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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 14 mars 2003, n° 2002-18338

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Dermatech (SARL)

Défendeur :

Boujac, Arro, Axa Courtage IARD (SA), Zurich International (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cuinat

Rapporteur :

M. Seltensperger

Conseiller :

Mme Taillandier

Avoués :

SCP Verdun-Seveno, SCP Mira-Bettan, SCP Varin-Petit, SCP Bommart-Forster, SCP Dauthy-Naboudet

Avocats :

Mes Jambon, Barberon, Wenger, Malaize.

TGI Paris, du 21 août 2002

21 août 2002

Statuant sur l'appel formé par la société Dermatech d'une ordonnance de référé rendue le 21 août 2002 par le Président du Tribunal de grande instance de Paris qui a:

- mis hors de cause la compagnie d'assurance Zurich;

- ordonné une expertise confiée au docteur Morel, dermatologue, aux fins d'examiner Eve Boujac, de déterminer les causes du préjudice qu'elle a subi suite aux injections du produit Dermalive et des traitements qu'elle a subis postérieurement, donner son avis sur la qualité du produit et sur sa conformité, ainsi que sur la conformité du mode opératoire lors des injections et des traitements ultérieurs et fournir tous éléments sur la nature du préjudice subi;

- rejeté la demande de provision formée par Eve Boujac;

- condamné la société Dermatech à payer à celle-ci la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.

Vu les dernières écritures en date du 12 février 2003 de la société Dermatech, appelante, qui demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, en ce qu'elle a affirmé sa responsabilité, l'a condamnée à payer à Eve Boujac la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens et a désigné en qualité d'expert un médecin dermatologue et non un chirurgien plasticien, de rejeter les demandes d'Eve Boujac et de la société Axa Courtage IARD et de confirmer pour le surplus l'ordonnance entreprise;

Vu les dernières écritures en date du 7 février 2003 d'Eve Boujac, intimée, qui demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise sur l'expertise et la condamnation de la société Dermatech à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile outre les dépens et de l'infirmer pour le surplus et de condamner la société Dermatech à lui payer une provision à valoir sur son préjudice de 8 000 euros et une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 14 janvier 2003 de Catherine Arro, intimée, qui demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte sur le bien fondé de l'appel de la société Dermatech et de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a désigné le docteur Morel, dermatologue, en qualité d'expert;

Vu les dernières écritures en date du 14 janvier 2003 de la société Axa Courtage IARD, intimée, qui demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur les mérites de l'appel et de condamner la société Dermatech à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les conclusions de désistement en date du 30 janvier 2003, de la société Dermatech à l'égard de la société Zurich International France, ensemble l'ordonnance en date du 13 février 2003 du magistrat de la mise en état constatant l'extinction de l'instance et le dessaisissement de la société Zurich International;

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'il est constant qu'à la suite de plusieurs injections au cours de l'année 2000, de Dermalive, produit fabriqué par la société Dermatech et destiné à réduire les rides, Eve Boujac a présenté des nodules qui ont été traités, sans succès, à l'aide de cortisone et d'anti-inflammatoires;

qu'aucune amélioration sensible n'étant intervenue, elle a sollicité réparation auprès de la société Dermatech qui commercialise le produit Dermalive et que c'est dans ces conditions qu'est intervenue l'ordonnance entreprise;

Considérant qu'au soutien de son appel, la société Dermatech fait grief à l'ordonnance entreprise de l'avoir reconnue, dans les motifs de la décision, responsable du préjudice subi par Eve Boujac alors qu'en l'état du dossier, il n'est pas établi que les lésions présentées par l'intimée seraient dues au seul produit Dermalive et qu'il existe des incertitudes sur les conséquences des traitements qui ont été administrés à Eve Boujac postérieurement aux injections et sur les conditions dans lesquelles celles-ci ont été effectuées;

qu'elle estime que la désignation d'un dermatologue eu qualité d'expert n'est pas appropriée au cas de l'intimée et que la nomination d'un chirurgien plasticien serait plus judicieuse;

qu'elle s'oppose, pour les motifs ci-dessus énoncés, à la demande de provision formée par Eve Boujac;

