute aide accordée à un concurrent particulier risque de fausser gravement les conditions de concurrence n'apparaît pas erronée.

42. Il convient d'ajouter que l'importance relativement faible d'une aide ou la taille relativement modeste de l'entreprise bénéficiaire n'excluent pas a priori l'éventualité que les échanges entre États membres soient affectés (arrêt du 21 mars 1990, Belgique/Commission, C-142-87, Rec. p. I-959, point 43).

43. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le moyen tiré de la violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité n'est pas fondé et doit, dès lors, être rejeté.

Sur la compatibilité des aides avec le marché commun

a) Sur l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité

44. Dans les affaires C-278-92 et C-280-92, le Royaume d'Espagne relève que tout en admettant que les régions de Séville et Malaga, dans lesquelles se trouvent les entreprises Hytasa et Intelhorce, sont couvertes par l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité, la Commission déclare néanmoins inapplicable cette disposition, en vertu de laquelle peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi. Dans ce contexte, il conteste notamment l'affirmation de la Commission selon laquelle les plans de restructuration n'étaient pas aptes à garantir la viabilité des deux entreprises en cause.

45. S'agissant de l'entreprise Hytasa, le Royaume d'Espagne observe que la préoccupation principale au centre du processus de privatisation était d'assurer la viabilité de l'entreprise par une réorientation substantielle de sa production et de ses ventes grâce à un savoir-faire précieux, à la créativité des dessins, aux innovations techniques et au respect des impératifs de la mode. Le plan de redressement prévoyait une réduction importante de la main-d'œuvre: le nombre des salariés devait être ramené de 1 034 à 720. La société devait réduire sa production de filés et de tissus dans une proportion variant entre 20,8 % et 30,2%. Elle devait complètement abandonner la vente de ces produits, la production étant réservée à la fabrication de produits finis par l'entreprise elle-même; les activités de l'entreprise devaient se concentrer désormais sur la confection de vêtements.

46. En ce qui concerne l'entreprise Intelhorce, le Royaume d'Espagne fait valoir que les acquéreurs se sont engagés à un important effort financier et d'organisation pour rendre l'entreprise viable après en avoir réduit les dimensions, l'élément déterminant de cet effort étant constitué par le savoir-faire des acheteurs. La vente n'avait pas pour but de maintenir la société en vie de manière artificielle, mais bien de garantir son redressement économique, technique et financier. Le plan de redressement prévoyait une réduction de la main-d'œuvre de 40 % et une diminution de la production traditionnelle d'Intelhorce. Ainsi les prévisions de production pour les années 1991 à 1993 représentaient-elles à la fin de la période une réduction de 21 % de la production des filés et apprêts, et une réduction de 50 % de celle de tissus.

47. La Commission soutient en premier lieu dans les décisions litigieuses que les mesures d'aide en cause n'ont pas été consenties dans le cadre de programmes d'aides régionales, mais sur la base de décisions ad hoc du Gouvernement espagnol et sous la forme d'augmentations de capital arbitraires effectuées de manière discrétionnaire. Les aides ne devraient donc pas être considérées comme régionales.

48. A cet égard, il convient d'observer que dans une communication du 3 février 1979 sur les régimes d'aides à finalité régionale (JO C 31, p. 9), à laquelle les décisions 92-317 et 92-321 font référence, la Commission a indiqué que la spécificité régionale est remplie dès lors que les aides régionales accordées dans les régions bénéficiant du concours du Fonds européen de développement régional s'inscrivent en principe dans le cadre de programmes de développement régional au sens de l'article 6 du règlement (CEE) n° 724-75 du Conseil, du 18 mars 1975, portant création dudit Fonds (JO L 73, p. 1). En application de l'article 5 du règlement (CEE) n° 1787-84 du Conseil, du 19 juin 1984 (JO L 169, p. 1), qui a remplacé le règlement précité, le Fonds participe notamment au financement de programmes nationaux d'intérêt communautaire. Un tel programme est défini au niveau national et consiste en un ensemble d'actions cohérentes pluriannuelles, conformes à des objectifs nationaux et contribuant à la réalisation d'objectifs et de politiques communautaires (article 10).

