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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 1 mars 2000, n° 1999-07868

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Pronovias France (SARL)

Défendeur :

Vivre Aujourd'hui (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

Me Moreau, SCP Monin

Avocats :

Mes Combeau, Schecroun.

T. com. Paris, 5e ch., sect. B, du 8 jan…

8 janvier 1999

FAITS ET PROCÉDURE

La société de droit espagnol San Patrick est un fabricant de robes de mariées qui commercialise ses produits sous plusieurs marques St Patrick, Pronovias, La Sposa.

Elle a créé en 1988 la société Pronovias France auprès de laquelle la société Vivre Aujourd'hui qui exploite à Paris, sous l'enseigne "Marillages", un magasin de robes de mariées a commencé à passer des commandes jusqu'en 1997.

La société Pronovias France a également distribué ses produits par l'intermédiaire d'autres clients installés à Paris et dans la région parisienne, et notamment à Saint-Denis, Pantin, Aulnay-sous-Bois, Créteil et Melun.

Reprochant à la société Pronovias France d'avoir commercialisé dans son secteur géographique des robes de mariées par l'intermédiaire d'autres sociétés concurrentes, au mépris de la convention d'exclusivité qui lui avait été accordée, la société Vivre Aujourd'hui a assigné la société Pronovias France le 23 février 1998 en condamnation à lui payer, outre la somme de 30 000 F HT au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, celle de 6 287 000 F à titre de dommages-intérêts.

La société Pronovias France a reconventionnellement conclu au rejet des demandes formées par la société Vivre Aujourd'hui et à sa condamnation à lui payer, outre la somme de 100 000 F pour ses frais non compris dans les dépens, les sommes de 136 915 F majorées des intérêts moratoires de 1 % par mois de retard pour les factures impayées, de 143 210 F pour les dernières commandes fabriquées et non livrées et de 500 000 F à titre de dommages-intérêts.

Par jugement du 8 janvier 1999, le tribunal a:

- dit que les relations commerciales entre les parties se sont exercées dans le cadre d'un contrat exclusif de diffusion à durée indéterminée,

- constaté la rupture des relations commerciales aux torts exclusifs de la société Pronovias France,

- condamné la société Pronovias France à payer à la société Vivre Aujourd'hui la somme de 5 500 000 F à titre de dommages-intérêts,

- rejeté les autres demandes formées par la société Vivre Aujourd'hui,

- condamné la société Vivre Aujourd'hui à payer à la société Pronovias France la somme de 136 915 F au titre du solde des facturations resté impayé avec les intérêts au taux de 1 % par mois à compter du 3 février 1998,

- débouté la société Pronovias France de ses demandes au titre des robes non livrées et à titre de dommages-intérêts,

- ordonné l'exécution provisoire à charge pour la société Vivre Aujourd'hui de fournir une caution bancaire à hauteur de la somme de 3 000 000 F,

- dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes et condamné la société Pronovias France aux entiers dépens.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté le 19 février 1999 par la société Pronovias France,

Vu les conclusions signifiées le 3 décembre 1999 par lesquelles la société Pronovias France sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Vivre Aujourd'hui à lui payer la somme de 136 915 F au titre du solde des facturations resté impayé avec intérêt au taux de 1 % par mois à compter du 3 février 1998, son infirmation pour le surplus et la condamnation de la société intimée à lui payer, outre la somme de 150 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, celle de 1 000 000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice qu'elle a subi du fait de la procédure non fondée et des saisies-conservatoires abusives dirigées contre elle, au motif, que contrairement aux affirmations de la société Vivre Aujourd'hui, il n'y a jamais eu de convention de distribution exclusive entre les sociétés opposées au moment de la rupture des relations commerciales qui est intervenue aux torts de la société Vivre Aujourd'hui qui ne saurait prétendre à la somme qu'elle réclame à titre de dommages-intérêts, lesquels devront être "considérablement" réduits.

