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Décisions

TPICE, 3e ch. élargie, 22 octobre 1996, n° T-330/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Salt Union Ltd

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Saggio

Juges :

Mme Tiili, M. Ramos

Avocat :

Me Priess.

TPICE n° T-330/94

22 octobre 1996

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (première chambre élargie),

Faits

1 Par son arrêt définitif du budget général des Communautés européennes pour l'exercice 1992, le Parlement a décidé qu'"un montant d'au moins 530 000 écus serait utilisé comme soutien à la mise en place d'un réseau d'information sur les projets de tourisme écologique en Europe" (JO L 26, p. 1, 659).

2 Le 26 février 1992, la Commission a publié au Journal officiel un appel à propositions, en vue de soutenir des projets dans le domaine du tourisme et de l'environnement (JO C 51, p. 15). Elle y a indiqué qu'elle entendait allouer, au total, 2 millions d'écus, et sélectionner environ 25 projets. L'appel annonçait également que "les projets sélectionnés devraient être achevés dans un délai d'un an après la signature du contrat". Le terme "contrat" renvoyait à la déclaration que le bénéficiaire du soutien devrait signer pour que l'octroi du soutien devînt effectif.

3 Le 22 avril 1992, la requérante, qui est une entreprise établie en Allemagne et active dans le domaine du tourisme, a soumis un projet portant création d'une banque de données sur le tourisme écologique en Europe. Cette banque de données devait être dénommée "Ecodata". La coordination du projet devait être prise en charge par la requérante. Toutefois, pour la réalisation des travaux, la requérante devait collaborer avec trois partenaires, à savoir l'entreprise française Innovence, l'entreprise italienne Tourconsult et l'entreprise grecque 01-Pliroforiki. La proposition ne contenait aucune précision relative à la répartition des tâches entre ces entreprises, mais se bornait à indiquer qu'elles étaient toutes des "consultants specialised in tourism, as well as in information-and tourism-related projects" ("consultants spécialisés dans le tourisme ainsi que les projets intéressant l'information et le tourisme").

4 Toujours selon la proposition, l'exécution du projet devait prendre quinze mois. Une première période de quatre mois devait être réservée à la prise de mesures de planification ("requirements analysis and data determination", "data base planning", "network technical specifications"). Ensuite, une période de huit mois devait être consacrée au développement du logiciel et à l'exécution d'une phase pilote ("development of application software", "pilot phase"). La phase pilote devait être accompagnée d'une première évaluation du système ("system evaluation"). Enfin, trois mois devaient être consacrés à l'évaluation finale du système et à son extension ("system expansion"). Quant à la phase pilote, il était précisé que celle-ci consisterait dans la mise en œuvre et l'évaluation du système dans les quatre États membres d'origine des quatre entreprises participant au projet, à savoir l'Allemagne, la France, l'Italie et la Grèce. A l'issue de cette phase, la banque de données devait être accessible aux utilisateurs. Quant à l'extension du système, il était précisé que celle-ci consisterait dans l'extension de la banque de données, tant pour ce qui est de son contenu que pour ce qui est de son utilisation, aux autres États membres.

5 Par lettre du 4 août 1992, la Commission a octroyé un soutien de 530 000 écus en faveur du projet Ecodata et a invité la requérante à signer et à renvoyer la "déclaration du bénéficiaire du soutien" (ci-après "déclaration"), qui était annexée à la lettre et dans laquelle figuraient les conditions de réception du soutien.

6 La déclaration stipulait notamment que 60 % du montant du soutien serait versé dès réception, par la Commission, de la déclaration dûment signée par la requérante et que le reste du montant serait versé après réception et acceptation par la Commission des rapports sur l'exécution du projet, à savoir un rapport intermédiaire à soumettre dans un délai de trois mois à compter du commencement de l'exécution du projet et un rapport final, accompagné de documents comptables, à soumettre dans un délai de trois mois à compter de l'achèvement du projet et au plus tard pour le 31 octobre 1993. Quant à cette dernière date, la déclaration précisait qu'il s'agissait d'un délai impératif s'inscrivant dans le cadre de la réglementation budgétaire des Communautés. Finalement, la déclaration indiquait que le non-respect des délais stipulés pour la présentation des rapports et des documents requis équivaudrait à une renonciation au versement du solde du soutien.