49. Sur la base de ces textes, applicables à l'époque, la Commission était fondée à considérer que les aides ad hoc, c'est-à-dire celles qui ne s'inscrivent pas dans un programme national d'intérêt communautaire, manquent en principe du critère de spécificité régionale. En effet, ces aides ne visent pas en premier lieu à faciliter le développement de certaines régions économiques, mais sont accordées, comme en l'espèce, sous forme d'aides à l'exploitation d'entreprises en difficulté. Dans ces conditions, il incombe à l'État membre concerné d'établir que l'aide en question remplit effectivement le critère de spécificité régionale. Toutefois, la Commission doit d'abord préciser les critères selon lesquels elle considère les aides ad hoc comme ayant exceptionnellement un caractère régional. Le fait que les aides en question ont été consenties sur la base de décisions ad hoc ne saurait donc exclure en l'espèce leur qualification d'aides régionales au sens de l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité.

50. La Commission relève en second lieu que même si les aides en question étaient réputées régionales, elles ne pourraient pas pour autant bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous a), car ne contribuant pas au développement à long terme de la région sans effets contraires pour l'intérêt commun et pour les conditions de concurrence dans la Communauté.

51. Il est de jurisprudence constante que, pour l'application de l'article 92, paragraphe 3, du traité, la Commission jouit d'un large pouvoir d'appréciation dont l'exercice implique des évaluations d'ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire (arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission, C-303-88, précité, point 34). Il faut cependant que le raisonnement suivi par la Commission demeure cohérent.

52. Selon la Commission, le plan de restructuration présenté pour Hytasa n'offrait pas de solution viable pour l'entreprise, étant donné que

- les réductions prévues dans la production et la vente de produits semi-finis (de 13 à 25 % pour les fils et tissus) étaient compensées par l'accroissement de la production et de la vente de produits finis (de 50 à 320 %), ce qui augmentait la pression dans un secteur en difficulté;

- il n'était envisagé aucune suppression de moyens de production, ce qui permettait à Hytasa de développer de nouveau à l'avenir ses activités dans un secteur saturé;

- les mesures de réduction de la main-d'œuvre étaient insuffisantes.

53. La Commission relève au point VI, huitième considérant, de la décision litigieuse:

"Même si l'aide en question devait être considérée comme régionale, elle ne pourrait pas pour autant bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3 point a) car les aides accordées en vertu des dispositions dudit article doivent contribuer au développement à long terme de la région ce qui, en l'espèce, aurait supposé pour le moins que cette aide ait été employée à rétablir la rentabilité de l'entreprise, objectif qui n'a pas été atteint pour Hytasa si l'on en juge les informations communiquées jusqu'à présent à la Commission (ce point a déjà été discuté dans la partie IV) sans entraîner d'effets négatifs inacceptables sur les conditions de concurrence dans la Communauté."

54. Le point IV de la décision litigieuse, auquel se réfère la Commission, concerne la question de savoir dans quelle mesure l'intervention en cause contenait des éléments d'aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Il ne traité pas la question relative au rétablissement de la rentabilité d'Hytasa.

55. Cette question n'est pas non plus évoquée au point III de la décision. Après avoir résumé le contenu des deux plans de restructuration, la Commission s'interroge, au seizième considérant, sur la validité des affirmations avancées par les autorités espagnoles ou des prévisions de résultats. Selon elle, les multiples contradictions relevées entre les deux plans ne l'autorisent pas à partager les prévisions optimistes figurant en conclusion du plan révisé (même considérant). La Commission n'avance cependant aucun argument spécifique en ce sens que le nouveau plan de restructuration ne permettrait pas d'assurer la viabilité d'Hytasa.

