TPICE, 1re ch. élargie, 6 juillet 1995, n° T-447/93
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Associazione Italiana Tecnico Economica del Cemento, British Cement Association, Blue Circle Industries plc, Castle Cement Ltd, The Rugby Goup plc, Titan Cement Company (SA)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cruz Vilaça
Juges :
MM. Vesterdorf, Saggio, Kirschner, Kalogeropoulos
Avocats :
Mes Viscardini, Morgan de Rivery, Aristotelis Kaplanidis, Kostas, Loukopoulos, Sotiris Felios, Melas.
LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (première chambre élargie),
Faits à l'origine du litige
1 Dans le courant de l'année 1983, les autorités helléniques ont adopté un certain nombre de mesures structurelles destinées à remédier aux graves perturbations de l'économie du pays. Parmi ces mesures figure l'adoption, le 5 août 1983, de la "loi 1386-83 sur l'organisation pour le redressement financier des entreprises" (ci-après "loi 1386-83"). Cette loi a créé un organisme dénommé "Organismos oikonomikis Anasygkrotiseos Epicheiriseon" (Organisme pour la restructuration des entreprises, ci-après "ORE"). Selon l'article 2 de cette loi, l'ORE a pour objet de "contribuer au développement économique et social du pays par l'assainissement financier des entreprises, l'importation et l'application du savoir-faire étranger, le développement du savoir-faire national, ainsi que par la création et l'exploitation d'entreprises nationalisées ou à économie mixte". En vue de réaliser son objet, l'ORE peut notamment administrer et gérer elle-même des entreprises, souscrire des participations et accorder des prêts. L'article 10 de la loi permet la capitalisation des dettes des entreprises concernées par l'émission de nouvelles actions.
2 Le Gouvernement hellénique a, par décret ministériel du 7 août 1986, appliqué les dispositions de la loi 1386-83 à la société Heracles General Cement Company (ci-après "Heracles"), dont le bilan montrait un déficit considérable depuis 1983. Il l'a soumise à un régime public et a converti en capital les dettes qu'elle avait contractées auprès des institutions helléniques de crédit pour un montant de 27 755 millions de DR (environ 170 millions d'écus).
3 Heracles occupe une position très importante sur le marché grec du ciment qui compte quatre grands producteurs: Heracles, qui est le plus important et emploie plus de 3 500 personnes, la société Titan Cement Company SA, une des requérantes dans les présentes affaires (ci-après "Titan"), suivie ensuite par les sociétés Halkis Cement Company (ci-après "Halkis") et Halyps Cement Company.
4 La Commission n'a pas été informée de l'adoption de la loi 1386-83 par les autorités helléniques, mais elle en a eu connaissance par un autre biais et a engagé contre celle-ci, le 29 octobre 1986, une procédure en application de l'article 93, paragraphe 2, du traité (JO 1986, C 332, p. 2).
5 La Commission ne semble pas non plus avoir été informée au préalable par le Gouvernement hellénique que la loi 1386-83 allait être appliquée à Heracles en août 1986. Cependant, la Commission en a été informée, après l'octroi de l'aide, suite à des contacts avec des concurrents d'Heracles datant de cette époque. C'est pourquoi elle a ordonné au Gouvernement hellénique, par un télex du 18 septembre 1986, de lui apporter des éclaircissements sur ce point dans un délai de sept jours et de lui notifier, le cas échéant, ce cas d'application de la loi (annexe V à la réponse de la Commission aux questions du Tribunal, déposée le 14 septembre 1994). Suite à cette demande, le Gouvernement hellénique a fourni, par une lettre du 10 octobre 1986, des informations détaillées, soulignant notamment que la conversion des dettes d'Heracles en actions ne constituait pas, à son avis, une aide au sens des articles 92 et 93 du traité (annexe III à ladite réponse de la Commission).
6 La procédure ouverte le 29 octobre 1986 contre la loi 1386-83 a abouti le 7 octobre 1987 à l'approbation de la "mise en œuvre de la loi" en application de l'article 92, paragraphe 3, sous b), du traité, au motif qu'elle avait pour objet de remédier à une perturbation grave de l'économie d'un État membre (décision 88-167-CEE de la Commission, du 7 octobre 1987, concernant la loi 1386-1983 par laquelle le Gouvernement hellénique accorde une aide à l'industrie grecque, JO L 76, p. 18, ci-après "décision de 1987").
7 La mise en œuvre de la loi a cependant été soumise à un certain nombre de "conditions" reprises à l'article 1er de la décision de 1987, parmi lesquelles figure l'obligation pour le Gouvernement hellénique de notifier les cas d'application dépassant certains seuils.
8 Dans les considérants de cette décision, la Commission a constaté que la loi et les opérations de l'ORE réunissaient les conditions d'application de l'article 92, paragraphe 3, sous b), seconde partie, du traité, eu égard en particulier au protocole n° 7 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la République hellénique et aux adaptations des traités, concernant le développement économique et industriel de la Grèce (JO 1979, L 291, p. 1, ci-après "protocole n° 7"). Ce protocole dispose que, "dans le cas d'application des articles 92 et 93 du traité CEE, il faudra tenir compte des objectifs d'expansion économique et de relèvement du niveau de vie de la population". Après avoir justifié l'obligation de notification par un renvoi à l'arrêt de la cour du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission (730-79, Rec. p. 2671), la Commission conclut que la loi remplit les conditions de l'article 92, paragraphe 3, sous b), du traité, et répète qu'elle doit demeurer en mesure d'exercer son contrôle sur l'application de la loi (point V de la décision de 1987).
9 Le Gouvernement hellénique a été informé de cette décision par une lettre de la Commission datée du 17 novembre 1987. Suite à cette lettre, il a fourni, par lettre du 3 décembre 1987, des informations supplémentaires et détaillées concernant Heracles, tout en répétant qu'à son avis l'intervention en cause ne pouvait être qualifiée d'aide d'État (annexe IV à ladite réponse de la Commission).
10 Le 8 décembre 1987, Titan a déposé une plainte auprès de la Commission contre l'octroi de l'aide en cause à Heracles.
11 La Commission a engagé, par une lettre du 15 février 1988 adressée au Gouvernement hellénique, une deuxième procédure en application de l'article 93, paragraphe 2, du traité, relative à l'aide consentie à Heracles. Relevant une augmentation des exportations de ciment grecques, et de celles d'Heracles en particulier, vers les autres États membres, elle constate que l'aide en question pourrait fausser la concurrence et affecter les échanges entre États membres, au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, puisqu'Heracles réalisait des pertes depuis 1983 tout en participant au commerce intracommunautaire. Elle rappelle, ensuite, que la seule dérogation applicable à l'aide en question serait celle prévue par l'article 92, paragraphe 3, sous b), du traité, mais elle indique que son application est soumise à certaines conditions qui ne lui semblent pas être réunies dans le cas d'Heracles.
12 Le 9 mars 1988, Titan a envoyé à la Commission des observations supplémentaires sur l'aide octroyée à Heracles.
13 Au cours de la procédure administrative, la Commission a, par communication 88-C 124-04, parue au Journal officiel des Communautés européennes du 11 mai 1988 (JO C 124, p. 4), invité les intéressés autres que les États membres à présenter leurs observations éventuelles relatives à l'aide accordée à Heracles dans un délai d'un mois. Elle indiquait que, "se fondant sur les informations dont elle dispose, la Commission est d'avis que l'aide fausse ou menace de fausser la concurrence et affecte les échanges entre États membres, au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE, et qu'elle ne remplit pas les conditions nécessaires pour faire l'objet d'une des dérogations prévues aux paragraphes 2 et 3 de cet article" (sixième alinéa de la communication).
14 Suite à cette communication, plusieurs concurrents d'Heracles parmi lesquels figuraient les requérants dans les affaires T-447-93 et T-449-93 ainsi que la British Cement Association (ci-après "BCA"), agissant au nom des "United Kingdom Cement manufacturers", qui est l'une des requérantes dans l'affaire T-448-93, se sont manifestés auprès de la Commission, faisant valoir que le marché communautaire du ciment avait été gravement perturbé par l'intervention des autorités helléniques qui avait très fortement renforcé la position concurrentielle d'Heracles. Par la suite, plusieurs réunions et échanges de lettres ont eu lieu entre la Commission et les parties requérantes, d'une part, et la Commission et le Gouvernement hellénique, d'autre part.
15 La procédure administrative a été clôturée par l'adoption d'une décision d'approbation de l'aide, contenue dans une lettre adressée au Gouvernement hellénique le 1er août 1991 et publiée le 4 janvier 1992 en tant que "communication de la Commission faite conformément à l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE aux autres États membres et aux intéressés concernant l'octroi d'une aide à Heracles General Cement Company, Grèce" (92-C 1-03, JO 1992, C 1, p. 4).
16 C'est cette décision qui fait l'objet des présents recours. Dans sa décision, la Commission se réfère d'abord à sa décision de 1987, dans laquelle elle avait institué "... une obligation de notifier les cas individuels importants de manière à ce que ceux-ci puissent être appréciés du point du vue de leur impact sur le commerce et la concurrence intracommunautaire". Elle regrette, ensuite, que le Gouvernement hellénique n'ait pas notifié "ce cas important d'application de la loi 1386-83". Elle examine, enfin, les informations fournies entre-temps par le Gouvernement hellénique au regard des "conditions" prévues par la décision de 1987. Elle conclut que "l'aide accordée à Heracles en 1986 par le biais de la conversion d'une partie de ses dettes en capital peut maintenant être considérée comme compatible avec la décision de la Commission du 7 octobre 1987 concernant la loi 1386-83 mentionnée dans le deuxième alinéa de la présente lettre".