7 La déclaration a été signée par la requérante le 23 septembre 1992 et a été reçue par la Commission le 29 septembre 1992. La première tranche du soutien n'a, toutefois, pas été versée à la requérante à la suite de la réception, par la Commission, de ladite déclaration signée. Après un entretien téléphonique à ce sujet entre la requérante et les services de la Commission, M. Von Moltke, directeur général de la direction générale Politique d'entreprise, commerce, tourisme et économie sociale (DG XXIII), a envoyé à la requérante, le 18 novembre 1992, une nouvelle déclaration de même contenu que celle annexée à la lettre du 4 août 1992. Sur la base de cette nouvelle déclaration, la première partie du soutien a été versée, en janvier 1993.

8 Par lettre du 23 octobre 1992, la Commission a fait savoir à la requérante qu'elle supposait que l'exécution du projet avait commencé au plus tard le 15 octobre 1992 et qu'elle attendait dès lors le rapport intermédiaire pour le 15 janvier 1993. Dans la même lettre, la Commission a également prié la requérante de présenter encore deux autres rapports intermédiaires, à savoir un pour le 15 avril 1993 et un pour le 15 juillet 1993. Enfin, elle a répété que le rapport final devait être présenté au plus tard le 31 octobre 1993.

9 En novembre 1992, M. Tzoanos, chef de division au sein de la DG XXIII, a convoqué la requérante et 01-Pliroforiki à une réunion qui a eu lieu en l'absence des deux autres partenaires du projet. Selon les attestations de la requérante, qui n'ont pas en tant que telles été contestées par la défenderesse, M. Tzoanos aurait proposé, pendant ladite réunion, de confier l'essentiel du travail et d'accorder l'essentiel des fonds à 01-Pliroforiki.

10 La requérante a également été invitée à accepter la participation au projet d'une entreprise allemande, Studienkreis für Tourismus, non mentionnée dans la proposition de projet, qui était déjà active dans un projet de tourisme écologique du nom d'"Ecotrans". Cette participation a notamment été discutée au cours d'une réunion qui s'est tenue à la Commission le 19 février 1993, et lors de laquelle ses services ont insisté sur la participation du Studienkreis für Tourismus.

11 Quelques jours après la réunion du 19 février 1993, le dossier du projet Ecodata a été retiré à M. Tzoanos. Par la suite, une procédure disciplinaire contre ce dernier ainsi que des enquêtes internes sur les dossiers qu'il a gérés ont été ouvertes. La procédure disciplinaire a abouti à la révocation de M. Tzoanos. En revanche, l'enquête interne sur la procédure administrative ayant mené à l'octroi du soutien au projet Ecodata n'a révélé aucune irrégularité.

12 En mars 1993, la requérante, Innovence, Tourconsult et 01-Pliroforiki ont tenu une réunion afin de négocier un accord sur l'aménagement du projet et notamment sur la répartition des tâches. Cet accord a été formellement conclu le 29 mars 1993.

13 La requérante a présenté un premier rapport en avril 1993, un deuxième rapport en juillet 1993 et un rapport final en octobre 1993 (annexe 12 à la requête, volume 1). Elle a également invité la Commission à une présentation des travaux accomplis. Cette présentation a eu lieu le 15 novembre 1993.

14 Par lettre du 30 novembre 1993, la Commission a communiqué à la requérante ce qui suit:

" [...] the Commission considers that the report submitted on the [Ecodata] project shows that the work completed by 31 October 1993 does not satisfactorily correspond with what was envisaged in your proposal dated 22 April 1992. The Commission therefore considers that it should not pay the outstanding 40% of its proposed contribution of 530,000 ECU for this project.

The Commission's reasons for taking this position include the following:

1. The project is nowhere near complete. Indeed the original proposal provided for a pilot phase as the fifth stage of the project. Stages six and seven respectively were to be System Evaluation and System Expansion (to the twelve Member States) and it is clear from the timetable set out on page 17 of the proposal that these were to be completed as part of the project to be co-financed by the Commission.

2. The pilot questionnaire was manifestly over-detailed for the project in question having regard in particular to the resources available and the nature of the project. It should have been based on a more realistic appraisal of the principle information needed by those dealing with questions of tourism and the environment [...]