Vu les écritures signifiées le 21 janvier 2000 par lesquelles la société Vivre Aujourd'hui conclut à la confirmation du jugement qui a dit que les relations entre les parties se sont exercées dans le cadre d'un contrat exclusif de diffusion à durée indéterminée, lequel a été rompu aux torts exclusifs de la société Pronovias France, et à son infirmation pour le surplus, la société appelante devant être condamnée à lui payer, outre la somme de 150 000 F au titre de ses frais non compris dans les dépens, celle de 8 262 000 F en réparation du préjudice qu'elle a subi, tandis que sa condamnation à payer à la société Pronovias France la somme de 136 915 F devra être prononcée en deniers ou quittances.

Sur quoi,

- Sur la violation de la clause de distribution exclusive alléguée:

Considérant que la société Pronovias France ne conteste pas que les articles 2-1 et 4-2 des conditions générales de vente applicables à la première commande en 1988 de la société Vivre Aujourd'hui stipulaient que: "Notre client assurera la distribution des articles Pronovias dans la ville convenue et, dans la mesure où celui-ci, couvre correctement cette ville avec nos articles, Pronovias ne passera aucun accord avec un autre distributeur" et que "Pronovias accorde l'exclusivité de ses modèles à ses clients dans la mesure où ceux-ci acceptent de s'engager à acheter une quantité annuelle minimale de robes, quantité qui sera fixée après consultation entre les clients et Pronovias".

Qu'elle soutient en revanche que ces clauses étaient exclues des conditions générales de vente applicables aux commandes passées par la société Vivre Aujourd'hui à compter de l'année 1989 et qu'elle était en conséquence fondée à commercialiser ses robes par l'intermédiaire d'autres clients situés à Paris et en région parisienne.

Mais considérant que la société Vivre Aujourd'hui pour contester les allégations de la société Pronovias selon lesquelles il ne lui aurait pas été accordé un contrat de distribution exclusif produit à l'appui de ses affirmations:

- une lettre datée du 28 mars 1988 de la société St Patrick qui mentionne:

"...Je tiens à vous exprimer notre énorme satisfaction en ce qui concerne le succès de la vente de nos produits auprès des établissements de nos premiers clients exclusivistes en France pour cette première saison test..."

- une lettre datée du 9 juillet 1991 aux termes de laquelle la société Pronovias France écrivait:

"... Il a été décidé que pour la saison Printemps/Eté 1992, nous allons abonder dans votre sens:

1) pas de création de nouveaux points de vente,

2) les créations "Tomy à Pantin" et "Vêtements Saint Joseph à Saint-Denis" ne seront plus sollicitées pour les causes que vous savez.

Il est bien entendu que quand nous parlons de Paris et région parisienne, cela inclut toutes les portes faisant partie du grand Paris.

Ces dispositions étant en place dès la collection du mois de septembre 1991 et selon votre souhait...";

- la revue Mariages n°187 des mois de décembre 1991, janvier, février 1992 dans laquelle la société Vivre Aujourd'hui (Marillages) est désignée parmi les "dépositaires exclusifs" de la société Pronovias France;

- une lettre adressée le 4 mars 1993 par la société Pronovias à la société Vivre Aujourd'hui qui comporte les indications suivantes:

"Conditions de distribution

Je ne voudrais aucune équivoque à ce sujet.

Pour la présente saison été 93, vous êtes l'unique client Pronovias sur la ville de Paris. Pour les saisons qui suivront, nous nous réservons toute notre liberté pour fixer l'implantation de distribution sur la ville de Paris que nous jugerons adéquate à nos nécessités de développement commercial.