17 Parallèlement à la procédure relative à Heracles, la Commission avait ouvert, en date du 3 avril 1989, une autre procédure en application de l'article 93, paragraphe 2, du traité contre une aide accordée, en application de la loi 1386-83, à Halkis, le troisième fabricant grec de ciment. Cette procédure avait abouti à la décision 91-144-CEE de la Commission, du 2 mai 1990 relative à une aide accordée par le Gouvernement hellénique à un fabricant de ciment (Halkis Cement Company) (JO L 73, p. 27, ci-après "décision Halkis") qui constate que l'aide accordée à Halkis enfreignait les règles énoncées à l'article 93, paragraphe 3, du traité et était incompatible avec le marché commun du fait qu'elle ne remplissait pas les conditions d'exemption prévues par l'article 92, paragraphes 2 et 3, du traité. Elle constate encore que les conditions d'application des dérogations prévues par l'article 92, paragraphe 3, sous b) et sous c), n'étaient pas remplies, compte tenu notamment de l'augmentation des exportations d'Halkis vers l'Italie. Elle conclue que l'aide était contraire à "l'intérêt commun".
Procédure
18 Par requête déposée au greffe de la cour le 27 mars 1992, l'Associazione Italiana Tecnico Economica del Cemento (ci-après "AITEC"), qui regroupe des producteurs de ciment italiens, a introduit un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission du 1er août 1991, publiée le 4 janvier 1992.
19 De même, par requêtes déposées au greffe de la cour le 30 mars 1992, Titan, d'une part, et la BCA, ainsi que trois de ses membres, à savoir Blue Circle Industries plc (ci-après "Blue Circle"), Castle Cement Ltd (ci-après "Castle") et The Rugby Group plc (ci-après "Rugby"), qui sont les principaux producteurs de ciment du Royaume-Uni, d'autre part, ont introduit des recours visant à l'annulation de la même décision.
20 Les trois affaires, introduites devant la cour et inscrites sous les numéros de rôle C-97-92, C-105-92 et C-106-92, ont été jointes par ordonnance du président de la cour du 15 octobre 1992 aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt.
21 Par ordonnances du président de la cour des 12 octobre 1992 et 24 mars 1993, la République hellénique puis Heracles ont été admises à intervenir à l'appui des conclusions de la partie défenderesse dans les trois affaires, conformément à leurs demandes enregistrées au greffe de la cour respectivement les 14 et 10 août 1992. Elles ont déposé leurs mémoires en intervention communs aux trois affaires jointes respectivement les 7 décembre 1992 et 7 juillet 1993.
22 Le 27 septembre 1993, la cour, en application de l'article 4 de la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom, instituant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 144, p. 21) a renvoyé les affaires devant le Tribunal.
23 La procédure écrite s'est déroulée normalement et s'est clôturée par le dépôt de la duplique commune de la Commission dans les trois affaires jointes, le 28 janvier 1994. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a invité les parties, à titre de mesures d'organisation de la procédure, à répondre, par écrit et avant l'audience, à une série de questions.
24 Lors de l'audience du 17 janvier 1995, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal.
Conclusions des parties
25 La requérante AITEC conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- déclarer le recours recevable et fondé;
- procéder à des mesures d'instruction;
- annuler la décision du 1er août 1991 de la Commission concernant l'octroi d'une aide à Heracles, publiée le 4 janvier 1992;
- condamner la Commission aux dépens;
- condamner les parties intervenantes aux entiers dépens des interventions.
La Commission conclut, dans l'affaire T-447-93, à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours comme irrecevable ou non fondé;
- condamner la requérante aux dépens.
Les requérantes BCA, Blue Circle, Castle et Rugby concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- inviter la Commission à présenter son dossier relatif à l'aide à Heracles et, en particulier, tous projets de décision qui ont pu être élaborés par les services de la Commission et/ou présentés à la Commission elle-même;
- annuler la décision du 1er août 1991 de la Commission ayant pris la forme d'une lettre au Gouvernement hellénique et publiée sous l'intitulé "communication de la Commission faite conformément à l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE aux autres États membres et aux intéressés concernant l'octroi d'une aide à Heracles General Cement Company, Grèce";
- condamner la Commission aux dépens;
- condamner les parties intervenantes à supporter leurs propres dépens et ceux exposés par les parties requérantes dans le cadre des interventions.
La Commission conclut, dans l'affaire T-448-93, à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours comme irrecevable ou, subsidiairement, comme non fondé;
- condamner les requérantes aux dépens.
La requérante Titan conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision de la Commission adoptée dans le cadre de la procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, concernant une aide accordée par la République hellénique à Heracles, visée dans la communication 92-C 1-03;
- prendre toute autre mesure que le Tribunal, dans sa sagesse, estimera appropriée;
- condamner la Commission et les parties intervenantes aux dépens exposés par la requérante.
La Commission conclut, dans l'affaire T-449-93, à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours comme non fondé;
- condamner la requérante aux dépens.
La République hellénique, en tant que partie intervenante à l'appui des conclusions de la Commission, conclut, dans les affaires T-447-93 à T-449-93, à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter les recours comme irrecevables ou, subsidiairement, comme non fondés;
- condamner les parties requérantes aux dépens.
Heracles, en tant que partie intervenante à l'appui des conclusions de la Commission, conclut, dans les affaires T-447-93 à T-449-93, à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter les recours comme irrecevables ou comme non fondés;
- condamner les requérantes aux dépens.
Sur la recevabilité
Sur la recevabilité du recours dans l'affaire T-449-93 (Titan)
Arguments des parties
26 La Commission ne formule pas d'observations quant à la recevabilité du recours et laisse le soin au Tribunal de décider si la requérante remplit les conditions définies à cet égard dans l'arrêt de la cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169-84, Rec. p. 391), à savoir, d'une part, une participation active de la requérante au stade de la procédure précontentieuse et, d'autre part, une affectation substantielle de sa position concurrentielle.
27 La République hellénique, en tant que partie intervenante au soutien des conclusions de la Commission, fait valoir que la requérante n'apporte pas d'éléments suffisants pour démontrer que sa position concurrentielle sur le marché a été affectée directement et individuellement par l'aide en cause et qu'elle a subi un préjudice de ce fait. Elle estime que le recours est donc irrecevable.
28 Heracles conteste la légitimité de l'intérêt de toutes les requérantes, qui, à son avis, défendraient par leurs recours un cartel européen des producteurs de ciment créé en violation du droit communautaire de la concurrence. Elle ajoute, en contestant les données fournies par les requérantes, que la position concurrentielle de celles-ci n'a pas été affectée par l'aide en cause, comme le montrerait l'amélioration dès 1986 de leur situation financière en dépit de l'octroi de l'aide.
29 La requérante fait valoir qu'elle est le deuxième producteur de ciment sur le marché grec et qu'elle est recevable à demander l'annulation de la décision autorisant l'octroi d'une aide à Heracles, puisque cette décision, bien qu'adressée au Gouvernement hellénique, la concerne directement et individuellement au sens de l'article 173 du traité en sa qualité de concurrent principal.
30 Quant aux conditions définies dans l'arrêt Cofaz e.a./Commission, précité, la requérante affirme, d'une part, avoir joué un rôle important dans la procédure d'enquête de la Commission, notamment en déposant une plainte, le 8 décembre 1987, et des observations additionnelles ultérieurement (annexes 6 et 7 à la requête). Elle fait valoir, d'autre part, que l'aide litigieuse a affecté sa situation concurrentielle et son taux de rentabilité sur le marché du ciment, en permettant à son principal concurrent de renforcer artificiellement sa position sur le marché.
31 Se référant aux allégations de la République hellénique, la requérante soutient, au stade de la réplique, qu'elle-même et Heracles, les deux premiers fabricants de ciment en Grèce, sont directement en concurrence pour la quasi-totalité de leurs ventes, non seulement sur le marché grec, mais également sur les marchés d'exportation.
32 La requérante ajoute, enfin, qu'elle est directement concernée par la décision litigieuse dans la mesure où celle-ci permet à Heracles de conserver le bénéfice de l'aide, alors qu'elle aurait dû lui ordonner le remboursement de l'aide.
Appréciation du Tribunal
33 Conformément à l'article 173 du traité, toute personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement. Dès lors, le droit d'agir des requérantes dépend d'abord de la question de savoir si elles sont concernées de façon individuelle par la décision adressée au Gouvernement hellénique.
34 Il ressort de la jurisprudence de la cour que les dispositions du traité concernant le droit d'agir des justiciables ne sauraient être interprétées restrictivement. Les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement au sens de l'article 173 du traité que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire (arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 197, 222 et 223).
35 A cet égard, la cour a jugé que, dans les cas où un règlement accorde aux entreprises plaignantes des garanties procédurales les habilitant à demander à la Commission de constater une infraction aux règles communautaires, ces entreprises doivent disposer d'une voie de recours destinée à protéger leurs intérêts légitimes (voir arrêt Cofaz e.a./Commission, précité, point 23).
36 Dans cette perspective, il y a lieu d'examiner le rôle joué par l'entreprise dans le cadre de la procédure précontentieuse, puisque la cour a admis, comme élément établissant que l'acte en question concerne l'entreprise au sens de l'article 173 du traité, le fait que cette entreprise a été à l'origine de la plainte ayant donné lieu à l'ouverture de la procédure d'enquête, qu'elle a été entendue en ses observations et que le déroulement de la procédure a été largement déterminé par ses observations (arrêt du 20 mars 1985, Timex Corporation/Conseil et Commission, 264-82, Rec. p. 849).
37 Les mêmes considérations s'appliquent aux entreprises qui ont joué un rôle comparable dans le cadre de la procédure visée à l'article 93 du traité si, toutefois, leur position sur le marché est substantiellement affectée par la mesure d'aide qui fait l'objet de la décision attaquée. En effet, l'article 93, paragraphe 2, reconnaît, dans des termes généraux, aux entreprises intéressées la faculté de présenter leurs observations à la Commission, sans donner cependant des précisions supplémentaires (voir arrêt Cofaz e.a./Commission, précité, points 24 et 25).
38 En ce qui concerne le rôle joué par la requérante dans le cadre de la procédure visée à l'article 93 du traité, il y a lieu de relever que la requérante a déposé une plainte détaillée, le 8 décembre 1987, auprès de la Commission contre l'aide accordée à Heracles (annexe 6 à la requête) et qu'elle a fourni des informations circonstanciées pendant la procédure (voir les mémoires du 9 mars et du 9 juin 1988, annexes 7 et 8 à la requête).