3. The linking together of a number of databases to establish a distributive database system has not been achieved at 31 October 1993.

4. The type and quality of data from the test regions is most disappointing, particularly as there were only 4 Member States with 3 regions in each. A great deal of such data as there is in the system is either of marginal interest or irrelevant for questions relating to the environmental aspects of tourism particularly at the regional level.

5. These reasons and others which are also apparent, sufficiently demonstrate that the project has been poorly managed and coordinated by IPK and has not been implemented in a manner which corresponds with its obligations.

[...]"

(" [...] la Commission estime que le rapport présenté sur le projet [Ecodata] révèle que le travail effectué jusqu'au 31 octobre 1993 ne correspond pas de manière satisfaisante à ce qui avait été envisagé dans votre proposition du 22 avril 1992. C'est pourquoi la Commission estime ne pas devoir payer les 40 % non encore versés de la contribution de 530 000 écus qu'elle avait envisagée pour ce projet.

Les raisons qui ont amené la Commission à adopter cette décision sont notamment les suivantes:

1. Le projet est loin d'être achevé. De fait, la proposition initiale prévoyait que la cinquième étape du projet serait une phase pilote. Les étapes six et sept devaient avoir respectivement pour objet l'évaluation du système et son extension (aux douze États membres), et le calendrier qui figure à la page 17 de la proposition montre clairement que ces étapes devaient être menées à bien en tant que partie du projet que la Commission devait cofinancer.

2. Le questionnaire pilote était manifestement trop détaillé pour le projet en cause, compte tenu notamment des ressources disponibles et de la nature du projet. Il aurait dû être basé sur une évaluation plus réaliste des informations essentielles dont les personnes qui s'occupent de questions de tourisme et d'environnement ont besoin [...]

3. L'interconnexion d'un certain nombre de données en vue de créer un système de bases de données réparties n'a pas été réalisée au 31 octobre 1993.

4. La nature et la qualité des données obtenues des régions tests sont très décevantes, en particulier parce que l'enquête ne couvrait que quatre États membres et trois régions dans chaque État. De nombreuses données contenues dans le système sont soit d'intérêt secondaire, soit sans importance pour les questions liées aux aspects environnementaux du tourisme, notamment au niveau régional.

5. Ces raisons, et d'autres qui sont également manifestes, démontrent suffisamment qu' IPK a médiocrement conduit et coordonné le projet, et qu'elle ne l'a pas mis en œuvre d'une manière qui correspond à ses obligations.

[...]")

15 La requérante a exprimé son désaccord sur le contenu de la lettre citée, notamment par une lettre adressée à la Commission le 28 décembre 1993. Entre-temps, elle a continué à développer le projet et elle en a fait quelques présentations en public. Le 29 avril 1994, une réunion entre la requérante et des représentants de la Commission a eu lieu, pour discuter du conflit les opposant. Par lettre du 3 août 1994, la Commission a communiqué à la requérante ce qui suit:

"I am sorry that it was not possible to reply to you directly at an earlier stage following our exchange of letters and (la réunion du 29 avril 1994).

[...] there is nothing in your reply of 28th December which would lead us to change our opinion. However you raise a number of additional matters on which I would like to comment. [...]

I now have to inform you that having fully considered the matter [...] I see little point in our having a further meeting. I am therefore now confirming that we will not, for the reasons set out in my letter of 30 November and above make any further payment in respect of this project [...] "

("Il ne m'a pas été possible de vous répondre directement plus tôt à la suite de notre échange de lettres et de la réunion (du 29 avril 1994).

[...] il n'y a rien dans votre réponse du 28 décembre qui puisse nous faire changer d'avis. Toutefois, vous avez soulevé un certain nombre de points supplémentaires à propos desquels je souhaiterais présenter des observations [...]

Il me faut à présent vous informer qu'après avoir pleinement étudié la question [...] je pense qu'il ne servirait pas à grand-chose que nous ayons une nouvelle réunion. C'est pourquoi je vous confirme que, pour les raisons exposées dans la lettre du 30 novembre et ci-dessus, nous n'effectuerons aucun autre versement concernant ce projet [...] ")

Procédure et conclusions des parties

16 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe le 13 octobre 1994, la requérante a introduit le présent recours.

17 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, les parties ont, toutefois, été invitées à répondre par écrit à certaines questions avant l'audience.

