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Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 9 avril 2003, n° 99-03802

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Girard

Défendeur :

Gatinaise (SA), Système U (SA), Cerato Antonio (SRL), Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Deux-Sèvres

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Muller

Conseillers :

Mme Contal, M. Barthélemy

Avoués :

SCP Alirol-Laurent, SCP Musereau-Mazaudon, SCP Paille-Thebault, SCP Landry-Tapon

Avocats :

Mes Grandon, Favreau, Viot.

TGI Bressuire, du 3 déc. 1999

3 décembre 1999

Le 28 août 1995, Madame Jacqueline Girard a acheté un fauteuil loggia pliable (structure de tubes entrecroisés maintenus par des sangles), au prix de 119 F (ou 99 F ?), dans le magasin Hyper U de Parthenay (79), appartenant à la SA Gatinaise;

La SA Gatinaise avait acheté le siège litigieux le 16 mars 1995 à la société Système U qui s'était approvisionnée en février 1995 auprès du fabricant, la société Cerato Antonio;

Madame Jacqueline Girard prétend que le 2 septembre 1995, alors qu'elle s'asseyait dans le fauteuil en question, les sangles ont lâché et le siège s'est effondré; elle ajoute qu'elle a chuté lourdement sur le dos et que son genou droit est entré violemment en contact avec un radiateur;

Madame Jacqueline Girard a obtenu du juge des référés une expertise du fauteuil confiée à Monsieur Cheveau (rapport du 4 mars 1997), et du juge de la mise en état une expertise médicale confiée au docteur Fradin (rapport du 11 juin 1998);

Monsieur Cheveau a conclu son rapport comme suit:

"- Le siège fabriqué par la société Cerato et commercialisé par le groupe Système U est un siège de toiles sur tubes pliants et dont le mise en position se fait par l'intermédiaire de sangles par un verrouillage type américain.

- Le montage de ces sangles est indiqué sur une notice fournie avec l'appareil qui spécifie que la tension doit être égale de chaque côté.

- Ce type du verrouillage est utilisé dans quantité d'applications sans aucun problème car c'est un système fiable.

- Mais si le montage n'est pas correct, il y aura risque de glissement des sangles et si une des sangles arrive à s'échapper du verrouillage le siège s'affaissera.

- Le siège présenté, cause de l'accident, n'était pas monté correctement.

- Selon Madame Girard, elle a acheté un siège replié dans un emballage ouvert mais dont les sangles étaient en place. Elle l'a utilisé tel quel n'ayant eu aucune notice d'utilisation.

- Selon Monsieur Borderon, le responsable de la Gatinaise, ce siège était dans son emballage d'origine et par conséquent, avec sa notice comme nous avons pu le constater en ouvrant le colis de 4 sièges.

- Or, tout le problème se situe à ce niveau.

- On peut toutefois regretter que toute vente d'accessoires à assembler, ne soit pas accompagnée d'une démonstration du montage à réaliser."

De son côté, le docteur Fradin, après avoir exclu une relation directe et certaine entre la pathologie de l'épaule droite prise en compte à partir du 30 mai 1997 et la chute du 2 septembre 1995, a conclu son rapport ainsi:

1) à la suite du traumatisme du 2 septembre 1995, Madame Girard a présenté les lésions suivantes:

- fracture tassement de D 7,

- traumatisme du genoux droit,

Ces lésions, et seules ces lésions, et leurs traitements, sont en rapport direct et certain avec le traumatisme survenu le 2 septembre 1995;

2) date de consolidation médico-légale: 30 avril 1997

3) ITT: du 2 septembre 1995 au 31 mars 1996

4) LPP: 22 %

5) préjudice esthétique: 1,5/7

6) pretium doloris: 4,3/7

7) absence de la nécessité de l'aide d'une tierce personne;

Par acte d'huissier du 13 mai 1997, Madame Jacqueline Girard a fait assigner La SA Gatinaise et la CPAM des Deux-Sèvres devant le Tribunal de grande instance de Bressuire qui, après intervention volontaire de la société Système U et assignation en intervention forcée du 16 septembre 1997 de la société Cerato Antonio par les sociétés la Gatinaise et Système U, par jugement du 8 novembre 1999, a:

- débouté Madame Girard de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Madame Girard à verser sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme de 3 000 F à la société Cerato Antonio, la somme de 2 000 F à la CPAM des Deux-Sèvres;

- dit n'y avoir lieu de déclarer la présente décision opposable à la CPAM des Deux-Sèvres;

- condamné Madame Girard aux dépens;

Madame Girard a relevé appel le 3 décembre 1999 de cette décision du novembre 1999 en intimant la SA Gatinaise, la SA Système U, la CPAM 79;

La société Système U, le 19 octobre 2001, a relevé un appel provoqué à l'encontre de la société Cerato Antonio;

Ces deux appels ont été joints par ordonnance du 17 janvier 2002;

Madame Girard, en dernier lieu le 8 janvier 2003, en soutenant que les vendeurs avaient engagé leur responsabilité à son égard, a requis la cour, infirmant, de:

Condamner in solidum les SA Gatinaise et Système U à lui verser àtitre de dommages et intérêts

- au titre des frais médicaux restés à charge: 1 306 F

- au titre de l'ITT: 47 580,26 F

- au titre de l'IPP: 154 000 F

- au titre du pretium doloris: 90 000 F

- au titre du préjudice esthétique: 10 000 F

- au titre de ses frais irrépétibles: 25 000 F;

Les sociétés Gatinaise et Système U, le 7 septembre 2000, ont prié la cour de:

- déclarer l'appel de Madame Girard recevable mais non fondé;

- constater dire et juger que Madame Girard n'apporte pas la preuve que l'accident du 2 septembre 1995, dont elle demande réparation soit imputable à une chute résultant d'un mauvais montage du siège acheté à Hyper U, et qu'elle aurait subi un traumatisme au genou;

- constater dire et juger que Madame Girard n'apporte pas la preuve que le fauteuil livré plié dans un emballage en plastique n'ait pas contenu la notice d'utilisation du fauteuil litigieux, trouvée dans chacun des 4 emballages ouverts au hasard par l'expert et que la SA Gatinaise n'ait pas rempli son obligation de conseil et d'information;

- constater dire et juger que l'obligation de sécurité qui pèse sur les fabricants et vendeur, ne comprend pas la garantie de plein droit de tous les dommages pouvant résulter du produit que, Notamment, la SA Gatinaise apporte la preuve que Madame Girard a commis une erreur dans l'utilisation du fauteuil tenant notamment au non-respect des précautions d'emploi recommandées par le fabricant, cela exonérant la SA Gatinaise de toute responsabilité;

- en conséquence, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions;

- très subsidiairement et si par extraordinaire la cour retenait la responsabilité du vendeur, condamner la société Système U à garantir la SA Gatinaise de toute condamnation qui pourrait intervenir contre elle;

- condamner la société Cerato Antonio à garantir la société Système U.

La société Cerato Antonio, le 21 novembre 2002, a demandé à la cour de:

Dire (irrecevable et) mal fondée l'appelante principale en son appel et l'en débouter,

Dire (irrecevable et) mal fondées les appelantes provoquées en leur appel principal, les en débouter,

Confirmer le jugement entrepris;

A titre subsidiaire, pour le cas où par extraordinaire, la cour estimerait devoir déclarer engagée la responsabilité de la société Cerato, réduire dans les plus justes proportions les montants indemnitaires susceptibles d'être mis à la charge de la société concluante;

En toute hypothèse, condamner in solidum l'appelante principale et les appelantes provoquées à régler:

- 2 300 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- 2 300 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

La CPAM des Deux-Sèvres le 27 novembre 2002, a requis la cour de:

Condamner les sociétés Gatinaise et Système U in solidum dans la limite des indemnités qui seront mises à leur charge au titre du préjudice non exclusivement personnel de Madame Girard à payer à la CPAM des Deux-Sèvres la somme de 32 439,83 euros avec les intérêts au taux légal sur 160 195,70 F à compter du 5 février 1998 et sur le solde à compter du 25 mars 1999 et jusqu'au complet paiement;

Les condamner in solidum à payer à la CPAM des Deux-Sèvres 800 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 23 janvier 2003;

I. La responsabilité

Madame Girard démontre que les lésions présentées par elle de fracture tassement de D 7 et de traumatisme du genou droit sont imputables à une chute survenue le 2 septembre 1995 à la suite de l'affaissement du siège acheté le 28 août 1995 dans le magasin appartenant à la société Gatinaise, et même si personne n'a été le témoin direct de la chute, par les présomptions graves, précises et concordantes formant un faisceau valant preuve que sont:

- l'attestation du 17 novembre 1995 de Monsieur Dominique Perriat, locataire des époux Girard, rapportant que Monsieur Perriat a entendu le 2 septembre 1995 à 21 heures 30 Madame Girard appeler son mari "en lui disant de venir à son aide car elle était tombée de sa chaise longue dont les lanières avaient cédé", et avoir vu les pompiers évacuer Madame Girard;

- le certificat du 15 novembre 1995 du docteur Chevalier, médecin traitant de Madame Girard, qui "certifie avoir été appelé au chevet de Madame Jacqueline Girard le 2 septembre 1995. Celle-ci m'a déclaré avoir été victime d'une chute de chaise longue achetée en supermarché (effondrée). L'examen correspondait bien à cette version avec traumatisme dorsal, douleur du genou droit et également déplacement du bassin et choc psychologique marqué;

- le bulletin de visite du 2 septembre 1995 concernant Madame Girard établi par l'interne de service de l'Hôpital de Parthenay et adressé au docteur Chevalier, qui mentionne comme bilan initial un traumatisme du thorax et dorsolombaire, une douleur diffuse rachidienne et au niveau des côtes, un tassement vertébral, et qui fait état du transport par les pompiers;

- l'expertise judiciaire du docteur Fradin qui retient comme imputables au traumatisme du 2 septembre 1995 causé par la chute de Madame Girard alors qu'elle était assise dans un siège dont une lanière s'est rompue, la fracture tassement de D 7 et le traumatisme du genou droit;

Et plus spécialement, Madame Girard établit la preuve de l'intervention du fauteuil dans la réalisation du dommage subi par elle au genou droit dès lors que c'est après examen complet et discussion médico-légale que le docteur Fradin, à qui Madame Girard avait exposé que son genou droit était entré violemment en contact avec un radiateur, et qui n'a pas relevé d'antécédent médical concernant le genou droit, a estimé que le traumatisme au genou droit était en relation directe et certaine avec la chute du 2 septembre 1995;

La chute de Madame Girard le 2 septembre 1995, en raison de l'affaissement du siège a nécessairement pour cause, ainsi que cela ressort de l'expertise Cheveau, un mauvais montage d'une ou des deux sangles présentant, contrairement aux instructions de montage fournies par le fabricant, le verrouillage sur le dessus, ce qui a pour effet de mettre la sangle en condition de relâchement;

Madame Girard ne peut utilement se référer aux articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil dès lors que ces dispositions ne sont applicables qu'aux produits dont la mise en circulation est postérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (soit le 23 mai 1998), et que la mise en circulation initiale du produit (le fauteuil litigieux acheté par Madame Girard en août 1995) est évidemment antérieure au 23 mai 1998;

L'action de Madame Girard en responsabilité contractuelle pour manquement du vendeur professionnel à son obligation de sécurité doit être rejetée dès lors qu'il n'est pas établi que le fauteuil litigieux, "solide et stable" selon l'expert Cheveau, présente un vice ou un défaut de fabrication de nature à créer un dommage pour les personnes ou pour les biens, et plus spécialement au niveau du type de verrouillage des sangles puisqu'il résulte de l'expertise Cheveau que lorsque le fauteuil est monté conformément aux instructions fournies par le fabricant, ce type de verrouillage, utilisé à des millions d'exemplaires dans le monde, dans quantité d'applications sans aucun problème, est "un système fiable";

Reste l'action de Madame Girard en responsabilité contractuelle pour manquement du vendeur professionnel à son devoir de renseignement et de conseil; et c'est à la société Gatinaise, contractuellement tenue d'une obligation de renseignement, de rapporter la preuve de l'exécution dé cette obligation;

