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Décisions

TPICE, 5e ch. élargie, 12 décembre 1996, n° T-380/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AIUFFASS, AKT

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. García-Valdecasas

Juges :

M. Lenaerts, Mme Tiili, MM. Azizi, Ramos

Avocats :

Mes Waelbroeck, Stuyck.

TPICE n° T-380/94

12 décembre 1996

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (cinquième chambre élargie),

Contexte réglementaire

1. L'article 92, paragraphe 3, du traité CE permet à la Commission, par dérogation à l'interdiction des aides d'État affectant les échanges entre États membres et susceptibles de fausser la concurrence, de déclarer compatibles avec le marché commun:

"a) les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi,

[...]

c) les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun."

2. Selon la communication 88-C 212-02 de la Commission sur la méthode pour l'application de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c), aux aides régionales (JO 1988, C 212, p. 2, point I 4 et annexe I), l'Irlande du Nord figure parmi les régions visées par cet article, sous a).

3. En outre, l'Irlande du Nord est susceptible de bénéficier de projets relevant de l'objectif n° 1 [Règlement (CEE) n° 2052-88 du Conseil, du 24 juin 1988, concernant les missions des Fonds à finalité structurelle, leur efficacité ainsi que la coordination de leurs interventions entre elles et celles de la Banque européenne d'investissement et des autres instruments financiers existants (JO L 185, p. 9), modifié par le règlement (CEE) n° 2081-93 du Conseil, du 20 juillet 1993 (JO L 193, p. 5) ].

4. La défenderesse a fixé des règles conditionnant l'octroi d'aides d'État à des entreprises du secteur textile dans sa communication aux États membres SEC (71) 363 final, du 30 juillet 1971 (Commission des Communautés européennes: Droit de la concurrence dans les Communautés européennes, vol. II, 1990, p. 47 à 50; ci-après "communication de 1971") et dans sa lettre aux États membres SG (77) D-1190, du 4 février 1977, et annexe [doc. SEC (77) 317 du 25.1.1977 (Commission des Communautés européennes: Droit de la concurrence dans les Communautés européennes, vol. II, 1990, p. 51 à 54) ; ci-après "lettre de 1977"].

5. Une des conditions énoncées dans la communication de 1971 exige que les aides "ne conduisent pas à des augmentations de capacité". L'octroi d'aides aux investissements "doit être conçu de façon très restrictive", car elles ont des répercussions particulièrement sensibles sur la position concurrentielle. De telles aides "devraient être motivées par des problèmes sociaux particulièrement aigus" et "avoir un champ d'application strictement limité aux seules activités textiles affectées à la fois par des problèmes sociaux particulièrement aigus et par de graves problèmes d'adaptation". Elles devraient "avoir pour objectif de donner à bref délai aux bénéficiaires un niveau de compétitivité suffisant pour affronter avec succès le marché international des textiles, compte tenu de la tendance fondamentale à l'ouverture progressive des marchés sur le plan mondial". La communication impose également la prise en considération "des exigences d'un développement dynamique des structures dans la Communauté".

6. Dans sa lettre de 1977, la défenderesse faisait état de la "nécessité d'éviter la création de nouvelles surcapacités de production dans les activités du secteur où les surcapacités déjà existantes sont de nature structurelle et persistante". L'annexe à cette lettre précise que "la notion de surcapacité suppose la prise en considération de sous-branches suffisamment diversifiées" et "doit, en outre, être appréciée en fonction de l'évolution prévisible des conditions de la concurrence". Elle ajoute que "toute aide spécifique visant la création de capacités nouvelles dans certaines branches du textile et de la confection dans lesquelles existe déjà une surcapacité structurelle ou de stagnation persistante doit être évitée".

Faits à l'origine du litige

7. Le 21 décembre 1992, le Gouvernement du Royaume-Uni a notifié à la Commission un projet d'aide en faveur de Hualon Corporation (ci-après "Hualon"), une entreprise textile nouvellement créée, sise à Belfast en Irlande du Nord. Cette société dépend du groupe taiwanais Hualon, lequel opère dans le secteur des fibres synthétiques, principalement le polyamide.

8. L'aide projetée, d'une intensité de 38 %, s'élèverait à 61 millions de UKL, pour un investissement total de 157 millions de UKL.

9. Il est prévu de réaliser l'investissement en quatre phases, échelonnées sur sept ans, dans le but de produire environ 23 000 ou 23 500 tonnes de tissus finis en polyester, en polyamide et en mélanges de coton, à raison de 140 à 200 millions de mètres par an. Les activités de Hualon porteront d'abord sur la teinture et la finition de tissus en polyester et en polyamide (première phase), sur le tissage de tissus de coton et de mélanges de coton et de polyester (deuxième phase), sur le tissage de tissus en polyamide et en polyester (troisième phase) et sur la filature de coton (quatrième phase).

10. Par communication publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 5 octobre 1993, la défenderesse a mis en demeure les États membres et les tiers intéressés de lui présenter leurs observations sur les mesures envisagées, conformément à l'article 93, paragraphe 2, du traité (communication 93-C 269-06 de la Commission au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE, adressée aux autres États membres et autres intéressés concernant des aides que le Royaume-Uni projette d'accorder à l'entreprise Hualon Corporation, JO 1993, C 269, p. 8).

11. L'ensemble des observations des tiers intéressés et des États membres autres que le Royaume-Uni évoquait principalement les problèmes de surcapacité et de stagnation généralisée de la demande de textiles dans la Communauté.

12. Apparel, Knitting & Textiles Alliance (AKT), une société de droit anglais (private limited company), qui, par le biais de son unique membre, la British Apparel & Textile Confederation (BATC), représente 80 % de l'industrie de l'habillement et du textile du Royaume-Uni, a présenté ses observations le 3 septembre 1993. L'Association internationale des utilisateurs de fils de filaments artificiels et synthétiques et de soie naturelle (AIUFFASS), représentant, par l'intermédiaire de ses associations membres, 90 % des tisseurs européens de fils de filaments artificiels et synthétiques, a déposé ses observations le 21 octobre 1993.

13. Par décision du 31 mai 1994, la défenderesse a autorisé le projet, au titre de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c), du traité et de l'article 61, paragraphe 3, de l'accord EEE (ci-après "décision"), reproduite dans la communication 94-C 271-06 de la Commission au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, adressée aux autres États membres et autres intéressés concernant des aides que le Royaume-Uni a décidé d'accorder à Hualon Corporation, Irlande du Nord (JO 1994, C 271, p. 5; ci-après "communication").

14. La décision précise que le projet d'aide pourrait faire l'objet de la dérogation visée à l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité, dans la mesure où il profitera à une région très défavorisée de la Communauté, confrontée à de graves problèmes de chômage (région concernée par l'objectif n 1). La région concernée devrait profiter de la création de 1 800 emplois directs, soit un volume d'emplois correspondant à 10,8 % de la population en chômage des quartiers nord et ouest de Belfast, qui fourniraient une bonne part de la main-d'œuvre, et à 1,7 % du nombre total des chômeurs en Irlande du Nord. Outre ces emplois directs, le projet devrait entraîner indirectement la création de 500 emplois supplémentaires au bénéfice de l'économie locale. Enfin, le succès de l'entreprise serait susceptible d'exercer un effet d'entraînement dans une région qui attire très difficilement des investissements (vingt-huitième au trente et unième alinéa de la communication).

15. Examinant le projet sous l'angle de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et sous c), du traité, la défenderesse dit avoir mis en balance les effets régionaux positifs de l'investissement projeté avec ses effets négatifs potentiels sur l'ensemble de la capacité de production et sur la concurrence (soixante-quatrième alinéa). Elle estime que les effets régionaux positifs du projet aidé, décrits au point précédent, sont supérieurs aux effets négatifs sur les capacités et sur la concurrence, eu égard à l'évolution probable du contexte économique dans lequel s'inscrira la nouvelle capacité de Hualon lors de la mise sur le marché de ses produits. Selon la décision, Hualon produira des tissus fabriqués en série et à faible valeur ajoutée, "créneau du marché qui, autrement, serait occupé par les importations". Cette production "n'affectera pas de manière notable l'évolution des capacités installées" (cinquante-neuvième alinéa de la communication).

16. Le projet devrait même avoir "un effet positif en inversant le processus de délocalisation de l'industrie textile européenne vers des pays tiers bénéficiant du faible coût de leurs facteurs de production" (soixante-quatrième alinéa). La défenderesse a considéré que, bien qu'elle soit susceptible d'altérer les conditions des échanges au sein de la Communauté européenne, l'aide ne devrait pas les altérer dans une mesure contraire à l'intérêt commun (soixante-quatrième alinéa). Après avoir comparé les effets que l'investissement envisagé devrait exercer sur la concurrence dans la Communauté avec les effets très importants qu'il aurait sur le développement économique de la région concernée, la défenderesse a conclu que les conditions des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c), du traité et à l'article 61, paragraphe 3, de l'accord EEE étaient remplies (soixante-cinquième alinéa).

Procédure

17. Les requérantes ont déposé leur requête introductive du présent recours le 29 novembre 1994.

18. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 1er mars 1995, la défenderesse a soulevé une exception d'irrecevabilité, au motif que les requérantes ne seraient pas individuellement concernées et que le recours d'AKT serait tardif.

19. Les requérantes ont présenté leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité le 15 mai 1995.

20. Le 14 septembre 1995, le Tribunal a joint la demande de statuer sur l'irrecevabilité au fond.

21. Par ordonnance du même jour, le Tribunal a admis le Gouvernement du Royaume-Uni à intervenir à l'appui des conclusions de la défenderesse.

22. Le 16 février 1996, le Tribunal a posé, en application de l'article 64, paragraphe 3, du règlement de procédure, des questions écrites aux requérantes relatives à la recevabilité. Le 13 juin 1996, il a posé des questions écrites aux parties concernant le fond.

Conclusions des parties

23. Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

- déclarer le recours recevable et fondé;

- annuler la décision par laquelle la défenderesse a autorisé, au titre de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c), du traité, le Gouvernement du Royaume-Uni à octroyer une aide de 61 millions de UKL à Hualon;

- condamner la défenderesse aux dépens.

24. Dans son exception d'irrecevabilité, la défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- déclarer la requête irrecevable au motif que les requérantes ne sont pas individuellement concernées;

- à titre subsidiaire, déclarer la requête irrecevable à l'égard d'AKT, pour défaut de participation active à la procédure;

- à titre tout à fait subsidiaire, déclarer le recours irrecevable à l'égard d'AKT, car tardif.