18 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 25 juin 1997.

19 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision de la Commission du 3 août 1994, refusant le paiement du deuxième versement du soutien octroyé à la requérante par la communication du 4 août 1992;

- condamner la défenderesse aux dépens.

20 La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé;

- condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

21 La défenderesse soulève l'irrecevabilité du recours au motif que le délai de deux mois prévu à l'article 173, cinquième alinéa, du traité n'a pas été respecté. Selon elle, sa décision de ne pas verser le solde du soutien a été communiquée à la requérante par la lettre du 30 novembre 1993. Cette décision aurait été définitive et n'aurait aucunement fait l'objet d'un réexamen par la suite, dans la mesure où, lors des contacts qui ont suivi, la requérante n'a pas présenté d'éléments nouveaux. La lettre du 3 août 1994 aurait, par conséquent, un caractère purement confirmatif.

22 Selon la requérante, plusieurs expressions figurant dans la lettre du 30 novembre 1993 démontrent que la décision y communiquée n'était pas définitive. Elle se réfère notamment à l'emploi du mot "should" dans la phrase dans laquelle la Commission fait part de son intention de ne pas procéder au versement du solde du soutien.

23 La requérante observe également que la décision communiquée par la lettre du 3 août 1994 a été prise après un nouvel examen du dossier et pour des motifs partiellement nouveaux.

Appréciation du Tribunal

24 Selon une jurisprudence bien établie, un recours en annulation formé contre une décision purement confirmative d'une décision antérieure non attaquée dans les délais est irrecevable(arrêts de la cour du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission, 166-86 et 220-86, Rec. p. 6473, point 16, et du 11 janvier 1996, Zunis Holding e.a./Commission, C-480-93 P, Rec. p. I-1, point 14; ordonnance de la cour du 21 novembre 1990, Infortec/Commission, C-12-90, p. I-4265, point 10). Une décision est purement confirmative d'une décision antérieure si elle ne contient aucun élément nouveau par rapport à un acte antérieur et n'a pas été précédé d'un réexamen de la situation du destinataire de cet acte antérieur(arrêt de la cour du 9 mars 1978, Herpels/Commission, 54-77, Rec. p. 585, point 14; arrêts du Tribunal du 3 mars 1994, Cortes Jimenez e.a./Commission, T-82-92, RecFP p. II-237, point 14, et du 22 novembre 1990, Lestelle/Commission, T-4-90, Rec. p. II-689, point 24).

25 Dans le cas d'espèce, la Commission a organisé une réunion qui a eu lieu le 29 avril 1994 et au cours de laquelle son refus de payer le solde du soutien ainsi que l'état d'avancement du projet figuraient parmi les sujets discutés. Cela peut, notamment, être déduit des réponses écrites des parties à une question du Tribunal portant précisément sur le contenu de la réunion du 29 avril 1994.

26 Le Tribunal estime que cette initiative doit être qualifiée de réexamen au sens de la jurisprudence susvisée. En effet, même si, comme l'a souligné la partie défenderesse lors de la procédure orale, ladite réunion n'a révélé aucun élément nouveau et n'a pas été de nature à conduire la Commission à adopter une autre position, le fait qu'une réunion se soit tenue sur les mêmes questions que celles traitées par la lettre du 30 novembre 1993 ne peut que conduire à la conclusion que la lettre du 30 novembre 1993 n'a pas définitivement clôturé la procédure administrative. Le Tribunal considère, à cet égard, que, si la Commission était d'avis que la lettre du 30 novembre 1993 comportait sa décision finale, il lui aurait suffi de faire référence à cette lettre chaque fois que la requérante prenait contact avec elle au sujet du refus de verser le solde du soutien.

27 Dans ces circonstances, l'argument de la défenderesse selon lequel le recours a été introduit tardivement ne saurait être accueilli. Il s'ensuit que le recours est recevable.

Sur le fond

28 La requérante invoque, en substance, deux moyens à l'appui de son recours. Le premier moyen est tiré d'une violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. Le second moyen est tiré d'une insuffisance de motivation.