En tout cas, je me permets de vous signaler que de la même manière que vous êtes en toute liberté de décider à qui vous achetez, nous aussi, nous sommes en pleine liberté de décider à qui on vend. Le fait de ne pas avoir d'autre client Pronovias à Paris de présente saison été 93 ne comporte aucune obligation d'exclusivité pour les prochaines saisons";

Que s'il n'est pas possible d'attribuer l'origine des mentions "conditions de vente impératives exclusivité totale production pour Paris et Ile de France..." figurant sur un bon de commande dont la date est incertaine, la société Pronovias France ne saurait valablement contester avoir accordé à la société Vivre Aujourd'hui jusqu'à la commercialisation des modèles été 1994, une exclusivité de distribution sur Paris, en contrepartie de laquelle celle-ci s'engageait à atteindre les objectifs de vente qu'elle fixait et qu'elle a rappelés dans sa lettre datée du 9 juillet 1991 lorsqu'elle écrivait : "... Nous devons revoir votre position sur la collection St Patrick et lors de votre visite à notre show du 8 et 9 septembre un effort de l'ordre du double de votre commande 1991 vous sera demandé au moment de votre commande initiale et du réassort pour 1992".

Mais considérant que l'article 7-1 des conditions générales de vente qui constituent la loi des parties stipule que : "Les conditions de vente peuvent être modifiées avec un préavis de 15 jours".

Que la société Pronovias s'était donc réservée contractuellement le droit d'en modifier les termes.

Considérant qu'il résulte de la lettre datée du 9 juillet 1991 sus-visée ainsi que de celles datées des 2 et 4 mars, 22 et 29 novembre 1993, des 4, 12 et 29 septembre et du 16 octobre 1997 que la société Pronovias France avait de façon récurrente informé la société Vivre Aujourd'hui de ce qu'elle ne s'interdisait pas pour l'avenir de contracter avec de nouveaux clients situés à Paris afin d'améliorer la distribution de ses modèles.

Que la lettre datée du 4 mars 1993 indiquait précisément: "...Pour la présente saison été 93, vous êtes l'unique client Pronovias sur la ville de Paris. Pour les saisons qui suivront, nous nous réservons toute notre liberté pour fixer l'implantation de distribution sur la ville de Paris que nous jugerons adéquate...".

Que par celle datée du 29 novembre 1993, la société Pronovias informait encore la société Vivre Aujourd'hui que: ". L'exclusivité est uniquement pour la collection Robes de mariée Pronovias Printemps/Eté 94. L'exclusivité pour cette collection termine le 31 décembre 1994. C'est-à-dire, nous vous réservons l'exclusivité de cette collection pendant une année. L'exclusivité de la collection Pronovias Robes de mariée 94 terminera donc à tous les effets le 31 décembre 1994...".

Qu'il se déduit de cette lettre et de celles qui précèdent que malgré l'insistance de la société Vivre Aujourd'hui à vouloir continuer à bénéficier de l'exclusivité de la distribution des modèles de robes commercialisés par la société Pronovias, celle-ci n'a plus souhaité la lui accorder à compter de la fin de l'année 1994 pour des motifs commerciaux que la société Vivre Aujourd'hui n'est pas habilitée à contester.

Que la société Vivre Aujourd'hui n'est donc pas fondée à soutenir que les relations qui l'ont unies à la société Pronovias étaient des relations permanentes d'exclusivité, que celle-ci a cessé de citer dans ses publicités "sans le moindre préavis Marillages comme étant l'un de ses distributeurs exclusifs de robe Pronovias" et qu'elle a commis une faute en commercialisant sans l'en informer, à partir de l'année 1994, ses modèles par l'intermédiaire d'autres clients situés à Paris ou en région parisienne.

Que si comme le souligne la société Vivre Aujourd'hui, le concédant qui souhaite modifier les termes d'un contrat à durée indéterminée est tenu de respecter sous peine de dommages et intérêts un délai de préavis suffisant avant de les mettre en œuvre, la société Vivre Aujourd'hui ne saurait contester que sa demande de distribution exclusive sur Paris des robes commercialisées par la société Pronovias a, dès 1993, constamment fait l'objet de la part de cette dernière d'une opposition systématique.

Que compte tenu de la durée des relations contractuelles, la société Vivre Aujourd'hui ne peut donc soutenir qu'aucun délai suffisant ne lui a été réservé avant de perdre effectivement l'exclusivité de la commercialisation des robes Pronovias sur Paris.

Considérant que la société Vivre Aujourd'hui soutient encore qu'elle était liée à la société Pronovias par un accord cadre de distribution exclusive ou par un contrat de fourniture soumis aux dispositions de l'article 632-6 du Code de commerce.

