TPICE, 2e ch. élargie, 27 avril 1995, n° T-435/93
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
ASPEC, Cerestar Holding BV, Roquette Frères (SA), Merck oHG
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vesterdorf
Juges :
MM. Barrington, Saggio, Kirschner, Kalogeropoulos
Avocats :
Mes Siragusa, Albora, Scassellati-Sforzolini, Pappalardo, Sico, Casucci, Annesi, Merola.
LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (deuxième chambre élargie),
Faits à l'origine du litige
1 La première partie requérante est l'Association of Sorbitol Producers within the EC (l'Association des producteurs de sorbitol dans la CE, ci-après "ASPEC"), dont le but est de défendre et de représenter les intérêts de ses membres dans le cadre des Communautés européennes et auprès des organismes internationaux. Les trois autres parties requérantes, à savoir Cerestar Holding BV (ci-après "Cerestar"), Roquette Frères SA (ci-après "Roquette") et Merck oHG (ci-après "Merck"), sont membres de l'ASPEC. Cerestar et Roquette sont aussi membres de l'Association des amidonneries de céréales de la CEE (ci-après "AAC") et de l'association USIPA, qui représente des producteurs français d'amidon et de dérivés de l'amidon. Par sa filiale italienne, Cerestar est aussi membre de l'association Assochimica, qui représente les producteurs de dérivés de maïs et de blé en Italie.
2 Par sa décision 88-318-CEE, du 2 mars 1988, relative à la loi n° 64 du 1er mars 1986 régissant l'intervention extraordinaire en faveur du Mezzogiorno (JO L 143, p. 37, ci-après "décision 88-318"), la Commission a approuvé, de façon générale, un régime d'aides de l'État italien en faveur du Mezzogiorno, sous condition cependant du respect de la réglementation communautaire et de la notification ultérieure de certains programmes relevant de la compétence des régions italiennes. Auparavant, la Commission avait, par décision du 30 avril 1987, approuvé l'application de la loi n° 64 du 1er mars 1986 (ci-après "loi n° 64-86") dans la plupart des régions du Mezzogiorno.
3 Par lettre du 3 août 1990, l'AAC a adressé à la Commission une plainte à l'encontre d'un programme d'aides, approuvé le 12 avril 1990 par les autorités italiennes en faveur de Italgrani SpA (ci-après "Italgrani"). Par lettre du 17 juillet 1990, une entreprise du secteur agro-alimentaire, Casillo Grani Snc (ci-après "Casillo Grani"), avait déjà invité la Commission, conformément à l'article 175 du traité CEE, à prendre position au sujet de ces aides. A la demande de la Commission, les autorités italiennes lui ont communiqué des informations sur les aides envisagées, notamment la décision du comité interministériel pour la coordination de la politique industrielle (ci-après "CIPI"), du 12 avril 1990, relative au programme d'investissements en question.
4 Selon ces informations, les aides en cause concernaient un "contrat de programme" entre le ministère pour les interventions dans le Mezzogiorno et Italgrani, conformément à la loi n° 64-86. Dans le cadre de ce contrat, Italgrani s'engageait à réaliser dans le Mezzogiorno des investissements pour un montant global de 964,5 milliards de LIT se répartissant comme suit (en milliards de LIT):
a) Investissements technico-industriels 669,5
b) Centres de recherche 140,0
c) Projets de recherche 115,0
d) Formation du personne l40,0
5 Les aides prévues s'élevaient à un montant global de 522,1 milliards de LIT, dont 297 milliards de LIT consacrés aux investissements technico-industriels, 97,1 milliards de LIT aux centres de recherche, 92 milliards de LIT aux projets de recherche et 36 milliards de LIT à la formation du personnel.
6 Les secteurs concernés étant caractérisés par des échanges intracommunautaires importants, la Commission a considéré que les interventions en question constituaient des aides au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE et a estimé, sur la base des informations à sa disposition, qu'elles ne semblaient pas pouvoir bénéficier des dérogations prévues par l'article 92, paragraphe 3, et, en particulier, par les dispositions de la loi n° 64-86 selon les conditions fixées à l'article 9 de la décision 88-318. La Commission a, dès lors, ouvert la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE à l'encontre des aides destinées à:
- la création d'une amidonnerie et des installations devant servir directement ou indirectement à la production d'isoglucose,
- la production d'huiles de graines,
- la production de semoules et de farines,
- à des investissements dans le secteur de l'amidon.
En outre, la Commission a estimé qu'il subsistait des doutes au sujet du respect des niveaux d'intensité des aides à l'investissement.
7 Par lettre du 23 novembre 1990, la Commission a informé le Gouvernement italien de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité et l'a mis en demeure de lui présenter ses observations dans le cadre de ladite procédure. Les autres États membres et les tiers intéressés en ont été informés par la publication d'une communication au Journal officiel des Communautés européennes (JO 1990, C 315, p. 7, rectificatif JO 1991, C 11, p. 32, ci-après "communication aux intéressés"). Huit associations et deux entreprises, dont Italgrani, ont présenté leurs observations et celles-ci ont été communiquées aux autorités italiennes le 8 avril 1991.
8 Le Gouvernement italien et Italgrani ont saisi la Cour de justice d'un recours en annulation à l'encontre de la décision, notifiée au Gouvernement italien par la lettre de la Commission du 23 novembre 1990, susmentionnée, relative à l'ouverture de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité. Italgrani s'est ultérieurement désistée de son recours (C-100-91), tandis que, par arrêt du 5 octobre 1994, Italie/Commission (C-47-91, Rec. p. I-4635), la Cour a annulé les points I.3 et I.4 de la décision, sauf dans la mesure où ils concernaient l'aide à la constitution de stocks de produits agricoles. Lesdits points avaient, respectivement, ordonné la suspension du versement des aides et rappelé que les aides versées en dépit de cette injonction étaient susceptibles de faire l'objet d'une demande de remboursement auprès de leurs bénéficiaires et que les dépenses communautaires qui seraient affectées par elles pourraient ne pas être prises en charge par le FEOGA.
9 Suite aux observations présentées par les autorités italiennes dans le cadre de la procédure, la Commission a estimé que les aides à la recherche, à la formation et aux huiles de graines pouvaient être considérées comme compatibles avec le marché commun, car conformes aux conditions fixées par sa décision 88-318.
10 Par lettres des 23 et 24 juillet 1991, les autorités italiennes ont modifié de manière substantielle le programme d'investissements initialement prévu ainsi que les aides qui s'y rattachaient.
11 Le nouveau programme modifiait comme suit le projet initialement prévu:
- suppression de l'aide en faveur de la création d'une amidonnerie, ainsi que des semoules et farines,
- suppression de l'aide pour la création d'élevages industriels de porcs,
- suppression de l'aide pour le financement des stocks de produits visés à l'annexe II du traité,
- réduction de la capacité de production annuelle de l'amidon de 357 000 tonnes à environ 150 000 tonnes,
- augmentation des investissements et des aides dans la chimie des sucres (glucoserie) avec suppression de toute production d'isoglucose,
- augmentation des investissements et des aides dans le secteur de la fermentation et de l'acide citrique,
- augmentation des aides pour les projets de recherche.
12 Après ces modifications, les investissements prévus s'élevaient à 815 milliards de LIT, se répartissant comme suit (en milliards de LIT):
a) Investissements technico-industriels 510
b) Centres de recherche 140
c) Projets de recherche 125
d) Formation du personne l40
Les aides prévues s'élevaient à un montant global de 461 milliards de LIT, dont 228,17 milliards de LIT consacrés aux investissements technico-industriels, 96,83 milliards de LIT aux centres de recherche, 100 milliards de LIT aux projets de recherche et 36 milliards de LIT à la formation du personnel.
13 Les principaux produits que se proposait de produire Italgrani étaient les suivants (en tonnes):
Maltose 23 400
Sirops au contenu de maltose élevé 36 000
Sirops de fructose 18 000
Fructose cristalline 16 200
Mannitol 14 400
Sorbitol 27 000
Autres glucoses hydrogénés 18 000
Glucoses et dextroses a.b.v. 9 000
Glucose pour chimie fine 9 000
Levures 16 500
Acide citrique 18 000
Protéines végétales
- protéine texturisée 112 750
- lécithine 2 610
- huile de soja 49 590
14 Suite aux modifications intervenues, la Commission a estimé que les niveaux d'intensité des aides en cause correspondaient aux limites établies en particulier par la loi n° 64-86. Toutefois, la Commission a admis que l'on ne saurait négliger le lien existant entre l'amidon et les produits bénéficiaires des aides en cause, dans la mesure où ces produits sont dérivés et/ou transformés de l'amidon. L'octroi de toutes les aides a donc été subordonné à certaines conditions.
