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Décisions

TPICE, 2e ch. élargie, 22 mai 1996, n° T-277/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AITEC

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kirschner

Juges :

MM. Vesterdorf, Bellamy, Kalogeropoulos, Potocki

Avocats :

Mes Siragusa, Scassellati-Sforzolini, Rizza.

TPICE n° T-277/94

22 mai 1996

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (deuxième chambre élargie),

Faits à l'origine du litige

1 Il est de notoriété publique que, durant l'année 1988, la République hellénique a accordé des aides aux producteurs helléniques de ciment et notamment à la société Halkis Cement Company (ci-après "Halkis"). Vu les pertes considérables de cette société, le Gouvernement hellénique a décidé de convertir une partie de ses dettes en capital et a permis que quelques entreprises et organismes publics n'exigent pas le remboursement des crédits consentis à Halkis, d'une part, et lui maintiennent une ligne de crédit, d'autre part (voir pour une description de la situation générale du secteur du ciment en Grèce l'arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T-447-93, T-448-93 et T-449-93, Rec. p. II-1971).

2 Ayant eu connaissance de ces faits, la Commission a engagé, le 3 avril 1989, une procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité CE et a, dans une communication relative à une aide accordée par le Gouvernement hellénique à Halkis (JO C 156 du 24.6.1989, p. 3), invité les intéressés, autres que les États membres, à présenter leurs observations. La requérante AITEC, qui représente la plupart des producteurs italiens de ciment, est intervenue dans la procédure en tant que partie intéressée, par l'envoi, le 17 juillet 1989, d'observations écrites à la Commission. Le Gouvernement hellénique a fait valoir qu'il avait appliqué la loi 1386-83 du 5 août 1983 (Journal officiel de la République hellénique n° 107-A du 8/8/1983, p. 14), instituant l'organismo anasygkrotiseos epicheiriseon (organisme pour la restructuration des entreprises, ci-après "OAE"), une société par actions dont le capital était entièrement souscrit par l'État et dont le but était de contribuer au développement économique et social du pays. A cette fin, l'OAE pouvait en particulier assumer l'administration et la gestion courante d'entreprises en cours d'assainissement ou nationalisées. Selon le Gouvernement hellénique, Halkis avait été assujettie aux dispositions de ladite loi relatives à la liquidation, cette dernière devant avoir lieu fin 1989.

3 Le 2 mai 1990, la Commission a arrêté la décision 91-144-CEE, relative à une aide accordée par le Gouvernement hellénique à un fabricant de ciment (Halkis Cement Company) (JO 1991, L 73, p. 27, ci-après "décision de 1990"). Son dispositif se lit comme suit:

Article premier

Les aides que le Gouvernement grec a accordées à Halkis Cement Company, en permettant à ses entreprises et ses organismes publics de ne pas recouvrer leurs créances auprès de cette entreprise et en laissant ces créances s'accumuler, sont illégales attendu qu'elles ont été accordées en infraction aux règles énoncées à l'article 93, paragraphe 3. Ces aides sont en outre incompatibles avec le Marché commun du fait qu'elles ne remplissent pas les conditions d'exemption prévues à l'article 92, paragraphes 2 ou 3, et doivent donc être supprimées.

Le Gouvernement grec doit par ailleurs s'abstenir de donner suite à son projet d'accorder une aide sous la forme d'une capitalisation des dettes de cette entreprise.

Article 2

Le Gouvernement grec supprime les aides visées à la première phrase de l'article 1er en en ordonnant la restitution.

Article 3

Le Gouvernement grec informe la Commission, dans les trois mois qui suivent la date de notification de la présente décision, des mesures qu'il a prises pour s'y conformer.

Article 4

La République hellénique est destinataire de la présente décision."

4 Peu de jours après la notification de la décision de 1990, le Gouvernement hellénique a fait savoir à la Commission que Halkis n'avait pas encore été assujettie aux dispositions de la loi 1386-83 susmentionnée, relatives à la liquidation, et qu'elle était par ailleurs en pourparlers avec des investisseurs étrangers. A cette occasion, diverses informations concernant les dettes, la comptabilité et les exportations de Halkis ont aussi été communiquées.

5 En octobre 1990, le Gouvernement hellénique, après avoir rappelé sa nouvelle conception politique et économique en matière de privatisation et de restructuration des sociétés surendettées, a demandé la coopération de la Commission afin d'envisager la meilleure façon d'exécuter la décision de 1990.

6 Pendant les mois d'octobre et de novembre 1990, plusieurs réunions ont eu lieu à Athènes, et une réunion s'est également tenue à Bruxelles le 11 janvier 1991. Les autorités helléniques y ont informé la Commission de l'état des négociations concernant l'avenir de Halkis.

7 Le 13 mars 1991, à l'issue d'une procédure d'enchères, la société italienne Calcestruzzi SpA a offert 33 milliards de DR payables au comptant, plus environ 8 milliards à verser sur dix ans, pour la reprise de Halkis. Les créanciers, qui auraient subi des pertes plus importantes en cas de mise en faillite de la société, trouvaient cette offre avantageuse. La Commission a été informée de ces faits par une communication du 21 mars 1991, d'une part, et lors d'une réunion tenue à Athènes du 17 au 20 mai 1991, d'autre part.

8 Le 12 juillet 1991, alors que la vente ne s'était pas encore concrétisée, la banque nationale de Grèce, principal créancier de Halkis, a demandé à la Cour d'appel d'Athènes de prononcer la mise en liquidation de la société. La cour a repoussé cette demande par un arrêt du 20 novembre 1991, estimant, d'une part, que Halkis était encore en mesure de faire face à ses engagements courants, et, d'autre part, que la solution de la reprise, qui nécessitait un certain temps pour se mettre en place, était celle qui convenait le mieux à toutes les parties intéressées.