La thèse de Madame Girard, telle que rapportée par l'expert Cheveau: "Madame Girard a dit et redit lors de chaque réunion que le siège qu'elle a acheté a été pris sur une étagère du magasin, qu'il était monté tel que nous l'avons vu (l'une des sangles est bien montée, l'autre non), qu'il a été replié et mis dans un sac plastique ouvert et qu'aucune notice n'a été fournie avec", étant possible, et notamment parce qu'il ne ressort du dossier aucun élément déterminant permettant à la Cour de répondre à la question que se posait déjà l'expert Cheveau en page 4 de son rapport du 4 mars 1997: "Qui croire?", il apparaît que la société Gatinaise n'apporte pas la preuve de ce qu'elle allègue, à savoir la remise effective à Madame Girard de la notice de montage qui accompagne normalement, ainsi que les constatations de l'expert Cheveau l'ont établi, tout emballage d'origine fermé, et en conséquence de l'exécution par elle de l'obligation de renseignement mise à sa charge en tant que vendeur professionnel;

Dans ces conditions, et alors que la remise d'une notice de montage était nécessaire mais suffisante au regard de l'obligation de renseignement, il convient de déclarer la société Gatinaise entièrement responsable des blessures subies par Madame Girard imputables à sa chute du 2 mars 1995, mais de mettre hors de cause tant la société Système U que le fabricant, la société Cerato Antonio dès lors qu'il n'est pas contesté que ces dernières ont fourni les sièges dans leur emballage d'origine, et par conséquent avec une notice;

II. Le préjudice de Madame Girard, née le 9 avril 1928

A. Le préjudice corporel non personnel de Madame Girard

a) frais médicaux et assimilés:

- prise en charge par la CPAM: 30 094,01 euros (197 403,77 F)

- restés à la charge de Madame Girard: 199,10 euros (1 306 F)

b) ITT du 2 septembre 1995 au 31 mars 1996: 3 000 euros, selon calcul à partir d'une fraction du SMIC

c) IPP 22 %: 14 000 euros

d) frais futures CPAM: 2 345,82 euros (15 387,55 F)

Dans ces conditions, au titre du préjudice corporel non personnel de Madame Girard, la société Gatinaise doit être condamnée à payer à:

- la CPAM des Deux-Sèvres la somme de 32 439,83 euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt qui établit le lien de causalité entre les prestations servies ou à servir et le dommage subi par la victime;

- Madame Girard la somme de:

199,10 euros + 3 000 euros + 14 000 euros = 17 199,10 euros, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt;

B. Le préjudice corporel personnel de Madame Girard

a) pretium doloris: 4,5/7:11 000 euros

b) préjudice esthétique: 1,5/7: 1 300 euros

La société Gatinaise doit être condamnée à payer à Madame Girard, au titre de son préjudice corporel personnel, la somme de 12 300 euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt;

III. Les dommages-intérêts, les dépens, l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

La société Cerato Antonio, qui ne rapporte pas la preuve du caractère abusif de la procédure diligentée à son encontre, ni d'un préjudice indépendant des frais irrépétibles résultant de la procédure, doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive;

La société Gatinaise qui succombe, doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel;

Au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la société Gatinaise doit être condamnée à payer à Madame Girard la somme de 2 000 euros, à la CPAM 17-79 la somme de 300 euros, à la société Cerato Antonio la somme de 2 000 euros, et toute autre demande plus ample ou contraire, pour l'ensemble des procédures de première instance et d'appel, doit être rejetée;

Par ces motifs, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Réformant dans la mesure utile le jugement déféré, statuant à nouveau sur le tout, et y ajoutant: - Déclare la SA Gatinaise entièrement responsable des blessures subies par Madame Girard le 2 septembre 1995; - Met hors de cause les sociétés Système U et Cerato Antonio, et rejette toute demande dirigée à leur encontre; - Condamne la SA Gatinaise à payer, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, au titre du préjudice corporel subi par Madame Girard: 1°) la somme de 32 439,83 euros à la CPAM des Deux-Sèvres, 2°) les sommes de 17 199,10 euros et 12 300 euros à Madame Jacqueline Girard; - Rejette la demande de la société Cerato Antonio pour procédure abusive; - Condamne la SA Gatinaise à payer, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile: * la somme de 2 000 euros à Madame Jacqueline Girard, * la somme de 300 euros à la CPAM des Deux-Sèvres, * la somme de 2 000 euros à la société Cerato Antonio, et rejette, pour l'ensemble des procédures de première instance et d'appel, toute autre demande plus ample ou contraire sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; - Condamne la SA Gatinaise aux entiers dépens de première instance et d'appel; - Dit y avoir lieu à application des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.