25. Dans son mémoire en défense, la défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours;

- condamner les requérantes aux dépens.

26. L'intervenant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours;

- condamner les requérantes aux dépens, y compris ceux exposés par la partie intervenante.

Sur la recevabilité du recours

Arguments des parties

27. La défenderesse conteste la recevabilité du recours. Selon elle, la recevabilité d'un recours en matière d'aide d'État s'apprécie différemment suivant le type de décision. Les principes dégagés dans les arrêts de la Cour du 19 mai 1993, Cook/Commission (C-198-91, Rec. p. I-2487), et du 15 juin 1993, Matra/Commission (C-225-91, Rec. p. I-3203), s'appliqueraient lorsque la Commission, sur le fondement de l'article 93, paragraphe 3, du traité, déclare une aide compatible avec le marché commun sans ouvrir la procédure prévue au paragraphe 2 du même article. Selon cette jurisprudence, les bénéficiaires des garanties procédurales prévues à cet article ne pourraient en obtenir le respect que s'ils ont la possibilité de contester la décision prise à l'issue de la procédure. En revanche, dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité a été ouverte, la recevabilité des recours formés par des concurrents du bénéficiaire d'une aide à l'encontre d'une décision autorisant celle-ci serait subordonnée à la condition, d'une part, qu'ils aient participé activement à la procédure administrative et, d'autre part, que l'acte attaqué affecte substantiellement leur position sur le marché (arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169-84, Rec. p. 391).

28. En outre, une association ne serait recevable à agir que lorsqu'elle peut faire valoir un intérêt propre, distinct de celui des entreprises qu'elle regroupe (arrêts de la Cour du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219, et du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313-90, Rec. p. I-1125). Les arrêts de la Cour du 4 octobre 1983, Fediol/Commission (191-82, Rec. p. 2913), du 20 mars 1985, Timex/Conseil et Commission (264-82, Rec. p. 849), et du Tribunal du 24 janvier 1995, BEMIM/Commission (T-114-92, Rec. p. II-150), dans lesquels le juge communautaire a admis des associations représentatives à agir devant lui, ne pourraient être invoqués en l'espèce au motif qu'ils relèvent du droit de la concurrence et du droit antidumping, qui, à la différence du droit des aides d'État, prévoient une procédure de traitement des plaintes.

29. Les requérantes ne seraient pas recevables à agir, faute d'intérêt propre à faire valoir. Elles agiraient uniquement pour la défense des intérêts particuliers de leurs membres. En outre, leurs contacts avec la défenderesse auraient été épisodiques et se seraient généralement limités à l'examen de quelques cas d'aide concrets. Ils n'auraient pas porté sur l'élaboration ou l'interprétation des règles applicables aux aides d'État dans le secteur textile dont il a été fait application dans la décision attaquée. Eu égard à ces éléments, les requérantes ne sauraient être considérées comme des négociateurs au sens des arrêts Van der Kooy e.a./Commission et CIRFS e.a./Commission, cités au point précédent.

30. La défenderesse admet que l'AIUFFASS a participé activement à la procédure administrative. En revanche, AKT se serait contentée d'envoyer une brève lettre pour faire acte de présence dans le cadre de la procédure administrative. Elle ne satisferait dès lors pas à la condition de participation active que la Cour aurait dégagée dans sa jurisprudence.

31. Par ailleurs, étant donné que la défenderesse a envoyé, le 15 juin 1994, une copie intégrale de la lettre de clôture de la procédure administrative à BATC, l'unique membre d'AKT, cette dernière aurait été informée de la décision en même temps que la BATC. En conséquence, elle aurait introduit son recours en dehors du délai prévu à l'article 173, cinquième alinéa, du traité.

32. Se fondant sur les points 21 et 22 de l'arrêt Van der Kooy e.a./Commission, cité ci-dessus au point 28, et sur le point 29 de l'arrêt CIRFS e.a./Commission, cité ci-dessus au point 28, les requérantes estiment qu'une association représentative est individuellement concernée par une décision de la Commission en matière d'aides d'État lorsqu'elle a participé activement à la procédure administrative.

33. Contrairement à ce qu'affirme la défenderesse, AKT aurait activement participé à la procédure administrative en adressant à la défenderesse, le 3 novembre 1993, une lettre exposant de manière concrète la position de principe de l'industrie du Royaume-Uni sur le projet d'aide à Hualon. En outre, ayant poursuivi dans l'intérêt de leurs membres de nombreuses actions auprès de la défenderesse se rapportant au secteur en cause, les requérantes seraient des interlocutrices de celle-ci au même titre que le Comité international de la rayonne et des fibres synthétiques (CIRFS) dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, cité ci-dessus au point 28.

34. La qualité d'interlocuteur d'AKT serait attestée par les éléments suivants:

- la lettre du 26 mars 1991, de Sir Leon Brittan, membre de la Commission en charge des questions de concurrence, remerciant AKT d'avoir assisté la Commission dans sa politique en matière d'aides d'État dans le secteur textile;

- les entretiens avec les membres de la Commission Sir Leon Brittan et M. Millan, ainsi qu'avec des fonctionnaires de la Commission à propos de la politique de cette dernière en matière d'aides d'État;

- la lettre du 22 mai 1991 au membre de la Commission M. Millan, exprimant l'opposition d'AKT à l'application de la communication 92-C 142-04 de la Commission aux États membres fixant les orientations pour les programmes opérationnels que les États membres sont invités à établir dans le cadre d'une initiative communautaire concernant les régions fortement dépendantes du secteur textile-habillement (JO 1992, C 142, p. 5; ci-après "programme Retex") pour subventionner des investissements en capital réalisés par certaines entreprises du secteur textile en Grèce, en Espagne et au Portugal;

- les cinq lettres envoyées à la Commission entre octobre 1991 et décembre 1993, exposant la position d'AKT sur les discussions intervenues dans le cadre de l'Uruguay Round au sujet du secteur textile;

- les deux lettres du 26 mars 1993 et du 16 juillet 1993, relatives à des aides ou à des projets d'aides d'État.

35. L'AIUFFASS fait valoir les démarches suivantes:

- l'envoi de deux lettres, datées du 16 février 1993 et du 25 mars 1993, relatives à un projet d'aide en faveur du groupe Texmaco, auxquelles la défenderesse a répondu le 24 septembre 1993;

- l'envoi d'une lettre, écrite de concert avec le CIRFS et l'association Eurocoton, datée du 27 octobre 1993, invitant la défenderesse à étendre la "discipline fibres synthétiques" aux produits fabriqués par les membres de ces associations;

- la tenue de réunions les 9 mars 1993, 14 décembre 1993 et 29 avril 1994, avec des responsables de la Commission sur le même sujet;

- la rencontre, le 21 janvier 1994, de la défenderesse avec les associations membres de Comitextil, une association représentant l'industrie textile européenne, afin de discuter de la transparence de sa politique en matière d'aides d'État dans le secteur textile;

- l'envoi de deux lettres, datées du 12 mai et du 18 juin 1993, par lesquelles l'AIUFFASS a invité respectivement M. Van Miert, membre de la Commission en charge des questions de concurrence, et M. Ehlermann, directeur général de la direction générale Concurrence (DG IV) de la Commission, à faire un exposé au cours de son congrès annuel sur le sujet des aides dans le secteur textile.

36. En réponse aux questions du Tribunal, l'AIUFFASS expose qu'elle comprend trois sections, relatives respectivement au tissage de fils de filaments artificiels et synthétiques, au tissage et au moulinage de la soie et, enfin, à la texturation de fibres chimiques. Elle représente 90 % des tisseurs européens de fils de filaments artificiels et synthétiques. La position de tous les membres de la section correspondante sur le marché serait affectée, étant donné que leurs activités sont identiques à une grande partie de celles qui seront exercées par Hualon.

37. En réponse aux questions du Tribunal, AKT expose que les membres de la BATC, son unique membre, sont les principales associations professionnelles du Royaume-Uni actives dans les domaines de l'habillement et du textile, ainsi que d'importantes sociétés présentes dans plus d'un secteur de cette industrie, comme la filature, le tissage, la confection, etc. Elle s'estime représentative de l'industrie de l'habillement et du textile du Royaume-Uni dans la mesure où les membres précités constituent plus de 80 % de cette industrie et qu'elle est la seule association la représentant dans son ensemble. AKT prétend que Hualon entrera directement en concurrence avec les entreprises membres de la BATC qui ont pour activités la filature, le tissage de fils et de filaments ainsi que la teinture et la finition de tissus et, partant, que l'investissement litigieux affectera leur position sur le marché.

38. AKT conteste le caractère tardif de son recours, en soulignant qu'elle est une entité juridique distincte de la BATC ayant un rôle et des responsabilités distincts. Il ne serait pas établi que celle-ci aurait communiqué, ou aurait nécessairement dû communiquer, à AKT une copie de la décision qu'elle a reçue par lettre du 15 juin 1994.

39. Elle précise également que, au jour où la décision a été communiquée à la BATC, le président et le directeur général de celle-ci étaient respectivement aussi président et directeur d'AKT. En revanche, le conseil d'administration d'AKT comprendrait des représentants des organisations syndicales des travailleurs, contrairement à celui de la BATC.

Appréciation du Tribunal

1. Sur le délai de recours prévu à l'article 173, cinquième alinéa, du traité

40. L'article 173, cinquième alinéa, du traité dispose que les recours doivent être formés dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l'acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance.

41. Bien que le président et le directeur d'AKT fussent, au jour de la communication de la décision à la BATC, respectivement président et directeur de celle-ci, il n'est pas établi qu'AKT, personne morale distincte de la BATC, a eu, à la suite de cette communication, effectivement connaissance de l'existence et du contenu de la décision.

42. Comme il n'est pas établi qu'AKT a eu connaissance de l'existence et du contenu de la décision attaquée avant sa publication, il n'y a pas lieu de considérer que le délai prévu à l'article 173, cinquième alinéa, du traité a commencé à courir avant celle-ci.

43. Le présent recours ayant été introduit exactement deux mois après la publication de la décision, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours d'AKT doit être rejetée.

2. Sur les conditions de recevabilité prévues à l'article 173, quatrième alinéa, du traité

44. L'article 173, quatrième alinéa, du traité confère à toute personne physique ou morale le droit de former un recours contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.