39 Quant à la question de savoir si la position de la requérante sur le marché a été substantiellement affectée par la mesure en cause, il convient de relever que la requérante a tout particulièrement mis l'accent sur le fait que sa rentabilité a été affectée par l'aide litigieuse, dans la mesure où cette dernière aurait permis à son principal concurrent de renforcer sa position concurrentielle sur le marché. En effet, la rentabilité de ses ventes sur le marché intérieur a baissé en raison des prix de vente artificiellement bas, imposés par le Gouvernement hellénique, qu'Heracles était en mesure de pratiquer grâce aux aides dont elle bénéficiait. Après l'abrogation du contrôle interne des prix en 1989, le Gouvernement hellénique aurait fait usage de sa participation majoritaire dans Heracles pour maintenir les prix à un niveau artificiellement bas. La requérante a démontré, par les tableaux annexés à sa réplique, qu'elle-même et Heracles, les deux plus grands producteurs de ciment grecs, sont en concurrence directe pour la quasi-totalité de leurs ventes, non seulement sur le marché grec, mais également sur les marchés d'exportation, ce que confirme un document produit par Heracles, à savoir l'annexe 3 au mémoire en intervention. L'annexe 4 au dit mémoire en intervention permet également d'établir que ce rapport de concurrence existe ["Dans certaines circonstances, Titan pourrait se retirer unilatéralement du Royaume-Uni ... (bien que) sachant qu'Heracles la remplacerait probablement à Tilbury"].
40 Sans qu'il soit besoin, au stade de l'examen de la recevabilité, de se prononcer de façon définitive sur les rapports de concurrence entre la requérante et Heracles, il suffit de constater que, contrairement aux appréciations de la République hellénique et d'Heracles, la requérante a indiqué, en faisant état de ces circonstances spécifiques, de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision de la Commission est susceptible de léser ses intérêts en affectant substantiellement sa position sur le marché en cause (voir l'arrêt Cofaz e.a./Commission, précité, point 28).
41 Quant à la question de savoir si la requérante est concernée de façon directe, il suffit d'observer que la décision de la Commission concluant à la compatibilité avec le traité de l'aide en cause a laissé entiers tous les effets de l'aide litigieuse, alors que la requérante avait demandé une décision de la Commission supprimant ou modifiant l'aide en cause. Dans ces conditions, il y a donc lieu de reconnaître que la requérante est directement concernée par la décision litigieuse (voir l'arrêt Cofaz e.a./Commission, précité, point 30).
42 Il s'ensuit que l'acte attaqué concerne la requérante directement et individuellement au sens de l'article 173 du traité.
Sur la recevabilité du recours dans l'affaire T-447-93 (AITEC)
Arguments des parties
43 La Commission, sans soulever d'exception d'irrecevabilité formelle, invite le Tribunal à examiner la recevabilité du recours. Elle doute que la requérante, en tant qu'association professionnelle de producteurs de ciment, soit directement et individuellement concernée par la décision attaquée, au sens de l'article 173 du traité, à supposer même qu'elle regroupe la totalité des producteurs du secteur concerné dans son pays.
44 La Commission se prévaut de l'arrêt Cofaz e.a./Commission, précité, pour soutenir que la seconde condition, selon laquelle la requérante devrait voir sa position concurrentielle substantiellement affectée par la décision attaquée, ne saurait être remplie puisque la requérante, en tant qu'association, n'aurait pas de position concurrentielle sur le marché en cause. Le bien-fondé de cette thèse aurait été confirmé par la cour dans ses arrêts du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission (67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219), et du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission (C-313-90, Rec. p. I-1125), qui auraient subordonné le droit d'agir d'un organisme professionnel ou d'une association à des conditions extrêmement limitées que ne remplirait pas la requérante.
45 La Commission conteste, en outre, que la requérante ait été un interlocuteur privilégié pour elle et souligne que la requérante n'a pas démontré en quoi ses propres intérêts, en tant qu'association, ont été affectés par la décision litigieuse.
46 La République hellénique, en tant que partie intervenante, soutient expressément que le recours est irrecevable pour les mêmes motifs. Elle estime que la requérante n'apporte pas d'éléments de preuve suffisants pour établir que sa position concurrentielle sur le marché a été affectée directement et individuellement par la mesure en cause ou qu'elle a subi un préjudice de ce fait.
47 La partie intervenante Heracles ajoute que ses exportations vers le reste de la Communauté ont commencé en 1986, non pas en raison de la mesure d'aide en cause, mais en raison du fait que les marchés vers lesquels les producteurs grecs exportaient traditionnellement du ciment, comme l'Égypte, avaient cessé d'être des débouchés pour leurs exportations. Ce serait d'ailleurs la même année et pour les mêmes raisons que Titan aurait également commencé à exporter du ciment vers le reste de la Communauté.
48 La requérante soutient que son recours est recevable. Elle se réfère à son objet social qui est de protéger les intérêts techno-économiques des producteurs de ciment de l'Italie et au fait que 30 des 42 producteurs italiens de ciment figurent parmi ses membres.
49 Quant à la première des conditions évoquées dans l'arrêt Cofaz e.a./Commission, elle fait valoir que, au cours de la procédure précontentieuse, elle a fourni beaucoup d'informations précises et détaillées à la Commission et a ainsi été son interlocuteur privilégié, ce que celle-ci aurait d'ailleurs expressément reconnu. En tant qu'organisation représentative de ses membres, elle aurait comme objet statutaire de défendre leurs intérêts et serait seule à même de regrouper de manière objective et confidentielle les informations nécessaires à la défense des intérêts communs de ses membres.
50 La requérante soutient que la seconde condition établie par la cour dans son arrêt Cofaz e.a./Commission est également remplie. En effet, la jurisprudence de la cour aurait progressivement évolué. Considérant initialement qu'une association agissant en qualité de représentante d'une catégorie d'entrepreneurs ne saurait être concernée individuellement par un acte affectant les intérêts généraux de cette catégorie, elle aurait ensuite admis que des associations ou organisations professionnelles soient individuellement concernées dès lors qu'elles ont défendu les intérêts de leurs membres pendant la procédure administrative et qu'elles-mêmes ou les opérateurs qu'elles représentent sont en concurrence avec le(s) bénéficiaire(s) de l'aide contestée. Cette évolution de la jurisprudence ressortirait de l'arrêt Van der Kooy e.a./Commission, précité, qui n'aurait pas défini les conditions objectives qui doivent être remplies par les associations requérantes, mais qui ferait dépendre la recevabilité des recours des circonstances de chaque espèce. Cette ouverture de la jurisprudence trouverait son origine dans l'ordonnance de la cour du 30 septembre 1992, Landbouwschap/Commission (C-295-92, Rec. p. I-5003), se serait poursuivie dans l'arrêt CIRFS e.a./Commission, précité, et aurait été confirmée ultérieurement dans les arrêts de la cour du 19 mai 1993, Cook/Commission (C-198-91, Rec. p. I-2487), et du 15 juin 1993, Matra/Commission (C-225-91, Rec. p. I-3203; voir également l'arrêt du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809). Ces deux derniers arrêts auraient consacré le droit pour toutes les "intéressées" au sens de l'article 93, paragraphe 2, et donc notamment pour les organisations professionnelles, d'introduire un recours en annulation.
51 La requérante considère que les circonstances du cas d'espèce doivent conduire le Tribunal à déclarer son recours recevable. Elle relève, en effet, que dans sa requête, elle s'est référée aux observations qu'elle avait formulées dans le cadre de la procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, et plus particulièrement aux observations qu'elle avait transmises par une lettre du 7 juin 1988 à la Commission (annexe 4 à la requête) et que, dans sa réplique, elle s'est basée sur plusieurs tableaux et indications pour établir que ses membres sont en concurrence avec Heracles. Elle a ainsi exposé que douze de ses membres (individuellement identifiés), qui opéraient dans les ports où étaient débarquées les exportations d'Heracles, ont perdu, en termes de parts de marché, l'équivalent de l'augmentation des exportations d'Heracles, ce qui constituerait une perte globale d'environ 186 milliards de LIT (voir p. 23, 26 et note 26 de la réplique).
52 La requérante ajoute, enfin, qu'il serait contraire aux exigences d'une bonne administration de la justice d'admettre d'abord qu'une association présente les arguments et défende les intérêts de ses membres, lors de la procédure précontentieuse pour faciliter les rapports avec la Commission et d'exiger ensuite que chacun des membres de l'association présente son propre recours.
Appréciation du Tribunal
53 Il y a lieu d'examiner si, comme dans l'affaire T-449-93 (Titan), la requérante est directement et individuellement concernée par la décision litigieuse. Cependant, la requérante étant une association qui ne produit pas elle-même de ciment, il convient d'apprécier ses intérêts différemment de ceux de la requérante Titan.
54 Il y a lieu de rappeler dans ce contexte que, selon la jurisprudence de la cour, la défense d'intérêts généraux ne suffit pas pour établir la recevabilité d'un recours en annulation introduit par une association(arrêt de la cour du 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e.a./Conseil, 16-62 et 17-62, Rec. p. 901, 919, 920, ordonnance de la cour du 11 juillet 1979, Fédération nationale des producteurs de vins de table et vins de pays/Commission, 60-79, Rec. p. 2429, 2432, et arrêt de la cour du 10 juillet 1986, DEFI/Commission, 282-85, Rec. p. 2469, points 16 à 18).
55 A cet égard, le Tribunal relève que la requérante se prévaut du fait que la situation concurrentielle de certains de ses membres a été substantiellement affectée. Elle fait valoir que, par ses observations pendant la procédure administrative, elle a établi que des intérêts particuliers de certains de ses membres auraient été affectés.
56 Le Tribunal constate que la requérante a exposé, dans ses observations transmises le 7 juin 1988 (voir l'annexe 4 à la requête) à la Commission, que des distorsions de concurrence avaient été causées par l'aide en cause en se référant à un tableau 3 (p. 3) et que les entreprises les plus concernées, reprises à titre d'exemple audit tableau 3, devraient procéder au gel de certaines lignes de cuissons et à la fermeture d'unités de production. En outre, ce tableau contient des estimations, par port de débarquement, des importations potentielles à partir de la République hellénique qu'il compare à la production des unités de production des sociétés italiennes voisines. C'est ainsi qu'il compare notamment la production individuelle de ciment des sociétés Italcementi, Cementir et Moccia, en 1987, et leurs effectifs avec les estimations des importations potentielles par les ports de Chioggia, Livourne et Naples.