9 Le 4 septembre 1991, la Commission a demandé des informations complémentaires aux autorités helléniques sur la vente de Halkis. Ce problème a également été soulevé, lors d'une rencontre du 18 novembre 1991, par le membre de la Commission en charge, à l'époque, des questions d'aides d'État.

10 Le 17 juin 1992, les quatre principaux créanciers de Halkis ont signé avec ses actionnaires un accord prévoyant une augmentation du capital. Calcestruzzi Holding SA (ci-après "Calcestruzzi") devait payer 41 250 000 050 DR pour acquérir 95 % des nouvelles actions. Par un arrêt du 13 octobre 1992, la Cour d'appel d'Athènes a approuvé cet accord.

11 Suite à une plainte déposée par AITEC le 19 novembre 1992, la Commission a, dans une lettre du 3 décembre 1992, demandé à nouveau aux autorités helléniques, de lui faire savoir si l'accord avec les créanciers avait été mené à bonne fin. Le Gouvernement hellénique a répondu par une lettre du 28 décembre 1992, en signalant que l'accord avait effectivement été approuvé par les organes compétents mais que Halkis n'avait pas encore été reprise par Calcestruzzi, dans la mesure où cette société n'avait pas effectué le premier paiement à l'échéance du 30 novembre 1992.

12 La Commission s'est à nouveau adressée au Gouvernement hellénique par lettre du 5 février 1993, pour lui faire part de son inquiétude quant à la non-exécution de la décision de 1990 et lui demander de trouver des solutions de rechange au cas où la vente à Calcestruzzi ne se concrétiserait pas. Le 19 mai 1993, elle a répondu à la plainte d'AITEC du 19 novembre 1992, en se référant à sa demande au Gouvernement hellénique du 5 février 1993, précitée, ainsi qu'à l'ouverture d'une procédure de faillite à l'égard de Halkis.

13 Le 2 juin 1993, la Commission a demandé des informations au Gouvernement hellénique sur les décisions arrêtées par les autorités judiciaires, tandis que Halkis transmettait à la Commission diverses informations relatives notamment aux actions entreprises en vue d'obtenir l'exécution de la reprise de la société par Calcestruzzi.

14 Le 13 juin 1993, Halkis a saisi la cour d'arbitrage de la chambre internationale de commerce en dénonçant l'inexécution des obligations assumées par Calcestruzzi et en réclamant à cette société le paiement d'une somme de 104 milliards de DR. Le 7 juillet 1993, Halkis a également cité Calcestruzzi devant le Tribunal de première instance d'Athènes pour obtenir un dédommagement de 104 millions de DR.

15 Le 3 mai 1994, AITEC a adressé une nouvelle plainte à la Commission, lui demandant, d'une part, d'introduire un recours devant la cour de justice en application de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité, afin de faire constater que le Gouvernement hellénique ne s'était pas conformé à la décision de 1990, et, d'autre part, de déclarer, par la voie d'une procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité, l'illégalité de nouvelles aides accordées par le Gouvernement hellénique à Halkis. Les comportements illicites du Gouvernement hellénique ayant persisté, en dépit de ses réclamations répétées, AITEC se disait contrainte d'insister auprès de la Commission pour que celle-ci fasse enfin cesser cette situation qu'elle-même considérait comme illicite. AITEC ajoutait qu'elle pourrait saisir la cour de justice d'un recours en carence, si la Commission ne réagissait pas à sa requête dans les deux mois.

16 Par lettre du 7 juin 1994, la Commission a demandé au Gouvernement hellénique de confirmer les informations qu'elle avait obtenues quant aux suites de l'exécution de la décision de 1990 et de lui fournir des indications sur les autres aides qui auraient été accordées à Halkis. La République hellénique a répondu à cette demande par lettre du 20 juillet 1994. Les services de la Commission ont ensuite examiné les nombreux documents joints en annexe à la réponse du Gouvernement hellénique.

17 Par lettre du 9 juin 1994 de M. Petersen, Directeur à la direction générale Concurrence de la Commission (DG IV; annexe 1 au présent recours), la Commission a fait part à AITEC des développements intervenus depuis sa lettre du 19 mai 1993. Ladite lettre continue comme suit:

"La Commission estime que les créanciers publics (et privés) de Halkis se comportent de façon rationnelle en laissant celle-ci poursuivre sa réclamation contre Calcestruzzi. Si la cour d'arbitrage de la CCI accueille la réclamation de Halkis, ses créanciers pourront au moins obtenir une partie des sommes que cette dernière leur doit certainement supérieure à celle qu'ils obtiendraient par les procédures de faillite ou de liquidation, conformément à la solution qu'ils ont acceptée en 1991. La Cour d'appel d'Athènes a confirmé cette appréciation dans sa décision 10428-1992 du 20 novembre 1991, dans laquelle elle a affirmé qu'en aucun cas, la vente aux enchères des installations de Halkis ne permettrait d'obtenir le montant de 41 250 millions de DR offert par Calcestruzzi. La Commission estime donc qu'il est inutile de renvoyer la question de l'exécution ou non de sa décision 91-144-CEE à la cour de justice au titre de l'article 92, paragraphe 3, du traité CE, avant que la cour d'arbitrage ne tranche le litige entre les deux sociétés.

Je voudrais ajouter à ce sujet que l'article 93, paragraphe 2, dispose que: 'Si l'État en cause ne se conforme pas à cette décision dans les délais impartis, la Commission ou tout autre État intéressé peut saisir directement la cour de justice [...]'. La Commission n'est pas tenue de le faire.

[...]

A moins que les informations demandées ne démontrent le contraire, il semble qu'aucune aide supplémentaire n'a été octroyée à Halkis après la décision 91-144-CEE. Il ne semble donc pas justifié d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE.