45. En l'espèce, la décision attaquée a été adressée au Royaume-Uni, tiers par rapport aux requérantes. Il convient donc de vérifier si elles sont directement et individuellement concernées par la décision.

46. Selon la jurisprudence, lorsqu'il ne fait aucun doute que les autorités nationales veulent agir dans un certain sens, la possibilité qu'elles ne profitent pas de la faculté offerte par la décision de la Commission apparaît comme purement théorique, de sorte que le requérant peut être directement concerné (arrêt de la Cour du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11-82, Rec. p. 207, point 9; arrêts du Tribunal du 27 avril 1995, ASPEC e.a./Commission, T-435-93, Rec. p. II-1281, points 60 et 61, et AAC e.a./Commission, T-442-93, Rec. p. II-1329, points 45 et 46).

47. En l'espèce, le Gouvernement du Royaume-Uni ayant suffisamment montré sa ferme intention d'accorder l'aide litigieuse, il y a lieu de considérer que les requérantes sont directement concernées par la décision attaquée.

48. Quant à la question de savoir si les requérantes sont individuellement concernées, le Tribunal relève, en premier lieu, que, étant donné que l'aide est destinée à un fabricant de tissus synthétiques et de coton, l'AIUFFASS est, en tant qu'organisation professionnelle regroupant en sa section "tissage de fils de filaments artificiels et synthétiques" les principaux producteurs internationaux de pareils tissus, une personne intéressée au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité (arrêt de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809, point 16; arrêts Cook/Commission, cité ci-dessus au point 27, point 24, et Matra/Commission, cité ci-dessus au point 27, points 18 et 19). Il en va de même d'AKT, dont l'unique membre représente les intérêts de 80 % de l'industrie du textile et de l'habillement du Royaume-Uni, notamment d'entreprises opérant dans le même secteur que Hualon.

49. En second lieu, le Tribunal constate que, tant l'AIUFFASS qu'AKT ont participé à la procédure administrative ayant abouti à l'adoption de la décision attaquée.

50. En outre, ainsi que le Tribunal l'a rappelé dans son arrêt du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission (T-481-93 et T-484-93, Rec. p. II-2941, point 64), un recours en annulation introduit par une association d'entreprises qui n'est pas la destinataire de l'acte attaqué est recevable dans deux hypothèses. La première situation se présente lorsque l'association a un intérêt propre à agir, notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l'acte dont l'annulation est demandée (arrêts Van der Kooy e.a./Commission, cité ci-dessus au point 28, points 17 à 25, et CIRFS e.a./Commission, cité ci-dessus au point 28, points 29 et 30). La seconde est celle où l'association, en introduisant son recours, s'est substituée à l'un ou à plusieurs de ses membres qu'elle représente, à la condition que ses membres eux-mêmes aient été en situation d'introduire un recours recevable (arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T-447-93, T-448-93 et T-449-93, Rec. p. II-1971, point 60).

51. En l'espèce, les requérantes ont poursuivi, dans l'intérêt de leurs membres, ou de membres de leurs membres, opérant dans le même secteur que l'entreprise bénéficiaire, des actions concernant tant la politique générale des aides d'État que des projets d'aide concrets dans le secteur textile. Dès lors, tant l'AIUFFASS qu'AKT ont vu leur position d'interlocutrice de la Commission affectée par la décision attaquée (arrêts Van der Kooy e.a./Commission, cité ci-dessus au point 28, points 21 et 22, et CIRFS e.a./Commission, cité ci-dessus au point 28, points 29 et 30).

52. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les requérantes sont directement et individuellement concernées. Partant, le recours doit être déclaré recevable.

Sur le fond du recours

Généralités

53. Dans sa décision, la défenderesse a examiné la légalité de l'aide litigieuse au regard de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et sous c), du traité. Du vingt-huitième au trente et unième alinéa (de la communication), la défenderesse a examiné si l'aide était susceptible d'être autorisée au titre du paragraphe 3, sous a). Du trente-deuxième au soixante-troisième alinéa, elle a apprécié l'aide au regard du paragraphe 3, sous c). Aux soixante-quatrième et soixante-cinquième alinéas, la défenderesse a mis en balance les objectifs de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c), et, au soixante-sixième alinéa, elle a autorisé l'aide litigieuse au titre de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c).

54. S'agissant des aides régionales, l'article 92, paragraphe 3, sous a) et sous c), du traité introduit deux dérogations au libre jeu de la concurrence, fondées sur le souci de solidarité communautaire, objectif fondamental du traité ainsi qu'en atteste son préambule. Dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, il appartient à la Commission de veiller à concilier les objectifs de libre concurrence et de solidarité communautaire, dans le respect du principe de proportionnalité. Le poids de la solidarité communautaire est susceptible de varier selon les hypothèses, jouant plus fortement au détriment de la concurrence dans les situations de crise décrites au paragraphe 3, sous a), que dans les cas prévus au paragraphe 3, sous c) (voir les conclusions de l'avocat général M. Darmon sous l'arrêt de la Cour du 14 octobre 1987, Allemagne/Commission, 248-84, Rec. p. 4013, 4025, 4031). Dans ce cadre, la Commission est tenue d'évaluer les effets sectoriels de l'aide régionale projetée, même pour ce qui concerne les régions susceptibles de relever du paragraphe 3, sous a), afin d'éviter que, par le biais d'une mesure d'aide, un problème sectoriel soit créé sur le plan de la Communauté qui serait plus grave que le problème régional initial.

55. Toutefois, sauf à priver le paragraphe 3, sous a), de son utilité, la Commission jouit, dans la mise en balance de ces objectifs, d'un pouvoir d'appréciation plus large s'agissant d'un projet d'aide destinée à favoriser le développement d'une région relevant du paragraphe 3, sous a), par rapport à un projet d'aide identique concernant une région visée par le paragraphe 3, sous c).

56. Le contrôle juridictionnel d'une décision prise dans ce cadre doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou de l'absence de détournement de pouvoir (arrêt de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56-93, Rec. p. I-723, point 11, et jurisprudence citée). En particulier, il n'appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation économique à celle de l'auteur de la décision (arrêt Matra/Commission, cité ci-dessus au point 27, point 23).

57. Cependant, comme l'entreprise bénéficiaire de l'aide projetée relève du secteur textile, le Tribunal doit également vérifier que la défenderesse s'est conformée aux règles indicatives qu'elle s'est elle-même imposées dans la communication de 1971 et dans la lettre de 1977, dans la mesure où elles ne sont pas contraires au traité (arrêt de la Cour du 24 février 1987, Deufil/Commission, 310-85, Rec. p. 901, point 22).

58. En l'espèce, les requérantes soutiennent que la décision est entachée de nullité, au motif que la défenderesse aurait commis des erreurs manifestes dans l'appréciation, d'une part, du nombre d'emplois susceptibles d'être créés par l'investissement litigieux et, d'autre part, de l'effet de celui-ci sur les surcapacités affectant le secteur.

59. Afin d'établir que la Commission a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des faits de nature à justifier l'annulation de la décision attaquée, les éléments de preuve apportés par les requérantes doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus dans la décision.

Sur le moyen tiré d'erreurs manifestes d'appréciation des faits

- Sur l'évaluation du nombre d'emplois

60. Selon les requérantes, la décision devrait être annulée, car elle repose sur un raisonnement vicié par une erreur manifeste commise dans l'appréciation du nombre des emplois directement engendrés par l'investissement litigieux.

61. Avant de se prononcer sur le fond, la défenderesse conteste la recevabilité de ce grief.

62. Le Tribunal estime qu'il convient d'examiner cette fin de non-recevoir en premier lieu.

1. Sur la recevabilité du grief tiré d'une évaluation erronée du nombre des emplois

63. La défenderesse oppose une fin de non-recevoir au motif que les requérantes n'ont jamais contesté ce nombre au cours de la procédure administrative, alors qu'il avait clairement été fait état de cet élément lors de l'ouverture de celle-ci.

64. Le Tribunal relève que, dans la matière des aides d'État, aucune disposition ne subordonne le droit pour une personne directement et individuellement concernée d'attaquer un acte adressé à un tiers à la condition d'avoir soulevé, au cours de la procédure administrative, l'ensemble des griefs qui sont formulés dans la requête. En l'absence de pareille disposition, le droit d'agir d'une telle personne ne saurait être restreint pour la simple raison que, alors qu'elle aurait pu, au cours de la procédure administrative, présenter des observations sur une appréciation communiquée lors de l'ouverture de la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité et reprise dans la décision attaquée, elle s'est abstenue de le faire.

65. Il s'ensuit que le grief est recevable.

2. Sur le bien-fondé du grief tiré d'une évaluation erronée du nombre des emplois

Arguments des parties

66. Selon les requérantes, des comparaisons avec le personnel requis dans des usines textiles modernes et performantes d'Europe occidentale pour le volume de production annoncé indique que le projet ne créerait pas 1 800 emplois directs, mais seulement de 950 à 1 050.

67. Étant donné que ce serait en mettant en balance les effets régionaux positifs de l'investissement projeté par Hualon avec ses effets négatifs potentiels sur l'ensemble de la capacité de production et sur la concurrence que la défenderesse a autorisé le Gouvernement du Royaume-Uni à octroyer l'aide litigieuse, les requérantes considèrent que les conclusions auxquelles la défenderesse a abouti sont viciées.

68. Les chiffres relatifs aux emplois indirects devant être générés par le projet litigieux seraient difficilement vérifiables, nombre d'entre eux devant par ailleurs être d'une durée limitée.

69. Enfin, même si les chiffres cités par la défenderesse devaient s'avérer exacts, la création d'emplois entraînée par l'investissement litigieux se ferait au détriment d'emplois existants dans d'autres régions de la Communauté.

70. Selon la défenderesse, l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation n'est nullement établie.

71. En outre, les autorités nationales responsables auraient explicitement subordonné l'octroi de l'aide à la création effective de 1 800 emplois.

72. Enfin, la défenderesse, soutenue par l'intervenant, dénie toute pertinence à l'argument selon lequel les emplois que le projet litigieux générera seront créés au détriment d'emplois existants dans d'autres régions de la Communauté, dès lors qu'il est inhérent à toute aide à finalité régionale d'améliorer la position relative de la région bénéficiaire au détriment, dans la même mesure, de celle des autres régions. Du reste, cet argument serait fondé sur la prémisse erronée que la production de Hualon va se substituer à celle d'autres producteurs communautaires et non aux importations.