56. Enfin, la Commission déclare au neuvième considérant du point VI que la question de savoir si les projets d'investissements d'Hytasa sont compatibles avec l'intérêt de la Communauté et celle de savoir s'ils contribuent à une restructuration efficace de la société sont "abordées dans les pages suivantes". En réalité, elle discute dans ces pages des effets dommageables de l'aide sur les conditions de concurrence, sans analyser l'incidence du plan révisé sur le rétablissement de la rentabilité d'Hytasa. Or, une telle analyse s'imposait en l'espèce, d'autant plus que le plan prévoyait une réorientation substantielle de la production vers la confection de vêtements.

57. Il convient donc de conclure que l'analyse de la Commission de la compatibilité de l'aide en question avec l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité ne satisfait pas aux critères établis par elle-même.

58. La décision concernant l'entreprise Hytasa doit par conséquent être annulée, dans ses articles 2, second alinéa, 3, 4 et 5.

59. S'agissant de l'entreprise Intelhorce, la Commission a constaté au point IV, deuxième considérant, de la décision litigieuse que l'objectif clé d'un premier plan de restructuration consistait en un renforcement très important de la structure de commercialisation, par la création d'un double réseau de magasins vendant des produits finis maison de conception novatrice, tant dans le domaine du linge de maison que du vêtement, et sous une nouvelle marque promotionnelle. D'après ce plan, Intelhorce devait, pour ce qui concerne le linge de maison, ouvrir en Espagne quinze magasins lui appartenant en propre durant la période 1990/1992, puis vingt-deux autres en 1993/1994 en recourant au franchisage. S'agissant du vêtement, la société prévoyait d'ouvrir en 1991/1992 quatorze magasins en Espagne, puis cinquante autres, en franchisage, au cours de la période 1993/1994 (point IV, troisième considérant). En termes de chiffre d'affaires, cette stratégie signifiait qu'Intelhorce, qui affichait encore des pertes de 2 491 millions de PTA en 1990, enregistrerait un bénéfice de 1 044 millions de PTA en 1994, soit le premier solde positif des cinq années couvertes par le programme de restructuration initial (point IV, quatrième considérant).

60. Le programme initial de restructuration a dû être révisé, en raison des inondations subies par la province de Malaga en novembre-décembre 1989 qui avaient affecté la structure productive d'Intelhorce, mais également parce que la société n'avait pas en fin de compte les capacités nécessaires pour mettre en œuvre sa stratégie en matière de produits vestimentaires (point IV, huitième considérant). Le programme révisé prévoyait la suspension, pendant une période indéfinie, du projet de ligne de vêtements et de la chaîne de magasins correspondante, l'abaissement des niveaux de production et une nouvelle réduction des effectifs (même considérant). Selon ce programme, Intelhorce devait afficher globalement des pertes de 1 894 millions de PTA en 1990, puis de 1 712 millions en 1992 (point IV, dixième considérant).

61. Ayant de sérieux doutes quant à la capacité du programme de restructuration présenté d'assurer la viabilité d'Intelhorce, puisque les résultats financiers de l'entreprise étaient toujours négatifs, tant dans la version initiale que révisée, la Commission a demandé le 18 mars 1991 aux autorités espagnoles de présenter un nouveau plan. Or, bien que ces autorités aient envisagé de proposer ce nouveau plan, celui-ci n'a pas été présenté à la date de la décision litigieuse, le 25 mars 1992 (point VII, quinzième au dix-neuvième considérants).

62. Sur la base de ces éléments, la Commission a décidé à juste titre que le programme présenté ne contribuait pas à une véritable restructuration qui garantissait pleinement la viabilité d'Intelhorce. Elle était donc fondée à estimer que les conditions d'application de l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité n'étaient pas remplies dans ce cas.

b) Sur l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité

63. Le Royaume d'Espagne estime que les aides accordées aux entreprises Imepiel et Intelhorce doivent être classées parmi les aides sectorielles au sens de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, en vertu duquel peuvent être déclarées compatibles avec le marché commun les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. En effet, ces aides étaient nécessaires, eu égard à la situation de l'industrie concernée. Elles avaient pour objectif de restaurer la viabilité de l'entreprise à long terme. Elles étaient liées à la restructuration du secteur, dans la mesure où elles entraient dans le cadre du plan de viabilité élaboré par le Patrimonio del Estado et par les acquéreurs. Elles étaient par ailleurs conformes au principe de proportionnalité, puisque les distorsions produites sur le marché étaient minimes.