15 A l'issue de la procédure, la Commission a arrêté la décision 91-474-CEE, du 16 août 1991, concernant les aides accordées par le Gouvernement italien à la société Italgrani pour la réalisation d'un complexe agro-alimentaire dans le Mezzogiorno (JO L 254, p. 14, ci-après "décision"), dont le dispositif est le suivant:
"Article premier
1. Les aides d'un montant global de 461,00 milliards de lires italiennes, accordées par le Gouvernement italien à la société Italgrani pour la réalisation du programme d'investissements visé par la délibération du Cipi du 12 avril 1990 successivement modifié par lettres des 23 et 24 juillet 1991, sont compatibles avec le Marché commun et peuvent bénéficier des interventions prévues par la loi n° 64-86 du 1er mars 1986 (interventions en faveur du Mezzogiorno).
2. Toutefois, les aides ci-avant d'un montant global de 461,00 milliards de lires italiennes ne peuvent être octroyées qu'en subordonnant la réalisation du programme d'investissements au respect de la part de la société Italgrani des conditions suivantes:
- les produits transformés ou dérivés de l'amidon doivent être fabriqués à partir uniquement de l'amidon d'origine communautaire,
- la production d'amidon d'Italgrani dans le cadre du programme, dont la capacité annuelle prévue est d'environ 150 000 tonnes, doit être strictement limitée aux quantités requises pour satisfaire aux besoins de sa propre production de produits dérivés et/ou transformés de l'amidon; la production d'amidon en question devra ainsi évoluer en fonction des besoins des produits dérivés et/ou transformés et ne pourra augmenter au delà de ces besoins,
- aucune quantité d'amidon produit dans le cadre du programme ne pourra être mise sur le marché (national, communautaire ou des pays tiers).
Article 2
...
Article 3
...
Article 4
..."
Procédure
16 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe de la Cour le 25 novembre 1991, les requérantes ont introduit le présent recours. La décision de la Commission a également fait l'objet d'un recours en annulation introduit par l'AAC et six producteurs d'amidon et d'autres produits visés par le programme d'investissements ainsi que par Casillo Grani (T-442-93 et T-443-93).
17 Par ordonnance du président de la Cour du 19 juin 1992, la République française a été admise à intervenir à l'appui des conclusions des parties requérantes. Par ordonnances du président de la Cour du 16 novembre 1992, Casillo Grani et Italgrani ont été admises à intervenir à l'appui des conclusions, respectivement, des parties requérantes et de la Commission.
18 La procédure écrite s'est déroulée devant la Cour et s'est terminée par le dépôt, le 31 août 1993, des observations des requérantes sur les mémoires en intervention de Casillo Grani et d'Italgrani.
19 En application de l'article 4 de la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom, instituant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 144, p. 21), l'affaire a été renvoyée, par ordonnance de la Cour du 27 septembre 1993, devant le Tribunal. L'affaire a été attribuée à la deuxième chambre élargie.
20 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Le Tribunal a, toutefois, invité la Commission à produire des documents relatifs à l'adoption de la décision et a invité les parties à se prononcer sur les conséquences à tirer, pour le présent recours, de l'arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., dit "PVC" (C-137-92 P, Rec. p. I-2555).
21 Par ordonnance du président de la deuxième chambre élargie du 28 septembre 1994, l'affaire a été jointe, aux fins de la procédure orale, avec les affaires T-442-93 et T-443-93.
22 Après la fixation de la date de l'audience, un des avocats de la partie intervenante Casillo Grani a, par lettre déposée au greffe du Tribunal le 3 octobre 1994, fait connaître au Tribunal que ladite société avait été déclarée en faillite. Par télécopie parvenue au greffe du Tribunal le 2 novembre 1994, l'avocat a transmis une copie d'une décision du juge délégué à la faillite, ordonnant au curateur de la société d'élire domicile, aux fins de la procédure devant le Tribunal, en l'étude de Mes Siragusa et Scassellati-Sforzolini.
23 Les parties principales et la partie intervenante Italgrani ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l'audience du 9 novembre 1994. A l'issue de celle-ci, le Tribunal a invité la Commission à produire le télex du 14 novembre 1986, adressé au Gouvernement italien, mentionné au point 22 de l'arrêt Italie/Commission, précité. Suite à la production dudit télex par la Commission, les parties ont été invitées à se prononcer sur sa signification pour le présent recours.
Les conclusions des parties
24 Les parties requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- déclarer la requête recevable;
- annuler la décision;
- condamner la Commission aux dépens.
25 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours et l'exception d'illégalité comme irrecevables ou non fondés;
- condamner les requérantes aux dépens.
26 La République française conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision;
- condamner la Commission aux dépens.
27 La partie intervenante Casillo Grani conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- constater l'inexistence de la décision;
- subsidiairement, annuler la décision contestée et déclarer la décision 88-318 inapplicable au cas d'espèce;
- condamner la Commission aux dépens exposés par Casillo Grani.
28 La partie intervenante Italgrani conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours comme irrecevable ou non fondé;
- condamner les requérantes aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante.
Sur l'intervention de Casillo Grani
29 Il convient de relever qu'il ressort du dossier que l'intérêt de Casillo Grani à la solution du litige n'a existé qu'en ce que cette entreprise était en situation de concurrence avec la société bénéficiaire des aides en cause. Or, suite à la déclaration de faillite de Casillo Grani, dont son avocat a informé le Tribunal le 2 novembre 1994, le Tribunal ne peut que constater que cet intérêt a disparu. En outre, selon les informations fournies lors de la procédure orale par la partie intervenante Italgrani, société bénéficiaire des aides litigieuses, les aides en cause ne lui ont pas encore été versées. La décision n'a donc pas pu, non plus, affecter la situation concurrentielle de Casillo Grani avant qu'elle ait été déclarée en faillite.
30 Il n'y a, dès lors, pas lieu de statuer sur les conclusions et arguments présentés par Casillo Grani.
Sur la recevabilité
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
31 Sans soulever une exception d'irrecevabilité formelle, la Commission conteste la recevabilité du recours. A cet égard, elle soutient qu'il résulte de l'arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169-84, Rec. p. 391), que, dans le domaine des aides d'États, les décisions de la Commission clôturant la procédure ouverte au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, concernent directement et individuellement, au sens de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE (actuellement l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE), les entreprises qui remplissent deux conditions, à savoir celles, premièrement, d'avoir joué un rôle déterminant dans la procédure visée à l'article 93, paragraphe 2, et, deuxièmement, d'avoir prouvé que leur position sur le marché est substantiellement affectée par l'aide en cause.
32 Comme ni ASPEC ni Merck n'ont participé à la procédure en l'espèce, il ne ferait donc aucun doute que leur recours est irrecevable puisqu'elles ne rempliraient pas la première condition énoncée dans l'arrêt Cofaz e.a./Commission.
33 Pour ce qui est de Cerestar et de Roquette, la Commission reconnaît que ces entreprises sont toutes deux membres de l'AAC, qui a déposé une plainte et présenté des observations dans le cadre de la procédure. Cependant, il ne ressortirait pas de ces documents que l'AAC est effectivement intervenue au nom de ces deux entreprises, en tant que producteurs de sorbitol, de mannitol et d'autres produits hydrogénés. En outre, la Commission rappelle que l'AAC a, au nom de ses membres, introduit un recours distinct contre la même décision. Il semblerait, par conséquent, que l'on se trouve en présence d'un double exercice du droit de recours.
34 Quant au fait que Roquette et Cerestar sont membres d'autres associations nationales qui sont intervenues dans la procédure, telles USIPA et Assochimica, la Commission soutient que ces associations ne sont pas intervenues pour se plaindre spécifiquement des aides accordées au sorbitol, au mannitol et aux autres produits hydrogénés, mais qu'elles ont porté plainte contre le projet en général. La Commission en conclut qu'aucune des requérantes ne remplit la première condition énoncée dans l'arrêt Cofaz e.a./Commission.
35 En ce qui concerne la seconde condition posée par l'arrêt Cofaz e.a./Commission, selon laquelle les requérantes doivent indiquer "de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision de la Commission est susceptible de léser leurs intérêts légitimes en affectant substantiellement leur position sur le marché en cause", la Commission relève qu'elle ne semble pas être remplie en l'espèce, l'impact des aides dépendant en grande partie d'événements liés à l'évolution du marché, à l'exécution du programme et à la réalisation des prévisions statistiques concernant les produits en question.