73. L'intervenant conteste qu'il soit possible d'évaluer le nombre d'emplois à la lumière d'investissements similaires réalisés par des entreprises performantes dans la Communauté, au motif, d'une part, qu'il n'existe pas, à l'intérieur de celle-ci, d'usine totalement intégrée de cette dimension et, d'autre part, que les produits en cause et les procédés mis en œuvre sont différents.

74. Il fait valoir que si le nombre d'emplois susceptibles d'être créés par le projet litigieux devait être inférieur au nombre indiqué dans la décision attaquée, les conclusions qui y sont contenues seraient néanmoins toujours valables mutatis mutandis, car, premièrement, le nombre d'emplois indirects et l'importance des travaux de construction ne seraient pas nécessairement diminués proportionnellement, deuxièmement, le nombre d'emplois créés serait toujours significatif pour l'Irlande du Nord et, troisièmement, le versement de la subvention à chaque phase du développement de l'usine dépend de la création d'emplois supplémentaires.

Appréciation du Tribunal

75. En vue d'apprécier si le projet litigieux répondait aux conditions requises pour bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité, la défenderesse a constaté que la région concernée était confrontée à de graves problèmes de chômage (24 % dans les quartiers nord de Belfast, dont 56 % en chômage depuis plus d'un an, soit un taux de chômage d'environ 30 % en ce qui concerne les travailleurs masculins, et 28,5 % dans les quartiers ouest de Belfast, dont 64 % en chômage depuis plus d'un an, soit un taux de chômage d'environ 35 % en ce qui concerne les travailleurs masculins). Elle a ensuite relevé que les 1 800 emplois directs qui seraient créés par le projet d'investissement procureraient un emploi à 10,8 % des chômeurs des quartiers nord et ouest de Belfast (vingt-neuvième alinéa de la communication). Elle a en outre indiqué que le projet devrait également créer 500 emplois indirects au bénéfice de l'économie locale (trentième alinéa) et estimé qu'il en résulterait un effet d'entraînement dans cette région qui, autrement, attirerait très difficilement des investissements (trente et unième alinéa).

76. Les requérantes ne contestent pas que l'aide litigieuse est destinée à favoriser le développement économique de la région concernée ni que celle-ci souffre d'un grave sous-emploi. Elles se bornent à affirmer que le projet litigieux ne créera qu'entre 950 à 1 050 emplois, au lieu de 1 800. Les seuls éléments qu'elles avancent à cet égard ont trait, d'une part, au coût horaire moyen du travail au Royaume-Uni et dans certains pays asiatiques et, d'autre part, à la production annuelle par ouvrier de Hualon et de trois entreprises européennes. Or, ces facteurs concernent, d'une part, un des éléments du coût de production de Hualon et, d'autre part, la productivité de celle-ci, mais non directement le nombre d'emplois que le projet engendrera. Dès lors, les requérantes n'ont pas démontré l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'estimation du nombre d'emplois susceptibles d'être créés par le projet ni qu'une telle erreur serait de nature à saper les conclusions de la défenderesse.

77. La circonstance, du reste non établie en l'espèce, qu'un projet bénéficiant d'une aide à finalité régionale contribue à la création d'emplois tout en menaçant des emplois dans d'autres régions de la Communauté n'est pas, en tant que telle, de nature à justifier l'annulation de la décision d'autorisation de l'aide.

78. Par conséquent, le grief tiré de l'estimation erronée du nombre d'emplois susceptibles d'être créés par le projet litigieux n'est pas fondé.

B ° Sur l'évaluation des répercussions du projet litigieux sur les surcapacités

79. Les requérantes reprochent à la défenderesse d'avoir commis des erreurs manifestes dans l'appréciation des faits:

° en affirmant que les tissus de Hualon ne concurrenceront pas ceux fabriqués par les autres producteurs communautaires et ne contribueront pas à accroître les surcapacités;

° en ayant, pour le surplus, analysé le marché des produits concernés de manière lacunaire;

° en s'étant fondée sur des prévisions erronées en ce qui concerne la demande future.

1. Sur la concurrence entre Hualon et les autres producteurs communautaires

80. Les requérantes contestent que la production future de Hualon se substituera aux importations sans augmenter les capacités de production, mettent en doute que Hualon produira exclusivement des tissus bas de gamme, reprochent à la défenderesse de ne pas avoir soigneusement défini les notions de "bas de gamme" et "haut de gamme" et lui font grief de n'avoir tenu aucun compte, d'une part, de l'importante position que les producteurs communautaires occupent et continueront à occuper dans un avenir prévisible dans le secteur des produits bas de gamme et, d'autre part, du fait que les métiers à tisser à jet d'air et à jet d'eau sont utilisés pour la fabrication de tissus haut de gamme aussi bien que pour celle de tissus bas de gamme.

81. Le Tribunal examinera ces différents points séparément en commençant par l'examen de la définition donnée par la défenderesse à la notion de "tissus bas de gamme".

Sur la distinction entre bas de gamme et haut de gamme

- Arguments des parties

82. Les requérantes reprochent à la défenderesse de ne pas avoir défini les critères distinguant les produits bas de gamme par rapport à ceux du haut de gamme, alors que cette notion revêt une importance capitale dans la décision attaquée.

83. S'agissant du critère du poids de 200 grammes par mètre carré, cité au dix-huitième alinéa de la communication, elles font observer qu'un grand nombre de produits textiles traditionnellement considérés comme étant à haute valeur ajoutée sont d'un poids inférieur. 80 % des produits destinés au marché de la confection "dames" ou "enfants" seraient d'un poids inférieur, sans pour autant pouvoir être qualifiés de "produits de masse", et les tissus utilisés dans les doublures et anoraks, cités par la défenderesse au quarante-troisième alinéa de sa communication comme relevant du marché de produits dans lequel Hualon sera présente, pourraient être rangés dans la catégorie des produits à haute valeur ajoutée en dépit d'un poids inférieur à 200 grammes par mètre carré. Enfin, 96 % des tissus d'habillement auraient un poids inférieur à 200 grammes par mètre carré.

84. Ensuite, les requérantes estiment, en se référant au critère évoqué au quarante-troisième alinéa de la communication, que l'investissement litigieux aura des répercussions très graves sur la production communautaire. Cet alinéa est rédigé en ces termes: "Hualon produira des tissus de base à soumettre aux opérations de teinture, de finition et d'impression et utilisés dans des produits tels que les doublures de tailleurs, de complets et autres costumes, les robes, les chemisiers et les anoraks. Les producteurs de la Communauté se sont tournés vers des tissus tissés plus serré et de meilleure qualité qui offrent un toucher, un drapé et une texture supérieurs et sont utilisés notamment pour les vêtements de ski et les vestes imperméables en microfibres." Or, d'une part, les doublures de tailleurs, de complets et autres costumes, ainsi que les tissus pour robes, chemisiers et anoraks représenteraient 80 à 90 % de la production des entreprises communautaires et seraient fabriqués par ces dernières tant sur des métiers à tisser à jet d'air ou à jet d'eau que sur des métiers à tisser à projectiles ou à lances. D'autre part, ces produits pourraient, dans certains cas, constituer des produits à faible valeur ajoutée et, dans d'autres cas, des produits à haute valeur ajoutée.

85. Selon les requérantes, les producteurs communautaires opèrent dans le même secteur que celui visé par Hualon, tant au stade de la production de tissus qu'à celui des opérations d'ennoblissement, qui feront l'objet de la première phase du projet litigieux.

86. D'après la défenderesse, la validité de son raisonnement ne présuppose pas l'identification de critères de distinction mathématiques, des critères permettant de discerner les grandes tendances étant suffisants. Les tissus bas de gamme ne pourraient pas être distingués des produits hauts de gamme sur la base d'un critère de distinction unique. La décision reposerait sur un faisceau de critères permettant d'apprécier si une production relève plutôt du bas de gamme ou plutôt du haut de gamme, en fonction notamment de sa fabrication en grande ou en petite série, de l'importance de la valeur ajoutée et, surtout, du degré de souplesse d'utilisation des différents types de métiers à tisser.

87. Se référant au document "Textiles, habillement, chaussures et cuir", dans Panorama de l'industrie communautaire 1994, par l'Observatoire européen du textile et de l'habillement et Fitzpatrick Associates, la défenderesse souligne que le critère le plus important est celui de la flexibilité du processus de fabrication, les produits haut de gamme étant fabriqués en petites quantités et pour une période plus courte que ceux du bas de gamme. Telle serait la raison pour laquelle la décision attaquée distingue les métiers à tisser à jet et ceux à lances ou à projectiles pour déterminer l'évolution probable des capacités de production des tissus du type de ceux qui seront fabriqués par Hualon, les machines à jet étant plus rigides et donc moins rentables pour les productions en petite série.

88. La défenderesse conclut que c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation qu'elle a considéré que le projet litigieux n'affectera pas de manière notable les capacités installées dans la Communauté.

89. Selon les requérantes, l'affirmation de la défenderesse selon laquelle il n'existerait pas de critère unique qui permettrait de ranger n'importe quel type de production soit dans la catégorie des produits bas de gamme, soit dans celle des tissus haut de gamme, est contradictoire avec la décision litigieuse, dans laquelle il est expressément indiqué que les "marchés de produits sont différents".

90. D'après l'intervenant, quatre éléments, qui s'étayent mutuellement, permettent de distinguer les marchés du haut de gamme de ceux du bas de gamme: le type de produits, la nature de la demande et de l'offre, l'identité des fournisseurs et des consommateurs et les facteurs de compétitivité.

91. Les articles à haute valeur ajoutée produits en petites séries constitueraient le haut de gamme, le bas de gamme comprenant, à l'inverse, les articles à faible valeur ajoutée produits en grandes séries. La décision se référerait au poids du tissu non pas pour distinguer ces deux catégories de produits, mais pour exposer la description que l'intervenant avait donnée de la production future de Hualon.

92. La demande en tissus bas de gamme serait extrêmement sensible aux prix, mais homogène, tandis qu'elle serait moins élastique s'agissant des tissus haut de gamme, mais plus versatile, car liée à la mode.

93. Il ressortirait implicitement de la décision que le segment du haut de gamme alimente presque directement les fabricants de vêtements au détail, tandis que le segment du bas de gamme fournit des producteurs de textiles de la Communauté se concentrant, de manière croissante, sur les phases finales de la finition du tissu. Se fondant sur un article de la littérature spécialisée (Scheffer, M.: "Internationalisation of Production by EC Textile and Clothing Manufacturers", Textile Outlook International, Textile Intelligence Limited, janvier 1994), l'intervenant précise que la plupart des importations de tissus de base résulteraient d'achats de fabricants de la Communauté qui souhaiteraient transformer ces tissus et profiter du régime de perfectionnement passif.