64. La Commission déclare au point VI, seizième considérant, de la décision concernant Imepiel et au point VII, onzième considérant, de la décision concernant Intelhorce que les aides en faveur de ces deux entreprises relèvent de la catégorie des aides aux entreprises en difficulté, car la position financière de ces sociétés était des plus précaires, et cela depuis longtemps. Or, selon les mêmes décisions, ce sont les aides aux entreprises en difficulté qui comportent le plus grand risque de transférer vers d'autres États membres les problèmes de chômage et d'emploi, parce qu'elles sont utilisées comme moyen de maintenir le statu quo en empêchant les forces à l'œuvre dans l'économie de marché de produire leurs effets normaux, c'est-à-dire d'entraîner la disparition des entreprises non compétitives au cours du processus d'adaptation aux nouvelles conditions de concurrence.

65. D'après les deux décisions, c'est la raison pour laquelle la Commission a défini des critères très stricts pour l'évaluation de la compatibilité des aides à la restructuration des entreprises en difficulté. La Commission exige, en particulier, que ce type d'intervention publique soit strictement réservé aux opérations garantissant la mise en œuvre d'un solide programme de restructuration ou de reconversion, capable de rétablir à long terme la rentabilité du bénéficiaire; ce programme doit, en outre, prévoir une compensation justifiant l'aide, sous la forme d'une contribution du bénéficiaire au développement du secteur dans son ensemble au niveau de la Communauté, consistant en une réduction de sa propre présence sur le marché.

66. En ce qui concerne l'entreprise Imepiel, la Commission a constaté (point VI, vingtième considérant) qu'à l'occasion de la privatisation, elle n'avait pas reçu de plan de restructuration démontrant la viabilité future de la société, comportant une réduction de sa capacité de production et indiquant une réduction de sa présence sur le marché. Le plan présenté par les acheteurs pour l'avenir de la société prévoyait en fait une augmentation de la production, au lieu de la réduction nécessaire à une restructuration dans l'intérêt du secteur concerné, à l'échelon de la Communauté (point VI, dix-neuvième considérant).

67. La Commission a raison d'estimer que, pour être déclarées compatibles avec l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, les aides à des entreprises en difficulté doivent être liées à un plan de restructuration visant à réduire ou à réorienter leurs activités. Étant donné que, selon le plan présenté à l'occasion de la privatisation d'Imepiel, l'aide en cause avait pour seul effet de permettre au bénéficiaire de continuer ses activités à une plus grande échelle, la Commission était fondée à déclarer inapplicable la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité.

68. En ce qui concerne l'entreprise Intelhorce, la Commission a constaté (point VII, quatorzième considérant) qu'aucun des programmes de restructuration proposés ne comportait d'engagement clair quant à une réduction des capacités de production; au contraire, le programme initial prévoyait de relancer les activités de l'entreprise en augmentant de 91 % ses ventes globales (produits traditionnels plus chaîne de magasins); bien que le programme révisé ait envisagé une légère baisse de 6,5 % des ventes entre 1990 et 1992, rien n'empêchait Intelhorce d'accroître à nouveau ses activités après 1992 pour tirer parti de ses capacités encore inutilisées.

69. Dans ces conditions, Intelhorce ne pouvait pas non plus bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité.

Sur la violation de l'article 190 du traité

70. Le Royaume d'Espagne fait valoir que les décisions litigieuses comportent une violation de l'article 190 du traité, en ce que la Commission ne justifie pas les traitements contradictoires qu'elle applique aux aides octroyées par l'État jusqu'en 1988 et 1989, réputées compatibles, et aux apports postérieurs effectués pour cause de privatisation, qui sont considérés comme incompatibles. Selon le Royaume d'Espagne, les aides versées à l'occasion de la privatisation prennent la suite directe des aides antérieures et poursuivent les mêmes objectifs.