36 La Commission affirme qu'elle ne dispose pas de statistiques sur la production de mannitol, de sorbitol et des autres produits hydrogénés. Selon l'European Chemical Handbook, il semblerait que, au 1er janvier 1989, il y ait eu un excédent de sorbitol dans la Communauté. Il pourrait en avoir été de même pour le mannitol. Toutefois, en l'absence de statistiques officielles objectives, la Commission se déclare incapable d'indiquer avec certitude quelle est la situation du marché communautaire des autres polyols. En ce qui concerne le sorbitol, il serait même inexact, vu ses applications très diverses, de parler d'un marché de ce produit. La Commission n'est pas d'accord avec les requérantes lorsqu'elles affirment que, en l'absence de chiffres officiels, "la Cour pourrait très bien présumer que le chiffre fourni par les requérantes est exact". La Commission souligne que, dans l'exercice de ses pouvoirs, elle est tenue de se fonder sur des chiffres officiels et objectifs et qu'elle ne pourrait interdire des aides sur la seule base de statistiques établies par les entreprises intéressées.
37 Enfin, la Commission conteste qu'il n'existe, comme l'affirment les requérantes, que cinq producteurs de sorbitol dans la Communauté et que les parts cumulées des requérantes représentent plus de 95 % du marché. En effet, le tableau fourni par les requérantes elles-mêmes permettrait de constater qu'il existe certainement plus de cinq producteurs de sorbitol dans la Communauté.
38 La Commission conclut que la question de savoir si les requérantes ont prouvé, sans l'ombre d'un doute, que leur position sur le marché sera substantiellement affectée reste non résolue.
39 La partie intervenante Italgrani se rallie pour l'essentiel à l'argumentation de la Commission.
40 S'agissant plus particulièrement de la question de savoir si les requérantes ont subi un préjudice découlant de la décision attaquée, Italgrani affirme qu'ASPEC, en tant qu'association, ne peut subir aucun préjudice dans son chef. Elle aurait, au moins, dû faire ressortir clairement que ses membres avaient subi un préjudice.
41 En ce qui concerne Merck, Italgrani fait observer qu'elle est principalement un utilisateur et un acheteur de sorbitol et, partant, que l'entrée sur le marché d'un nouveau producteur devrait être bénéfique pour elle.
42 Pour ce qui est de Roquette et de Cerestar, Italgrani relève qu'elles n'ont pas prouvé que l'entrée d'un nouveau producteur d'hydrolysats hydrogénés sur le marché leur porterait préjudice. Les deux requérantes formeraient un duopole et auraient considérablement augmenté, de 1980 à 1991, leurs capacités de production de glucoses hydrogénés, ce qui ne saurait s'expliquer que par une augmentation constante et importante du marché. La production supplémentaire programmée par Italgrani serait, dès lors, aisément absorbée, en quelques années, par l'augmentation de la demande de glucoses hydrogénés, ces produits étant parfaitement interchangeables dans pratiquement toutes leurs applications.
43 Italgrani ajoute que le préjudice prétendument subi par les requérantes ne découle pas directement de la décision attaquée, un tel préjudice étant en réalité purement hypothétique à l'époque où cette décision a été arrêtée. Seules les mesures nationales ultérieures pourraient donner substance et réalité concrète au préjudice allégué.
44 Les requérantes soutiennent que la Commission procède à une interprétation restrictive de la première condition énoncée dans l'arrêt Cofaz e.a./Commission. Selon elles, la Cour a simplement relevé, dans le cas d'espèce, que le fait que l'entreprise était à l'origine de la plainte et avait joué un rôle décisif dans la procédure pouvait être "admis comme éléments établissant que l'acte en question concerne l'entreprise au sens de l'article 173, deuxième alinéa, du traité". Dans d'autres circonstances, le juge communautaire pourrait accepter d'autres éléments de preuve.
45 Les requérantes rappellent qu'elles ont pris part à la procédure de la façon suivante.
46 L'AAC, dont Roquette et Cerestar sont membres, a déposé plainte contre le "contrat de programme", tel que publié au Journal officiel de la République italienne le 14 mai 1990, c'est-à-dire présenté comme un projet global de production d'amidon et d'une large gamme de "produits amylacés", soit des dérivés de l'amidon.
47 À la suite de la publication, au Journal officiel des Communautés européennes, de la communication aux intéressés, qui faisait état d'une production globale d'amidon et de dérivés, l'AAC a réitéré son opposition. L'USIPA, dont Roquette est membre, a exprimé son opposition à l'ensemble du projet et a notamment mis l'accent sur la production de mannitol envisagée. Assochimica a présenté des observations au nom de ses membres, parmi lesquels figure Cerestar. Dans ses observations, elle a fourni une liste des dérivés du maïs et du blé produits par ses membres, comprenant le sorbitol.
48 En ce qui concerne la seconde condition énoncée dans l'arrêt Cofaz e.a./Commission, les requérantes relèvent que Roquette, Cerestar et Merck produisent du sorbitol, du mannitol et d'autres glucoses hydrogénés. Ces produits sont également ceux pour lesquels Italgrani recevrait des subventions pour ses investissements. Avec une capacité de production de glucoses hydrogénés devant s'élever à 59 400 tonnes par an (14 400 tonnes de mannitol, 27 000 tonnes de sorbitol et 18 000 tonnes d'"autres glucoses hydrogénés"), Italgrani entrerait directement en concurrence avec les parties requérantes sur un marché souffrant déjà de surcapacité.
49 S'appuyant sur un tableau tiré du Chemical Economics Handbook 1989, sur lequel la Commission se fonde également dans son mémoire en défense, les requérantes maintiennent qu'il n'existe que cinq producteurs de sorbitol et de mannitol dans la Communauté, à savoir Roquette, Cerestar, Merck, Sisas et CCA Biochem. Les requérantes font observer que, selon ce même tableau, elles représentent plus de 95 % du marché du sorbitol, puisqu'elles produisent 291 000 tonnes, ce qui correspond à 98 % de la production totale de 297 000 tonnes.
50 Les requérantes ajoutent que la Commission admet elle-même qu'elle n'est pas en mesure de discuter les chiffres qu'elles fournissent. Par conséquent, le Tribunal serait fondé à présumer que ces chiffres sont corrects.
51 Les requérantes font également valoir que les conditions du marché dans la Communauté seront entièrement modifiées si Italgrani produit et commercialise les quantités de polyols prévues dans la décision litigieuse. La production de mannitol prévue s'élèverait à 14 400 tonnes, alors que la production communautaire totale actuelle ne serait que de 10 000 tonnes. Pour les "autres glucoses hydrogénés", la production prévue serait de 18 000 tonnes, comparée à seulement 10 000 tonnes avant que les aides en cause ne soient accordées à Italgrani. Les conséquences de cette énorme augmentation de la production seraient d'autant plus graves qu'il existerait déjà une surcapacité dans la Communauté. A cet égard, les requérantes contestent l'affirmation d'Italgrani, selon laquelle les glucoses hydrogénés seraient parfaitement interchangeables, et elles ajoutent qu'il ressort des informations fournies par Italgrani elle-même que l'augmentation de la demande de sorbitol prévue ne serait que de 1,5 % par an entre 1990 et 1995.
52 Quant à l'affirmation de la Commission, selon laquelle les effets du programme projeté ne se produiraient qu'à l'avenir, les requérantes exposent que, si une entreprise devait attendre qu'une aide soit effectivement versée à son concurrent pour introduire un recours, elle ne pourrait pas agir dans le délai de deux mois prévu à l'article 173, troisième alinéa, du traité CEE (actuellement l'article 173, cinquième alinéa, du traité CE). En tout état de cause, cette affirmation ne serait pas conforme à la solution retenue dans l'arrêt Cofaz e.a./Commission.
53 Enfin, se référant à l'arrêt de la Cour du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11-82, Rec. p. 207), les requérantes contestent l'affirmation d'Italgrani, selon laquelle elles ne seraient pas directement concernées par la décision attaquée. Sur ce point, elles soulignent que la décision autorise la République italienne à accorder les aides en cause à Italgrani.
54 Les requérantes concluent qu'elles sont directement et individuellement concernées par la décision attaquée.
55 La République française n'a pas présenté d'observations sur la recevabilité.
56 Dans son mémoire en défense, la Commission conteste également que les requérantes puissent demander l'annulation de la décision dans tous ses éléments. Les requérantes ne seraient tout au plus concernées qu'en tant que producteurs de sorbitol, de mannitol et d'autres produits hydrogénés. Leur requête devrait donc se limiter à demander l'annulation de la partie de la décision concernant le programme d'investissements projeté par Italgrani pour ces produits. En conséquence, les conclusions des requérantes devraient être déclarées irrecevables pour le surplus.
57 La partie intervenante Italgrani relève que la production éventuelle d'amidon est mentionnée dans la décision de la Commission uniquement parce que certaines des conditions auxquelles l'approbation du programme d'aides est soumise portent sur cette production. L'argument des requérantes, selon lequel les aides à la production de dérivés de l'amidon devraient être considérées comme des aides à la production d'amidon, ne saurait être accepté, les cycles de production de l'amidon et des dérivés de l'amidon ne coïncidant pas.