Premier moyen, tiré d'une violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime

Arguments des parties

29 La requérante conteste liminairement la fixation au 31 octobre 1993 de la date limite à laquelle le projet devait être achevé pour que le solde du soutien octroyé puisse être versé. Selon elle, la fixation de cette date serait sans valeur dans la mesure où la déclaration et la lettre du 23 octobre 1992 envoyées par la Commission à la requérante ne contiennent que des conditions qui ont été déterminées unilatéralement par la Commission.

30 Plus spécifiquement, pour ce qui concerne la déclaration, la requérante soutient que, en substance, celle-ci ne constitue pas un contrat. Il en serait ainsi parce que le bénéficiaire d'un soutien financier communautaire n'offre aucune contre-prestation à la Communauté. Elle souligne que, aux termes du règlement financier des Communautés, un accord contractuel entre la Communauté et le bénéficiaire d'un soutien existe uniquement s'il y a une caution de la part du bénéficiaire.

31 La requérante fait remarquer, en outre, que le texte de la déclaration définit la date du 31 octobre 1993 comme date à laquelle le rapport final sur l'utilisation des fonds doit être présenté, et non pas comme date à laquelle le projet doit effectivement être achevé.

32 Quant à l'état du projet au 31 octobre 1993, la requérante, tout en reconnaissant qu'il y a eu d'importants retards dans l'exécution du projet, affirme que sa présentation le 15 novembre 1993 "a été couronnée de succès" et que le rapport présenté en octobre 1993 faisait mention de "conclusions concrètes quant à l'aménagement futur de la banque de données Ecodata". Elle souligne qu'elle a soumis avant le 31 octobre 1993 toutes les pièces requises par la déclaration et que toutes les dépenses faites étaient directement liées au projet et n'excédaient pas le montant du soutien octroyé.

33 La requérante conclut que toutes les conditions stipulées dans la déclaration pour le versement du solde du soutien étaient remplies. En refusant le paiement sur la base de considérations portant sur l'état et la qualité du projet, la Commission aurait excédé les termes de la déclaration et, par conséquent, ses pouvoirs. Dès lors, la Commission aurait commis une violation du principe patere legem quam ipse fecisti. Au même titre, le refus de paiement enfreindrait le principe de Selbstbindung (principe selon lequel les actes de l'administration lient les comportements ultérieurs de celle-ci) et le principe de protection de la confiance légitime.

34 Enfin, la requérante rappelle que les retards survenus dans l'exécution du projet ont été causés par certaines ingérences des fonctionnaires de la DG XXIII, notamment celles visant à confier une grande majorité des fonds accordés à 01-Pliroforiki (voir point 9 ci-dessus) et à faire accepter comme partenaire l'entreprise Studienkreis für Tourismus (voir point 10 ci-dessus), et qu'il est, dès lors, de ce seul fait injustifié de sanctionner la requérante en refusant de la payer précisément à cause d'une exécution tardive du projet.

35 Selon la défenderesse, les principes généraux invoqués par la requérante ne constituent pas le cadre juridique à la lumière duquel la décision attaquée doit être évaluée. Il serait plus pertinent d'examiner dans quelle mesure la requérante a respecté les conditions d'octroi du soutien.

36 Sur ce point, la défenderesse expose, d'abord, que le délai stipulé dans la déclaration était impératif, en raison de la nécessité de respecter les règles budgétaires. Elle soutient, ensuite, que le projet n'était pas du tout réalisé lors de l'expiration dudit délai. A cet égard, elle fait remarquer que la banque de données n'était pas véritablement opérationnelle au 31 octobre 1993 et que, à supposer même qu'elle le fût dans une certaine mesure, la requérante et ses partenaires n'y avaient pas intégré les données de la totalité des États membres, alors que ce travail était explicitement prévu dans la description et dans le calendrier qui figuraient dans la proposition du 22 avril 1992. La défenderesse observe, par ailleurs, que le rapport final annonce toujours le début plutôt que la fin des travaux. En outre, la défenderesse exprime sa déception quant à la qualité des données qui ont été recueillies dans les régions pilotes.

37 La défenderesse conclut de ces éléments que le projet qui faisait l'objet du concours octroyé n'a pas été exécuté, dans le délai fixé, en conformité avec les conditions d'octroi.