94. Les requérantes observent que la décision litigieuse ne contient nullement pareille analyse du marché, mais reste au contraire confuse sur ce point. Tel est précisément leur grief.

° Appréciation du Tribunal

95. La décision précise que "[l]a production [de Hualon] sera exclusivement axée sur le segment bas de gamme du marché des textiles, à savoir les tissus fabriqués en série et à faible valeur ajoutée, d'une densité inférieure ou égale à 200 grammes par mètre carré" (vingt et unième alinéa de la communication). En rapportant les observations du Gouvernement du Royaume-Uni, la décision indique qu'il s'agira de textiles "fabriqués en série à faible coût" (onzième et seizième alinéas de la communication), s'inscrivant dans un "segment du marché caractérisé par une âpre concurrence par les prix" (seizième alinéa).

96. Pour distinguer cette production de celle des fabricants de la Communauté, la décision signale que les producteurs communautaires se sont tournés vers des "produits haut de gamme présentant une moindre élasticité des prix" (quarante-deuxième alinéa de la communication), notamment des "tissus tissés plus serré et de meilleure qualité qui offrent un toucher, un drapé et une texture supérieurs" (quarante-troisième alinéa), c'est-à-dire des "produits spécialisés à haute valeur ajoutée" (quarante-cinquième alinéa).

97. Aux fins de l'application de l'article 92, paragraphe 3, du traité, les critères énumérés par la défenderesse sont suffisamment pertinents pour fonder son appréciation. La distinction entre tissus bas de gamme et tissus haut de gamme semble d'ailleurs reconnue dans le secteur comme étant suffisamment pertinente pour analyser le marché (voir "Textiles, habillement, chaussures et cuir" dans Panorama de l'industrie communautaire 1994, cité ci-dessus au point 87, dans lequel il est question respectivement de "produits fabriqués en série" faisant l'objet d'une concurrence intense de la part des producteurs des pays en voie de développement (p. 14-1) ou d'"articles standard" (p. 14-7) et de "haut de gamme" (p. 14-7) ou de "produits de qualité supérieure destinés à certains créneaux bien définis" (p. 14-1), d'"articles de qualité supérieure" (p. 14-6), "moins sensibles aux prix, et qui ne sont pas réductibles au même degré de fabrication en série que les articles standard" (p. 14-7) ; dans son article intitulé "Internationalisation of Production by EC Textile and Clothing Manufacturers", cité ci-dessus au point 93, p. 105 et 114, M. Scheffer parle de "basic qualities" et de "basic products").

98. En conséquence, il ne saurait être fait grief à la défenderesse de ne pas avoir défini les critères distinguant les produits bas de gamme par rapport aux produits haut de gamme.

99. Dès lors, le grief doit être rejeté.

Sur la substitution de la production de Hualon aux importations

- Arguments des parties

100. Les requérantes contestent que la production future de Hualon se substituera aux importations sans augmenter les capacités de production étant donné qu'elle devrait porter exclusivement sur un segment du marché, celui des tissus à faible valeur ajoutée fabriqués en série, qui, en l'absence de Hualon, serait occupé par les importations en provenance de pays tiers.

101. D'une part, contrairement à ce qu'affirme la défenderesse, la production communautaire n'aurait pas tendance à délaisser progressivement le bas de gamme et à se déplacer de la Communauté vers des pays tiers. Se référant à deux articles publiés par l'Observatoire européen du textile et de l'habillement (Prudhommeaux, M.-J.: "L'industrie de l'habillement: entre délocalisation et Sentier", 1994, vol. III, n 2, Observatoire européen du textile et de l'habillement; Scheffer, M.: "The Changing Map of European Textiles", Production and Sourcing Strategies of Textiles and Clothing Firms, 1994, p. 81 et 82, Observatoire européen du textile et de l'habillement), les requérantes affirment que ce phénomène de délocalisation ne concerne pas le secteur du textile proprement dit, mais celui de la confection.

102. D'autre part, Hualon serait d'autant moins en mesure de se substituer aux importations qu'elle ne serait pas viable, car non compétitive par rapport aux producteurs de pays tiers à bas salaires. A titre d'exemple, le coût salarial par mètre de tissu de polyamide ou de polyester serait de 0,31 USD contre 0,013 USD en Indonésie et 0,011 USD au Vietnam.

103. L'aide attaquée aurait dû être interdite, car l'investissement litigieux devrait entraîner une augmentation sensible des surcapacités, ce que proscrivent les normes d'encadrement des aides à l'industrie textile définies par la défenderesse (communication de juillet 1971 et lettre de 1977). En outre, à l'inverse de l'objectif ayant présidé au programme Retex, cité ci-dessus au point 34, l'investissement aidé devrait accroître la dépendance de la région concernée à l'égard du secteur textile, alors que l'emploi dans le secteur du textile et de l'habillement y représenterait déjà 25 % de l'emploi total dans le secteur manufacturier. Ces différentes normes d'encadrement du secteur textile obligeraient la Commission à prouver de manière très fondée que le projet litigieux n'est pas susceptible d'aggraver les surcapacités.

104. En toute hypothèse, la défenderesse ne serait pas habilitée à autoriser une aide en se fondant simplement sur une tendance du marché ni à autoriser une aide qui aurait précisément pour conséquence de matérialiser les suppositions justifiant son autorisation. De toute manière, s'il devait être exact que la production communautaire concernée se réduit au profit de celle de pays tiers, cette évolution commanderait d'autant plus d'interdire l'aide litigieuse. En effet, les fabricants communautaires de produits bas de gamme auraient à subir la concurrence non seulement des importations en provenance de ces pays, mais également celle de Hualon, ce qui aurait pour conséquence d'aggraver le déséquilibre entre l'offre, déjà excédentaire, et la demande sur le marché européen.

105. Selon la défenderesse, la décision attaquée s'inscrit parfaitement dans la ligne de conduite qu'elle a définie dans sa communication de 1971 et dans sa lettre de 1977. Le programme Retex ne serait pas pertinent en l'espèce, car en Irlande du Nord l'emploi dans le secteur textile-habillement représenterait seulement 4,5 %. L'examen de la viabilité ne serait pas nécessaire pour évaluer la compatibilité d'une aide à l'investissement. Du reste, les statistiques produites par les requérantes, relatives au coût salarial par mètre de tissu au Royaume-Uni, résulteraient de moyennes et intégreraient des chiffres afférents à des installations de production désuètes ne tenant pas compte de la situation particulière de l'usine de Hualon en Irlande du Nord. Enfin, les requérantes n'auraient pas démontré d'erreur manifeste d'appréciation ayant joué un rôle déterminant dans la décision attaquée.

106. Selon l'intervenant, même si l'aide envisagée ne se concrétise pas et que l'usine de Hualon n'ouvre pas en Irlande du Nord, des usines de la Communauté fermeront sous la pression des producteurs d'Asie. Le nombre grandissant de suppressions d'emplois dans l'industrie du textile de la Communauté démontrerait qu'un tel processus est en cours. Le niveau des importations des produits considérés serait élevé [en 1991, 40 % pour les produits AMF 2 (tissus de coton) et 25 % pour les produits AMF 35 (tissus de fibres synthétiques continues), traduisant un accroissement de 68 % depuis 1985]. La tendance se poursuivrait (hausse de 4,3 % entre 1990 et 1992), alors que les pays tiers exportateurs n'exploitent pas encore leurs quotas commerciaux complètement, et que ces quotas sont voués à être abandonnés à la suite des accords de l'Uruguay Round.

107. S'appuyant sur le document "Textiles, habillement, chaussures et cuir", Panorama de l'industrie du textile et de l'habillement 1994, cité ci-dessus au point 87, il affirme que les producteurs de la Communauté ont répondu à la concurrence des producteurs bénéficiant de coûts inférieurs en orientant leur production vers des articles de qualité supérieure.

108. Cette tendance serait corroborée par le faible pourcentage de nouveaux métiers à tisser à jet d'air ou à jet d'eau installés dans la Communauté.

109. Le projet de Hualon s'inscrirait à contre-courant de ces tendances. Hualon ambitionnerait de concurrencer les importations à faible coût de production provenant de pays d'Asie, tout en générant des profits.

110. Il résulterait de l'ensemble de ces éléments que les produits de Hualon ne concurrenceront, pour l'essentiel, que des marchandises importées. Aussi, s'il est vrai que l'exploitation par Hualon de nouveaux métiers à tisser augmentera la surcapacité, elle n'aura, en revanche, aucune incidence sur la surcapacité structurelle, au sens de la lettre de 1977. Celle-ci viserait le problème des métiers qui sont exploités à perte pour couvrir une partie des coûts fixes, leurs propriétaires n'étant pas en mesure de réunir les capitaux nécessaires au remplacement de ces biens d'équipement par des machines neuves et rentables. Telle serait la situation de nombreux métiers à tisser à jet d'air ou à jet d'eau exploités dans la Communauté et de la majorité des métiers à lances et à projectiles employés pour fabriquer des tissus bas de gamme.

111. L'intervenant estime que s'il est vrai que l'aide envisagée aura un effet négatif sur les métiers dont l'exploitation est actuellement non rentable, ces métiers, qui contribuent à la surcapacité structurelle, sont de toute façon condamnés, indépendamment des effets qu'aura l'aide envisagée. La seule solution à long terme au problème de surcapacité existant actuellement dans la Communauté serait de remplacer la surcapacité structurelle par une capacité concurrentielle, laquelle ne serait pas menacée s'agissant des produits hauts de gamme.

112. Enfin, l'argument tiré du programme Retex serait dénué de pertinence, car il concerne les programmes d'aides communautaires et non les aides d'État.

- Appréciation du Tribunal

113. Dans sa décision, la défenderesse s'est expressément référée à la communication de 1971 et à la lettre de 1977. Ces documents proscrivent les aides ayant pour effet d'aggraver les surcapacités de production dans les secteurs sur capacitaires et énoncent les critères d'application de ce principe.

114. En premier lieu, l'annexe à la lettre de 1977 précise que la notion de surcapacité suppose la prise en considération de sous-branches suffisamment diversifiées. En l'espèce, la défenderesse a centré son analyse sur la sous-branche des tissus bas de gamme.