58 Les requérantes rétorquent que, si Italgrani devait produire de l'amidon et des polyols sans bénéficier d'aide, mais tout en bénéficiant de subventions pour sa production d'autres dérivés de l'amidon, à savoir les produits fermentés, l'ensemble de sa production intégrée serait en fait subventionnée. En conséquence, les requérantes estiment qu'elles sont recevables à agir et à demander l'annulation de toutes les parties de la décision qui ont trait aux produits amylacés, non seulement pour autant qu'il s'agit d'aides à l'investissement, mais aussi pour autant qu'il s'agit d'aides à la recherche et à la formation, dans la mesure où ces aides générales s'appliquent aux produits amylacés.
Appréciation du Tribunal
59 Il convient de rappeler, liminairement, que l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE permet aux personnes physiques ou morales d'attaquer les décisions dont elles sont les destinataires ou celles qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, les concernent directement et individuellement. Dès lors, la recevabilité du présent recours dépend de la question de savoir si la décision attaquée, adressée au Gouvernement italien et clôturant la procédure ouverte au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, les concerne directement et individuellement.
60 Pour ce qui est de la question de savoir si les requérantes sont directement concernées par la décision attaquée, il est vrai que, comme l'a soutenu Italgrani, la décision ne pourrait, sans mesures d'exécution adoptées au niveau national par le CIPI, affecter les intérêts des requérantes. Toutefois, étant donné que le CIPI avait déjà, par sa décision du 12 avril 1990, approuvé le programme d'investissements initialement prévu ainsi que les aides s'y rattachant et que les modifications intervenues par la suite ont été présentées par les autorités italiennes elles-mêmes, la possibilité que les autorités italiennes décident de ne pas accorder les aides autorisées par la décision de la Commission est purement théorique, la volonté des autorités italiennes d'agir ne faisant aucun doute.
61 Il y a donc lieu de reconnaître que les requérantes sont directement concernées par la décision litigieuse (voir, dans le même sens, l'arrêt Piraiki-Patraiki e.a./Commission, précité). Il convient d'ajouter qu'il ressort du dossier que le CIPI a, par décision du 8 octobre 1991, approuvé le programme modifié. En outre, bien que les aides en cause n'aient pas encore été versées à Italgrani, cette dernière a indiqué, lors de la procédure orale, que cette situation est due à la décision des autorités italiennes d'attendre l'issue du présent recours.
62 Pour ce qui est de la question de savoir si les requérantes sont individuellement concernées par la décision litigieuse, il convient de rappeler qu'il ressort d'une jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés, au sens de l'article 173 du traité, que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire (voir les arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 197, et du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309-89, Rec. p. I-1853, point 20).
63 S'agissant de décisions de la Commission clôturant une procédure ouverte au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, la Cour a admis, comme éléments établissant qu'une telle décision concerne une entreprise au sens de l'article 173 du traité, le fait que cette entreprise a été à l'origine de la plainte ayant donné lieu à la procédure d'enquête, qu'elle a été entendue en ses observations et que le déroulement de la procédure a été largement déterminé par ses observations si, toutefois, sa position sur le marché est substantiellement affectée par la mesure d'aide qui fait l'objet de la décision attaquée (voir l'arrêt Cofaz e.a./Commission, précité).
64 Cependant, comme le soulignent à juste titre les requérantes, l'arrêt Cofaz e.a./Commission ne doit pas être interprété en ce sens que les entreprises ne pouvant pas démontrer l'existence de circonstances identiques ne sauraient jamais être considérées comme individuellement concernées au sens de l'article 173 du traité. En effet, la Cour n'a fait que constater que les entreprises pouvant établir de telles circonstances sont concernées au sens de l'article 173, ce qui n'exclut pas qu'une entreprise puisse être en mesure de démontrer d'une autre façon, par renvoi à des circonstances spécifiques l'individualisant de manière analogue à celle du destinataire, qu'elle est individuellement concernée.
65 A cet égard, il convient d'observer que, en ce qui concerne leur position sur le marché, les sociétés requérantes ont fourni des informations sur la production de sorbitol, tirées d'une publication spécialisée, selon lesquelles il n'existait en 1989 que cinq producteurs de sorbitol dans la Communauté, les unités non opérationnelles exclues, qui commercialisaient le produit sur le marché. Selon ces informations, la production totale dans la Communauté de sorbitol mis sur le marché était, à l'époque, de 297 000 tonnes par an, dont les sociétés requérantes produisaient respectivement 200 000 tonnes (Roquette), 76 000 tonnes (Cerestar) et 15 000 tonnes (Merck). Enfin, il en ressort qu'il y avait une surcapacité de sorbitol dans la Communauté, ce qui avait eu pour conséquence que deux producteurs avaient arrêté leur production de sorbitol.
66 Selon les requérantes, leur part du marché du mannitol et des autres glucoses hydrogénés dans la Communauté est supérieure à 95 %. En outre, elles ont indiqué que la production annuelle dans la Communauté de mannitol s'élève à 10 000 tonnes, dont une surcapacité de 5 000 tonnes, et celle des autres glucoses hydrogénés à 15 000 tonnes, dont une surcapacité de 10 000 tonnes.
67 Bien que la Commission n'ait pas repris à son compte les informations fournies par les requérantes, elle n'a, cependant, pas non plus fourni d'informations de nature à les mettre en doute. En effet, lors de la procédure orale, la Commission a, en réponse à une question du Tribunal, expressément admis qu'elle n'était pas en mesure de le faire. A cet égard, il y a lieu de constater que, si le Tribunal ne pouvait se prononcer qu'au vu d'informations ou de chiffres revêtant un caractère officiel, cela équivaudrait, dans le cas d'espèce, à empêcher les requérantes de rapporter une preuve quelconque quant à la structure du marché en cause et à les mettre dans l'incapacité de démontrer que la décision litigieuse les concerne individuellement. Or, le Tribunal estime que le respect du droit des requérantes d'agir en vertu de l'article 173 du traité exige qu'elles aient la possibilité de démontrer qu'elles sont individuellement concernées. Cette considération doit d'autant plus trouver à s'appliquer dans le cas présent que les requérantes ont, par renvoi à une publication spécialisée, fourni un élément de preuve émanant d'une source indépendante. De surcroît, les informations des requérantes relatives à leur position sur le marché des glucoses hydrogénés sont étayées par l'allégation d'Italgrani, selon laquelle Roquette et Cerestar forment, sur ce marché, un fort duopole.
68 Dans ces conditions, il convient d'examiner, sur la base des informations fournies par les requérantes, l'impact des aides en cause sur leur position sur le marché.
69 À cet égard, le Tribunal constate, tout d'abord, que le programme d'investissements d'Italgrani prévoit la création d'une capacité de production qui entraînerait plus d'un doublement de la production actuelle de mannitol et "d'autres glucoses hydrogénés", ainsi qu'une augmentation importante de la production de sorbitol. Étant donné la surcapacité déjà existante sur le marché en cause, le Tribunal constate, de plus, qu'une telle augmentation de la capacité de production est susceptible d'affecter, de manière directe et substantielle, la situation concurrentielle des quelques producteurs se trouvant déjà sur ce marché.
70 Certes, la seule circonstance qu'un acte est susceptible d'exercer une influence sur les rapports de concurrence existants sur le marché dont il s'agit ne saurait suffire pour que tout opérateur économique se trouvant dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de l'acte puisse être considéré comme directement et individuellement concerné par ce dernier (voir l'arrêt de la Cour du 10 décembre 1969, Eridania e.a./Commission, 10-68 et 18-68, Rec. p. 459). Toutefois, compte tenu, en l'espèce, du nombre restreint des producteurs des produits concernés et de l'augmentation importante de la capacité de production qu'entraîneraient les investissements prévus par la société bénéficiaire des aides litigieuses, le Tribunal considère que les sociétés requérantes ont établi l'existence d'un ensemble d'éléments constitutifs d'une situation particulière les caractérisant, au regard de la mesure en cause, par rapport à tout autre opérateur économique. Dès lors, le Tribunal estime que les sociétés requérantes peuvent être assimilées à des destinataires de la décision, au sens de l'arrêt Plaumann/Commission.
71 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le recours est recevable en ce qui concerne les trois sociétés requérantes.
72 S'agissant d'un seul et même recours, il n'y a pas lieu d'examiner la qualité pour agir d'ASPEC (voir l'arrêt de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313-90, Rec. p. I-1125).
73 Pour ce qui est du moyen de la Commission, selon lequel les conclusions des requérantes devraient être déclarées irrecevables dans la mesure où elles ne concernent pas les aides aux investissements dans le secteur des glucoses hydrogénés, le Tribunal constate que ces aides ne sont pas dissociables de l'objet de la décision litigieuse. Le dispositif de celle-ci vise, en effet, les aides au programme d'investissements de la société Italgrani dans leur ensemble. En outre, la décision n'opère pas de distinction précise entre les produits à la production desquels les aides sont destinées, les caractéristiques du programme d'investissements et les aides s'y rattachant étant décrites, pour l'essentiel, en fonction des types d'investissements et des localisations des installations.