57 De même, la requérante a fait valoir dans sa réplique (p. 26 et note 26) que douze de ses membres, établis dans les zones de débarquement des importations grecques, au nombre desquelles figurent les sociétés Cementir, Moccia et Italcementi, ont subi des pertes pour un montant global estimé à 186 milliards de LIT.
58 Le Tribunal considère que, en présentant ces différents éléments, la requérante a indiqué de façon pertinente que la position concurrentielle sur le marché italien d'au moins trois de ses membres a été affectée par les importations de ciment grec favorisées par l'aide en cause. S'il est certes exact que la requérante ne s'est pas bornée à défendre les intérêts de ces entreprises puisqu'elle les a citées comme exemples du danger que courait l'industrie italienne du ciment dans son ensemble, il n'en reste pas moins que, en les présentant comme appartenant au groupe des entreprises "les plus concernées" (p. 3 de l'annexe 4 à la requête), elle a fait valoir leur situation individuelle. La requête contient donc un exposé de la position concurrentielle de ces entreprises qui les individualise par rapport aux autres entreprises du secteur.
59 Par ailleurs, il y a lieu d'ajouter que si ces trois entreprises, qui ont participé à la procédure administrative par l'intermédiaire de Confindustria et de AITEC (voir annexe 4 à la requête), avaient introduit un recours en annulation en se référant aux données de la présente requête examinées ci-dessus, ce recours aurait été recevable puisqu'elles auraient ainsi indiqué de façon pertinente, par l'annexe 4 à la présente requête, que leur position sur le marché risquait d'être substantiellement affectée par l'aide approuvée par la décision de la Commission, ce qui suffirait à démontrer qu'elles étaient individuellement concernées au sens de l'article 173 du traité. Quant à la question de savoir si elles sont directement concernées, il y a lieu de renvoyer au point 41 du présent arrêt.
60 Dans ces circonstances, il y a lieu de relever que la requérante a défendu les intérêts individuels de certains de ses membres tout en essayant, en même temps, de protéger ceux de l'ensemble du secteur. A la différence des requérantes dans les affaires citées au point 54, la requérante, en introduisant son recours, peut être considérée comme s'étant substituée à au moins trois de ses membres, qui au vu des éléments contenus dans la requête auraient pu introduire eux-mêmes un recours recevable. En l'espèce, le Tribunal estime donc que le recours collectif introduit par le biais de l'association présente des avantages procéduraux en permettant d'éviter l'introduction d'un nombre élevé de recours différents dirigés contre les mêmes décisions, sans que l'article 173 du traité risque d'être contourné par le biais d'un tel recours collectif.
61 Il y a lieu d'ajouter que la requérante a, en représentant les intérêts de certains de ses membres pendant la procédure administrative et devant le Tribunal, agi conformément à l'article 3 de ses statuts, qui dispose que son objet est notamment "... de protéger les intérêts techno-économiques de la catégorie pour le développement de l'économie du secteur".
62 Il s'ensuit que la requérante, ayant protégé, dans le cadre d'une procédure en vertu de l'article 93, paragraphe 2, du traité, les intérêts de certains de ses membres en conformité avec les pouvoirs que lui confèrent ses statuts, sans que les membres en question s'y soient opposés, et ayant démontré que ces membres sont directement et individuellement concernés par une décision de la Commission, doit être considérée comme individuellement concernée au sens de l'article 173 du traité et non être assimilée à une association qui n'a pas participé à la procédure administrative ou qui n'y a défendu que des intérêts généraux.
63 Quant à la question de savoir si la requérante est directement concernée par la décision attaquée, il y a lieu de renvoyer au point 41 du présent arrêt. La décision a laissé entiers tous les effets de l'aide litigieuse, alors que la requérante avait demandé, dans l'intérêt de ses membres mentionnés ci-dessus, une décision de la Commission supprimant ou modifiant l'aide en cause.
Sur la recevabilité du recours dans l'affaire T-448-93 (BCA e.a.)
Arguments des parties
64 Ce recours est introduit par BCA et par trois sociétés, qui en sont membres: Blue Circle, Castle et Rugby. Ces trois entreprises sont les trois premières cimenteries du Royaume-Uni, dont elles représentent la quasi-totalité de la production de ciment. La BCA a succédé à la "Cement Makers Federation" (CMF), qui était, jusqu'en 1987, l'association commerciale de l'industrie britannique du ciment, dont les trois entreprises étaient également membres. La BCA a notamment pour objet de "représenter, promouvoir et protéger la production de ciment et les intérêts des personnes qui y sont actives", ainsi que d'"agir comme canal de communication entre les membres de l'association et ... des organisations supra-nationales et leurs départements et agences respectifs", et, également, "par tous les moyens possibles, de promouvoir, soutenir ou contester des mesures législatives ou autres en Grande-Bretagne ou ailleurs" [voir "Memorandum of Association", par. 3 (b,h,i), annexe à la requête].
65 La Commission exprime des doutes quant à la recevabilité du recours comme dans l'affaire T-447-93 (voir ci-dessus points 43 et 44).
66 D'une part, elle doute que les trois requérantes aient joué un rôle actif au cours de la procédure administrative et que ce rôle ait été suffisamment important, dans la mesure où seule BCA se serait manifestée et ce, par une lettre très brève du 9 juin 1988, dans laquelle elle n'indiquait pas le nom des entreprises qu'elle représentait.
67 D'autre part, elle soutient, avec l'appui de la République hellénique et d'Heracles, que les requérantes n'ont pas non plus démontré suffisamment et sans équivoque en quoi l'aide octroyée à Heracles a affecté directement et individuellement leur position sur le marché, surtout en ce qui concerne BCA, qui, en tant qu'association professionnelle, ne saurait voir ses intérêts propres affectés par cette aide.
68 Les requérantes considèrent que leur recours est recevable puisqu'elles sont directement et individuellement concernées par la décision attaquée, comme le requiert l'article 173 du traité, tel que la cour l'a interprété notamment dans son arrêt Cofaz e.a./Commission, précité.
69 Quant à leur participation à la procédure, les entreprises font valoir qu'elles s'étaient déjà manifestées au sujet de l'aide accordée à Heracles en leur nom propre et par le biais de leur association, à l'époque la CMF notamment lors de réunions avec Lord Cockfield et M. Sutherland, membres de la Commission, le 5 septembre 1986, avec MM. Narjes et Sutherland, membres de la Commission, le 29 septembre 1986, et avec M. Sutherland, le 6 novembre 1986. Elles auraient ainsi été les premières à porter plainte contre cette aide illicite. Elles ajoutent que, si la Commission a demandé dès le 18 septembre 1986 des informations au sujet de l'aide litigieuse au Gouvernement hellénique, c'est en raison des informations que les requérantes lui avaient communiquées auparavant. Les requérantes se réfèrent, en outre, aux observations écrites qu'elles ont présentées, par l'intermédiaire de BCA, le 9 juin 1988, en réponse à la communication de la Commission de 1988.
70 Quant à l'affectation de leur position sur le marché, les requérantes relèvent que la Commission elle-même a constaté qu'Heracles était depuis 1986 responsable d'environ la moitié de l'ensemble des exportations grecques de ciment et d'environ 70 % des importations grecques de ciment au Royaume-Uni. En outre, l'aide litigieuse aurait rendu possible un accroissement sensible du volumes des exportations d'Heracles vers le Royaume-Uni: de 12 500 tonnes en 1986, les importations d'Heracles seraient passées à 480 000 tonnes en 1990 (annexe 2 au mémoire en réplique). Elles en déduisent que leur position a été sensiblement affectée par l'aide accordée à Heracles, compromettant gravement leur position sur le marché en cause à long terme. Les éléments découverts dans le cadre de la procédure évoquée par Heracles contre un cartel européen du ciment confirmeraient leur analyse de l'effet de l'aide, en ce qu'ils montreraient que, sur un marché comme celui du ciment, une modification même faible du volume des importations aurait une influence sensible sur l'évolution des prix.
71 Au cours de la procédure orale, BCA a souligné qu'elle représente tous les producteurs de ciment du Royaume-Uni. Les requérantes ont précisé que le Royaume-Uni, en raison du nombre et de la situation de ses ports, est l'un des marchés européens sur lesquels la concurrence est la plus forte en ce qui concerne la vente de ciment.
72 Les requérantes ajoutent que la cour a élargi, dans son arrêt Cook/Commission, précité, les conditions de recevabilité des recours définis dans son arrêt Cofaz e.a./Commission, précité, en ce sens que tout intéressé qui aurait participé effectivement à une procédure engagée par la Commission au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, aurait qualité pour former un recours au titre de l'article 173 du traité en ce qui concerne la décision de la Commission de clôturer la procédure.
73 La Commission se réfère, au stade de la duplique, aux arrêts de la cour Van der Kooy e.a./Commission et CIRFS e.a./Commission, précités, pour soutenir que BCA, comme association d'entreprises, n'est pas recevable à agir (voir ci-dessus point 44).
74 La Commission ajoute encore qu'il n'y avait pas d'exportations de ciment grec vers le Royaume-Uni avant 1986, ce qui exclurait que la position concurrentielle des requérantes ait pu être affectée au moment où l'aide a été octroyée.
Appréciation du Tribunal
75 Il convient, tout d'abord, d'examiner la recevabilité du recours en tant qu'il a été introduit par les requérantes Blue Circle, Castle et Rugby au regard des critères qui ont été définis ci-dessus (voir points 33 à 37).
76 En ce qui concerne leur participation à la préparation de la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, le Tribunal constate que les requérantes ont affirmé, sur la base de leurs dossiers internes et sans être contredites par la Commission, que leurs représentants et ceux de la CMF, ont participé aux réunions qui se sont tenues avec des représentants de la Commission les 5 et 29 septembre ainsi que le 6 novembre 1986. La réunion du 5 septembre 1986 avait notamment pour objet d'examiner l'aide octroyée aux producteurs grecs par le biais d'un allègement de leurs dettes auprès des compagnies d'électricité nationales. Lors de la réunion du 29 septembre 1986, les entreprises britanniques ont mis en évidence la transformation en capital des dettes d'Heracles. Avant la réunion du 6 novembre 1986, les directeurs des entreprises, ainsi que le représentant de la CMF, ont préparé un aide-mémoire pour cette réunion, qui contenait notamment une analyse détaillée de la situation d'Heracles avant et après la transformation des dettes, ainsi que de tous les effets de distorsion causés par l'aide.
