CA Poitiers, 1re ch. civ., 19 février 2003, n° 00-02099
POITIERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Richebois
Défendeur :
SIPA (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Muller
Conseillers :
Mme Contal, M. Barthélemy
Avoués :
SCP Paille-Thibault, SCP Landry-Tapon
Avocats :
Mes Pasquet, Cottennec-Sergent.
FAITS ET PROCÉDURE
Le Tribunal de grande instance de Poitiers, par jugement contradictoire en date du 13 juin 2000, a rejeté la demande de Madame Richebois Marie-José et l'a condamné aux dépens.
Madame Richebois Marie-José a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe de la cour en date du 5 juillet 2000.
Elle expose, dans ses conclusions récapitulatives enregistrées au greffe le 10 octobre 2002, qu'au début de l'année 1996, elle a utilisé un produit dénommé Renne Color Noir Ebène acheté auprès de la SARL Pacific 95 et fabriqué par la SA SIPA.
Après l'utilisation de ce produit, elle a présenté une alopécie importante à laquelle il n'a pu être remédié.
Cette situation traumatisante a provoqué chez elle un syndrome dépressif récurrent qui a entraîné la perte de son emploi et par ricochet la perte de son logement. Devant l'absence de toute réponse de la SA SIPA à ses courriers, elle indique qu'elle a été contrainte d'engager une procédure civile.
Elle affirme qu'elle justifie par la production de divers courriers ou ticket de caisse que l'alopécie qu'elle présente est bien liée à l'utilisation du produit litigieux. Elle soutient que la directive européenne n° 85-374 du 25 juillet 1985 met à la charge du fabriquant ou du vendeur une obligation de sécurité.
Madame Richebois Marie-José avance qu'il est incontestable que la SA SIPA en sa qualité de fabriquant du produit litigieux, est tenue par une obligation de sécurité qui est une obligation de résultat. Il s'agit donc bien d'une obligation contractuelle qui l'autorise à diriger son action directement contre le fabriquant.
Elle demande que la SA SIPA soit déclarée responsable du dommage subi et condamnée à réparer son entier préjudice.
Madame Richebois Marie-José indique que ce préjudice est à la fois esthétique et psychologique. Elle relève que l'expert a fixé à 2 sur une échelle de 1 à 7 ces deux préjudices.
D'autre part, elle affirme qu'à ces deux chefs de préjudice, il faut y ajouter le préjudice économique qu'elle a subi. Elle soutient que suite à ses arrêts de travail, elle a été licenciée le 31 mars 1996 et que n'ayant plus de revenus, elle s'est trouvée dans l'impossibilité de payer son loyer.
Elle précise qu'elle se trouve désormais dans un état dépressif chronique. Elle demande que son préjudice soit évalué comme suit:
- préjudice esthétique: 12 195,92 euros
- préjudice moral: 12 195,92 euros
- préjudice économique: 762,25 euros.
Elle sollicite en outre une somme de 762,25 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA SIPA fait valoir, dans ses dernières écritures en date du 15 avril 2002, que Madame Richebois Marie-José n'a jamais rapporté la preuve de l'achat du produit litigieux début 1996 ou à un autre moment au magasin SARL Pacific ou ailleurs.
D'autre part, Madame Richebois Marie-José a prétendu justifier de l'usage de ce produit le 24 février 1996 en produisant un certificat médical en date du 6 mars 1996 qui reprend cette date.
Elle constate donc que Madame Richebois Marie-José procède uniquement par voie d'affirmation. Elle conclut donc au rejet de sa demande. Subsidiairement, elle constate que Madame Richebois Marie-José n'a pas assigné le vendeur de ce produit à l'égard duquel elle aurait pu invoquer une responsabilité contractuelle.
Elle soutient qu'à son encontre, Madame Richebois Marie-José ne peut alléguer qu'une responsabilité quasi-délictuelle qui suppose la preuve d'une faute. La SA SIPA affirme qu'une telle faute n'a jamais été démontrée ni dans la conception ni dans la fabrication ni dans les conditions de mise sur le marché du dit shampooing.
Enfin sur le préjudice, la SA SIPA constate que si Madame Richebois Marie-José présente des photos de sa chevelure après l'emploi du produit litigieux, elle ne justifie pas de l'état antérieur de ses cheveux.
D'autre part, elle soutient qu'une perte de cheveux n'entraîne pas des troubles du caractère et ces derniers n'entraînent pas non plus des difficultés professionnelles sauf si d'autres causes viennent s'y ajouter.
Enfin la SA SIPA affirme que cette alopécie ne peut que s'estomper avec le temps si elle est véritablement causée par l'utilisation du shampooing. Si l'alopécie persiste, cause est qu'il y a un autre motif.