74 Ce moyen ne saurait, dès lors, être retenu.
Sur le fond
75 À l'appui de leur recours, les requérantes invoquent trois moyens tirés, respectivement,
1) d'une violation des formes substantielles, en ce que la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité n'aurait pas été suivie, que la décision n'aurait pas été suffisamment motivée et qu'elle n'aurait pas été légalement adoptée;
2) d'une violation de l'article 92 du traité, en ce que les aides ne seraient pas conformes à la loi n° 64-86 ou, à titre subsidiaire, en ce que les décisions antérieures de 1987 ou 1988 autorisant l'application de cette loi seraient illégales et en ce que les aides auraient dû être examinées sur la base de l'article 92, paragraphe 3, du traité;
3) d'une violation du principe de non-discrimination, en ce que, si une aide à la production d'un dérivé de l'amidon est interdite, toute aide à la production d'autres dérivés devrait elle aussi être interdite.
76 Le premier moyen invoqué par les requérantes s'articule, en réalité, en plusieurs moyens différents. Le Tribunal estime qu'il y a lieu d'examiner, tout d'abord et à part, les moyens tirés de ce que les règles concernant la procédure d'adoption des décisions de la Commission n'auraient pas été respectées.
Sur la méconnaissance des règles concernant la procédure d'adoption des décisions de la Commission
Les circonstances ayant conduit le Tribunal à demander à la Commission de produire des documents internes relatifs à la procédure suivie
77 Dans leur réplique, les requérantes ont fait état de ce que la décision attaquée, telle qu'elle a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes, est datée du 16 août 1991 et signée par le membre de la Commission alors en charge des questions d'agriculture et de développement rural, M. Mac Sharry. Toutefois, la dernière réunion du collège des commissaires avant les vacances d'été aurait eu lieu le 31 juillet 1991. Dès lors, selon les requérantes, soit il y a eu violation de l'article 27 du règlement intérieur 63-41-CEE de la Commission, du 9 janvier 1963 (JO 1963, 17, p. 181), maintenu provisoirement en vigueur par l'article 1er de la décision 67-426-CEE de la Commission, du 6 juillet 1967 (JO 1967, 147, p. 1), dans sa rédaction en vigueur résultant elle-même de la décision 75-461-Euratom, CECA, CEE de la Commission, du 23 juillet 1975 (JO L 199, p. 43), en ce que la décision a été adoptée par voie d'habilitation, alors même qu'il ne s'agissait pas d'une "mesure de gestion ou d'administration", soit il resterait à expliquer la raison pour laquelle la décision adoptée par le collège des commissaires le 31 juillet 1991 est datée du 16 août 1991 et à vérifier si la décision publiée est la même que celle qui a été adoptée par ledit collège. Ces doutes quant à la date réelle de la décision attaquée et quant à son auteur constitueraient une indication sérieuse de ce que la décision aurait été adoptée illégalement, voire qu'elle serait inexistante. Dans ces conditions, les requérantes seraient recevables à soulever ce moyen au stade de la réplique. A cet égard, les requérantes ont demandé au Tribunal d'ordonner à la Commission de produire tous les documents internes pertinents afin d'établir le déroulement exact des faits entre la communication des modifications du projet initial et l'adoption de la décision finale.
78 Dans sa duplique, la Commission a fait valoir que les requérantes ont soulevé dans leur réplique un moyen d'annulation fondé sur l'illégalité de la décision qu'elles n'avaient pas invoqué dans leur requête. Ce moyen serait irrecevable puisqu'il constituerait un moyen nouveau au sens du règlement de procédure.
79 A titre subsidiaire, la Commission a relevé que le principe de la responsabilité collégiale de la Commission est au coeur même du processus décisionnel de cette institution. Toutefois, en pratique, la Commission ne prendrait que les décisions les plus importantes au cours des séances. Pour les autres cas, il serait nécessaire, afin d'éviter la paralysie institutionnelle, de recourir à des procédures décisionnelles plus souples et notamment à la procédure d'habilitation, visée à l'article 27 du règlement intérieur de la Commission, selon lequel "la Commission peut, à condition que le principe de responsabilité collégiale soit pleinement respecté, habiliter ses membres à prendre en son nom et sous son contrôle, des mesures de gestion ou d'administration clairement définies".
80 La Commission a, en outre, affirmé que, lors de la réunion du 31 juillet 1991 du collège des commissaires, il a été décidé, sur la base d'un projet de lettre au Gouvernement italien:
- de clore la procédure engagée au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité concernant l'aide en question;
- d'habiliter M. Mac Sharry, en accord avec le président, à finaliser l'approbation du nouveau régime d'aides, tel qu'il avait été communiqué par les autorités italiennes, sous forme d'une décision conditionnelle formelle;
- de demander aux autorités italiennes de soumettre des rapports annuels à la Commission.
81 Il en résulterait que le collège des commissaires aurait approuvé, après délibération, la décision dans tous ses éléments et aurait chargé l'un de ses membres de procéder à l'adoption du texte, dans le plein respect des dispositions du traité et du règlement intérieur.
82 Se référant à la jurisprudence de la Cour concernant la théorie de l'inexistence, la Commission a, enfin, conclu à l'impossibilité de l'appliquer au cas d'espèce.
83 C'est dans ces conditions que le Tribunal, afin d'être en mesure de répondre aux moyens soulevés par les requérantes, a demandé à la Commission de produire le projet de lettre au Gouvernement italien soumis au collège des commissaires lors de sa réunion du 31 juillet 1991, le procès-verbal de ladite réunion, la décision attaquée, telle que notifiée au Gouvernement italien et authentifiée à la date pertinente par le président et le secrétaire général de la Commission, ainsi que la "fiche bleue" relative à la procédure d'adoption de cette décision.
Exposé sommaire des observations présentées par les parties sur les documents internes déposés par la Commission et sur l'arrêt PVC
84 Dans leurs observations, les requérantes soulignent, liminairement, que la Commission n'a pas, comme l'avait demandé le Tribunal, produit la décision notifiée au Gouvernement italien et "authentifiée à la date pertinente par le président et le secrétaire général de la Commission". Cette omission devrait être regardée comme une indication importante de ce que les règles procédurales n'ont pas été suivies.
85 Les requérantes font valoir, en outre, qu'il résulte des pièces produites par la Commission que le règlement intérieur de la Commission, tel qu'interprété par la Cour dans l'arrêt PVC, n'a pas été respecté.
86 A cet égard, les requérantes soutiennent, en premier lieu, que le projet de lettre au Gouvernement italien soumis au collège des commissaires lors de sa réunion du 31 juillet 1991 ne saurait, en tout état de cause, être regardé comme un projet de décision. Dès lors, le collège n'aurait pas, comme le soutient la Commission, approuvé la décision dans tous ses détails. En effet, le projet de lettre aurait été rédigé presque entièrement en français, alors que l'italien était la seule langue faisant foi. En outre, de nombreuses modifications auraient été apportées dans la décision finale par rapport au projet de lettre, dans lequel des chiffres ou même des descriptions auraient été laissés en blanc. Or, certains de ces chiffres et de ces descriptions, comme les chiffres relatifs aux capacités de production devant être créées pour différents produits dans le cadre du programme d'aides, certaines informations sur le marché pertinent ainsi que l'indication du montant global des aides que la Commission jugeait compatibles avec le marché commun, revêtiraient un caractère fondamental. Les requérantes en concluent que le collège des commissaires n'a pas disposé des éléments nécessaires pour décider si l'article 92, paragraphe 3 du traité était ou non applicable et que les modifications apportées à la décision finale l'ont été en violation du principe de collégialité, tel qu'interprété par la Cour dans l'arrêt PVC.
87 En deuxième lieu, les requérantes soutiennent qu'il y a eu violation de l'article 27 du règlement intérieur de la Commission, en ce que l'habilitation accordée à M. Mac Sharry n'aurait pas respecté le principe de collégialité, ainsi que l'exige ladite disposition. En outre, les tâches exercées par M. Mac Sharry auraient été bien au-delà de simples mesures de gestion ou d'administration et le collège des commissaires n'aurait pas précisé les tâches qu'il devait exercer. En effet, celui-ci n'aurait même pas été lié, lors de la rédaction de la décision finale, par le projet de lettre soumis au collège des commissaires.
88 En troisième lieu, les requérantes font valoir que l'exemplaire de la décision attaquée fourni par la Commission n'a pas été authentifié par le président de la Commission, ce qui constituerait une violation de l'article 12 du règlement intérieur de la Commission.