115. En second lieu, l'annexe à la lettre de 1977 prescrit de tenir compte de l'évolution prévisible des conditions de concurrence pour apprécier les répercussions d'un projet aidé sur les surcapacités. Il convient dès lors d'examiner si la décision attaquée tient compte de l'évolution prévisible des conditions de concurrence.

116. Pour apprécier la position des producteurs communautaires sur le marché, la défenderesse est partie de l'idée que les tissus bas de gamme sont principalement fabriqués au moyen de métiers à tisser à jet d'air ou à jet d'eau. Il ressort de la décision que, en raison d'une forte concurrence par les prix dans le segment du bas de gamme, la préférence des producteurs communautaires pour telle technique de production plutôt que pour telle autre traduit nécessairement une stratégie de positionnement sur le marché (quarante-deuxième alinéa de la communication). Se fondant notamment sur des chiffres fournis par un consultant faisant état d'une disparité importante dans le pourcentage des installations de métiers à tisser à jet entre l'Asie et la Communauté, la décision relève que "l'industrie textile communautaire manifeste une certaine préférence pour les métiers à tisser à lances ou à projectiles [...] par rapport aux métiers à jet", préférence qui serait "confirmée par les tendances constatées lors du remplacement des métiers à tisser, en réaction à la concurrence acharnée par les prix à laquelle se livrent les producteurs de textiles extra-communautaires" (quarante-deuxième et quarante-quatrième alinéas de la communication). Selon la décision, les producteurs communautaires ont tendance à délaisser le bas de gamme pour se tourner davantage vers le haut de gamme (quarante-troisième alinéa de la communication), la production de tissus bas de gamme tendant à se déplacer vers des pays tiers aux coûts salariaux moins élevés (trente-sixième, quarante-cinquième et quarante-septième alinéas). L'abandon des limitations quantitatives, qui est prévu dans l'accord du GATT, devrait encore accroître les importations (quarante-septième alinéa). Enfin, la décision fait état de la tendance à la réduction de la capacité de production dans la Communauté (quarante-huitième et quarante-neuvième alinéas de la communication) et de l'évolution de la consommation (cinquantième à cinquante-deuxième alinéa). C'est à la lumière de cette analyse que la défenderesse a conclu que la production de Hualon contribuerait à la substitution aux importations plutôt qu'à l'augmentation des capacités de production.

117. La littérature spécialisée produite par les requérantes n'infirme pas cette analyse. Si l'extrait de l'article de Mme Prudhommeaux, cité ci-dessus au point 101, fait état de la délocalisation de l'industrie de la confection vers les pays à bas salaires, il ne contient aucun élément indiquant que ce phénomène ne touche pas les tissus bas de gamme. L'extrait de l'article de M. Scheffer, "The Changing Map of European Textiles", cité ci-dessus au point 101, ne conforte pas non plus leur thèse, tout au contraire. Cet article aborde le problème de la délocalisation de la production de textiles. L'auteur fait le lien entre confection et production de tissus, en indiquant que le succès d'une unité de production de vêtements dépend de l'existence, sur le plan local, de services et de possibilités d'approvisionnement et, compte tenu de l'évolution technique, de main-d'œuvre qualifiée. Il précise encore que certains fabricants s'approvisionnent en tissus provenant de pays tiers (c'est-à-dire de pays extérieurs à la Communauté) et complètent leur production communautaire en important des articles bas de gamme qui ne peuvent pas être fabriqués de manière concurrentielle eu égard aux coûts auxquels les producteurs communautaires doivent faire face. Il fait également état de la possibilité que les opérations de teinture et de finition soient délocalisées à l'avenir vers des pays dotés de législations de protection de l'environnement moins restrictives. Il évalue les avantages, pour un producteur de vêtements de la Communauté qui envisage des stratégies de délocalisation de la production, de sous-traitance et d'approvisionnement, d'avoir recours à un fabricant local de tissus (c'est-à-dire à un producteur non communautaire). Il conclut que certains avantages militent en faveur de l'approvisionnement en tissus auprès d'un fabricant local ou de l'installation d'usines dans les principaux pays producteurs de vêtements.

118. Les autres articles spécialisés versés au dossier ("Textiles, habillement, chaussures et cuir", Panorama de l'industrie communautaire 1994, cité ci-dessus au point 87; Scheffer, M.: "Internationalisation of Production by EC Textile and Clothing Manufacturers", cité ci-dessus au point 93; Sri Ram Khanna: "Trends in US and EU Textile and Clothing Imports", Textile Outlook International, Textile Intelligence Limited, novembre 1994) sont prudents et nuancés, mais semblent corroborer l'analyse de la défenderesse plutôt qu'ils ne l'infirment.

119. Il s'ensuit que la défenderesse s'est livrée à une analyse plausible de l'évolution prévisible des conditions de concurrence. Les requérantes n'ont pas démontré avec un degré de certitude suffisant l'existence d'erreurs de fait remettant en cause cette analyse et les conclusions fondées sur celle-ci.

120. S'agissant de la viabilité du projet, la défenderesse a considéré qu'il n'y avait pas lieu de contester l'affirmation du Royaume-Uni selon laquelle elle était assurée, dans la mesure où l'entreprise privée bénéficiaire de l'aide supporte plus de 60 % des coûts de l'investissement et assume les risques que comporte sa réalisation (soixante-troisième alinéa de la communication). La défenderesse était fondée à ne pas se livrer à un examen plus approfondi de la question dès lors qu'il était plausible que le projet soit viable et que l'entreprise soit compétitive, le groupe dont dépend l'entreprise bénéficiaire de l'aide opérant dans le Sud-Est asiatique, dans des pays aux coûts salariaux modérés. La défenderesse pouvait donc raisonnablement augurer des investissements importants de l'entreprise en Irlande du Nord que le projet présentait des avantages financiers par rapport à la production en Asie ou, à tout le moins, qu'il serait viable.

121. Enfin, la défenderesse n'a pas excédé son pouvoir d'appréciation en autorisant une aide aux effets apparemment contraires à l'objectif assigné au programme Retex. En effet, celui-ci n'a pas pour objet de priver une région largement dépendante du secteur textile, mais souffrant par ailleurs de graves handicaps économiques et sociaux, d'améliorer sa position en bénéficiant d'une aide, fût-ce au prix d'une plus grande dépendance sectorielle, surtout lorsque l'investissement aidé doit permettre d'attirer d'autres investissements. Si, comme le laissent entendre les requérantes, il découlait du programme Retex que l'octroi d'une aide en matière textile serait interdit quelles que soient les autres spécificités économiques de la région concernée, ce programme aurait comme effet pervers d'affaiblir l'Irlande du Nord sur le plan économique, alors qu'il a au contraire pour objet de renforcer la position économique des régions qu'il concerne. Par conséquent, l'existence du programme Retex ne saurait, en tant que telle, avoir pour effet de rendre l'aide litigieuse illégale.

122. Il découle des éléments qui précèdent que le grief doit être rejeté.

Sur la production de Hualon

° Arguments des parties

123. Les requérantes contestent que Hualon se limitera à produire des tissus bas de gamme, ainsi que cela est affirmé aux vingt et unième et quarante-troisième alinéas de la communication. Le président de Hualon aurait, en effet, déclaré, le 13 novembre 1994, au cours d'un entretien accordé à la BBC, que l'objectif de Hualon était de produire des tissus à haute valeur ajoutée.

124. Selon la défenderesse, soutenue par l'intervenant, cette déclaration a été officiellement démentie par Hualon.

125. L'intervenant affirme que Hualon ne fabriquera que des produits à faible valeur ajoutée en grande série.

- Appréciation du Tribunal

126. La décision attaquée autorise l'octroi d'une aide destinée à l'implantation d'une usine de production de tissus bas de gamme, tels qu'elle les a préalablement définis (voir ci-dessus points 95 et 96).

127. Le grief est fondé sur la supposition que Hualon ne produira pas exclusivement des tissus bas de gamme. Cette supposition est principalement fondée sur une déclaration faite par le président de Hualon postérieurement à la décision.

128. La simple affirmation que l'une des conditions qui sont à la base d'une décision portant autorisation d'une aide ne sera pas respectée ne saurait remettre en cause la légalité de cette décision. Si l'entreprise bénéficiaire devait s'écarter des conditions de l'autorisation, il appartiendrait à l'État membre de veiller à la bonne exécution de la décision et à la Commission d'apprécier s'il y a lieu de réclamer le remboursement de l'aide (arrêt de la Cour du 4 février 1992, British Aerospace et Rover/Commission, C-294-90, Rec. p. I-493, point 11).

Sur la position des producteurs communautaires dans le secteur des tissus bas de gamme

- Arguments des parties

129. Les requérantes font grief à la défenderesse de ne pas avoir pris en considération la forte présence des producteurs communautaires dans le secteur des produits bas de gamme. Or, plus de 80 % des tissus de la catégorie AMF 35 fabriqués dans la Communauté pèseraient moins de 200 grammes par mètre carré et ce pourcentage dépasserait largement le taux de 90 % si l'on se limite aux types de produits annoncés par Hualon.

130. A supposer que, comme l'estime la défenderesse, le type de métier à tisser utilisé soit un indicateur pertinent du type de tissu fabriqué, il eût fallu prendre en considération le nombre de métiers à tisser à jet d'air et à jet d'eau exploités dans la Communauté ainsi que leur durée moyenne d'utilisation, plutôt que le taux d'installation de nouveaux métiers à tisser. En outre, la défenderesse aurait également inclus, à tort, les métiers destinés à la fabrication de produits lainiers. Or, il existerait en Europe une importante industrie lainière, qui utiliserait exclusivement, étant donné la nature des fibres, des métiers à tisser à projectiles. Elle aurait dû limiter son estimation aux tissus appartenant au marché affecté par l'aide litigieuse, à savoir les tissus en polyester, en polyamide, en coton ou les tissus de mélanges de coton. En déduisant du nombre total des nouveaux métiers à tisser à projectiles mis en service dans la Communauté ceux utilisés pour les produits lainiers, on aboutirait à la conclusion que, en 1991, 29,9 % des nouveaux métiers mis en service étaient des métiers à jet d'air et à jet d'eau et, en 1992, 32,5 %. Ces pourcentages s'élèveraient à 38,4 % pour 1989 et à 40,7 % pour 1991 si l'on tient compte du fait que d'importants investissements en métiers à tisser à jet d'air et à jet d'eau ont été réalisés dans la Communauté dans les années antérieures à celles citées par la défenderesse (1991 et 1992), en particulier en 1989 et en 1990. Ces développements démontreraient la forte présence des producteurs communautaires dans le secteur du bas de gamme. La défenderesse aurait dû en tenir compte, cet élément étant essentiel pour apprécier les effets de l'investissement litigieux sur la concurrence. Les requérantes produisent, en outre, un tableau résultant d'une enquête réalisée auprès des entreprises affiliées de l'AIUFFASS dans les huit principaux pays producteurs de la Communauté européenne qui ferait apparaître que près de 50 % des métiers à tisser pour fabriquer des tissus des catégories AMF 35 et AMF 36 étaient des métiers à jet d'air et à jet d'eau.