Je crois que les informations énoncées ci-dessus montrent que la Commission continue de suivre les actions engagées par les créanciers publics de Halkis pour s'assurer que la décision 91-144-CEE est respectée et qu'aucune aide supplémentaire n'est octroyée."

18 Le 13 juin 1994, la requérante a reçu une copie de cette lettre par fac-similé. La lettre lui a ensuite été notifiée le 4 juillet 1994.

19 Le 18 juillet 1994, la requérante a adressé une nouvelle lettre à la Commission. Elle y a critiqué la position exposée dans la lettre du 9 juin 1994 et a répété sa position du 3 mai 1994. Elle a ajouté que la mise en demeure adressée à la Commission le 3 mai 1994 continuait à produire ses effets aux fins d'un recours en carence (annexe 4 à la requête).

20 Le 26 juillet 1994, la Commission a répondu à la requérante par une lettre dans laquelle le directeur M. Petersen exposait: "S'agissant de la question du respect, par le Gouvernement grec, de la décision 91-144-CEE, je crois que la position de la Commission a été exposée de façon suffisamment claire dans ma lettre n° 5268 du 9 juin 1994."

Procédure et conclusions des parties

21 C'est dans ces circonstances qu'AITEC a introduit le présent recours, enregistré au greffe du Tribunal le 16 août 1994, qui tend en ordre principal à l'annulation du refus de la Commission, communiqué par sa lettre du 9 juin 1994, de saisir la cour de justice sur la base de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité, et accessoirement à l'annulation de la confirmation de ce refus par lettre du 26 juillet 1994. Alternativement, pour le cas où le Tribunal estimerait que les deux décisions attaquées ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours au titre de l'article 173 du traité CE, AITEC a introduit un recours en carence à l'encontre de la Commission, en application de l'article 175, troisième alinéa, du traité CE.

22 Dans sa requête, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision de la Commission, transmise à AITEC par lettre du 9 juin 1994, sous le n D-05268, et, à titre subsidiaire, la décision transmise à AITEC par lettre du 26 juillet 1994, sous le n° D-07743, en ce qu'elles expriment le refus de la Commission d'agir contre le Gouvernement hellénique pour inexécution de la décision de 1990, contrairement aux dispositions de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité;

- ordonner à la Commission de prendre en temps utile, sur la base de l'article 176 du traité CE, les mesures nécessaires pour donner pleine exécution à l'arrêt du Tribunal;

- condamner la Commission aux entiers dépens;

Alternativement, pour le cas où le Tribunal estimerait ne pas pouvoir considérer les actes attaqués comme des actes au sens de l'article 173 du traité:

- constater que, en s'abstenant de se prononcer de manière définitive sur le recours d'AITEC ou de saisir la cour de justice d'un recours contre le Gouvernement hellénique au sens de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité, pendant le délai de mise en demeure de deux mois qui lui avait été donné par AITEC conformément à l'article 175, deuxième alinéa, du traité, la Commission a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité;

- ordonner à la Commission de prendre en temps utile, sur la base de l'article 176 du traité, les mesures nécessaires pour donner pleine exécution à l'arrêt du Tribunal;

- condamner la Commission aux entiers dépens.

23 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- déclarer le recours irrecevable ou, à titre subsidiaire, dénué de fondement;

- condamner la requérante aux dépens.

24 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Il a toutefois invité la Commission à lui transmettre certains documents et a posé des questions supplémentaires auxquelles les parties devaient répondre à l'audience. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 12 décembre 1995.

Sur la recevabilité du recours

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

25 Sans soulever formellement une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114 du règlement de procédure du Tribunal, la Commission estime le recours d'AITEC irrecevable pour deux motifs: a) la Commission disposerait, au sens de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité, d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire excluant le droit, pour les particuliers, d'exiger d'elle qu'elle prenne position dans un sens déterminé; b) en outre, et indépendamment de cela, la prise de position de la Commission ne concernerait pas directement et individuellement la requérante.

26 La Commission se réfère, en premier lieu, à l'arrêt de la cour du 14 février 1990, France/Commission (301-87, Rec. p. I-307, ci-après "arrêt Boussac"), pour souligner que la voie de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité, constitue une forme particulière du pouvoir d'action plus général prévu par l'article 169 du traité CE. La cour aurait en effet constaté, au point 23 dudit arrêt, que "cette voie n'est qu'une variante du recours en manquement, adaptée de manière spécifique aux problèmes particuliers que présentent les aides étatiques pour la concurrence dans le Marché commun".

27 Elle expose qu'il ressort à l'évidence de l'examen textuel des règles et de l'économie générale du traité que ces dispositions lui accordent un pouvoir mais ne lui imposent pas une obligation.

28 Comme la cour l'aurait jugé à maintes reprises dans le cadre de l'article 169, la Commission ne serait pas tenue d'engager une procédure au sens de l'article 169, mais disposerait, à cet égard, d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire excluant le droit pour les particuliers d'exiger de cette institution qu'elle prenne position dans un sens déterminé et d'introduire un recours contre son refus d'agir (voir, par exemple, l'arrêt du 14 février 1989, Star Fruit Company/Commission, 247-87, Rec. p. 291).

29 La Commission conclut que la cour lui reconnaît clairement la possibilité et non l'obligation d'agir dans le domaine d'application de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité, puisque le recours général au titre de l'article 169 et le recours spécifique au titre de l'article 93, paragraphe 2, ont la même nature.