89 Enfin, les requérantes affirment qu'il ressort des indications figurant sur la "fiche bleue" relative à la procédure d'adoption de la décision que le président de la Commission ne s'est pas associé à la décision finale, en violation de la décision d'habilitation adoptée par le collège le 31 juillet 1991. Il ressortirait, en outre, de ces indications que le collège a pris ladite décision sans avoir disposé de l'avis du service juridique.
90 Dans ses observations, la Commission réitère son affirmation selon laquelle les moyens en cause ont été soulevés tardivement et qu'ils sont, dès lors, irrecevables, en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal. En effet, les requérantes ne les auraient fait valoir que dans leur réplique et elles ne se seraient fondées sur aucun élément de droit ou de fait nouveau qui se serait révélé au cours de la procédure, tous les faits évoqués étant déjà connus lorsque la requête a été déposée. A cet égard, la Commission fait encore valoir que l'arrêt du Tribunal du 27 février 1992, BASF e.a./Commission (T-79-89, T-84-89 à T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89, T-96-89, T-98-89, T-102-89 et T-104-89, Rec. p. II-315) ne saurait en aucun cas être considéré comme un élément nouveau au sens de l'article 48 du règlement de procédure du Tribunal.
91 Se référant à l'arrêt de la Cour du 30 septembre 1982, Amylum/Conseil (108-81, Rec. p. 3107), la Commission souligne que ces nouveaux moyens, invoqués tardivement, ne sauraient être considérés comme étant d'ordre public. En outre, il résulterait de l'arrêt PVC que les prétendus vices de procédure évoqués par les requérantes ne pourraient pas, en tout état de cause, entraîner l'inexistence de la décision attaquée.
92 A titre subsidiaire, en ce qui concerne le bien-fondé des moyens, la Commission rappelle que le programme d'aides en cause a été octroyé en application d'un régime général d'aides déjà approuvé et qu'elle n'a donc pu que vérifier la conformité du programme individuel d'aides avec ledit régime général. En effet, la raison ayant justifié l'ouverture de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité aurait été que les investissements initialement prévus ne semblaient pas respecter les conditions du régime général. Si le programme d'aides avait été initialement soumis dans la version actuelle, telle qu'elle a été modifiée par les autorités italiennes, les services de la Commission se seraient bornés à informer le plaignant que le projet était conforme au régime général déjà approuvé. Dès lors, l'examen du programme d'aides modifié n'aurait plus comporté l'exercice d'un quelconque pouvoir d'appréciation, mais n'aurait constitué qu'une simple mesure de gestion.
93 La Commission en conclut, en se référant à l'arrêt de la Cour du 23 septembre 1986, AKZO Chemie/Commission (5-85, Rec. p. 2585), que la décision a légitimement pu être adoptée par voie d'habilitation. Cette solution s'imposerait d'autant plus que les cas d'application des régimes généraux d'aides se compteraient par milliers et qu'il serait donc nécessaire de suivre la procédure d'habilitation afin d'éviter une paralysie du fonctionnement de la Commission dans ce secteur. A cet égard, la Commission fait valoir, en outre, que l'arrêt PVC n'a exclu de la procédure de l'habilitation que les décisions constatant une infraction à l'article 85 du traité CE et imposant des sanctions. En effet, dans ledit arrêt, la Cour n'aurait pas donné une définition de la notion de mesures de gestion qui pourraient, en vertu de l'article 27 du règlement intérieur de la Commission, légitimement être adoptées par voie d'habilitation; les mesures d'instruction, évoquées dans ledit arrêt, ne seraient citées que comme un exemple de mesures de gestion.
94 A titre plus subsidiaire, la Commission fait valoir que la décision a été arrêtée sur la base d'un projet de lettre détaillé et exhaustif et que, dès lors, à supposer même que l'adoption de la décision n'ait pas pu faire l'objet d'une habilitation, il n'y a pas eu violation du principe de collégialité. Compte tenu du fait que la décision attaquée ne ferait pas particulièrement grief aux requérantes, le défaut d'authentification ainsi que les modifications apportées au texte après la délibération du collège des commissaires ne sauraient, en outre, être regardés comme susceptibles d'affecter sa légalité.
95 Enfin, la Commission affirme qu'il résulte clairement de l'arrêt PVC que ces éventuels vices de forme ne peuvent, en tout état de cause, pas entraîner l'inexistence de la décision attaquée.
Appréciation du Tribunal
96 Il convient de rappeler, liminairement, que, en vertu de l'article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, "la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure".
97 Dans le cas d'espèce, les requérantes n'ont fait aucune mention dans leur requête d'une prétendue violation des règles concernant la procédure d'adoption des décisions de la Commission. En outre, dans leur réplique, les requérantes se sont bornées à affirmer, sans fournir de preuve quelconque, qu'il y avait probablement eu une violation desdites règles. Ainsi, bien qu'elles aient indiqué que le fait que la décision, telle qu'elle a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes, était datée du 16 août 1991 et signée par M. Mac Sharry pouvait susciter des doutes quant à la conformité de la procédure suivie avec, notamment, les articles 12 et 27 du règlement intérieur de la Commission, les requérantes n'ont indiqué ni les données précises sur lesquelles ces affirmations s'appuyaient ni les moyens précis qu'elles entendaient faire valoir.
98 Dans sa duplique, la Commission a, d'une part, contesté la recevabilité des moyens en cause en indiquant qu'ils avaient été soulevés tardivement et, d'autre part, indiqué que le collège des commissaires avait pris position, lors de sa réunion du 31 juillet 1991, sur la base d'un projet de lettre au Gouvernement italien et décidé d'habiliter M. Mac Sharry à finaliser l'approbation du nouveau régime d'aides sous forme d'une décision formelle. Bien que la Commission fasse valoir que les moyens en cause ne sont pas fondés sur des éléments de fait nouveaux, elle n'a, cependant, fourni aucune preuve de ce que ces données, relatives à la procédure d'adoption de la décision attaquée, étaient connues par les requérantes avant le dépôt de la duplique. Le Tribunal constate, en outre, que les documents préalablement accessibles aux requérantes ne contenaient aucun élément de nature à établir qu'elles auraient pu ou dû savoir, avant qu'elles n'aient reçu la duplique, que la décision avait été adoptée par voie d'habilitation et que le collège s'était prononcé sur la seule base d'un projet de lettre au Gouvernement italien.
99 Les données ainsi révélées ont effectivement suscité des doutes sérieux quant à la légalité de la procédure d'adoption de la décision attaquée et c'est dans ces circonstances que le Tribunal a invité la Commission à produire les documents internes pertinents qui ont permis aux requérantes de développer les moyens en cause sous leur forme définitive. Le Tribunal constate, dès lors, que lesdits moyens se fondent sur des éléments de fait qui se sont révélés pendant la procédure et qu'ils n'ont donc pas été soulevés tardivement (voir, dans le même sens, l'arrêt PVC, précité, points 57 à 60).
100 Quant au bien-fondé desdits moyens, le Tribunal rappelle que l'article 12 du règlement intérieur de la Commission, dans sa version en vigueur lors de l'adoption de la décision attaquée, prévoit ce qui suit: "Les actes adoptés par la Commission, en séance ou par la procédure écrite, sont authentifiés, dans la ou les langues où ils font foi, par les signatures du président et du secrétaire exécutif." Dès lors, l'authentification n'est pas exigée en ce qui concerne les actes adoptés par voie d'habilitation. La décision attaquée n'ayant pas été authentifiée et la Commission ayant fait valoir que la décision a été adoptée par voie d'habilitation, le Tribunal considère qu'il y lieu d'examiner, d'abord, si la décision a pu être légitimement adoptée par voie d'habilitation.
101 A cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que, comme la Cour l'a observé dans les arrêts AKZO Chemie/Commission et PVC, précités, le fonctionnement de la Commission est régi par le principe de collégialité découlant de l'article 17 du traité du 8 avril 1965, instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes (JO 1967, 152, p. 2), disposition maintenant remplacée par l'article 163 du traité CE, aux termes duquel: "Les délibérations de la Commission sont acquises à la majorité du nombre des membres prévu à l'article 157. La Commission ne peut siéger valablement que si le nombre de membres fixé dans son règlement intérieur est présent."
102 Dans les mêmes arrêts, la Cour a précisé que le principe de collégialité ainsi établi repose sur l'égalité des membres de la Commission dans la participation à la prise de décision et implique notamment, d'une part, que les décisions soient délibérées en commun et, d'autre part, que tous les membres du collège soient collectivement responsables, sur le plan politique, de l'ensemble des décisions arrêtées.