Considérant que celle-ci qui s'oppose au changement d'expert sollicité, fait valoir qu'il n'est pas sérieusement contestable que les granulomes qu'elle présente, sont apparus sur son visage après l'injection du produit Dermalive et que les traitements qu'elle a subis postérieurement avaient pour objet de réduire ceux-ci;

que la société Dermatech ne saurait contester sa responsabilité eu l'espèce alors que la notice d'utilisation du produit qu'elle a établie, elle-même, fait état de l'apparition possible de nodules et de la nécessité de les traiter par une corticothérapie;

qu'elle invoque, à l'appui de sa demande de provision, les dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil;

Considérant qu'aux termes de l'article 1386-1 du Code civil "Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit..."

Qu'aux termes de l'article 1386-4 du même Code "Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre";

que l'article 1386-11 affirme la responsabilité de plein droit du producteur et que l'article 1386-14 précisé que "La responsabilité du producteur envers la victime n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage";

Considérant qu'en l'espèce, compte tenu des pièces versées aux débats et notamment des documents médicaux des divers praticiens ayant suivi Eve Boujac, il n'apparaît pas sérieusement contestable que les granulomes présentés par celle-ci, sont apparus suite à l'injection du produit Dermalive et qu'ils constituent une des complications possibles de l'injection du produit puisqu'aussi bien, dans sa notice d'utilisation, la société Dermatech indique expressément comme effet secondaire, l'apparition de granulomes inflammatoires qui peuvent être "d'apparition retardée et sont corticosensibles"; que le caractère défectueux et le lien de causalité entre l'injection du produit et le préjudice subi, tel que définis par les dispositions ci-dessus, sont donc établis avec l'évidence requise en référé;

qu'il n'est pas contesté par l'appelante qu'elle est le producteur du produit et que si celle-ci entend dégager sa responsabilité première en raison d'un éventuel comportement fautif des médecins étant intervenu tant au niveau des injections qu'en ce qui concerne les traitements postérieurs, elle ne justifie nullement, à ce jour, d'une des exceptions prévues par l'article 1386-11 du Code civil, ni de circonstances particulières susceptib1es de faire obstacle à la présomption de responsabilité qui pèse sur elle;

que dans ces conditions, il y a lieu de considérer que c'est à juste titre que le premier juge a indiqué que les nodules ou granulomes apparus sur le visage de l'intimée sont consécutifs aux injections du produit Dermalive et que la société Dermatech ne saurait entretenir une confusion entre les lésions apparues après les injections et celles de nature différente survenues après les traitements thérapeutiques;

Considérant qu'il n'a cependant pas tiré toutes les conséquences de ses constatations et qu'il convient d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande de provision formée par l'intimée;

qu'en effet, Eve Boujac justifie dès à présent d'un réel préjudice et qu'il convient de condamner l'appelante à lui payer une provision à valoir sur celui-ci, d'un montant de 4 000 euros;

Considérant, par ailleurs, que la désignation de Patrice Morel, médecin dermatologue, apparaît parfaitement adaptée à la situation de l'intimée, et qu'il convient de la confirmer, étant au surplus remarqué que l'appelante ne justifie pas en quoi un chirurgien plasticien aurait plus de compétence en l'espèce qu'un dermatologue;

Considérant que l'équité commande de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit d'Eve Boujac;

qu'en revanche la société Axa Courtage IARD qui est l'assureur de la société Dermatech sera déboutée de sa demande au même titre;

que la société Dermatech qui succombe en ses prétentions sera condamnée aux dépens;

Par ces motifs, Donne acte à la société Dermatech de son désistement à l'encontre de la société Zurich International France; Infirme partiellement l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande de provision formée par Eve Boujac; Statuant à nouveau de ce chef: Condamne la société Dermatech à payer à Eve Boujac une provision de 4 000 euros à valoir sur son préjudice; Confirme pour le surplus l'ordonnance entreprise; Rejette les demandes plus amples ou contraires; Condamne la société Dermatech à payer à Eve Boujac la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Dermatech aux dépens d'appel; admet la SCP Bommart-Forster et la société SCP Varin & Petit, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.