30 La Commission expose, en second lieu, qu'AITEC, en tant qu'association, n'a pas qualité pour agir en justice contre la Commission. Une association, en sa qualité de représentante d'une catégorie d'entrepreneurs, ne saurait être concernée individuellement par un acte affectant les intérêts généraux de cette catégorie (voir l'arrêt de la cour du 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e.a./Conseil, 16-62 et 17-62, Rec. p. 901). La requérante ne pourrait pas non plus invoquer les arrêts de la cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169-84, Rec. p. 391), et du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission (67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219), pour démontrer la recevabilité de son recours. En effet, elle n'aurait présenté aucun indice révélant qu'elle poursuit des intérêts différents et distincts de ceux de tout autre opérateur économique du secteur concerné.

31 La requérante estime son recours recevable. Dans sa lettre du 3 mai 1994, AITEC aurait apporté la preuve de ce que le Gouvernement hellénique persistait à ne pas exécuter la décision de 1990 et usait au contraire de moyens clairement dilatoires afin de laisser croire à la Commission qu'il avait réellement l'intention de la mettre en œuvre, et de ce que le Gouvernement continuait à financer Halkis par le maintien des lignes de crédit consenties par les banques et autres organismes publics.

32 Selon AITEC, l'acte que lui a adressé la Commission le 9 juin 1994 et, à titre subsidiaire, l'acte envoyé le 26 juillet 1994 constituent des décisions au sens de l'article 173 du traité. Se référant à l'arrêt de la cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission (60-81, Rec. p. 2639), et à l'arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission (T-64-89, Rec. p. II-367), la requérante expose qu'il ressort d'une jurisprudence constante que des mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci, constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation au sens de l'article 173 du traité. L'acte transmis par lettre de la Commission du 9 juin 1994 rejetterait expressément la demande d'AITEC d'engager la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité et fixerait de façon définitive la position de l'institution communautaire sur ce point. Invoquant l'arrêt de la cour du 16 juin 1994, SFEI e.a./Commission (C-39-93 P, Rec. p. I-2681), la requérante fait valoir que le caractère définitif de la décision du 9 juin 1994 n'est pas mis en cause par le fait que la Commission n'a pas exclu la possibilité de saisir la cour en cas d'issue défavorable à Halkis de la procédure d'arbitrage entre celle-ci et Calcestruzzi.

33 Dans son mémoire en réplique, AITEC rejette la thèse selon laquelle une décision de refus de la Commission ne constituerait pas un acte attaquable. Selon la jurisprudence antérieure de la cour, un recours contre une décision de refus ne serait en principe recevable que si l'acte positif, objet de ce refus, peut lui-même être attaqué. Or, la décision litigieuse se référerait à l'ouverture de la procédure. La requérante considère que le refus d'engager une procédure, puisqu'il exclut l'adoption d'autres mesures par la Commission, produit en soi des effets juridiques définitifs.

34 La requérante ajoute qu'elle a un intérêt individuel direct à attaquer la décision. Elle relève, tout d'abord, que celle-ci lui était expressément destinée. Surabondamment, la requérante fait valoir que, en tant qu'association groupant 29 entreprises italiennes de ciment (sur les 38 entreprises italiennes que compte ce secteur), représentant 92 % de la production nationale, elle a un intérêt légal à l'élimination, au bénéfice des producteurs italiens de ciment, d'une distorsion de la concurrence sur le marché italien du ciment. Il faudrait, selon elle, combler le vide législatif dû à l'absence de règles d'application des articles 92 et 93 du traité, en imposant des analogies entre les règles procédurales applicables aux entreprises dans les affaires de défense commerciale et celles qui leur sont applicables dans le domaine des aides d'État. Dans ce contexte, la participation de la requérante aux procédures administratives ayant procédé et suivi la décision de 1990 serait pertinente, étant donné qu'une part substantielle des ventes de ses 29 membres est en concurrence avec une part substantielle des ventes de l'entreprise bénéficiaire de l'aide. Le refus exprimé par la Commission permettrait la survie d'un concurrent qui, par le seul fait des aides qu'il reçoit, est en mesure d'exporter du ciment en Italie à des prix anormalement bas.

35 Quant au recours en carence, la requérante estime qu'elle peut légitimement exiger de la Commission qu'elle saisisse la cour en application de l'article 93, paragraphe 2, du traité, et qu'elle peut dès lors introduire un recours en carence devant le Tribunal, aux fins de faire constater que, en s'abstenant de saisir la cour, la Commission a manqué à l'une de ses obligations et a, par conséquent, enfreint le droit communautaire. Dans son 18e rapport sur la politique de concurrence (1988), la Commission aurait expressément reconnu l'importance de l'arrêt de la cour du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission (166-86 et 220-86, Rec. p. 6473), en soulignant que la cour y a jugé qu'une partie intéressée peut imposer à la Commission de prendre position, en application de l'article 175, deuxième alinéa, du traité, sur une aide accordée par un État membre à une entreprise concurrente (voir le point 323 dudit rapport).

36 Au cas où le Tribunal estimerait que la Commission a seulement la faculté, et non le devoir, de saisir la cour au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, AITEC estime pouvoir légitimement se prévaloir, en tant que requérante directement et immédiatement concernée, du droit d'obtenir de la Commission une prise de position définitive sur ses intentions qu'elle pourrait alors attaquer en application de l'article 173 du traité. La possibilité pour la Commission de différer à loisir son intervention par l'envoi de lettres interlocutoires affecterait l'intérêt des particuliers à la protection des droits qu'ils tirent de l'ordre juridique communautaire.

37 Dans sa réplique, AITEC conteste que la Commission puisse étendre la jurisprudence de la cour relative à l'article 169 du traité à la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité. La situation de fait visée par l'arrêt Boussac, précité, serait totalement différente de celle qui est à l'origine de la présente affaire. En réalité, il n'existerait pas de précédent jurisprudentiel quant à la recevabilité d'un recours tel que celui introduit par la requérante. Le secteur des aides d'État ferait l'objet d'un système spécial de contrôle, unique dans le cadre du traité.