103 En second lieu, il convient de relever qu'il résulte d'une jurisprudence constante que le recours à la procédure d'habilitation pour l'adoption de mesures de gestion ou d'administration est compatible avec le principe de collégialité. Dans l'arrêt AKZO Chemie/Commission, précité, la Cour a ainsi rappelé que, "limité à des catégories déterminées d'actes d'administration et de gestion, ce qui exclut par hypothèse les décisions de principe, un tel système d'habilitation apparaît nécessaire, compte tenu de l'augmentation considérable du nombre des actes décisionnels que la Commission est appelée à prendre, pour mettre celle-ci en mesure de remplir sa fonction" (point 37).
104 Il y a donc lieu d'examiner, ensuite, si la décision attaquée peut être considérée comme une mesure de gestion ou d'administration.
105 A cet égard, il y a lieu de relever que, pour ce qui est de l'examen par la Commission des cas individuels d'application d'un régime général d'aides, la Cour a déjà jugé que la Commission doit d'abord se borner, avant l'ouverture de toute procédure, à contrôler si l'aide est couverte par le régime général et satisfait aux conditions fixées dans la décision d'approbation de celui-ci (voir l'arrêt Italie/Commission, précité). De même, après l'ouverture de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité, le respect des principes de confiance légitime et de sécurité juridique ne pourrait pas être assuré si la Commission pouvait revenir sur sa décision d'approbation du régime général. Dès lors, si l'État membre concerné propose des modifications à un projet d'aide soumis à l'examen prévu à l'article 93, paragraphe 2, du traité, la Commission doit d'abord apprécier si lesdites modifications ont pour conséquence que le projet est alors couvert par la décision d'approbation du régime général. Si tel est le cas, la Commission n'a pas le droit d'apprécier la compatibilité du projet modifié avec l'article 92 du traité, une telle appréciation ayant déjà été effectuée dans le cadre de la procédure qui a été clôturée par la décision d'approbation du régime général.
106 Toutefois, le Tribunal estime que le fait que, en l'espèce, la décision attaquée a été, à juste titre, arrêtée sur la seule base d'un examen limité au contrôle du respect des conditions fixées dans la décision d'approbation du régime général ne suffit pas, en lui-même, pour permettre de la qualifier de mesure de gestion ou d'administration. A cet égard, le Tribunal relève que, même si la décision attaquée a été prise sans qu'il ait été nécessaire de procéder à un examen de la compatibilité du projet modifié avec l'article 92 du traité, la Commission n'a pas pu se borner à examiner si le projet satisfaisait aux conditions bien précises de la décision d'approbation du régime général, notamment en ce qui concernait l'intensité des aides et les régions bénéficiaires des aides. En effet, l'article 9 de la décision 88-318 dispose: "Dans l'application de la présente décision, l'Italie est tenue de respecter les dispositions et les règlements en vigueur ou qui seront adoptés par les institutions communautaires en matière de coordination des différents types d'aide dans les secteurs de l'industrie, de l'agriculture et de la pêche."
107 Or, le Tribunal considère qu'une décision d'approbation d'une aide d'État qui implique un contrôle tel que celui du respect de la condition énoncée à l'article 9 de la décision 88-318 ne peut pas, au moins dans le cas d'espèce, être qualifiée de "mesure de gestion ou d'administration".
108 Sur ce point, il convient de relever que la Commission a soutenu, lors de l'audience, qu'une telle condition est contenue dans toutes ses décisions portant approbation d'un régime général d'aides et qu'elle n'exprime qu'une exigence tout à fait évidente dont ses services contrôlent de manière routinière le respect dans toutes ses décisions en matière d'aides étatiques.
109 Cependant, en ce qui concerne l'aide destinée à la production d'amidon, le Tribunal constate que celle-ci a, selon la Commission elle-même, dû être supprimée afin de remplir la condition énoncée à l'article 9 de la décision 88-318, puisque l'amidon est un secteur dans lequel les investissements sont exclus du financement communautaire [voir, dans la version en vigueur à l'époque des faits, le règlement (CEE) n 866-90, du Conseil, du 29 mars 1990, concernant l'amélioration des conditions de transformation et de commercialisation des produits agricoles (JO L 91, p. 1, ci-après "règlement n 866-90"), ainsi que l'annexe de la décision 90-342-CEE, de la Commission, du 7 juin 1990, relative à l'établissement des critères de choix à retenir pour les investissements concernant l'amélioration des conditions de transformation et de commercialisation des produits agricoles et sylvicoles (JO L 163, p. 71, ci-après "décision 90-342")]. En outre, la Commission a déclaré que les exclusions sectorielles de financements communautaires pour certains produits agricoles s'appliquent, selon une pratique constante, par analogie aux aides étatiques. Néanmoins, il ressort de la décision attaquée que le programme d'investissements subventionnés finalement approuvé vise la création d'une capacité annuelle de production d'amidon d'environ 150 000 tonnes. A cet égard, le Tribunal souligne que la Commission a subordonné son approbation à la condition que la production d'amidon d'Italgrani, dans le cadre du programme en cause, soit strictement limitée aux besoins de sa propre production de produits dérivés. Cette condition suppose, cependant, que, dans sa version finale, le programme a pour conséquence que la production d'amidon d'Italgrani sera directement ou, s'agissant d'un projet intégré, indirectement subventionnée, puisque, si cela n'était pas le cas, la Commission n'aurait pas pu subordonner son approbation à une condition relative à l'utilisation de cette production. Le Tribunal estime que cette contradiction entre, d'une part, les affirmations de la Commission dans le cadre de la procédure devant le Tribunal et, d'autre part, le libellé même de la décision litigieuse est de nature à susciter des doutes quant à la conformité de celle-ci aux règles de la politique agricole commune.
110 De plus, en ce qui concerne l'aide destinée à la production des produits dérivés de l'amidon, le Tribunal constate que la Commission a, dans la communication aux intéressés, lors de l'ouverture de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité, indiqué que, "pour ne pas perturber l'équilibre de la production des produits dérivés de l'amidon, les créneaux à découvrir doivent conduire à des utilisations nouvelles". A cet égard, le Tribunal souligne qu'il ressort, pour ce qui est de la réglementation en vigueur à l'époque, de l'annexe de la décision 90-342 que les investissements concernant les produits dérivés de l'amidon sont exclus du financement communautaire si la démonstration de l'existence de débouchés potentiels réalistes n'est pas faite. Dès lors, il y a lieu de constater que la Commission, dans la communication aux intéressés, a fait référence aux critères à retenir pour la sélection des investissements pouvant bénéficier d'un financement communautaire en ce qui concerne les produits dérivés de l'amidon. Toutefois, le Tribunal constate que la décision attaquée ne contient aucune disposition reprenant la condition selon laquelle la production nouvelle de produits dérivés de l'amidon devrait conduire à des utilisations nouvelles et que, au surplus, elle ne contient même pas une indication de ce que la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité a été ouverte à l'encontre des aides destinées à la production des produits dérivés de l'amidon.
111 Dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, la Commission a soutenu, contrairement à l'affirmation figurant dans la communication susmentionnée, que la réglementation relative aux financements communautaires ne s'applique pas par analogie aux aides étatiques destinées à la production des produits dérivés de l'amidon. A l'appui de cette thèse, la Commission a renvoyé à l'article 16, paragraphe 5, du règlement n° 866-90, qui dispose: "Les États membres peuvent prendre, dans le domaine du présent règlement, des mesures d'aide dont les conditions ou modalités d'octroi s'écartent de celles qui sont prévues dans le présent règlement ou dont les montants excèdent les plafonds qui y sont prévus, sous réserve que ces mesures soient prises en conformité avec les articles 92 à 94 du traité." Toutefois, le Tribunal constate que cette disposition n'étaye pas la distinction opérée par la Commission entre, d'une part, les exclusions sectorielles de financements communautaires s'appliquant par analogie aux aides étatiques, et, d'autre part, les autres exclusions de financements communautaires ne faisant pas l'objet d'une telle application par analogie. En outre, la Commission n'a donné aucune explication quant à la raison pour laquelle elle a, apparemment, changé d'avis au cours de la procédure précontentieuse.
112 Dans ces conditions et sans qu'il soit nécessaire pour le Tribunal, pour résoudre la question de savoir si la décision attaquée peut être qualifiée de mesure de gestion ou d'administration, de se prononcer de façon définitive sur ces points, force est de constater que l'application de l'article 9 de la décision 88-318 soulève, dans le cas d'espèce, des questions de principe quant aux points de savoir, d'une part, si la production d'amidon de la société bénéficiaire des aides sera directement ou indirectement subventionnée et, d'autre part, si la réglementation relative aux financements communautaires doit s'appliquer par analogie aux aides étatiques destinées à la production des produits dérivés de l'amidon.