77 Face à des affirmations aussi précises émanant des requérantes, la Commission ne saurait se borner à déclarer qu'elle est dans l'impossibilité de confirmer ou d'infirmer que de telles réunions aient eu lieu car elle n'a pas pu en retrouver la moindre trace écrite (voir réponse de la Commission du 14 décembre 1994), d'autant plus que la lettre de BCA à la Commission du 9 juin 1988 confirme que des contacts entre les "UK cement makers" et la Commission ont eu lieu en 1986. Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que les requérantes ont participé à la préparation de la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité.
78 Il reste donc à examiner si les requérantes ont également participé à la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, après son ouverture par la Commission. A cette fin, il convient d'examiner le contenu de la lettre de la requérante BCA du 9 juin 1988. Dans cette lettre, d'une part, BCA se réfère aux réunions auxquelles les producteurs de ciment du Royaume-Uni (the UK cement makers) ont participé en 1986. D'autre part, elle indique que les producteurs du Royaume-Uni y "répètent" leurs objections. Les producteurs en question étant ceux qui ont participé aux réunions de 1986, parmi lesquels figurent donc les trois requérantes, force est de constater que ces dernières ont répété en 1988 leurs objections par l'intermédiaire de BCA et qu'elles ont donc également participé à la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité.
79 Par ailleurs, la Commission ne saurait prétendre, comme elle l'a fait lors de l'audience, que la participation des requérantes s'est limitée uniquement à une phrase expliquant que les aides octroyées à Heracles vont fausser la concurrence et affecter le commerce intracommunautaire. En effet, en "répétant" les objections qu'elles avaient formulées en 1986, les requérantes se sont référées clairement à toute la discussion qu'elles avaient eue avec la Commission au cours de l'année 1986.
80 Quant à l'affectation de leur position sur le marché, le Tribunal constate que les trois entreprises, qui sont les trois premiers producteurs de ciment du Royaume-Uni, ont indiqué de façon pertinente que leur situation concurrentielle est affectée par la décision de la Commission, dans la mesure où celle-ci renforce d'une manière considérable la situation financière de leur concurrent grec Heracles et lui permet ainsi d'exporter et d'offrir des prix plus compétitifs qu'auparavant au Royaume-Uni. Le Tribunal constate que, au stade de l'examen de la recevabilité, les éléments avancés par les requérantes suffisent à indiquer que la décision de la Commission est susceptible d'affecter substantiellement leur position sur le marché en cause et les concerne donc individuellement.
81 Quant à la question de savoir si les requérantes sont directement concernées par la décision attaquée, il y a lieu de renvoyer au point 41 du présent arrêt.
82 S'agissant d'un seul et même recours, il n'y a pas lieu d'examiner la qualité pour agir de la requérante BCA (voir l'arrêt CIRFS e.a./Commission, précité, point 31).
Sur l'intérêt à agir des trois requérantes
83 Le Tribunal considère qu'il y a lieu d'examiner enfin l'objection formulée par Heracles à l'encontre de la recevabilité des trois recours qui est tirée du caractère illégitime de "l'intérêt" des requérantes, dont le recours aurait pour objectif de protéger un prétendu cartel de producteurs européens de ciment.
84 A cet égard, il convient de relever qu'Heracles n'a pas précisé le lien qui existerait entre les recours et ce prétendu cartel. La pertinence de l'argumentation d'Heracles pour la présente procédure n'ayant pas été établie, rien ne permet d'établir que l'intérêt à agir des requérantes fait défaut. Il y a lieu d'ajouter que la décision de la Commission quant à l'existence de ce cartel n'est pas encore devenue définitive, puisqu'elle fait l'objet d'une autre procédure devant le Tribunal.
85 Il résulte de tout ce qui précède que les trois recours sont recevables.
Sur le fond
86 La requérante Titan invoque plusieurs moyens à l'appui de son recours en annulation. Le Tribunal estime qu'il y a lieu d'examiner deux de ces moyens qui sont tirés, l'un, de l'inapplicabilité des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 2, du traité et des principes généraux de l'article 92, paragraphe 3, et, l'autre, de l'inapplicabilité de l'article 92, paragraphe 3, sous b), du traité.
87 La requérante AITEC invoque quatre moyens à l'appui de son recours en annulation. Le Tribunal considère qu'il y a lieu d'examiner, avec les moyens invoqués par Titan, le moyen tiré d'une violation de la décision de 1987 et du non-respect de l'obligation d'examiner l'impact de l'aide sur la concurrence et le commerce intracommunautaire, puisqu'il se confond avec ceux-ci, ainsi que les arguments, soulevés par la requérante dans le cadre de son troisième moyen (violation de l'article 190 du traité), qui concernent une prétendue erreur de la Commission sur le rapport entre la production exportée et la production totale d'Heracles.
88 Les requérantes BCA, Blue Circle, Castle et Rugby invoquent essentiellement trois moyens à l'appui de leur recours en annulation. Il convient d'examiner plus spécifiquement les arguments des requérantes qui ont trait à l'absence d'examen de la compatibilité de l'aide avec le marché commun (troisième branche du premier moyen) et au caractère erroné de l'appréciation des faits, par rapport, en particulier, à la décision de 1987, à la décision Halkis et au déplacement vers les autres États membres de la charge entraînée par les surcapacités structurelles de l'industrie grecque du ciment (cinquième branche du premier moyen).
Moyens et arguments des parties dans l'affaire T-449-93 (Titan)
1. L'inapplicabilité des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 2, du traité et des principes généraux de l'article 92, paragraphe 3, du trait
89 La requérante expose, à titre liminaire, que la conversion en capital des dettes d'Heracles, effectuée par le Gouvernement hellénique par l'intermédiaire de l'ORE, constitue une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Cette aide serait discriminatoire, fausserait la concurrence entre Heracles et les autres producteurs, tant en Grèce que dans le marché commun, et affecterait le commerce entre les États membres.
90 La Commission ainsi que la République hellénique admettent que la mesure dont a bénéficié Heracles constitue une aide qui fausse ou risque de fausser la concurrence au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité.
91 Heracles met cependant en doute que la mesure en cause constitue une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, même si elle admet que cette question ne présente pour elle qu'un intérêt théorique. Elle estime, en effet, qu'un grand créancier privé aurait agi comme l'ORE et aurait investi le montant en question pour préserver son investissement. Cette stratégie aurait d'ailleurs abouti puisque le Gouvernement hellénique aurait réussi à vendre sa participation dans Heracles à la société Calcestruzzi et à la banque nationale.
92 Après avoir exposé que l'aide en cause ne pouvait bénéficier d'aucune des dérogations prévues par l'article 92, paragraphe 2, du traité, la requérante fait valoir que la Commission a mal interprété les principes généraux de l'article 92, paragraphe 3, du traité, en ne tenant pas compte du fait que les dérogations qu'il prévoit doivent être interprétées strictement afin de sauvegarder le bon fonctionnement du marché commun.
93 La requérante estime que la Commission n'a pas apprécié l'aide conformément aux principes du droit et de la politique communautaire et qu'elle a omis de replacer cette aide dans le contexte global de l'industrie et du marché communautaire du ciment, comme l'article 92, paragraphe 1, du traité l'imposerait. La Commission aurait ainsi consolidé l'avantage illicite conféré à Heracles, d'autant plus qu'elle a dans le même temps condamné, dans le cadre d'une procédure parallèle, une aide accordée à Halkis.
94 La requérante soutient que la décision de 1987 et les conditions qu'elle impose constituent un cadre insuffisant et inadéquat pour l'évaluation de la compatibilité de l'aide avec le droit communautaire. Elle estime que c'est sans prendre en considération l'effet de l'aide sur la concurrence et sur les échanges intracommunautaires que la Commission a conclu "que l'aide ... peut maintenant être considérée comme compatible" avec la décision de 1987 puisqu'elle s'est contentée, pour justifier son changement d'attitude par rapport à 1987, de noter que le Gouvernement hellénique avait répondu aux objections formulées par la Commission.
95 La requérante affirme, dans sa réplique, que le fait que la loi-cadre ait été déclarée compatible avec le traité en général, alors qu'elle n'avait elle-même aucun effet tangible, ne relevait pas la Commission de son obligation d'examiner si des interventions ponctuelles de l'ORE étaient compatibles avec la décision de 1987 et avec le traité. Dans sa décision de 1987, la Commission, loin de chercher à mettre en place un cadre général exhaustif, aurait au contraire exigé que les cas importants lui soient notifiés individuellement. Il ressortirait des considérants de la décision que la Commission se proposait d'évaluer de tels cas selon les principes qu'elle applique traditionnellement en matière d'aides d'État.
96 La Commission admet que l'aide à Heracles "faussait ou risquait de fausser la concurrence au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité", mais elle considère que l'aide en cause pouvait bénéficier de la dérogation prévue par l'article 92, paragraphe 3, sous b), du traité, étant donné qu'elle était destinée à remédier à une perturbation grave de l'économie grecque et qu'elle remplissait les conditions énoncées dans la décision de 1987 qui définissait le cadre juridique applicable en l'espèce. Cette décision autorisait le régime général instauré par la loi 1386-83 et, par là même, les mesures spécifiques adoptées dans le cadre de celle-ci, à condition qu'elles répondent aux seules conditions précisées dans la décision-cadre (voir les conclusions de l'avocat général M. Darmon sous l'arrêt de la cour du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission, 166-86 et 220-86, Rec. p. 6473, 6487).
97 La Commission ajoute que le fait que l'aide en question avait déjà été octroyée avant que la décision de 1987 ne soit arrêtée est sans incidence à cet égard, puisque, lors de l'adoption de cette décision, elle savait que la loi avait déjà été appliquée dans le passé. Elle aurait clairement indiqué, dans sa décision, au Gouvernement hellénique que toutes les mesures d'application importantes de la loi devaient être notifiées qu'elles aient été prises avant ou après la décision de 1987.