38 La requérante expose que dans une procédure en matière d'aides d'État, la Commission jouit d'un moindre pouvoir discrétionnaire, puisque dans le contexte de l'article 93, paragraphe 3, du traité, elle est tenue d'engager sans délai la phase d'examen visée par l'article 93, paragraphe 2, et qu'elle est également tenue, après la notification de la mesure, de prendre position dans un délai de deux mois. Aussi bien la décision de ne pas engager la procédure précontentieuse que celle de l'engager constituerait des actes susceptibles de recours.

39 La requérante estime fondamental de relever que seuls la Commission et l'État membre intéressé participent à la procédure précontentieuse prévue par l'article 169 du traité, alors que l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, "exige que les intéressés soient mis en demeure de présenter leurs observations, donnant aux autres États membres et aux milieux concernés la garantie de pouvoir se faire entendre et permettant à la Commission d'être complètement éclairée sur l'ensemble des données de l'affaire avant de prendre" la décision appropriée (voir l'arrêt de la cour du 30 janvier 1985, Commission/France, 290-83, Rec. p. 439, points 16 et 17).

40 La requérante expose que l'interprétation que fait la Commission de sa fonction et de ses pouvoirs est de nature à priver, dans le présent cas d'espèce, les entreprises concurrentes de tout moyen de sauvegarder leurs intérêts légitimes, toute initiative étant réservée en cas d'inertie de la Commission aux États membres, qui feraient assez rarement usage de leur droit de demander l'annulation d'une décision approuvant une aide accordée par un autre État membre. En effet, pour ce qui est des effets économiques, la décision par laquelle la Commission refuse de mettre à exécution une décision antérieure d'interdiction d'une mesure d'aide pourrait être assimilée à une décision autorisant l'aide en question, ces deux décisions entraînant la même entrave aux échanges entre États membres et la même distorsion dans le jeu de la concurrence.

41 Quant à la question de savoir si elle est directement et individuellement concernée, la requérante fait valoir qu'on ne peut pas douter des effets immédiats (et définitifs) produits par la décision en cause sur sa situation juridique et sur la situation des entreprises qu'elle représente dans la présente affaire. L'intérêt dont se prévaut AITEC serait inhérent au résultat final attendu dans cette affaire, à savoir l'élimination, au bénéfice des producteurs italiens de ciment, d'une distorsion de concurrence de longue durée sur le marché italien du ciment.

42 AITEC estime que sa qualité pour former le présent recours découle en outre du fait qu'elle est intervenue dans l'intérêt du secteur en tant qu'association regroupant la quasi-totalité des producteurs italiens de ciment, dans les différentes procédures introduites devant la Commission et, singulièrement, dans celle qui a conduit à l'adoption de la décision de 1990, à laquelle elle a participé en tant que partie intéressée (voir l'arrêt du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313-90, Rec. p. I-1125).

43 Se référant aux conclusions de l'avocat général M. Lenz sous l'arrêt CIRFS e.a./Commission, précité (Rec. p. I-1148), AITEC soutient que l'introduction d'un recours devant la cour, par des entreprises tierces, contre une application des règles de concurrence qu'elles jugent insuffisante ou pas assez rigoureuse, est un moyen de protéger leur intérêt légitime à éviter que d'autres entreprises n'obtiennent des avantages de concurrence injustifiés, à leur détriment. AITEC, en tant qu'association, représenterait actuellement 29 des 38 entreprises du secteur du ciment en Italie, et 92 % de la production nationale. Ses entreprises membres seraient fortement lésées tant par le défaut d'exécution de la décision de 1990 par le Gouvernement hellénique que par le refus de la Commission d'intenter contre ce dernier un recours direct devant la cour. Il en résulterait une diminution constante des parts de marché des producteurs italiens au bénéfice de Halkis et d'autres producteurs helléniques, mais aussi des reconversions et des fermetures d'établissements opérées par les entrepreneurs établis dans les zones côtières, ceux-ci étant davantage concernés par l'arrivage de ciment transporté par mer à partir de la République hellénique. AITEC souligne que le préjudice virtuel subi par elle, dans l'hypothèse où elle ne pourrait pas agir en justice, est celui auquel faisait allusion l'avocat général Sir Gordon Slynn sous l'arrêt Van der Kooy e.a./Commission, précité (Rec. p. 240), lorsqu'il écrivait que "l'équité exige que [l'] association soit autorisée à former un recours". Aucune des entreprises représentées par AITEC n'ayant introduit un recours séparé, puisqu'elles estimaient plus opportun de se défendre conjointement par l'intermédiaire de leur association, la requérante se trouverait privée de la possibilité de défendre les intérêts de ses membres, si elle n'était pas en mesure d'introduire un recours en son propre nom.

44 AITEC ajoute qu'une diminution des parts de marché et du chiffre d'affaires de ses membres se solde également, de manière indirecte, par une perte de revenus dans son chef, puisque les cotisations des membres sont précisément calculées en fonction de la quantité de ciment produite durant l'exercice.

45 La Commission invoque, dans le cadre du recours en carence, les mêmes moyens et arguments que ceux déjà présentés dans le cadre du recours en annulation.

46 A titre de mesure d'organisation de la procédure, le Tribunal a invité les parties à répondre, lors de la procédure orale, à plusieurs questions dont l'une se référait au caractère éventuellement provisoire des lettres de la Commission des 9 juin et 26 juillet 1994.