Appréciation du Tribunal

38 Il ressort de la jurisprudence en matière de concours financiers accordés par la Communauté que l'obligation de respecter les conditions financières telles qu'indiquées dans la décision d'octroi ainsi que l'obligation d'exécution matérielle de l'investissement constituent des engagements essentiels du bénéficiaire et, de ce fait, conditionnent l'attribution du concours communautaire (arrêt du Tribunal du 24 avril 1996, Industrias Pesqueras Campos e.a./Commission, T-551-93, T-231-94, T-232-94, T-233-94 et T-234-94, Rec. p. II-247, point 160).

39 Dans le cas d'espèce, les conditions financières du concours sont indiquées dans la déclaration annexée à la décision d'octroi. En effet, la lettre du 4 août 1992 octroyant le concours financier à la requérante indique que "[e]in Vordruck, in dem die allgemeinen Verpflichtungen dargelegt sind, die Empfänger eines Zuschusses der Kommission zu erfüllen haben, ist diesem Schreiben beigefügt" ("Ci-joint, vous trouverez un formulaire de délaration qui présente les obligations générales à suivre comme bénéficiaire d'une aide financière de la Commission"). La déclaration a été signée avec la mention "gelesen und gebilligt" ("lu et approuvé") par la requérante, et fait apparaître entre autres conditions que le concours soit utilisé dans le cadre du projet décrit dans la proposition du 22 avril 1992 et que, dans les trois mois suivant l'achèvement du projet et au plus tard le 31 octobre 1993, un rapport sur l'utilisation du concours soit présenté. Quant à la date du 31 octobre 1993, la déclaration précisait que celle-ci s'imposait en raison de la durée limitée des crédits engagés au titre de l'action en cause.

40 Le Tribunal estime qu'il ressort clairement des conditions susvisées de la déclaration que, premièrement, l'utilisation des fonds était censée couvrir les étapes principales du projet annoncées dans la proposition du 22 avril 1992 (voir point 4 ci-dessus), et que, deuxièmement, le rapport demandé pour le 31 octobre 1993 au plus tard était censé faire fonction de rapport final sur l'utilisation des fonds, de sorte que cette date constituait la date limite pour l'achèvement du projet décrit dans la proposition du 22 avril 1992. Par ailleurs, la requérante a elle-même qualifié son rapport, déposé en octobre 1993, de "final report", et à la page 89 dudit rapport (annexe 12 à la requête, volume 1), elle a rappellé explicitement que le 31 octobre 1993 était la date limite pour l'achèvement du projet tel qu'initialement proposé. De même, il ressort des pièces du dossier que l'éventualité d'une réduction du concours en cas de non-respect de la date fixée par la Commission était également connue et reconnue par la requérante. Cela ressort par exemple du contrat du 29 mars 1993 conclu entre la requérante et ses partenaires (annexe 9 à la requête), qui stipule, au paragraphe qui concerne la réalisation des travaux, que "[t]he Contracting Parties agree that a deadline has been fixed by the Commission of the European Communities which may not be exceeded since this would endanger the grant" ("Les parties contractantes reconnaissent qu'une date limite a été fixée par la Commission des Communautés européennes, qui ne saurait être dépassée sans compromettre le versement du concours").

41 Quant au respect, par la requérante, des conditions d'octroi ainsi définies, il y a lieu de constater qu'en date du 31 octobre 1993, les travaux en vue de l'extension du système aux autres régions et États membres que ceux couverts par la phase pilote du projet n'avaient pas été réalisés. Cela ressort notamment de la page 6 du rapport final, selon laquelle " [t]his final report contains the results of the test phase of the [Ecodata]-Project. It is however necessary to underscore that [Ecodata] is not ending now, but rather just starting" ("le présent rapport final contient des résultats de la phase test du projet [Ecodata]. Il convient toutefois de souligner qu'[Ecodata] n'est pas en cours d'achèvement, mais seulement en cours de démarrage"), et de la page 32 du même rapport, laquelle confirme que la phase pilote était limitée à l'Allemagne, à la France, à l'Italie et à la Grèce.