98 La République hellénique, en soutenant la Commission à cet égard, souligne, tout comme Heracles, que la décision de 1987 constitue le cadre juridique de la décision litigieuse, et que, n'ayant jamais été mise en cause, elle est devenue juridiquement incontestable. Or, cette décision de 1987 aurait admis que la loi 1386-83 pouvait bénéficier de la dérogation prévue par l'article 92, paragraphe 3, sous b), seconde partie, du traité lu en combinaison avec le protocole n° 7.
99 Elle soutient, par ailleurs, que la Commission a examiné la position concurrentielle d'Heracles par rapport à celle de ses principaux concurrents européens, après la mesure d'aide en cause. Elle aurait constaté qu'après 1985 les marchés sur lesquels Heracles était présente dans des pays tiers s'étaient sérieusement rétrécis et qu'Heracles aurait donc cherché de nouveaux marchés. Mais elle aurait constaté que, sur l'ensemble des exportations grecques de ciment en Italie, Heracles ne détenait qu'une part restreinte, soit 34 %, la part restante étant détenue pour l'essentiel par Titan. La République hellénique en déduit que l'allégation relative à l'absence d'examen de la position concurrentielle d'Heracles par rapport aux autres producteurs est dénuée de fondement.
100 La République hellénique ajoute qu'il ressort du paragraphe V, cinquième alinéa, de la décision de 1987 que le risque de perturbation du marché communautaire de ciment a été suffisamment pris en considération dans le cadre de cette décision.
101 Heracles fait valoir que la Commission a établi, dans le cadre d'une procédure dirigée contre un cartel européen de producteurs de ciment, que ses exportations constituaient la menace principale pour les producteurs européens et "risquaient" de créer un commerce de ciment intracommunautaire qui n'existait pas jusqu'alors. Or, l'article 92 du traité exigerait, pour être applicable, qu'existe un commerce entre les États membres. Elle conclut que, en l'absence de commerce intracommunautaire, l'article 92 du traité n'était pas applicable. Elle ajoute que les exportations grecques de ciment vers les autres États membres n'ont commencé qu'en 1986.
102 La Commission, dans sa duplique, fait valoir que la décision de 1987, en autorisant le régime général d'aides au motif qu'il était destiné à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un État membre, limitait fortement son pouvoir d'appréciation en ce qui concerne les aides spécifiques. Néanmoins, elle aurait examiné si l'aide était liée à un plan de restructuration, si Heracles avait augmenté sa capacité de production et si elle envisageait de reprendre l'une des entreprises accusant des pertes, augmentant ainsi sa capacité de production et faussant la concurrence. Ce faisant, elle aurait suffisamment évalué les effets de l'aide sur la concurrence intracommunautaire.
2. L'inapplicabilité de l'article 92, paragraphe 3, sous b), du traité
103 La requérante fait valoir que, contrairement à ce qu'affirme la décision litigieuse, la dérogation prévue par l'article 92, paragraphe 3, sous b), du traité n'est pas applicable aux aides en cause. La requérante répète que la Commission ne pouvait échapper à l'obligation qui lui incombait d'examiner la compatibilité de l'aide en cause avec le traité lui-même en se référant exclusivement à la décision de 1987. En effet, cette décision est postérieure à l'octroi de l'aide. Or, la Commission était tenue d'examiner la compatibilité de l'aide avec le traité au moment de son octroi et au regard du cadre juridique qui prévalait à l'époque. Par conséquent, la décision de 1987 ne saurait constituer la base de l'examen auquel la Commission devait procéder. La requérante répète, enfin, que, dans sa décision Halkis, la Commission est parvenue à une conclusion différente de celle de la décision litigieuse.
104 La Commission soutient que l'aide en question pouvait bénéficier de la dérogation prévue par l'article 92, paragraphe 3, sous b), du traité, puisqu'elle remplit les conditions énoncées dans sa décision de 1987 autorisant le régime général, notamment en ce qui concerne la surveillance de l'incidence de l'aide.
105 Quant à sa décision Halkis, la Commission, tout comme les parties intervenantes, souligne que les faits qui y ont donné lieu étaient différents de ceux de la présente espèce.
106 Dans sa réponse aux questions du Tribunal, la Commission a répété que, lors de l'adoption de la décision de 1987, elle n'avait pas procédé à un examen de la compatibilité avec le marché commun des aides spécifiques qui avaient déjà été octroyées à cette date, mais qu'elle avait réservé cet examen aux décisions qu'elle devrait prendre suite aux notifications des aides individuelles qui devaient intervenir ultérieurement, conformément à la décision de 1987. Elle a également ajouté que, s'agissant d'un cas d'application d'un régime préalablement approuvé sur la base de l'article 92, paragraphe 3, sous b), du traité, la seule obligation pour la Commission était de vérifier que l'aide en cause remplissait les conditions auxquelles ledit régime avait été approuvé. La Commission fait encore valoir que, en l'espèce, elle ne devait pas, lors de la clôture de la procédure, apprécier l'impact de l'aide en cause sur le commerce et la concurrence intracommunautaire, puisque cette appréciation avait déjà été portée, non seulement lors de l'adoption de la décision de 1987, mais aussi lors de l'ouverture de la procédure. Le respect des conditions imposées par cette décision avait précisément pour objet de permettre que l'aide en cause puisse être déclarée compatible avec le marché commun malgré son impact sur le commerce et la concurrence. C'est la raison pour laquelle elle se serait limitée, dans sa décision de clôturer la procédure, à vérifier que les conditions de sa décision de 1987 étaient remplies.
Moyens et arguments des parties dans l'affaire T-447-93 (AITEC)
1. La violation de la décision de 1987 en ce que la Commission n'a pas examiné l'impact de l'aide sur la concurrence et le commerce intracommunautaire
107 La requérante soutient que la décision de 1987 prévoit l'obligation pour la Commission d'examiner si les aides accordées sur la base de la loi 1386-83 affectent les échanges intracommunautaires. Elle estime donc que la Commission aurait dû déterminer l'impact de l'aide en cause sur la position concurrentielle d'Heracles par rapport à celle des autres producteurs de ciment communautaires, au lieu de fonder sa décision sur le seul intérêt de la République hellénique, qui avait octroyé l'aide.
108 La requérante insiste sur le fait que, dans sa décision de 1987, la Commission était partie de l'idée que l'application de celle-ci aux aides individuelles ne devait pas avoir pour effet de renforcer la position concurrentielle des entreprises bénéficiaires par rapport à celle des entreprises des autres États membres. Or, l'application de la décision de 1987 à l'aide accordée à Heracles aurait précisément renforcé la position concurrentielle de celle-ci par rapport à celle des entreprises italiennes.
109 La Commission fait valoir que, l'aide à Heracles ayant été octroyée en application d'un régime d'aides ° préalablement approuvé °, sa seule obligation était de vérifier si l'aide litigieuse remplissait les conditions stipulées à l'article 1er de la décision de 1987. Elle devait donc uniquement veiller à ce qu'Heracles ne se trouve pas dans une position concurrentielle plus forte que celle qui aurait été la sienne si les difficultés qui ont donné lieu à la décision de 1987 n'avaient pas existé. Elle estime s'être parfaitement acquittée de cette tâche, comme le montrerait la décision attaquée.
110 La requérante considère que la Commission ne saurait prétendre apprécier la validité de la décision attaquée au regard uniquement de la décision de 1987 puisque, au moment de l'octroi de l'aide, en 1986, cette décision n'existait pas. Au stade de la réplique, elle précise que l'obligation pour la Commission d'examiner l'impact de l'aide résulte exclusivement de l'article 92 du traité. Elle ajoute que, si dans sa requête, elle avait également fondé cette obligation sur la décision de 1987, c'était à titre subsidiaire au cas où le Tribunal jugerait que cette décision constitue le seul cadre au regard duquel la légalité de l'aide litigieuse doit être appréciée. Le Tribunal constate que, de cette façon, la requérante a ajouté à son moyen visant à établir une omission dans le chef de la Commission un argument supplémentaire démontrant l'obligation d'agir de la Commission.
2. Le caractère erroné de l'appréciation de la Commission concernant le rapport entre la production exportée et la production totale pour Heracles et les producteurs grecs, d'une part, et pour les autres producteurs, d'autre part
111 La requérante soutient que la décision attaquée est fondée sur des affirmations non étayées qui ne permettent pas au juge de contrôler la légalité de ses motifs. En effet, ces affirmations seraient fondées sur des éléments qui ne correspondraient pas à ceux évoqués dans la décision d'ouvrir la procédure. La Commission se serait basée uniquement sur les affirmations d'ailleurs insuffisantes du Gouvernement hellénique. L'examen effectué par la Commission révélerait, selon la requérante, une erreur manifeste d'appréciation et une insuffisance de motivation, due notamment au fait qu'elle n'a pas pris en considération que les producteurs grecs, et en particulier Heracles, exportent environ 50 % de leur production, alors que les producteurs des autres États membres n'en exportent que 5 à 10 %.
112 La Commission ne perçoit pas la pertinence de l'argumentation de la requérante dans le cadre de la présente affaire et fait observer que les entreprises grecques ont toujours beaucoup exporté. Elle ajoute encore que ce fait n'est pas pertinent dans le cadre d'une décision d'application d'un régime général préalablement approuvé.
Moyens et arguments des parties dans l'affaire T-448-93 (BCA e.a.)
1. La violation de l'article 93, paragraphe 2, du traité, en ce que la Commission n'a pas examiné la compatibilité de l'aide avec le marché commun
113 Les requérantes font valoir que c'est à tort que la Commission a considéré que la compatibilité de l'aide en cause avec le marché commun résultait automatiquement de sa compatibilité avec la décision de 1987. En effet, la décision de 1987 aurait été adoptée dans le contexte d'une situation économique tout à fait exceptionnelle. Le fait qu'elle était justifiée à l'époque ne serait donc pas de nature à justifier toutes les aides accordées ultérieurement. Compte tenu de l'amélioration de la situation de l'économie grecque, la Commission aurait d'ailleurs exigé elle-même que d'autres aides favorisant l'exportation soient progressivement réduites puis supprimées avant janvier 1990 (voir la décision 86-614-CEE de la Commission, du 16 décembre 1986, modifiant la décision 85-594-CEE de la Commission autorisant la Grèce à prendre certaines mesures de sauvegarde au titre de l'article 108, paragraphe 3, du traité CEE; JO L 357, p. 28).