47 La requérante a fait valoir que ces lettres constituent un acte attaquable au sens de l'article 173 du traité, étant donné que le refus de saisir la cour a produit des effets juridiques en laissant intacts les effets des aides grecques illégales. La Commission, en agissant de la sorte, aurait estimé "que c'est là une solution suffisante et cela permet en tant que tel d'éliminer l'illégalité de ces aides. C'est la raison pour laquelle la Commission refuse de saisir la cour et c'est un refus définitif". La requérante estime qu'il s'agit là d'une décision définitive et non pas simplement d'une communication revêtant un caractère provisoire.

48 La Commission a expliqué que, à la différence de ce qui s'était passé dans l'affaire Rendo e.a./Commission (voir l'arrêt du Tribunal du 18 novembre 1992, T-16-91, Rec. p. II-2417), les lettres en question sont une simple communication de son intention d'attendre la décision de la cour d'arbitrage de la chambre de commerce internationale. Il n'y aurait pas eu à choisir, en l'espèce, entre une procédure et une autre et il n'y aurait pas non plus de "droit de procédure dont serait titulaire une quelconque personne qui mérite d'être défendue". Les lettres seraient une simple communication courtoise à une association formulée en termes provisoires.

Appréciation du Tribunal

49 Quant à la recevabilité du recours en annulation, il y a lieu de constater d'emblée que la requérante entend attaquer, en application de l'article 173 du traité, une "décision" de la Commission du 9 juin 1994, en ce qu'elle exprime le refus de la Commission de saisir la cour de justice, sur la base de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité, de l'inexécution par le Gouvernement hellénique, de la décision de 1990, ainsi que, à titre subsidiaire, la confirmation de ce refus, exprimée dans la "décision" du 26 juillet 1994. Il s'ensuit que la requérante ne vise pas, par le présent recours, les nouvelles aides prétendument octroyées à Halkis, dont elle a également contesté la légalité dans sa plainte du 3 mai 1994. Il y a lieu de constater, en outre, que la lettre du 26 juillet 1994 n'est, en tout état de cause, qu'une confirmation de la lettre du 9 juin 1994 et ne constitue donc pas un acte attaquable.

50 Dans ces circonstances, le Tribunal rappelle, qu'il ne suffit pas qu'une lettre ait été envoyée par une institution communautaire à son destinataire, en réponse à une demande formulée par ce dernier, pour qu'elle puisse être qualifiée de décision au sens de l'article 173 du traité, ouvrant ainsi la voie du recours en annulation(voir l'ordonnance de la cour du 27 janvier 1993, Miethke/Parlement, C-25-92, Rec. p. I-473).

51 Il convient d'ajouter que, lorsqu'il s'agit d'actes ou de décisions dont l'élaboration s'effectue en plusieurs phases, notamment au terme d'une procédure interne, ne constituent, en principe, des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation que les mesures qui fixent définitivement la position de l'institution au terme de cette procédure, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale (voir par exemple les arrêts de la cour du 23 novembre 1995, Nutral/Commission, C-476-93 P, Rec. p. I-4125, point 29 et suivants, et du Tribunal du 18 mai 1994, BEUC et NCC/Commission, T-37-92, Rec. p. II-285, point 27).

52 Par conséquent, il y a lieu d'examiner si la lettre du 9 juin 1994 a communiqué à la requérante une position définitive de la Commission. Dans ce contexte, le Tribunal relève que la procédure relative à l'exécution de la décision de 1990 n'était pas terminée à l'époque. La Commission a estimé "inutile" de renvoyer à la cour de justice la question de l'éventuelle inexécution de cette décision tant que la cour d'arbitrage n'avait pas tranché le litige entre les deux sociétés, et a rappelé qu'elle-même suivait cette exécution. Force est donc de constater que la Commission n'avait pas encore adopté, en 1994, une position définitive vis-à-vis de la plainte de la requérante mais qu'elle envisageait de le faire à une date ultérieure. Cette indication dans la lettre démontre, en effet, qu'il s'agissait seulement pour la Commission de communiquer une information relative à l'examen en cours.

53 La requérante invoque l'arrêt SFEI e.a./Commission, précité, relatif au domaine de la concurrence, dans lequel la cour a constaté qu'"une institution, qui est dotée du pouvoir de constater une infraction et de la sanctionner et qui peut être saisie sur plainte de particuliers, comme c'est le cas de la Commission en droit de la concurrence, adopte nécessairement un acte qui produit des effets juridiques, lorsqu'elle met fin à l'enquête qu'elle a engagée à la suite de cette plainte". La cour a ainsi défini comme étant le stade ultime de la procédure l'acte qui ne sera suivi d'aucun autre susceptible de donner lieu à un recours en annulation. Dans ce cas d'espèce, la Commission a déclaré qu'elle continuerait à surveiller l'exécution de sa décision et qu'elle se réserverait le droit d'agir à l'avenir. A la différence de l'affaire SFEI e.a./Commission, la Commission n'a donc pas classé la plainte de la requérante dans le cas d'espèce, ce qui fait obstacle à la recevabilité du recours en annulation.

54 Le Tribunal observe que l'arrêt Rendo e.a./Commission, précité, invoqué par la requérante pour soutenir sa thèse selon laquelle la Commission aurait pris une décision à son égard, n'est pas davantage pertinent en l'espèce. La position adoptée par la Commission - à savoir attendre la décision de la cour d'arbitrage et, dans le même temps, suivre l'exécution de sa décision de 1990 - n'a pas pour effet d'interrompre pour une période considérable une procédure engagée. Ainsi qu'il ressort de la lettre du 9 juin 1994, la Commission n'a pas cessé de suivre le déroulement des événements en Grèce, ni de veiller à ce que sa décision soit exécutée. Force est donc de constater que, par son comportement, la Commission n'a pas violé d'éventuels droits procéduraux de la requérante ou de ses membres, droits qui font en toute hypothèse défaut dans le cadre de la surveillance de l'exécution d'une décision au titre de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, (voir ci-après point 71).