42 Il convient de constater, en outre, que le rapport final déposé par la requérante en octobre 1993 est formulé avec beaucoup de réserve, même pour ce qui concerne les étapes de la phase pilote, du développement du logiciel et de l'évaluation du système. Notamment, il est indiqué, aux pages 94 à 96, 100 et 106 du rapport final, que la collecte des données n'était pas entièrement achevée, même dans les régions pilotes (Allemagne: "[...] many of the questions could not be answered at present"; France: "[...] fieldwork in France proved to be extremely difficult. [...] data collection will continue"; Italie: "In terms of quantity, the field work carried out in Italy proved that 70-80 % of the check list data is available. [...] In terms of quality we met some difficulties"; Grèce: " [...] data collection was difficult") ("Allemagne: `[...] de nombreuses questions n'ont pu recevoir de réponse pour le moment'; France: `[...] en France, le travail sur le terrain s'est révélé extrêmement difficile. [...] la collecte de données se poursuivra'; Italie: `En termes de quantité, le travail sur le terrain accompli en Italie a révélé que 70 à 80 % des données figurant sur la liste de contrôle étaient disponibles. [...] En termes de qualité, nous avons rencontré certaines difficultés'; Grèce: [...] la collecte de données a été difficile'"). A la page 195 du rapport final, la requérante ajoute que " [i]n the near future, it will be necessary to improve the methods of data collection" ("dans un proche avenir, il sera nécessaire d'améliorer les méthodes de collecte des données"). Une déclaration à la page 166 du rapport suggère qu'une évaluation du système n'avait pas encore été faite. Il y est notamment indiqué que " [t]he database for the Test regions provides an initial stock of data on the relationship between tourism and the environment and on the environmental situation in touristic regions. It also allows to stipulate procedures for data evaluation" ("la base de données pour les régions tests fournit un stock initial de données sur les relations entre le tourisme et l'environnement et sur la situation environnementale dans les régions touristiques. Elle permet également d'établir des procédures d'évaluation des données"). A la page 171 du rapport, il est confirmé que l'évaluation du système doit encore avoir lieu ("Two evaluation approaches will be used in the [Ecodata] analysis") ("Deux approches d'évaluation seront utilisées dans l'analyse [Ecodata]"). Le rapport emploie également le futur simple pour décrire plusieurs éléments du logiciel ("The remote application will be constructed using Asymetrix Toolbook as à Microsoft Windows application. It will require a VGA colour screen, Microsoft Windows version 3.1 or later, a modem, and correctly configured communications software for operating the modem. In later phases it will also require a CD-ROM drive, but in the pilot phase a large hard disk will be adequate [...] ") ("L'application à distance sera élaborée moyennant l'utilisation d'Asymetrix Toolbook à titre d'application de Microsoft Windows. Il sera nécessaire de disposer d'un écran couleur VGA, de Microsoft Windows version 3.1 ou ultérieure, d'un modem et d'un logiciel de communication correctement configuré pour exploiter le modem. Au cours des phases ultérieures, il sera en outre nécessaire de disposer d'un lecteur de CD-ROM, mais, au cours de la phase pilote, un grand disque dur sera suffisant [...]").

43 Le Tribunal estime que, dans ces circonstances, la Commission avait toute raison de conclure que, tant en termes de quantité que de qualité, les résultats des travaux ne correspondaient que très partiellement au projet tel que proposé par la requérante et subventionné par la Communauté et qu'elle a réagi de manière proportionnée à cette insuffisante exécution en refusant de payer le solde du soutien.

44 Au regard des constatations qui précèdent, la requérante ne saurait utilement se prévaloir des principes généraux qu'elle invoque.

45 En ce qui concerne, tout d'abord, le principe patere legem quam ipse fecisti, ou de Selbstbindung, le Tribunal constate que la requérante n'a pas respecté les conditions d'octroi. Il s'ensuit qu'il ne peut être reproché à la Commission d'avoir violé ce principe. En effet, la Commission n'a rien fait d'autre qu'appliquer la clause de la déclaration selon laquelle le bénéficiaire accepte de renoncer au versement du solde éventuel si les délais stipulés dans la déclaration ne sont pas respectés (voir le point 6 ci-dessus).

46 De même, la requérante ne pourrait utilement invoquer le principe de protection de la confiance légitime. En effet, le bénéficiaire d'un concours financier communautaire ne peut pas légitimement s'attendre, dans le cas d'une méconnaissance des conditions d'octroi de ce dernier, au paiement de l'intégralité du montant accordé. Dans cette hypothèse, il ne saurait dès lors se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime en vue d'obtenir le paiement du solde du montant total du concours initialement accordé (arrêts de la cour du 4 juin 1992, Consorgan/Commission, C-181-90, Rec. p. I-3557, point 17, et Cipeke/Commission, C-189-90, Rec. p. I-3573, point 17; arrêt du Tribunal du 19 mars 1997, Oliveira/Commission, T-73-95, Rec. p. II-381, point 27).