71. A cet égard, il suffit de constater que l'appréciation de la compatibilité des aides avec le marché commun se fonde sur une analyse individuelle des apports en question et non sur une comparaison avec des interventions antérieures dont la légalité n'est pas mise en cause.

72. Le moyen tiré de la violation de l'article 190 du traité doit donc être rejeté.

Sur l'illégalité de l'obligation de restitution

73. Le Royaume d'Espagne observe dans les affaires C-279-92 et C-280-92 que l'obligation de restituer les aides, figurant à l'article 3 de chacune des décisions 92-318 et 92-321, viole les principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de confiance légitime ainsi que l'obligation de motivation adéquate. Il relève en particulier qu'il ne suffit pas qu'une aide soit déclarée interdite par l'article 92 pour que simultanément naisse une obligation de restituer. Selon lui, il s'agit d'une faculté reconnue à la Commission qui, si elle en fait usage, doit motiver sa décision. Or, si l'obligation de restituer n'est pas disproportionnée en principe par rapport aux objectifs poursuivis, cela n'implique pas qu'elle ne soit jamais disproportionnée. En effet, il faudrait procéder à une analyse cas par cas pour vérifier si l'équilibre recherché entre l'avantage obtenu et le préjudice causé est réel ou si, au contraire, dans un cas concret, l'obligation imposée par la Commission manque de proportionnalité.

74. A cet égard, le Royaume d'Espagne estime qu'une obligation de restituer les apports en capital effectués par le Patrimonio del Estado serait totalement hors de proportion avec les préjudices minimes que les aides ont, le cas échéant, pu provoquer à la libre concurrence dans les échanges intracommunautaires, si l'on tient compte des graves conséquences qui en découleraient pour les créanciers, du préjudice pour les travailleurs, de la situation de conflit social latent ainsi que du chômage et du niveau anormalement bas du développement dans les régions en cause.

75. Selon la jurisprudence de la Cour, la récupération d'une aide étatique illégalement accordée, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait en principe être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité en matière d'aides d'État (arrêt du 21 mars 1990, Belgique/Commission, précité, point 66).

76. Par ailleurs, un État membre dont les autorités ont octroyé une aide en violation des règles de procédure prévues à l'article 93 ne saurait invoquer la confiance légitime des bénéficiaires pour se soustraire à l'obligation de prendre les mesures nécessaires en vue de l'exécution d'une décision de la Commission lui ordonnant de récupérer l'aide (arrêt de 20 septembre 1990, Commission/Allemagne, C-5-89, Rec. p. I-3437, point 17). Il ne saurait davantage invoquer aux mêmes fins le principe de sécurité juridique.

77. En l'espèce, le Royaume d'Espagne n'a avancé aucun argument permettant de déroger à ces règles.

78. Quant à l'obligation de motivation, il convient de rappeler que dans l'arrêt de la Cour du 24 février 1987, Deufil/Commission (310-85, Rec. p. 901, point 24), auquel les décisions litigieuses font référence, la Cour a jugé que lorsque, contrairement aux dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité, la subvention projetée a déjà été versée, cette décision peut prendre la forme d'une injonction aux autorités nationales d'en ordonner la restitution. Dans ces conditions, la Commission n'est pas tenue d'exposer des motifs spécifiques pour justifier l'exercice du pouvoir que la Cour lui a ainsi reconnu.

79. Dans l'affaire C-279-92, le Royaume d'Espagne fait en outre valoir que dans le cadre de la procédure de cessation des paiements actuellement en cours, Imepiel se trouve dans l'impossibilité d'exécuter la mesure imposée par la Commission.

80. Il résulte de la jurisprudence de la Cour que des difficultés éventuelles, procédurales ou autres, quant à l'exécution de l'acte attaqué ne sauraient influer sur la légalité de celui-ci (arrêt du 21 mars 1990, Belgique/Commission, C-142-87, précité, point 63). Le fait que l'entreprise Imepiel, postérieurement à la décision litigieuse, a été soumise à une procédure de faillite est donc sans incidence dans le présent litige.

81. Enfin, dans l'affaire C-280-92, le Royaume d'Espagne reproche à la Commission un calcul erroné du montant remboursable. A cet égard, il rappelle que d'après la décision attaquée, l'aide contenue dans l'augmentation de capital s'élève à 4 405 millions de PTA, soit à la différence entre 5 869 et 1 464 millions de PTA, ce dernier montant représentant la valeur actualisée, au moment de la vente, du prix nominal de 2 000 millions de PTA qui devait être réglé en trois versements par les acheteurs d'Intelhorce (actualisation calculée par application du taux d'intérêt fixé par l'État espagnol pour ses obligations ICO émises en juin 1989). Or, selon le Royaume d'Espagne, ce calcul mathématique de la somme à rembourser n'est pas correct. Si le prix d'achat ne peut pas être pris en compte dans sa totalité, parce que son paiement a été échelonné en trois versements, l'apport en capital ne peut davantage être pris en considération dans son intégralité, puisque cet apport n'a pas non plus été payé en un seul versement.

82. Aux termes du point IV, cinquième considérant, de la décision litigieuse

"... l'augmentation de capital de 5 869 millions de pesetas espagnoles effectuée par l'État avant la vente a joué un rôle majeur dans le programme de restructuration. Ces fonds ont été déposés par l'État sur un compte bloqué et les dirigeants d'Intelhorce ne peuvent l'utiliser que progressivement à condition de prouver au fur à mesure à l'État qu'ils ont bien réalisé autant d'investissements en immobilisations corporelles ou incorporelles qu'ils ont jusqu'alors retiré de fonds. En outre, les capitaux déposés sur le compte bloqué ne sont disponibles que pendant une période limitée, conformément au calendrier suivant:

- une première tranche de 1 869 millions de pesetas espagnoles, disponible juste après la vente et sans justification, et qui peut aussi servir à des dépenses autres que des investissements,

- deux tranches de 1 500 millions de pesetas espagnoles, disponibles, respectivement, à partir du 1er juillet 1991 et du 1er juillet 1992,

- une dernière tranche de 1 000 millions de pesetas espagnoles, disponible seulement à partir du 1er juillet 1993."

83. La Commission soutient que le montant en question avait ainsi été déboursé par l'État lorsqu'il a transmis la propriété des actions et qu'en conséquence il faisait partie du patrimoine de la société au moment de la vente, alors même que sa mise à disposition était liée à certaines conditions. Elle souligne que les fonds déposés sur un compte bancaire produisent généralement des intérêts en faveur de leur titulaire, en l'espèce d'Intelhorce. Elle n'a pas connaissance que tel n'aurait pas été le cas en l'espèce.

84. Le Royaume d'Espagne n'ayant pas contesté que l'apport en capital a produit des intérêts au profit d'Intelhorce à compter de la vente, il n'apparaît pas que la méthode adoptée par la Commission pour calculer le montant de l'aide soit erronée.

85. Il résulte de ce qui précède que, dans l'affaire C-278-92, il convient d'annuler les articles 2, second alinéa, 3, 4 et 5 de la décision 92-317, et de rejeter les recours dans les affaires C-279-92 et C-280-92.

Sur les dépens

86. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, second alinéa, du règlement de procédure, si plusieurs personnes succombent, la Cour décide du partage des dépens. La Commission ayant succombé dans l'affaire C-278-92 et le Royaume d'Espagne dans les affaires C-279-92 et C-280-92, il convient de décider que les dépens seront supportés pour un tiers par la Commission et pour deux tiers par le Royaume d'Espagne.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête :

1°) Les articles 2, second alinéa, 3, 4, et 5 de la décision 92-317-CEE de la Commission, du 25 mars 1992, concernant les aides accordées par l'Espagne à Hilaturas y Tejidos Andaluces SA, aujourd'hui appelée Mediterráneo Técnica Textil SA, et à son acquéreur, sont annulés.

2°) Les recours dans les affaires C-279-92 et C-280-92 sont rejetés.

3°) Les dépens seront supportés pour un tiers par la Commission et pour deux tiers par le Royaume d'Espagne.