55 En tout état de cause, il y a lieu de constater que la seule suite favorable que la Commission aurait pu donner à la demande de la partie requérante aurait été d'engager, à l'encontre de la République hellénique, une procédure en constatation de manquement. Or, selon une jurisprudence constante, les particuliers ne sont pas recevables à attaquer un refus de la Commission d'engager une procédure en constatation de manquement à l'encontre d'un État membre (voir, en dernier lieu, les ordonnances de la cour du 12 juin 1992, Asia Motor France/Commission, C-29-92, Rec. p. I-3935, points 20 et 21, et du Tribunal du 13 novembre 1995, Aéroports de Paris/Commission, T-128-95, non publiée au Recueil, points 32 et suivants).

56 Il résulte de ce qui précède que, la lettre du 9 juin ne pouvant être qualifiée de décision, la requérante ne peut l'attaquer par la voie d'un recours en annulation. En conséquence, ce recours doit être rejeté comme irrecevable.

57 Quant au recours en carence, le Tribunal constate que, d'après les conclusions de la requérante, il comporte deux volets, en ce qu'il vise, d'une part, la prétendue omission de la Commission de se prononcer de manière définitive sur le "recours" d'AITEC et, d'autre part, son abstention de saisir la cour de justice (voir point 22 ci-dessus). Il s'ensuit que la requérante demande à la Commission, dans la première partie de ses conclusions, d'adopter une décision lui étant destinée qui se réfère aux suites que la Commission entend donner à la plainte de la requérante, tandis que la seconde partie des conclusions vise une décision de la Commission de saisir la cour de justice. En l'espèce, il paraît approprié d'examiner d'abord l'éventuelle omission de saisir la cour de justice.

58 Dans ce contexte, le Tribunal rappelle que, selon l'article 175, troisième alinéa, du traité, toute personne physique ou morale peut saisir le juge communautaire, dans les conditions indiquées dans le même article, pour faire grief à l'une des institutions "d'avoir manqué de lui adresser un acte autre qu'une recommandation ou un avis". Il découle des termes mêmes de cette disposition que, pour être recevable dans son recours en carence, une personne physique ou morale doit établir qu'elle est le destinataire potentiel d'un acte que la Commission serait obligée de prendre à son égard (voir, par exemple, l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Asia Motor France e.a./Commission, T-28-90, Rec. p. II-2285, point 29).

59 Par conséquent, il convient d'examiner, en premier lieu, quelle est la nature de l'acte sollicité par la requérante. Le but du deuxième volet du recours est d'obliger la Commission à appliquer l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité à savoir de saisir la cour de justice. Or, la décision de saisir la cour de justice est un acte préparatoire interne adopté au sein du collège des membres de la Commission, normalement sur proposition du membre en charge de l'affaire. Un tel acte de la Commission n'a pas de destinataire. Il est suivi par l'introduction du recours contre l'État membre concerné devant la cour de justice. En tant que telle, l'introduction du recours n'a pas non plus de destinataire mais crée seulement un état de litispendance.

60 Il résulte de ce qui précède que ni AITEC en tant qu'association, ni ses membres à titre individuel, ne sont les destinataires d'une éventuelle décision de la Commission de saisir la cour de justice. Dans ces circonstances, ni la requérante ni ses membres ne comptent parmi les personnes physiques ou morales qui se trouvent dans la situation juridique du destinataire potentiel d'un acte que la Commission serait obligée de prendre à leur égard (voir, par exemple, l'ordonnance du Tribunal du 23 janvier 1991, Prodifarma/Commission, T-3-90, Rec. p. II-1, points 37 et 38).

61 En deuxième lieu et à titre surabondant, il y a lieu d'examiner la thèse selon laquelle la requérante ou ses membres seraient directement concernés par la décision de saisir la cour et pourraient donc introduire un recours en carence malgré le libellé de l'article 175 du traité.

62 A supposer que l'existence d'un tel parallélisme entre le recours en annulation au titre de l'article 173 et le recours en carence au titre de l'article 175 du traité puisse être reconnue, à supposer encore que la protection juridictionnelle des particuliers exige une interprétation extensive de l'article 175, troisième alinéa, du traité, en ce sens qu'une personne physique ou morale pourrait reprocher à une institution d'avoir manqué d'adopter un acte dont elle ne serait pas le destinataire, mais qui la concernerait directement s'il était adopté (voir l'arrêt Star Fruit Company/Commission, précité, ainsi que les conclusions de l'avocat général M. Lenz sous cet arrêt, Rec. p. 294, point 13), il y aurait alors lieu d'examiner si AITEC ou ses membres se trouvent bien dans une telle position.

63 Ainsi que le Tribunal l'a déjà relevé, l'acte demandé n'est qu'une mesure préparatoire interne, qui n'a aucun effet extérieur et ne concerne aucun particulier (voir point 59 ci-dessus).L'établissement d'un lien d'instance entre la Commission et la Grèce n'affecterait pas la situation juridique de la requérante ou de ses membres, d'autant que la décision de 1990 est définitive. Pendant l'audience, la requérante elle-même a reconnu qu'elle ne serait pas admissible à participer à une telle procédure en tant que partie intervenante. Seul un arrêt de la cour pourrait éventuellement influencer sa situation juridique ou celle de ses membres. En outre, la requérante a également reconnu qu'il devrait être établi pendant la procédure devant la cour "[...] si oui ou non il y a eu manquement, et dans quelle situation". Il se peut donc - comme la requérante l'admet elle-même - que la cour ne constate pas de manquement de l'État membre concerné. Le prononcé d'un tel arrêt ne concernerait pas non plus directement la requérante. En aucun cas, la requérante ne serait donc directement concernée par l'acte sollicité (voir, en ce sens, l'arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Ladbroke/Commission, T-32-93, Rec. p. II-1015, point 41).