En conséquence, la SA SIPA demande la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de Madame Richebois Marie-José à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 novembre 2002,
Sur ce
Il ressort d'attestations produites par Madame Richebois qu'elle a présenté une chute importante de ses cheveux immédiatement après l'utilisation du produit litigieux.
En effet, Madame Richebois Mireille, mère de l'appelante, et Monsieur Garot Jean-Paul, un ami, ont indiqué qu'après l'utilisation de ce shampooing, Madame Richebois Marie-José avait présenté une perte importante de ses cheveux sur le dessus de la tête. Ils précisent qu'elle présentait jusqu'à ce jour, une belle chevelure.
Le rapport d'expertise médicale du Docteur Garnier conclut qu'en l'absence de résultat concernant l'étude toxicologique du produit incriminé, il n'est pas possible d'établir un lien de causalité direct et indiscutable entre le produit lui-même et l'alopécie qui en est résultée.
Il ajoute qu'on ne peut exclure que le produit ait été utilisé dans des conditions différentes de celles du mode d'emploi mais que la rapidité entre la chute constatée et l'utilisation du produit permet d'établir une relation de présomption forte.
Il ressort du rapport d'expertise de Monsieur Poussel que le produit litigieux utilisé par Madame Richebois Marie-José présentait un pH et une réserve importante d'acidité. Il note que la SA SIPA est revenue ultérieurement à une formulation moins agressive ne contenant certainement plus d'alun et de chlorure cuivrique.
L'expert indique que le produit concerné possède une formule particulièrement acide potentiellement dangereuse et qu'une telle formulation est particulièrement sensible au mode opératoire pratiqué qui s'apparente plus à un procédé de laboratoire qu'à celui susceptible d'être mis en œuvre par un utilisateur "lambda".
L'analyse de ces expertises permet de mettre en évidence l'existence d'une défectuosité du produit en lien direct avec le dommage subi par Madame Richebois Marie-José.
Le fabricant est tenu de livrer un produit exempt de tout défaut de nature à causer un danger pour les personnes c'est-à-dire un produit qui offre la sécurité à laquelle on peut légitiment s'attendre.
Ainsi il est démontré que le produit incriminé présentait une absence de sécurité à laquelle son utilisateur pouvait légitimement s'attendre eu égard à sa présentation et à son usage et ce d'autant qu'il n'est nullement justifié par la SA SIPA qu'elle aurait attiré l'attention des utilisatrices sur les précautions particulières à prendre notamment quant au mode opératoire.
Il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de faire droit à la demande d'indemnisation de Madame Richebois Marie-José de son préjudice.
Il résulte du rapport d'expertise médical que le préjudice esthétique subi par Madame Richebois Marie-José est caractérisé par une hypodensité de l'implantation des cheveux sur la partie antérieure du scalp et qu'il peut être qualifié de 2 sur une échelle de 1 à 7 compte tenu de l'état antérieur de la chevelure de celle-ci. Le rapport indique d'autre part que Madame Richebois Marie-José avait investi une grande part de sa personnalité dans sa chevelure et qu'elle a très mal vécu cet accident ce qui a généré des troubles de son caractère et que dans ces conditions, le préjudice psychologique peut être fixé à 2 sur la même échelle.
Au vu de l'ensemble des éléments produits aux débats à savoir notamment des photos, il convient de fixer le préjudice esthétique de Madame Richebois Marie-José à la somme de 3 100 euros et son préjudice psychologique à la somme de 2 000 euros.
Madame Richebois Marie-José sollicite en outre l'indemnisation de son préjudice financier au motif qu'en raison d'un état dépressif chronique résultant de cet accident, elle a perdu son emploi et que sa vie personnelle en a été bouleversée.
Cependant, Madame Richebois Marie-José ne démontre pas le lien de causalité entre cet accident et sa perte d'emploi. En effet, les seules pièces produites à savoir deux arrêts de prolongation d'arrêt de travail en date des 16 mars et 21 mars 1996 et l'attestation de l'ANPE faisant état de son inscription à compter du 1er avril 1996, ne permettent pas d'établir l'existence du préjudice invoqué par Madame Richebois Marie-José. Il y a lieu de rejeter ce chef de demande.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Madame Richebois Marie-José les frais irrépétibles qu'elle a du exposer. Il convient de lui allouer la somme de 762 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement entrepris. Statuant à nouveau, Déclare la SA SIPA responsable des dommages subis par Madame Richebois Marie-José. La condamne au paiement de la somme de 3 100 euros au titre du préjudice esthétique et de la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice psychologique. Déboute Madame Richebois Marie-José du surplus de sa demande, Condamne la SA SIPA au paiement de la somme de 762 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La condamne en outre aux entiers dépens d'appel étant précise que Madame Richebois Marie-José bénéficie de l'aide juridictionnelle.