113 Le Tribunal en conclut que, à supposer même que la condition énoncée à l'article 9 de la décision 88-318 soit une condition insérée de façon routinière par les services de la Commission dans toutes les décisions en matière d'aides d'États, le contrôle du respect de cette condition a, en l'espèce, nécessité un tel examen approfondi de questions factuelles et juridiques complexes que la décision attaquée ne peut pas être qualifiée de mesure de gestion ou d'administration.
114 Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée n'a pas pu être arrêtée par voie d'habilitation.
115 Il y a donc lieu d'examiner l'argument de la Commission selon lequel la décision attaquée n'a pas, même si elle n'a pas pu être arrêtée par voie d'habilitation, été adoptée en violation des règles concernant la procédure d'adoption de ses décisions. A cet égard, la Commission a soutenu, d'une part, que le collège des commissaires a pris sa décision sur la base d'un projet de lettre au Gouvernement italien détaillé et exhaustif et, d'autre part, que M. Mac Sharry n'a fait que transformer ce projet de lettre en une décision formelle.
116 En ce qui concerne le principe de collégialité, la Cour a, dans l'arrêt PVC, précité, jugé que le respect de ce principe, et spécialement la nécessité que les décisions soient délibérées en commun par les membres de la Commission, intéresse nécessairement les sujets de droit concernés par les effets juridiques qu'elles produisent, en ce sens qu'ils doivent être assurés que ces décisions ont été effectivement prises par le collège et correspondent exactement à la volonté de ce dernier.
117 Dans le même arrêt, la Cour a ajouté: "Tel est le cas, en particulier et comme en l'espèce, des actes, qualifiés expressément de décisions, que la Commission est amenée à prendre, en vertu des articles 3, paragraphe 1, et 15, paragraphe 2, sous a), du règlement n 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (JO 1962, 13, p. 204), à l'égard des entreprises ou des associations d'entreprises en vue du respect des règles de concurrence et qui ont pour objet de constater une infraction à ces règles, d'émettre des injonctions à l'égard de ces entreprises et de leur infliger des sanctions pécuniaires" (point 65). La Cour en a conclu que seules des adaptations purement orthographiques ou grammaticales auraient pu être apportées au texte de l'acte en cause après son adoption par le collège (point 68).
118 Il convient de relever qu'il ressort expressément de cet arrêt que les décisions d'application des règles de concurrence, telles que celle qui en faisait l'objet, n'y sont mentionnées que comme un exemple de cas d'application stricte du principe de collégialité. Dans le cas d'espèce, la décision attaquée a été arrêtée à l'issue d'une procédure ouverte au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité. De telles décisions, qui expriment l'appréciation finale de la Commission sur la compatibilité d'une aide avec le traité ou, comme en l'espèce, avec un régime général d'aides, affectent non seulement l'État membre destinataire de la décision, mais également le bénéficiaire de l'aide prévue ainsi que les concurrents de celui-ci.
119 Or, en l'espèce, seul un projet de lettre au Gouvernement italien, relatif au projet d'aides final et ne contenant aucun dispositif, a été soumis au collège des commissaires lors de sa réunion du 31 juillet 1991. Loin d'être, comme l'a soutenu la Commission, un projet de décision détaillé et exhaustif, plusieurs paragraphes et tableaux de ce projet ont dû être complétés dans la version finale, par exemple en ce qui concerne les données relatives aux importations et exportations des produits en cause, à la production prévue de la société bénéficiaire des aides et au montant global des aides prévues.
120 De plus, certaines des données contenues dans le projet de lettre ont été modifiées dans la décision finale, telles que, par exemple, celles relatives aux niveaux d'intensité des aides. A cet égard, le Tribunal souligne qu'il est indiqué dans le projet de lettre, alors que cela ne figure pas dans la décision attaquée, qu'"il convient par ailleurs de constater que les intensités des aides prévues correspondent respectivement aux niveaux d'aides autorisées dans le cadre de la position de la Commission du 1er mars 1986 (levures, protéines, plastique biodégradable) et aux niveaux des aides autorisées dans le cadre du règlement (CEE) n 866-90 appliqués par analogie aux aides nationales (réfrigération de fruits et légumes, exceptées des tomates, poires et pêches, et glucose). Ces intensités sont aussi conformes aux conditions fixées dans la décision de la Commission du 2 mars 1988 autorisant le régime de la loi 64-86". Le Tribunal considère que ce paragraphe donne l'impression que les dispositions concernant les financements communautaires sont, en règle générale, appliquées par analogie aux aides étatiques et que ces dispositions ont été respectées dans le cas d'espèce. Toutefois, comme il a été rappelé ci-dessus (point 110), il ressort de l'annexe de la décision 90-342 que les investissements concernant les produits dérivés de l'amidon sont exclus du financement communautaire si la démonstration de l'existence de débouchés potentiels réalistes n'est pas faite.
121 Le Tribunal constate, dès lors, que le projet de lettre au Gouvernement italien ne contient aucune indication de ce que la décision attaquée reflète, en fait, un changement d'opinion de la Commission, par rapport à la position exprimée dans la communication aux intéressés, à l'égard de l'application par analogie aux aides étatiques des règles relatives aux financements communautaires.
122 Dans ces conditions et à supposer même que le collège des commissaires puisse, en ce qui concerne des décisions comme celle de l'espèce, laisser à un membre déterminé la tâche de finaliser une décision qu'il a arrêtée dans son principe, le Tribunal estime que, en l'espèce, le collège ne peut pas être considéré comme ayant arrêté, dans tous les éléments de fait et de droit, la décision attaquée. Le Tribunal en conclut que les modifications apportées au projet de lettre au Gouvernement italien vont bien au-delà des modifications qui pouvaient, en conformité avec le principe de collégialité, être apportées à la décision du collège.
123 Il convient d'ajouter que, lors de ladite réunion, le collège n'a approuvé aucun texte relatif à la décision finale, puisqu'il ressort du procès-verbal de la réunion du 31 juillet 1991 que le collège a décidé "d'habiliter le Commissaire M. Mac Sharry en accord avec M. le Président à finaliser l'approbation du nouveau dispositif d'aides ... sous forme d'une décision conditionnelle formelle" et que ledit procès-verbal ne contient aucun élément de nature à établir que le commissaire désigné était lié par le libellé du projet de lettre soumis au collège. En effet, une comparaison entre le libellé du projet de lettre soumis au collège et le libellé de la décision attaquée révèle que, même si les deux documents font largement mention des mêmes questions de fait et de droit, la décision attaquée a été presque entièrement réécrite par rapport au projet de lettre, seul un petit nombre de paragraphes étant restés inchangés. Dans ces conditions, le Tribunal ne peut que constater que la décision attaquée doit être considérée comme ayant été adoptée, en violation de l'article 27 du règlement intérieur de la Commission, par voie d'habilitation.
124 Il y a lieu d'ajouter, en outre, que, à supposer même que la décision attaquée puisse être regardée comme ayant été prise par le collège des commissaires, la Commission aurait, en tout état de cause, violé l'article 12, premier alinéa, de son règlement intérieur, en omettant de procéder à l'authentification de ladite décision dans les termes prévus par cet article (voir l'arrêt PVC, précité, points 74 à 77).
125 Enfin, s'agissant de la question de savoir si la décision est entachée de tels vices de forme qu'elle doit être considérée comme inexistante, le Tribunal constate qu'il résulte du procès-verbal de la réunion du collège, du 31 juillet 1991, que le collège a expressément décidé d'adopter la décision attaquée par voie d'habilitation. Bien que la décision aurait dû être adoptée par le collège lui-même, le Tribunal considère que ce vice de forme n'apparait pas d'une gravité à ce point évidente que ladite décision doive être regardée comme inexistante (voir, dans le même sens, l'arrêt PVC, précité, points 49 à 52).
126 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il convient d'annuler la décision attaquée sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés par les requérantes.
Sur les dépens
127 En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses conclusions et les requérantes ayant conclu en ce sens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par les requérantes.
128 Aux termes de l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, dudit règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République française supportera donc ses propres dépens.
129 Aux termes de l'article 87, paragraphe 4, deuxième alinéa, dudit règlement, le Tribunal peut ordonner qu'une partie intervenante autre que les États membres et les institutions supportera ses propres dépens. La partie intervenante Italgrani étant intervenue au litige à l'appui des conclusions de la Commission, il y a lieu d'ordonner qu'elle supportera ses propres dépens. La partie intervenante Casillo Grani n'ayant plus d'intérêt à la solution du litige, le Tribunal estime équitable d'ordonner qu'elle supportera également ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
déclare et arrête:
1) La décision 91-474-CEE de la Commission, du 16 août 1991, concernant les aides accordées par le Gouvernement italien à la société Italgrani pour la réalisation d'un complexe agro-alimentaire dans le Mezzogiorno, est annulée.
2) La Commission supportera ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par les requérantes.
3) Chacune des parties intervenantes supportera ses propres dépens.