131. Même en s'en tenant à la méthode et aux chiffres de la Commission, la conclusion que les répercussions de l'investissement de Hualon sur l'industrie communautaire seront considérables s'imposerait.

132. Enfin, les requérantes invoquent le quarante-quatrième alinéa de la communication, libellé comme suit: "La FIIT précise que, dans la Communauté européenne, 29 % des installations de métiers à tisser sans navette étaient à jet d'air ou à jet d'eau en 1992, contre 24 % en 1991, alors qu'en Asie ces pourcentages étaient de 74 % en 1991 et 69 % en 1992." Ces chiffres démontreraient l'inverse de la thèse soutenue par la défenderesse selon laquelle il existe une tendance de la production communautaire à délaisser progressivement le bas de gamme au profit du haut de gamme.

133. La défenderesse ne met pas en doute que l'industrie textile communautaire soit toujours fortement présente dans le secteur des produits bas de gamme, mais rappelle être partie de l'idée que l'investissement aidé n'affectera pas de manière notable l'évolution des capacités installées en Europe. Elle se serait fondée sur l'évolution du marché, caractérisée par le fait que les autres producteurs communautaires délaissent progressivement le bas de gamme, qui sera repris par des producteurs de pays tiers, pour se tourner de plus en plus vers la production de tissus haut de gamme, de sorte que l'investissement aidé n'affectera pas de manière notable l'évolution des capacités installées en Europe.

134. Pour déterminer l'évolution prévisible du secteur, le taux d'installation de nouveaux métiers à tisser serait un critère plus pertinent que celui, préconisé par les requérantes, du nombre de métiers à jet d'air et à jet d'eau exploités dans la Communauté ainsi que leur durée moyenne d'utilisation.

135. Enfin, les chiffres cités au quarante-quatrième alinéa de la communication ne démontreraient nullement que la production communautaire se renforce dans le segment du bas de gamme, mais bien que le pourcentage d'installation des métiers adaptés à la production de tissus bas de gamme en Europe est nettement inférieur à celui existant en Asie.

136. Selon l'intervenant, la défenderesse était parfaitement fondée à ne pas exclure de ses calculs les métiers employés pour les produits lainiers, car le Japon, les États-Unis et la Chine sont également de grands producteurs de tissus en laine ou majoritairement à base de laine.

137. Dans ses observations sur le mémoire en intervention, les requérantes contestent que les producteurs communautaires exploitent à perte des métiers obsolètes. Il ressortirait, en effet, du rapport de Kurt Salmon Associates produit par l'intervenant que tous les métiers à tisser exploités par ces producteurs ont été renouvelés. En outre, il serait rentable de fabriquer des produits bas de gamme au moyen de métiers à tisser à lances ou à projectiles et des produits haut de gamme avec des métiers à tisser à jet.

- Appréciation du Tribunal

138. La décision se fonde sur une appréciation des effets du projet aidé eu égard à l'évolution prévisible du marché.

139. Comme il ressort des points 117 à 119 ci-dessus, les requérantes n'ont pas démontré que l'analyse de la défenderesse relative à l'évolution future du marché est erronée, pas plus qu'elles n'ont établi que les producteurs communautaires continueront à occuper une position importante dans le créneau de marché visé par Hualon.

140. Contrairement à ce que les requérantes affirment, il ressort de la décision que la défenderesse a tenu compte de la position future des producteurs communautaires sur le marché du bas de gamme, mais conclut qu'elle sera faible (cinquante-troisième, cinquante-cinquième à cinquante-septième alinéas de la communication).

141. Enfin, les requérantes n'ont pas démontré que la méthode retenue par la défenderesse pour évaluer la position future des producteurs communautaires sur le marché du bas de gamme était manifestement inappropriée. En effet, elles se sont bornées à affirmer qu'il eût été préférable de déterminer le nombre de métiers exploités actuellement et leur durée de vie, alors que cette méthode ne permet pas d'anticiper le choix que fera un producteur à la fin de la période d'utilisation des métiers qu'il exploite actuellement et ne permet donc pas d'estimer la position future des producteurs communautaires sur le segment de marché considéré.

142. Eu égard à ce qui précède, le grief doit être rejeté.

Sur l'utilisation des différents types de métiers à tisser

- Arguments des parties

143. Les requérantes font grief à la défenderesse de ne pas avoir examiné si les métiers à tisser à jet permettent la fabrication de produits hauts de gamme, dans laquelle les producteurs communautaires se seraient, d'après la décision litigieuse, spécialisés.

144. Il serait très courant, et rentable, de fabriquer des produits hauts de gamme sur des métiers à tisser à jet d'air ou à jet d'eau, le choix de l'équipement étant essentiellement fonction de la stratégie des entreprises. Il n'existerait pas de corrélation claire entre le type de métier à tisser utilisé et les types de tissus fabriqués. Il serait généralement reconnu par les experts de la branche que les métiers à jet d'eau se prêtent mieux que les autres à la fabrication de tissus en polyester destinés à la confection d'articles pour dames, tels que les crêpes, ainsi que d'articles techniques de haute valeur ajoutée, tels que les airbags. Les requérantes citent aussi l'exemple de deux sociétés qui fabriqueraient des articles à haute valeur ajoutée sur des métiers à jet. Elles relèvent enfin qu'en République coréenne, où les entreprises textiles diversifieraient progressivement leur production vers des articles à haute valeur ajoutée en raison de la concurrence de plus en plus aiguë des produits fabriqués dans des pays tels que l'Indonésie et la Thaïlande, environ 75 % des nouveaux métiers à tisser sans navette installés en 1994 étaient des métiers à jet et non pas des métiers à lances ou à projectiles.

145. La défenderesse signale s'être basée non sur un critère purement technique mais sur des éléments de rentabilité économique pour considérer que les tissus bas de gamme sont produits plutôt au moyen de métiers à jet et ceux du haut de gamme plutôt à l'aide de métiers à lances ou à projectiles.

146. Elle estime que, compte tenu, d'une part, de la meilleure productivité des métiers à jet pour les productions bas de gamme de série et, d'autre part, des caractéristiques techniques de l'investissement envisagé, il était raisonnable de considérer que c'est davantage vers une production en série relevant plutôt du marché bas de gamme que l'investissement aidé allait se positionner, ainsi que les autorités britanniques l'ont affirmé dans leur notification.

147. L'intervenant produit le rapport de Kurt Salmon Associates, qui expose les caractéristiques, les avantages et les inconvénients des différents types de métiers, pour abonder dans le sens de la défenderesse.

- Appréciation du Tribunal

148. Les développements des requérantes, qui tendent principalement à démontrer qu'il est courant et rentable de produire des articles du haut de gamme au moyen de métiers à jet, n'infirment pas la thèse de la défenderesse selon laquelle il est plus rentable de produire des tissus bas de gamme au moyen de métiers à jet plutôt qu'avec des métiers à lances ou à projectiles. Ces arguments n'affaiblissent pas non plus les considérations relatives à la tendance des producteurs communautaires à abandonner le bas de gamme.

149. Les requérantes se bornent ensuite à affirmer l'absence de corrélation claire entre le type de métier à tisser utilisé et le type de tissu fabriqué, sans preuve à l'appui. En particulier, elles ne contestent ni n'infirment les explications technico-économiques, relatives aux différents métiers à tisser, figurant dans le rapport de Kurt Salmon Associates produit par l'intervenant.

150. Les requérantes n'ont donc pas démontré que la défenderesse aurait commis une erreur manifeste d'appréciation des faits en considérant que les produits bas de gamme fabriqués sur des métiers à tisser à lances ne peuvent pas concurrencer les produits importés en provenance de pays tiers et fabriqués sur des métiers à jet d'air ou à jet d'eau en raison des caractéristiques de ces types de métiers et en se fondant sur cette considération pour analyser l'évolution prévisible des conditions de concurrence.

151. Il s'ensuit que le grief ne saurait être accueilli.

2. Sur les autres lacunes de l'analyse du marché

Sur la prise en compte exclusive du stade du tissage

- Arguments des parties

152. Les requérantes soutiennent que la défenderesse a commis une erreur manifeste d'appréciation en se fondant uniquement sur le stade du tissage pour affirmer que Hualon sera compétitive face aux importations en provenance de pays tiers et que sa production pourra dès lors s'y substituer, alors que l'investissement litigieux constitue un projet intégré couvrant les activités de teinture et de finition (ennoblissement), de tissage et de filature. Or, le stade du tissage ne correspondrait, en moyenne et toutes productions confondues, qu'à 30 % de l'ensemble des coûts d'un produit fini, alors que ceux de la filature et de l'ennoblissement en représenteraient respectivement, en moyenne et toutes productions confondues, 30 et 40 %.

153. La défenderesse, soutenue par l'intervenant, conteste avoir pris en considération uniquement le stade du tissage pour démontrer la compétitivité de Hualon par rapport aux produits importés de pays tiers.

- Appréciation du Tribunal

154. En reprochant à la défenderesse de ne pas avoir pris en compte les phases de production autres que le tissage pour évaluer la compétitivité de Hualon par rapport aux concurrents de pays tiers, les requérantes mettent en réalité en doute la compétitivité de Hualon.

155. À cet égard, le Tribunal considère que, pour les raisons exposées au point 120 ci-dessus, le grief ne saurait être accueilli.

Sur la prise en compte exclusive de la période à laquelle la capacité maximale de Hualon sera atteinte

- Arguments des parties

156. Les requérantes font encore grief à la défenderesse de n'avoir pris en considération que la situation qui se présentera lorsque Hualon fonctionnera au maximum de sa capacité, c'est-à-dire, selon la défenderesse, entre l'an 2000 et l'an 2003, si on se réfère au quarantième alinéa de la communication, et en 1998-1999 si on se réfère au trente-sixième alinéa, en omettant de tenir compte des activités qui seront exercées par Hualon pendant les sept, huit ou neuf années à venir.