114 Par ailleurs, les requérantes relèvent qu'il y a une contradiction manifeste entre le contenu de la communication relative à l'ouverture de la procédure et celui de la décision attaquée. Dans la première, la Commission serait, en effet, partie de l'idée que la compatibilité de l'aide ne devait pas être évaluée exclusivement par rapport à la décision de 1987, mais également par rapport au contexte communautaire, à tout le moins dans les cas importants pour lesquels une notification était requise.
115 La Commission renvoie d'abord les requérantes au raisonnement qu'elles présentent dans le cadre d'une autre branche du moyen, à savoir que l'appréciation de l'aide devait s'effectuer au regard des conditions qui régnaient à l'époque où elle avait été octroyée. A cet égard, la Commission observe que les marchés vers lesquels les producteurs grecs exportaient traditionnellement étaient situés essentiellement au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et aux États-Unis. Ce serait seulement suite à l'effondrement de ces marchés, à partir de 1985, que les cimenteries grecques ont commencé à chercher des débouchés sur le marché communautaire. Avant cette période, il n'y aurait pratiquement pas eu d'échanges entre la République hellénique et le reste de la Communauté.
116 La Commission considère que, compte tenu du fait que l'aide accordée à Heracles avait été octroyée en application d'un régime préalablement approuvé, la seule obligation qui lui incombait était de vérifier si l'aide litigieuse remplissait les conditions stipulées à l'article 1er de la décision de 1987. Puisque l'aide respectait ces conditions, elle pouvait bénéficier de la dérogation prévue par l'article 92, paragraphe 3, sous b), du traité.
2. Le caractère erroné de l'appréciation des faits au regard de la décision de 1987 et le caractère discriminatoire de la décision attaquée par rapport à la décision Halkis, en ce qui concerne notamment le déplacement de la charge des conséquences des surcapacités structurelles de l'industrie grecque du ciment vers les autres États membres
117 Les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation des faits en ne s'assurant pas que le jeu de la concurrence n'était pas faussé par l'aide octroyée à Heracles, comme l'exigeait la décision de 1987.
118 Les requérantes relèvent que les exportations de ciment grecques vers les autres États membres ont augmenté considérablement entre 1986 et 1990. Elles estiment que la décision attaquée a abouti à déplacer vers les autres États membres la charge résultant des surcapacités structurelles de l'industrie du ciment grecque, alors que la décision de 1987 voulait précisément éviter un tel résultat. Elles soulignent d'ailleurs que, dans la décision Halkis, la Commission a constaté que des aides similaires aux aides en cause étaient incompatibles avec le marché commun.
119 Lors de l'audience, les requérantes ont ajouté que la configuration géographique du Royaume-Uni l'expose particulièrement aux importations de ciment effectuées par bateaux.
120 La Commission, soutenue par les parties intervenantes, rejette ces affirmations des requérantes. Elle précise les différentes particularités du marché grec du ciment sur lesquelles elle a fondé sa décision et rappelle qu'elle dispose en la matière d'un pouvoir discrétionnaire dont l'usage ne pourrait être sanctionné qu'en cas d'erreur manifeste.
121 La Commission répète enfin que l'augmentation des exportations grecques de ciment vers la Communauté est imputable à l'effondrement, à partir de 1985, de leurs exportations vers les marchés traditionnels des producteurs grecs, à savoir le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord et les États-Unis. La situation d'Heracles à cet égard ne serait pas différente de celle des autres producteurs, si ce n'est que l'aide litigieuse lui aurait permis de se rétablir financièrement et de saisir ainsi les possibilités offertes par le marché au même titre que ses concurrents grecs.
Appréciation du Tribunal
122 Le Tribunal relève, à titre liminaire, qu'Heracles ne saurait, en sa qualité de partie intervenante, mettre en doute que la mesure en cause dans la présente affaire constitue une aide au sens du traité. En effet, une partie intervenante accepte le litige dans l'état où il se trouve lors de son intervention, conformément à l'article 93, paragraphe 4, du règlement de procédure de la cour, applicable à l'intervention d'Heracles avant le renvoi des présentes affaires devant le Tribunal. Or, en l'espèce, force est de constater que la décision litigieuse repose sur la constatation que la mesure en cause constitue une aide au sens du traité et que ce point n'est pas contesté par les parties principales. Par conséquent, en soutenant que les conditions d'application de l'article 92 ne semblent pas être remplies, Heracles modifie le cadre du litige défini par la requête et le mémoire en défense, en méconnaissance de l'article 93, paragraphe 4, du règlement de procédure de la cour. Il s'ensuit que ce moyen de défense doit être considéré comme irrecevable.
123 Sur le fond, le Tribunal constate que l'ensemble des requérantes soutient, en substance, que la Commission ne pouvait, pour apprécier la compatibilité de l'aide en cause avec le traité, se contenter d'examiner si elle remplissait les conditions prévues par la décision de 1987, qui déclarait compatible avec le traité le régime d'aides instauré par la loi 1386-83 sur la base duquel elle avait été octroyée. Selon les requérantes, la Commission aurait dû procéder à un examen spécifique de la compatibilité de l'aide en cause avec le marché commun. Il convient, dès lors, de déterminer d'abord la portée de la décision de 1987 et de vérifier, ensuite, si la décision litigieuse ne méconnaît pas la décision de 1987 ainsi que les dispositions de l'article 92 du traité.
Sur la portée de la décision de 1987
124 Le Tribunal constate que, dans la décision de 1987, la Commission a approuvé la mise en œuvre de la loi 1386-83 au motif qu'elle remplissait les conditions de l'article 92, paragraphe 3, sous b), seconde partie, du traité, lu à la lumière du protocole n° 7, puisqu'elle avait pour objet de remédier à une perturbation grave de l'économie de la République hellénique. Après avoir exposé la situation économique de cet État membre, la Commission a souligné que les interventions individuelles de l'ORE effectuées sur la base de cette loi avaient porté sur 45 entreprises, dont 23 parmi lesquelles figure Heracles, qui n'avaient pas été mises en liquidation, représentaient environ 20 % de l'emploi industriel de la République hellénique. Il s'ensuit que la décision reconnaît que les opérations de l'ORE pouvaient, en général, remédier à ladite perturbation.
125 Il convient cependant de relever que la décision de 1987, si elle a approuvé la mise en œuvre de la loi 1386-83, n'a pas pour autant approuvé toutes les interventions individuelles de l'ORE. En effet, par l'article 1er, paragraphe 2, sous a), de sa décision, la Commission a soumis la mise en œuvre de la loi 1386-83 à la condition suivante:
"Le Gouvernement hellénique notifiera les cas individuels d'intervention dans des entreprises assujetties à la loi occupant trois cents personnes ou plus dans le cas des secteurs non sensibles et cent personnes ou plus dans le cas des secteurs sensibles."
126 Dans les considérants de la décision, la Commission justifie l'imposition de cette "condition" en expliquant que "dans une décision autorisant un régime général d'aides d'État, la Commission a le pouvoir d'imposer des conditions résultant de son appréciation du régime, y compris, le cas échéant, une obligation de notifier les cas individuels importants de manière à ce que ceux-ci puissent être appréciés du point de vue de leur impact sur le commerce et la concurrence intracommunautaire. A cet égard, la Commission doit tenir compte des considérations de politique communautaire. Ceci ressort de l'arrêt rendu par la cour dans l'affaire ... Philip Morris contre Commission ..., dans lequel la cour a clairement indiqué ... que les appréciations qu'implique la mise en œuvre des dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 points a), b) et c) doivent être effectuées 'dans un contexte communautaire'" (point V, quatrième alinéa, de la décision de 1987).
127 Le Tribunal considère qu'il ressort de l'énoncé de la "condition" de notification et de sa justification que la Commission a estimé que, pour les cas dépassant les seuils établis par la décision de 1987, la constatation de la perturbation grave de l'économie grecque ne suffit pas, à elle seule, à légitimer l'aide en question. Sans mettre en cause, pour l'avenir, l'existence du régime général d'aides approuvé en raison de la perturbation grave que connaissait l'économie grecque, la Commission a donc considéré que les interventions d'une certaine importance effectuées par l'ORE devaient être soumises à un examen spécifique portant sur les questions de savoir, d'une part, si l'octroi de l'aide remplissait les "conditions" prévues par la décision de 1987 et, d'autre part, s'il n'avait pas pour résultat que les entreprises concernées "viennent à se trouver vis-à-vis des industries d'autres États membres dans une position concurrentielle plus forte que celle qui serait la leur si les difficultés ne s'étaient pas produites au départ" (voir point V de la décision). Le fait que la Commission elle-même considérait qu'il lui incombait d'apprécier l'effet des aides octroyées par l'ORE sur les échanges intracommunautaires est corroboré par la référence contenue dans la décision (point V) à l'arrêt Philip Morris/Commission, dans lequel la cour a approuvé le fait que la Commission ait procédé à un tel examen (points 11 et 12 de l'arrêt précité). Force est d'ailleurs de constater que la nécessité d'un tel examen, prévu par la décision de 1987, correspond à la finalité de l'article 92 du traité, qui, en tant que règle de concurrence, vise à empêcher, en principe, que l'octroi d'aides par les États membres ne fausse la concurrence ou n'affecte le commerce intracommunautaire.
128 Il résulte de ce qui précède que la Commission elle-même a considéré, dans la décision de 1987, que l'article 92, paragraphe 3, sous b), seconde partie, du traité, peut exiger, selon les circonstances dans lesquelles le régime d'aides en question a été approuvé, un examen spécifique de la compatibilité d'aides individuelles allant au-delà de la constatation de l'existence d'une perturbation grave de l'économie de l'État membre concerné. En l'espèce, la Commission a, d'ailleurs, exposé que l'existence d'une perturbation grave de l'économie grecque ne suffisait pas pour permettre de considérer que des aides individuelles importantes octroyées en application de la loi 1386-83 étaient compatibles avec l'article 92, paragraphe 3, sous b), seconde partie, du traité.