64 Il s'ensuit que, même en admettant un parallélisme entre le recours en annulation et le recours en carence, la requérante ne serait pas directement concernée dans le présent cas d'espèce.

65 En troisième lieu, le Tribunal rappelle que le recours en carence ouvert par l'article 175 du traité est subordonné à l'existence d'une obligation d'agir pesant sur l'institution concernée, de telle manière que l'abstention alléguée soit contraire au traité. Il y a donc lieu d'examiner quelles sont les obligations de la Commission au titre de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité. Or, il résulte de l'économie de cet article qu'il confère à la Commission (et aux autres États membres) la mission de veiller au respect, par les États membres, des décisions adoptées par la Commission dans le cadre de l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité, et qu'il l'investit du pouvoir de saisir directement la cour sans procédure précontentieuse contradictoire (voir l'arrêt Boussac, précité, point 23).

66 Il ressort de la disposition de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité, et plus généralement de l'ensemble des dispositions de cet article, que le pouvoir de surveillance dont dispose la Commission à l'égard des États membres qui ne se conforment pas à sa décision dans le délai imparti implique un large pouvoir d'appréciation dans le chef de la Commission. Celle-ci n'est donc pas tenue d'engager une procédure au sens de cette disposition. Au contraire, elle dispose d'un pouvoir discrétionnaire d'appréciation excluant le droit pour quiconque d'exiger d'elle qu'elle prenne position dans un sens déterminé (voir, par exemple, l'arrêt Star Fruit Company/Commission, précité, point 11, et l'ordonnance Aéroports de Paris/Commission, précitée, point 43).

67 Il convient en outre de rappeler que, comme la cour l'a jugé, la voie de recours prévue par l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité, n'est qu'une variante du recours en manquement aux termes de l'article 169 du traité, adaptée de manière spécifique aux problèmes particuliers que présentent les aides étatiques pour la concurrence dans le Marché commun (voir l'arrêt Boussac, précité, point 23). Or, selon une jurisprudence constante, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation quant à l'opportunité de saisir la cour d'un recours en manquement. Ce pouvoir d'appréciation n'est en aucune manière subordonné aux demandes des particuliers d'agir dans un sens déterminé, que ce soit dans le cadre de l'article 169, ou dans celui de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité (voir par exemple l'ordonnance du Tribunal du 4 juillet 1994, Century Oils Hellas/Commission, T-13-94, Rec. p. II-431, point 14, et l'arrêt du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T-575-93, Rec. p. II-0000, point 71).

68 Par conséquent, l'exercice du pouvoir d'appréciation de la Commission quant à la saisine de la cour, n'est assorti d'aucune obligation susceptible d'être invoquée par la requérante aux fins de faire constater une carence de la défenderesse. Il résulte de ce qui précède que le deuxième volet du recours en carence doit être rejeté comme irrecevable.

69 Quant à l'autre volet du recours en carence, à savoir la prétendue omission de la Commission d'adopter une décision sur la demande d'AITEC, il y a lieu de rappeler que le recours en carence est subordonné à l'existence d'une obligation d'agir pesant sur l'institution concernée. Par conséquent, le Tribunal doit examiner si la requérante a démontré que la Commission était obligée de prendre une telle décision à son égard.

70 À ce propos, il convient tout d'abord de rappeler que les règlements d'exécution prévus par l'article 94 du traité CE n'ont pas été adoptés. Par conséquent, force est de constater qu'aucune disposition de droit communautaire ne prévoit l'adoption d'une décision du type de celle visée par le présent recours en carence.

71 Il y a toutefois lieu de vérifier si l'arrêt Asia Motor France e.a./Commission, précité (notamment point 29), qui se situe dans le cadre des articles 85 et 86 du traité et du règlement n 17 du Conseil, du 6 février 1962 premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), est transposable au cas d'espèce. Dans ce contexte, il convient de relever une différence essentielle entre le présent cas d'espèce et l'affaire Asia Motor France e.a./Commission, qui avait pour objet la constatation, par la Commission, de l'infraction commise par un particulier. Dans cette situation, le Tribunal a reconnu le droit pour un autre particulier, plaignant, de recevoir une décision de la Commission sur sa plainte. Dans le cas d'espèce, l'omission litigieuse se situe dans le champ d'application de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité. Tandis que le premier alinéa de cette disposition prévoit une participation des intéressés à la procédure, le deuxième alinéa ne la mentionne plus. En effet, après l'adoption d'une décision constatant l'illégalité d'une aide, la Commission doit disposer d'un large pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution de cette décision, qui peuvent soulever des questions complexes liées à la restitution de l'aide illégale (voir également l'arrêt de la cour du 23 février 1995, Commission/Italie, C-349-93, Rec. p. I-343, point 13). Par conséquent, l'arrêt Asia Motor France e.a./Commission, précité, n'est pas transposable au cas d'espèce.

72 Il résulte de ce qui précède que la requérante n'a pas démontré que la Commission aurait omis d'adopter une décision en violation d'une obligation qui lui incombait.

73 Cette solution n'exclut pas que, dans certains cas, la Commission puisse être tenue, dans l'intérêt d'une bonne administration et de la transparence, d'informer le plaignant des suites de sa décision. Force est toutefois de constater qu'en l'espèce la Commission a procédé à un échange d'informations suffisant avec la requérante.

74 Dans ces circonstances, le premier volet du recours en carence est également irrecevable. Par conséquent, il y a lieu de rejeter l'ensemble du recours en carence comme irrecevable.

Sur les dépens

75 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) La requérante supportera ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la Commission.