157. Le choix de la défenderesse d'apprécier les effets du projet aidé dans une perspective dynamique ne justifierait pas que le point de départ de l'appréciation de ces effets soit fixé à la date à laquelle Hualon sera au maximum de sa capacité, d'autant plus que cette date est éloignée et que la décision litigieuse se fonde exclusivement sur les activités de tissage, activités que Hualon exercera très rapidement.

158. Or, il serait indubitable que l'aide octroyée, au vu de son importance et de la grande quantité de tissus que l'investissement permettra de traiter durant les 7, 8 ou 9 années à venir, nuira sensiblement aux entreprises communautaires exerçant les mêmes activités que celles qui seront couvertes par Hualon durant cette période.

159. La défenderesse, soutenue par l'intervenant, affirme avoir dûment pris en compte l'évolution progressive de l'investissement et du marché, même s'il est vrai que, pour apprécier les effets de l'aide à long terme, elle a examiné plus en détail le stade où Hualon atteindra sa capacité de production maximale. Elle en veut pour preuve la première phrase du cinquante-sixième alinéa de la communication, dans laquelle elle met en parallèle l'évolution progressive de l'investissement, d'une part, et du secteur textile communautaire, d'autre part (elle prévoit que Hualon devrait compenser, "en tout ou partie, les diminutions de capacité résultant de l'obsolescence des installations et des délocalisations").

160. L'intervenant ajoute que, comme le marché du textile est extrêmement versatile, pour l'apprécier de manière dynamique comme l'impose la lettre de 1977, il est nécessaire d'examiner les tendances à long terme et l'ensemble de la production sur le marché. Par conséquent, il y a lieu de tenir compte de la situation de Hualon lorsqu'elle aura atteint sa phase de pleine activité et non lorsqu'elle devra initialement faire face à ses coûts de lancement.

- Appréciation du Tribunal

161. Il ressort du cinquante-sixième alinéa de la communication, cité par la défenderesse, ainsi que du soixante-deuxième, qui évoque les changements en cours et la possibilité que des producteurs communautaires soient acculés à sortir du marché sous l'effet de l'aide litigieuse, que la défenderesse a pris en considération la situation susceptible de se présenter entre le début de la mise en œuvre du projet litigieux et le moment où Hualon fonctionnera au maximum de sa capacité.

162. Le grief n'est donc pas fondé et doit, par conséquent, être rejeté.

Sur la prise en compte exclusive des catégories AMF 2 et AMF 35

- Arguments des parties

163. Les requérantes reprochent à la défenderesse de ne pas avoir pris en considération les produits de la catégorie AMF 3 (produit de fibres synthétiques discontinues), mais uniquement ceux relevant des catégories AMF 2 et AMF 35. Or, Hualon produira des tissus de coton et de mélanges de coton (coton/polyester) qui, selon la proportion du coton et du polyester dans le mélange, relèvent tantôt de la catégorie AMF 2, tantôt de la catégorie AMF 3.

164. La prise en compte de la catégorie AMF 3 dans l'analyse du marché démontrerait une tendance à la baisse de la demande pour ce qui concerne les produits qui seront fabriqués par Hualon, la demande en tissus AMF 3 ayant accusé un recul de 23 % entre 1990 et 1994. En omettant de prendre en considération les tissus de la catégorie AMF 3, la défenderesse aurait procédé à une analyse totalement insuffisante du marché des produits concernés par l'aide.

165. Selon la défenderesse, rien ne laisserait penser que l'évolution serait différente si l'on intégrait la catégorie AMF3 dans l'analyse.

166. Se prévalant des résultats d'une analyse de 34 échantillons fournis par Hualon, ayant révélé qu'aucun de ceux-ci ne relevait de la catégorie AMF 3, l'intervenant prétend qu'elle ne produira pas de fibres de cette catégorie. S'appuyant sur le rapport de Kurt Salmon Associates, il ajoute que, de toute façon, le marché des produits AMF 3 présente exactement les mêmes caractéristiques que celles du marché des produits AMF 2 et AMF 35. Ce marché recouvrirait des produits de qualité supérieure et des produits de qualité inférieure, pâtirait d'une surcapacité structurelle, d'une chute de la production dans la Communauté et d'une pénétration croissante des importations. Dans un document remis le 8 juillet 1996, avant l'audience, et communiqué aux parties au début de celle-ci, l'intervenant précise qu'entre 1988 et 1993 les importations de tissus AMF 3 seraient passées de 31 à 54 % (de 35 à 44 % pour les tissus AMF 2 et de 16 à 28 % pour les tissus AMF 35) et la production communautaire aurait diminué de 24,6 % (8,5 % pour les tissus AMF 2 et 18,7 % pour les tissus AMF 35). Le taux de pénétration des importations dans la Communauté aurait été de 56 % en 1995 (46 % pour les tissus AMF 2 et 38 % pour les tissus AMF 35). Par conséquent, la distinction entre produits AMF 2 et AMF 35, d'une part, et produits AMF 3, d'autre part, serait dénuée de pertinence pour apprécier l'évolution prévisible du marché.

167. Les requérantes rétorquent que les échantillons fournis par Hualon ne constituent en rien une garantie de la production future de Hualon.

- Appréciation du Tribunal

168. A l'audience, les requérantes n'ont contesté ni la recevabilité ni le contenu du document produit par l'intervenant peu avant celle-ci. Or, ce document indique que les tendances du marché des tissus AMF 3 sont similaires à celles caractérisant le marché des tissus AMF 2 et AMF 35, à savoir un recul de la production dans la Communauté et un accroissement des importations. En partant de l'hypothèse que la production de Hualon se substituera aux importations plutôt que de concurrencer les autres producteurs communautaires, une baisse de la demande serait de nature à renforcer les conclusions attaquées, plutôt que de les saper. Une baisse de la demande ne pourrait qu'accélérer la détérioration de la position des producteurs communautaires sur le marché et donc favoriser les importations auxquelles la production de Hualon devrait précisément se substituer. Dès lors, le grief ne serait susceptible de prospérer que si la fausseté de l'analyse selon laquelle la production de Hualon contribuera à se substituer aux importations était établie. Or, les requérantes n'ont pas prouvé que cette analyse était erronée (voir ci-dessus, points 117 à 119).

169. Eu égard aux développements qui précèdent, le grief ne saurait être accueilli.

3. Sur les prévisions relatives à la demande en produits des catégories AMF 2 et AMF 35

Arguments des parties

170. Les requérantes estiment peu crédibles, d'une part, les prévisions, exposées au cinquante-deuxième alinéa de la communication, selon lesquelles la demande en produits AMF 2 et AMF 35 devrait croître et, d'autre part, l'affirmation, figurant au cinquante-septième alinéa, que la progression de la consommation ne pourrait être satisfaite, presque exclusivement, que par une augmentation des importations.

171. La demande en produits relevant des catégories AMF 2 et AMF 35 (et AMF 3) devrait plus vraisemblablement diminuer, en raison de la délocalisation de l'industrie de la confection, à laquelle ces produits sont destinés, ainsi que le confirmeraient certains chiffres cités au cinquantième alinéa de la communication. En tout état de cause, ces prévisions ne pourraient justifier les importantes restrictions de concurrence qui résulteront de l'investissement litigieux.

172. La défenderesse estime qu'il était tout à fait pertinent, comme élément d'appréciation subsidiaire, de prendre en compte l'évolution de la demande pour apprécier les conséquences de l'aide litigieuse sur la concurrence. Elle nie en avoir tiré la conséquence que ce seul élément justifiait la restriction de concurrence résultant de l'investissement.

173. En outre, les chiffres produits par les requérantes en annexe à leur réplique montreraient une croissance de la demande en produits AMF 2 et AMF 35.

174. Enfin, elle allègue que les requérantes se bornent à contester de manière générale la crédibilité de ses prévisions, sans produire d'éléments susceptibles de les mettre en doute.

175. L'intervenant précise que les taux d'accroissement de la demande de 0,75 et de 2 %, cités dans la décision litigieuse, se rapportent à la consommation totale de produits finis dans la Communauté et non à la demande en tissus AMF 2 et AMF 35, qui déclinerait respectivement de 4 et de 7 %, étant donné qu'un nombre croissant de vêtements sont confectionnés à l'aide de tissus provenant de l'extérieur de la Communauté. Il souligne que l'entrée de Hualon sur un marché en déclin doit être appréciée dans le contexte plus large de la tendance, que Hualon s'efforcera de renverser, à l'accroissement des importations.

176. Les requérantes objectent que les chiffres cités dans la décision se réfèrent explicitement aux tissus AMF 2 et AMF 35 et non à des produits finis et déduisent des développements de l'intervenant que la production de Hualon aggravera l'évolution des capacités installées.

Appréciation du Tribunal

177. Comme exposé ci-dessus au point 168, il y a lieu d'évaluer l'impact d'une éventuelle régression de la demande en tenant compte de l'hypothèse de départ, non infirmée par les requérantes, d'un accroissement des importations auxquelles Hualon tenterait de substituer sa production. Dans ce contexte, une baisse de la demande renforce les conclusions contenues dans la décision attaquée, qui, pertinemment, examine le problème de la demande par rapport, précisément, à l'accroissement des importations (voir ci-dessus, point 168).

178. Les requérantes n'ayant pas démontré que l'analyse de la défenderesse relative à la substitution de la production de Hualon aux importations était erronée, le grief ne pourrait pas prospérer, même si les chiffres relatifs à la demande qui sont cités dans la décision étaient inexacts. En conséquence, il doit être rejeté.

179. Il découle des éléments qui précèdent que les requérantes n'ont pas établi une erreur manifeste d'appréciation dans l'évaluation des répercussions du projet sur les conditions de concurrence et les surcapacités, dans l'analyse du marché ou dans l'évaluation de la demande.

Conclusion

180. Les requérantes n'ont pas établi que la défenderesse aurait indûment autorisé l'aide litigieuse au titre de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c), du traité CE. Le recours doit, dès lors, être rejeté comme non fondé.

Sur les dépens

181. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé en leurs moyens et la Commission ayant conclu à leur condamnation aux dépens, il y a lieu de condamner les requérantes à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission. Le paragraphe 4 de l'article 87 du règlement de procédure prévoit que les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens; il y a donc lieu de décider que le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

déclare et arrête:

1°) Le recours est rejeté.

2°) Les requérantes supporteront leurs propres dépens ainsi que, solidairement, ceux de la Commission.

3°) Le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.