129 Il s'ensuit que, pour les aides dépassant les seuils prévus par la décision de 1987, l'obligation de notification même après l'octroi de l'aide, doit être interprétée comme une réserve à l'approbation contenue dans la décision elle-même du même type que celle définie dans l'arrêt de la cour du 5 octobre 1994, Italie/Commission (C-47-91, Rec. p. I-4635, points 21 et 22), alors que, pour les aides de moindre importance, cette décision peut être interprétée comme une approbation définitive des aides octroyées sur la base du régime général autorisé. Par conséquent, la Commission ne saurait prétendre que sa décision approuve de manière générale toutes les aides octroyées sur la base de la loi 1386-83, comme c'était le cas dans les affaires Irish Cement/Commission, précitées. En effet, dans ces affaires, les régimes d'aides régionaux avaient été approuvés de manière générale par la Commission, sans que celle-ci ne demande la notification des cas importants ni ne formule de réserve quant à l'approbation de ces cas. Le régime ayant lui-même fait l'objet de l'examen prévu par l'article 93, paragraphe 1, du traité et ayant été approuvé sur cette base, les mesures d'exécution de celui-ci ne devaient plus être notifiées ni examinées par la Commission, à la différence du cas d'espèce.
130 Quant au fait que l'intervention spécifique de l'ORE en faveur d'Heracles avait déjà eu lieu avant l'adoption de la décision de 1987, il y a lieu de rappeler que la Commission connaissait cette circonstance au moment où elle a adopté sa décision (voir son télex du 18 septembre 1986). A cet égard, la Commission a regretté, dans la décision attaquée, que le Gouvernement hellénique "n'ait pas notifié ce cas important de l'application de la loi 1386-83 en faveur d'Heracles". Elle a souligné à juste titre qu'elle n'avait pas procédé, en 1987, à un examen des aides spécifiques qui avaient déjà été octroyées, mais qu'elle avait réservé cet examen au moment où elle recevrait les notifications des aides individuelles en application de l'obligation de notification mentionnée dans la décision de 1987. Cette interprétation de la décision est confirmée par le libellé de son article 1er, paragraphe 2, selon lequel les conditions qu'il énonce s'appliquent à "toute intervention de l'ORE", ce qui indique que la Commission a voulu, en ce qui concerne les aides déjà octroyées, obtenir une "notification" postérieure de celles-ci afin qu'elles "puissent être appréciées du point de vue de leur impact sur le commerce et la concurrence intracommunautaire" (voir point V de la décision de 1987). Il s'ensuit que l'aide octroyée à Heracles, même si elle est antérieure à la décision de 1987, est soumise à l'obligation prévue par l'article 1er, paragraphe 2, sous a), de cette décision.
131 Il convient d'ajouter que, à cet égard, la défense de la Commission est entachée de contradiction. En effet, elle explique, d'une part, dans les réponses aux questions du Tribunal, qu'elle n'a pas examiné, en 1987, la compatibilité avec le marché commun des aides spécifiques qui avaient été antérieurement octroyées et qu'elle s'était réservé de les examiner après avoir reçu notification de ces aides en application de l'article 1er, paragraphe 2, sous a), de la décision de 1987. D'autre part, elle fait valoir dans le même temps que, s'agissant d'un cas d'application d'un régime préalablement approuvé sur la base de l'article 92, paragraphe 3, sous b), du traité, elle avait pour seule obligation de vérifier que l'aide en cause avait été octroyée conformément aux conditions d'approbation dudit régime, au motif que la compatibilité avec le marché commun avait déjà été examinée dans le cadre de la décision de 1987. Quant à l'examen de ces conditions, elle ajoute que la seule condition qui devait être examinée était celle ayant trait à l'absence d'augmentation des capacités de production, car, en l'absence d'une telle augmentation, tout effet sur le marché commun serait nécessairement exclu.
132 Enfin, il convient de relever que, contrairement à ce qu'a exposé le Gouvernement hellénique (voir point 100 ci-dessus), le point V de la décision de 1987 ne contient aucune évaluation du marché communautaire du ciment.
Sur la décision litigieuse
133 Le Tribunal constate que, dans la décision litigieuse, la Commission a rappelé que la notification des cas individuels importants avait été exigée "de sorte qu'ils puissent être examinés du point de vue de leur incidence sur les échanges intracommunautaires et la concurrence". Toutefois, force est de relever que, dans la décision litigieuse, la Commission s'est bornée à examiner les conséquences de l'aide sur le territoire de la Grèce, en se fondant sur les réponses apportées par le Gouvernement hellénique aux objections initialement formulées par la Commission.
134 Il s'ensuit que la décision attaquée est entachée d'une contradiction de motifs sur ce point (voir dans le même sens l'arrêt de la cour du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-278-92, C-279-92 et C-280-92, Rec. p. I-4103).
135 En outre, il y a lieu de rappeler que, en l'espèce, la Commission s'est bornée à constater que l'aide en cause remplissait les conditions de la décision de 1987, eu égard notamment à l'absence d'augmentation des capacités de production et à la viabilité de l'entreprise. Si ces éléments devaient certes être pris en considération pour examiner la compatibilité de l'aide avec le marché commun, il n'en reste pas moins qu'ils sont insuffisants pour parvenir à une conclusion à cet égard, puisque la décision de 1987 exigeait que la Commission examine également dans quelle mesure la concurrence pourrait être faussée et si le commerce intracommunautaire pourrait être affecté. Or, un tel examen n'a nullement été effectué par la Commission, comme celle-ci l'a d'ailleurs admis.
136 Quant à l'objection du Gouvernement hellénique, selon laquelle la thèse des requérants méconnaîtrait le protocole n° 7, qui prévoit que, "dans le cas d'application des articles 92 et 93 du traité CEE, il faudra tenir compte des objectifs d'expansion économique et de relèvement du niveau de vie de la population", il y a lieu d'observer que cette disposition ne constitue pas une exception aux articles 92 et 93 du traité, mais qu'elle impose uniquement à la Commission de prendre en considération, lors de l'évaluation des effets d'une aide accordée à une entreprise grecque, les objectifs énoncés dans ce protocole. Il ne la dispense nullement de procéder à l'examen prévu par les articles 92 et 93 du traité et, en particulier, à l'examen de l'impact de l'aide sur la concurrence et le commerce intracommunautaire.
137 Il découle des considérations qui précèdent que la Commission a méconnu la portée de l'obligation, que lui imposaient la décision de 1987 et l'article 92 du traité, d'examiner si l'aide en cause ne faussait pas la concurrence et n'affectait pas le commerce intracommunautaire. Il s'ensuit que la décision litigieuse est entachée d'une erreur de droit qui a amené la Commission à procéder à un examen incomplet de l'aide en cause (voir l'arrêt du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T-44-90, Rec. p. II-1, points 62, 83 et 95).
Sur l'impact de l'aide sur la concurrence et le commerce intracommunautaire
138 Le Tribunal relève que la Commission et les parties intervenantes font valoir qu'en 1986 il n'existait aucun échange de ciment entre la République hellénique et les autres États membres et que, par conséquent, le commerce intracommunautaire ne saurait avoir été affecté par l'aide litigieuse. Le Tribunal constate que cette argumentation constitue un moyen de défense soulevé à titre subsidiaire qui doit être examiné parce que l'erreur de droit commise par la Commission et ses conséquences quant à l'examen de l'impact des aides notifiées sur la concurrence et le commerce intracommunautaire ne pourraient pas entraîner l'annulation de la décision attaquée s'il s'avérait qu'un tel examen était superflu en raison de la situation factuelle prévalant dans le secteur du ciment.
139 A cet égard, il convient de relever que l'argument de la Commission est tiré de la situation du marché du ciment au moment de l'octroi de l'aide. Cependant, il y a lieu de constater que, à cette époque déjà, l'orientation des exportations grecques de ciment vers certains autres États membres de la Communauté était prévisible. En effet, les marchés traditionnels d'exportation des producteurs grecs s'étaient effondrés, ce qui impliquait que le commerce intracommunautaire déjà existant allait s'accroître d'une manière significative. L'annexe 1 au mémoire en intervention d'Heracles démontre que celle-ci avait déjà commencé, en 1986, à exporter du ciment vers les autres États membres de la Communauté. Ceci est confirmé par la décision Halkis (partie IV).
140 Dans ces circonstances, la Commission était obligée d'examiner les effets que l'aide était susceptible d'avoir sur la concurrence et sur le commerce intracommunautaire.
141 Or, il ressort de la décision attaquée que la Commission n'a pas effectué un examen des effets prévisibles, au moment du versement de l'aide, sur la concurrence et sur le commerce intracommunautaire. Elle n'a d'ailleurs pas non plus examiné les effets réels de l'aide qu'elle aurait pu prendre en considération comme élément de fait dès lors que c'est cinq ans après le versement de cette aide qu'elle a statué sur sa compatibilité avec le traité.
142 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la Commission a commis une erreur de droit en omettant d'examiner l'impact de l'aide en cause sur la concurrence et le commerce intracommunautaire (voir l'arrêt La Cinq/Commission, précité, points 94 à 96).
143 Par conséquent, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens invoqués et de procéder aux mesures d'instructions demandées par les requérantes, il convient d'annuler la décision attaquée.
Sur les dépens
144 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à ses propres dépens ainsi qu'à ceux exposés par les requérantes à l'exception de ceux causés par les interventions. Les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens ainsi que les dépens exposés par les requérantes dans le cadre des interventions
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie),
déclare et arrête:
1) La décision du 1er août 1991, contenue dans la communication 92-C 1-03 de la Commission faite conformément à l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE aux autres États membres et aux intéressés, concernant l'octroi d'une aide à Heracles General Cement Company, Grèce, publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 4 janvier 1992, est annulée.
2) La Commission supportera ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par les requérantes à l'exception de ceux causés par les interventions.
3) Les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens ainsi que les dépens exposés par les requérantes dans le cadre des interventions.