47 Finalement, le Tribunal estime que la requérante ne saurait reprocher à la Commission d'avoir causé les retards dans l'exécution du projet. A cet égard, il convient de constater que la requérante a attendu jusqu'au mois de mars 1993 avant d'entamer des négociations avec ses partenaires concernant la répartition des tâches en vue de l'exécution du projet, alors qu'elle en était l'entreprise coordinatrice. Ainsi, la requérante a laissé passer la moitié du temps prévu pour l'exécution du projet sans qu'elle ait pu raisonnablement commencer des travaux efficaces. Même si la requérante a apporté des indices de ce que un ou plusieurs fonctionnaires de la Commission se sont ingérés d'une manière troublante dans le projet dans la période allant de novembre 1992 jusqu'à février 1993, elle n'a aucunement démontré que ces ingérences l'ont privée de toute possibilité d'entamer une coopération effective avec ses partenaires avant le mois de mars 1993.

48 Il ressort de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

Sur le second moyen tiré d'une insuffisance de motivation

Arguments des parties

49 La requérante invoque également un moyen tiré d'une violation de l'article 190 du traité. Elle estime que les lettres des 30 novembre 1993 et 3 août 1994 sont insuffisamment motivées. Notamment, les griefs soulevés aux points 1 à 5 de la lettre du 30 novembre 1993 seraient imprécis et généraux, et la lettre du 3 août 1994 ne comporterait aucun motif portant sur l'état d'exécution du projet.

50 La défenderesse estime que les lettres des 30 novembre 1993 et 3 août 1994 satisfont entièrement aux exigences formulées par la jurisprudence en matière de motivation. Notamment, les raisons indiquées dans lesdites lettres permettraient à la requérante de faire son évaluation de la légalité de la décision et au Tribunal d'exercer ses fonctions.

Appréciation du Tribunal

51 Une décision portant réduction du montant d'un concours financier doit faire clairement apparaître les motifs qui justifient la réduction du concours par rapport au montant initialement accordé, étant donné qu'elle entraîne des conséquences graves pour le bénéficiaire du concours (arrêts Consorgan/Commission et Cipeke/Commission, précités, points 15 à 18, et arrêts du Tribunal du 6 décembre 1994 Lisrestal/Commission, T-450-93, Rec. p. II-1177, point 52 et du 12 janvier 1995, Branco/Commission, T-85-94, Rec. p. II-45, point 33).

52 Le Tribunal estime que la lettre du 3 août 1994 visée par le présent recours fait clairement apparaître les raisons qui ont amené la Commission à refuser le versement du solde du concours octroyé. A cet égard, il suffit de constater que la lettre du 3 août 1994 renvoie pour l'essentiel aux raisons exposées dans la lettre du 30 novembre 1993 et que celle-ci, en rappelant les conditions du soutien et en énumérant point par point les défaillances dans l'exécution du projet, indique clairement les raisons du refus. Le Tribunal rappelle, à ce sujet, qu'une décision est suffisamment motivée lorsqu'elle renvoie à un document qui est déjà en possession du destinataire et qui contient les éléments sur lesquels l'institution a fondé sa décision (voir l'arrêt Industrias Pesqueras Campos e.a./Commission, précité, point 144).

53 Par ailleurs, tant dans sa requête que pendant la suite de la procédure, la requérante a répondu à des raisonnements développés par la Commission dans les lettres des 3 août 1994 et 30 novembre 1993 et portant sur le refus de verser le solde du concours, ce qui démontre que la requérante disposait des indications nécessaires lui permettant de défendre ses droits. De même, le Tribunal dispose des indications nécessaires lui permettant d'exercer son contrôle de légalité. Dans ces circonstances, un manque de motivation ne saurait être constaté (voir l'arrêt de la cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350-88, Rec. p. I-395, point 15, et l'arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150-89, Rec. p. II-1165, point 65).

54 Il s'ensuit que le second moyen doit également être rejeté.

55 Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

56 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu de condamner la requérante aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens.