CA Angers, ch. corr., 25 avril 2002, n° 01-00604
ANGERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Association Force Ouvrière des Consommateurs de la Sarthe (AFOC), Orgeco de la Sarthe, Ministère public
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Vermorelle, Conseillers: M. Midy, Mme André
Avocats :
Mes Beucher, Beaufils.
LA COUR:
Dossier 604-2001
Le prévenu a été relaxé du chef d'exposition ou vente de denrée alimentaire, boisson ou produit agricole falsifié corrompu ou toxique, et déclaré coupable pour le surplus (tromperie).
Il a été condamné à 10 000 F d'amende, outre confiscation.
Sur l'action civile, il a été condamné à payer à:
- UFC 72: 1 500 F à titre de dommages-intérêts, 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
- AFOC: 1 500 F à titre de dommages-intérêts, 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
- ORGECO : 1 500 F à titre de dommages-intérêts, 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Outre l'insertion par extrait du jugement dans les journaux Ouest France et Le Maine Libre.
Dossier 605-2001
Le tribunal a relaxé le prévenu des fins de la poursuite et déclaré les associations de consommation UFC 72, AFOC, et ORGECO irrecevables en leurs constitutions de parties civiles.
Dossier 606-2001
Le tribunal a relaxé le prévenu des fins de la poursuite et déclaré les associations de consommation UFC 72, AFOC, et ORGECO irrecevables en leurs constitutions de parties civiles.
Les parties civiles et le Ministère public ont régulièrement relevé appel des dispositions les concernant.
Les parties civiles concluent à la culpabilité du prévenu pour l'ensemble des faits reprochés et réclament chacune 762 euros à titre de dommages-intérêts et 400 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Le Ministère public requiert condamnation pour le tout après jonction des procédures, ainsi qu'une amende substantielle.
Le prévenu conclut à la confirmation des relaxes intervenues et au rejet des demandes des parties civiles après avoir soutenu, d'une part que la législation française n'était pas compatible avec le droit européen, et que d'autre part la législation actuelle ne permettait pas de fonder les poursuites.
Roger S est poursuivi pour avoir:
Dossier 604-2001
- au Mans, courant 1996, trompé les consommateurs sur la composition, la teneur en principes utiles et la qualité du complément alimentaire A.
- au Mans, courant 1996, exposé, mis en vente ou vendu des denrées servant à l'alimentation de l'homme, des boissons ou des produits agricoles ou naturels, qu'il savait être falsifiés, corrompus, ou toxiques, en l'espèce un complément alimentaire A.
- au Mans, courant 1997, exposé, mis en vente ou vendu des denrées servant à l'alimentation de l'homme, des boissons ou des produits agricoles ou naturels, qu'il savait être falsifiés, corrompus, ou toxiques, en l'espèce un complément alimentaire B.
Dossier 605-2001
- au Mans, en février, avril et août 1996, en janvier, mars et octobre 1997 et en janvier 1998 exposé, mis en vente ou vendu des denrées servant à l'alimentation de l'homme, des boissons ou des produits agricoles ou naturels, qu'il savait être falsifiés, corrompus, ou toxiques, en l'espèce des compléments alimentaires dénommés "C, D, E et F".
Dossier 606-2001
- au Mans, le 24-06-1996 et le 07-04-1997, vendu des denrées servant à l'alimentation de l'homme qu'il savait être falsifiées, nuisible à la santé de l'homme, en l'espèce deux compléments alimentaires nommés "H" et "I".
MOTIFS
Les faits poursuivis dans les trois dossiers en cause étant de même nature et reprochés à un seul prévenu, avec les mêmes parties civiles constituées, il y a lieu pour une bonne administration de la justice, d'ordonner la jonction des procédures afin de statuer par un seul arrêt.
Il y a lieu cependant de rappeler chaque procédure quant à la matérialité des faits concernés.
Procédure 604-2001
Le 19 mars 1997, à Reims, les agents de la DCCRF effectuaient un contrôle dans un magasin, proposant des produits diététiques.
Ils prélevaient des échantillons du produit "A"
Ces produits ont été vendus par la société X.
L'analyse faite par le laboratoire inter-régional de Strasbourg concluait à la présence d'ingrédients non autorisés:
- la cystine acide aminé non autorisé (il était précisé sur le document accompagnant le produit de la L-cystéine)
- du cuivre et du manganèse.
De surcroît la consommation de vitamines recommandée dépassait l'apport journalier recommandé.
Cette quantité excédait dans certains cas la limite de sécurité fixée par le Conseil Supérieur de l'Hygiène Publique (vitamine 86, acide folique).
La quantité en vitamine B5 était inférieure à la valeur déclarée.
Le poids moyen des comprimés se trouvait inférieur à celui annoncé (1,563 g au lieu de 1,85 g).
Le produit "A" est destiné à être ingéré en complément d'une alimentation courante afin de pallier l'insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers.
Il appartient donc à la catégorie de complément alimentaire.
Non destiné à une alimentation particulière, il n'est pas soumis aux dispositions du décret du 29 août 1991.
Le prévenu a reconnu importer ce produit de Belgique où il est normalement commercialisé.
La tromperie portant sur le poids moyen annoncé des produits, la présence de cystine alors que l'étiquette mentionnait de la L-cystéine, la présence d'une quantité annoncée de vitamine B5 de 3,22 g pour 100 g alors que l'analyse n'a révélé qu'une quantité de 0,62 g, constituent des actes de tromperies sur la composition et la quantité de la chose vendue.
La cour confirmera le jugement sur ce point, quant à la culpabilité qui n'est d'ailleurs pas discutée par le prévenu.
Le 28 juin 1997, les représentants de la DCCRF du Val d'Oise réalisaient un contrôle dans un magasin de produits diététiques à Eaubonne. Ils prélevaient des échantillons du produit "B", mis en vente sur le marché national par la société X.
L'analyse du produit effectuée par le laboratoire inter-régional de Lille révélait la présence d'acides aminés non autorisés et de chrome non autorisé.
Elle révélait également des vitamines B5, B6 et B7 en quantité recommandée qui dépassaient les apports journaliers recommandés et pour la vitamine B6 un dépassement de la limite de sécurité fixée par le Conseil Supérieur de l'Hygiène Publique.
Dossier 605-2001
Monsieur S est poursuivi pour avoir commercialisé des compléments alimentaires, interdits en France ou plus précisément, non autorisés.
Le procès-verbal de la DCCRF établit que les saisies suivantes ont été opérées.
- 30 septembre 1997 à Caen: deux flacons de compléments alimentaires sous forme de gélules, marque "Y" nommés "C".
- 4 février 1998 à Lisieux: deux autres compléments alimentaires, marque "Y" et nommés "E" et "F"
- 19 mars 1998 à Perpignan : deux compléments alimentaires, nommés "D" et "G".
Ces produits avaient été fournis par la société X du Mans, dont M. S est le PDG.
L'analyse des produits confirmait la présence de substances non autorisées, ce qui n'est pas contesté.
Par ailleurs la DCCRF soulignait que tous ces produits étaient destinés à être ingérés en complément d'une alimentation courante, et qu'il s'agissait donc de compléments alimentaires soumis à une autorisation d'emploi, prévue depuis le décret du 15 avril 1912, modifié.
Dossier 606-2001
La SARL X a importé de Belgique deux types de compléments alimentaires, H et I, ces produits ont été présentés à la vente dans les magasins.
La DCCRF a prélevé trois échantillons des deux produits répondant à la définition des compléments alimentaires, ces échantillons ont été analysés par un laboratoire qui a conclu pour le produit H à la non-conformité du produit en raison de l'incorporation de quatre substances nutritives non-autorisées dans les compléments alimentaires, le dépassement de la limite de sécurité pour certaines vitamines et à des doses et sous un mode d'emploi entraînant une consommation supérieure aux apports journaliers, le laboratoire a conclu pour le produit Iégalement à la non-conformité du produit en raison de l'incorporation de quatre substances nutritives non-autorisées dans les compléments alimentaires, de dépassement de la limite de sécurité pour deux substances, un dépassement des apports journaliers autorisés et l'absence d'une vitamine alors que l'étiquetage l'annonce.
Monsieur S a sollicité et obtenu une contre-expertise des produits incriminés, la contre-expertise a confirmé la première analyse et a conclu à la non-conformité des produits à la législation française concernant les compléments alimentaires.
Eléments communs aux trois procédures :
Les produits en cause sont-ils des médicaments, ou sont-ils assimilables à un aliment ?
Ce ne sont pas des médicaments ; ils ne répondent pas aux définitions retenues par l'article L. 511 du Code de la santé publique, n'étant pas destinés à restaurer, corriger ou modifier les fonctions organiques. D'ailleurs ils ne sont pas présentés comme ayant telle ou telle vertu à l'égard des maladies humaines.
Il ne peut donc s'agir que d'un produit assimilable à un aliment.
Or parmi les aliments il y a lieu de distinguer ceux qui sont destinés à une alimentation particulière, et ceux qui sont destinés à une alimentation courante.
Les produits en cause ne sont pas des produits diététiques, ce qui n'est pas sérieusement discutable. Ils ne peuvent être que des compléments alimentaires d'ailleurs définis par le décret du 14 avril 1997, qui reprend la formulation du décret du 15 avril 1912, à savoir:
"Les compléments alimentaires sont des produits destinés à être ingérés en complément de l'alimentation courante, afin de pallier l'insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers".
Ils sont donc bien concernés par l'article 1er du décret du 15 avril 1912 qui interdit de vendre des denrées alimentaires additionnées de produits chimiques autres que ceux dont l'emploi est autorisé par arrêtés ministériels.
Ainsi en l'absence d'autorisation expresse les produits litigieux ne pouvaient pas entrer dans la composition de compléments alimentaires non diététiques.
La défense du prévenu peut certes soutenir que tout ce qui n'est pas interdit est autorisé, cela ne modifie pas le décret de 1912 instituant le principe d'une liste positive, pour autoriser tel ou tel produit après avis du Conseil Supérieur de l'Hygiène Publique de France, et le cas échéant de l'Académie Nationale de Médecine.
Incompatibilité de la législation française avec le droit communautaire
Pour répondre à cet argument du prévenu, il suffit de rappeler qu'il n'existe pas à ce jour de législation communautaire réglementant spécifiquement la composition ou la commercialisation des compléments alimentaires courants, et que par conséquent les Etats membres, notamment pour des raisons de protection de la santé publique, demeurent compétents pour déterminer le régime applicable à ces produits.
Il est admis que les dispositions nationales limitatives relatives aux additifs à but nutritionnel ou supposé tel, dans l'alimentation humaine, sont justifiées au regard des articles 30 et 36 devenus 28 et 30 du traité des Communautés européennes, par la protection de la santé publique et la protection des consommateurs.
Conclusion
Dans ces conditions, en l'absence de contestations sur la matérialité même des faits, dès lors qu'il est établi que Monsieur S a commercialisé des compléments alimentaires non expressément autorisés en violation de la liste positive instaurée par le décret du 15 avril 1912 modifié, il sera déclaré coupable pour l'ensemble des faits visés à la prévention.
Sur la peine
En raison de l'importance et de la gravité des faits ainsi que de l'esprit de lucre qui en est à l'origine une amende de 15 500 euros sanctionnera utilement le comportement de M. S.
Sur l'action civile
La constitution de partie civile de l'AFOC et Orgeco est recevable et fondée dans son principe, dès lors que les infractions dont le prévenu a été déclaré coupable, ont nécessairement porté atteinte aux intérêts collectifs que ces associations ont en charge de défendre.
Compte tenu des éléments du dossier les indemnités sont fixées à 750 euros pour les dommages-intérêts, et 400 euros pour les frais irrépétibles.
Par ces motifs, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Déclare les appels recevables en la forme, Ordonne la jonction des procédures suivies sous les n° 604-2001, 605-2001, et 606-2001, Reformant partiellement, Déclare Monsieur S coupable de l'ensemble des faits visés à la prévention, Le condamne à une amende de 15 500 euros (quinze mille cinq cent euros), Ordonne la confiscation des produits saisis, Le condamne à payer: - à l'AFOC: 750 euros (sept cent cinquante euros) à titre de dommages-intérêts, 400 euros (quatre cent euros) au titre de l'article 475-1 du CPP; - à l'Orgeco: 750 euros (sept cent cinquante euros) à titre de dommages-intérêts, 400 euros (quatre cent euros) au titre de l'article 475-1 du CPP; Ordonne l'insertion du présent arrêt par extraits dans les journaux Ouest-France et le Maine Libre aux frais de Monsieur S. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros dont est redevable le condamné, conformément aux dispositions de l'article 1018-A du Code général des impôts. Dit que la contrainte par corps s'exercera s'il y a lieu selon les dispositions légales. Ainsi jugé et prononcé en vertu des articles L. 213-3, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8, du Code de la consommation.