Mais considérant qu'à supposer l'existence de telles conventions démontrée, la société Vivre Aujourd'hui ne peut en déduire pour les causes sus-énoncées qu'elles contenaient une obligation d'exclusivité à durée indéterminée à la charge de la société Pronovias.

Que le jugement déféré sera en conséquence infirmé de ce chef;

- Sur la responsabilité de la rupture des relations contractuelles:

Considérant que l'article 4-5 des conditions générales de vente prévoit que:

"Dans l'éventualité où une facture ne serait pas réglée à 60 jours, la compagnie serait en droit de réclamer paiement immédiat de toutes les autres factures reçues par l'acheteur, Pronovias France SA se réserve le droit d'annuler la fabrication et la livraison de toute commande en cours";

Que par lettre datée du 2 mars 1993, la société Pronovias a informé la société Vivre Aujourd'hui qu'elle lui octroyait des conditions de paiement "exceptionnelles: 90 jours échéance à la fin du mois";

Que lui reprochant d'avoir unilatéralement effectué des reports de paiement, elle lui rappelait les conditions de paiement à 90 jours fin de mois et indiquait que "tout rapport d'échéance doit être accordé mutuellement pas unilatéralement";

Que ce problème de règlement de factures était également évoqué dans les lettres datées des 2 et 4 mars, 22 novembre 1993, 17 octobre 1994, 9 octobre 1995, 4 et 28 novembre, 1er décembre 1997 et 12 janvier et 3 février 1998;

Que la société Vivre Aujourd'hui ne saurait en conséquence reprocher à la société Pronovias d'avoir unilatéralement rompu avec elle les relations commerciales alors qu'elle procédait à sa seule convenance au paiement des modèles qui lui étaient livrés en méconnaissance des conditions générales de vente dont elle ne conteste pas l'application;

Que si la société Pronovias n'a pas exclu dans sa lettre datée du 4 septembre 1997 de continuer à entretenir des relations commerciales avec la société Vivre Aujourd'hui, elle l'a régulièrement informée, comme il a été ci-dessus indiqué et encore le 30 juin 1999 que les commandes futures ne seraient honorées que sous la réserve que les modalités de paiement prévues dans les conditions générales de vente seraient respectées;

Que la société Vivre Aujourd'hui qui ne payait pas les robes qu'elle avait commandées conformément aux stipulations sus-visées ne peut donc valablement faire grief à la société Pronovias d'avoir refusé d'honorer les commandes qu'elle passait;

Que la société Vivre Aujourd'hui en ne se conformant pas aux stipulations qui lui étaient régulièrement rappelées est donc seule responsable de la rupture des relations contractuelles;

Que le jugement déféré sera en conséquence réformé de ce chef;

- Sur la demande reconventionnelle:

Considérant que la société Pronovias France reproche à la société Vivre Aujourd'hui d'avoir abusivement engagé contre elle des procédures conservatoires qui n'avaient d'autre objet que de gêner son activité commerciale;

Mais considérant que la société Vivre Aujourd'hui qui, à la suite de la décision déférée assortie de l'exécution provisoire conditionnelle, n'a fait que mettre en œuvre des procédures conservatoires ne saurait se voir reprocher un comportement abusif;

Que la demande de condamnation à des dommages et intérêts formée par la société Pronovias France sera en conséquence rejetée;

Considérant que les frais non compris dans les dépens qui seront mis à la charge de la société Vivre Aujourd'hui doivent être fixés à concurrence de la somme de 50 000 F;

Que la société Vivre Aujourd'hui devra être déboutée de sa demande formée au même titre.

Par ces motifs, Confirme le jugement rendu le 8 janvier 1999 par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné la société Vivre Aujourd'hui à payer à la société Pronovias France la somme de 136 915 F avec les intérêts au taux de 1 % par mois à compter du 3 février 1998, L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société Vivre Aujourd'hui à payer à la société Pronovias France la somme de 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Moreau avoué dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.