Livv
Décisions

TPICE, 1re ch. élargie, 18 septembre 1995, n° T-49/93

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SIDE

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Barrington, Saggio, Kalogeropoulos, Mme Tiili

Avocats :

Me Meffre, Mmes Adenis-Lamarre, Coutrelis

TPICE n° T-49/93

18 septembre 1995

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (première chambre élargie),

Faits à l'origine du litige

1 La requérante dans la présente affaire, la Société internationale de diffusion et d'édition (ci-après "SIDE"), est une société commissionnaire établie en France. Ses activités consistent notamment dans l'exportation de livres français vers d'autres États membres de l'Union européenne et vers des pays tiers. Selon la requérante, l'exportation du livre en langue française représente environ 50 % de son chiffre d'affaires et 96,75 % de ses exportations de livres ont pour destination les zones non francophones.

2 Le CELF (Coopérative d'exportation du livre français, agissant sous le nom commercial de "Centre d'exportation du livre français") est une société anonyme coopérative dont l'objet, d'après la dernière version de ses statuts, est de "traiter directement des commandes vers l'étranger et les territoires et départements d'outre-mer, de livres, brochures et tous supports de communication et plus généralement d'exécuter toutes opérations visant notamment à développer la promotion de la culture française à travers le monde au moyen des supports sus désignés". Selon les autorités françaises, le CELF a été créé en 1980 à l'initiative du ministère de la Culture et du Syndicat national de l'édition "afin de remplir une mission visant à la fois à répondre à la demande du petit consommateur où qu'il se trouve et, ce faisant, à encourager la diffusion de la langue française". Les 85 coopérateurs du CELF sont pour la plupart des éditeurs établis en France, bien que la coopérative soit ouverte à la participation de tout opérateur lié à l'édition ou à la diffusion du livre francophone, indépendamment de son lieu d'établissement.

3 Le CELF, tout comme la SIDE, a une activité commerciale de diffusion du livre dirigée principalement vers les pays et les zones non francophones, étant donné que dans les zones francophones, en particulier de la Belgique, du Canada et de la Suisse, cette activité est assurée par les réseaux de distribution établis par les éditeurs.

4 Par le présent recours, la SIDE demande au Tribunal d'annuler la décision de la Commission qui a déclaré compatibles avec le marché commun, en leur appliquant la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité CE, certaines aides que le ministère de la Culture français octroie à l'exportation du livre français; ces aides profitent exclusivement au CELF ou sont distribuées par celui-ci.

Objectifs et caractéristiques des subventions litigieuses

5 Les subventions qui font l'objet de la décision attaquée sont, d'une part, l'aide octroyée exclusivement au CELF pour soutenir une activité de service public consistant dans le traitement des petites commandes placées par des libraires étrangers et, d'autre part, trois régimes d'aides gérés par le CELF pour le compte de l'État, à savoir, les aides au fret aérien ou au sac postal aérien à destination des départements et territoires d'outre-mer ou de pays étrangers éloignés (4,2 millions de FF par an, dont 2 millions de FF pour les départements d'outre-mer), le programme "Page à page" qui permet d'offrir aux lecteurs d'Europe centrale et orientale des ouvrages en langue française à moitié prix (5,2 millions de FF sur trois ans, de 1990 à 1993) et le programme "Plus", destiné à fournir à moitié prix des manuels universitaires de premier cycle aux étudiants des universités d'Afrique subsaharienne (4 millions de FF par an).

6 En ce qui concerne ces trois derniers régimes d'aides, seul le programme "Plus", mené en liaison avec le ministère de la Coopération, continue à être géré par le CELF. Le programme "Page à page" s'est déroulé uniquement sur trois ans, de 1990 à 1993. L'aide à l'utilisation du transport aérien pour les expéditions de livres a été gérée par le CELF jusqu'en 1993 et sa gestion est à présent confiée à une autre entité.

7 La subvention d'exploitation accordée au CELF vise à compenser le surcoût de traitement des petites commandes émanant des libraires établis à l'étranger. Elle permet au CELF de répondre à une demande dont la satisfaction, compte tenu de l'augmentation des frais de transport et de la valeur totale de la commande en question, n'est pas considérée comme rentable par les éditeurs ou leurs distributeurs affiliés. De ce fait, l'octroi de cette subvention contribue à la diffusion de la langue française et au rayonnement de la littérature francophone.

8 Selon les explications fournies par le Gouvernement français devant le Tribunal, d'autres solutions possibles pour réaliser les objectifs poursuivis par le biais de la subvention accordée au CELF, comme l'octroi direct d'une aide aux nombreuses librairies concernées ou aux éditeurs et distributeurs qui s'engageraient à honorer ces petites commandes, ont été jugées trop onéreuses et susceptibles de poser des problèmes de contrôle. La solution retenue a été celle qui, d'après les autorités françaises, se présentait à la fois comme la plus rationnelle sur le plan économique, la plus sûre sur le plan de l'utilisation des fonds publics et la moins perturbatrice pour les circuits de distribution. Elle consiste à gérer le régime au niveau des commissionnaires à l'exportation en compensant le surcoût lié au traitement des petites commandes de libraires par une subvention spécifique du ministère de la Culture.

9 Parmi les différents opérateurs intervenant dans la diffusion du livre, les commissionnaires, qui ne s'adressent qu'aux détaillants ou aux collectivités, mais non à l'utilisateur final, permettent de satisfaire les commandes que les éditeurs ou leurs distributeurs ne trouvent pas intéressant d'honorer directement. Le commissionnaire rassemble les commandes, individuellement peu importantes, venant de différents clients et s'adresse à l'éditeur ou au distributeur, lequel n'a ainsi à fournir qu'un seul point de livraison. Pour ses clients libraires ou institutionnels, dont les commandes portent sur les ouvrages de différents éditeurs, le commissionnaire forme les paquets respectifs et évite ainsi à ses clients de passer de multiples commandes adressées à de nombreux opérateurs. En raison des frais fixes liés au traitement de chaque commande, l'intervention du commissionnaire permet de réaliser des gains au niveau du distributeur et au niveau du client, ce qui la rend donc économiquement intéressante.

10 Toujours selon le Gouvernement français, le mécanisme de soutien fonctionne de la manière suivante. Les libraires qui ont besoin, en petites quantités, d'ouvrages publiés par différents éditeurs passent leurs commandes au CELF, qui joue alors le rôle d'un commissionnaire à l'exportation. La subvention vise spécifiquement à permettre d'honorer les commandes d'un montant inférieur à 500 FF, hors frais de transport, qui sont censées se trouver en-dessous du seuil de rentabilité. Ces opérations ont représenté 27 % des commandes en 1992, soit plus de 9 000, bien qu'elles ne produisent que 3 % du chiffre d'affaires total du CELF. Un quart du montant de la subvention octroyée l'année précédente est versé en début d'année, le solde étant accordé à l'automne, après examen par les pouvoirs publics des prévisions d'activité du CELF et des flux de la première partie de l'exercice. Dans les trois mois suivant la fin de l'exercice, un compte d'emploi de la subvention avec un relevé des pièces justificatives doit être fourni au ministère de la Culture et de la Francophonie.

11 Le Gouvernement français a initialement indiqué à la Commission et au Tribunal que la subvention d'exploitation octroyée au CELF a atteint 2,4 millions de FF en 1991, 2,7 millions de FF en 1992 et 2,5 millions de FF en 1993. Lors de la procédure orale, il a complété cette affirmation en expliquant que la subvention effectivement utilisée en 1992 ne s'est élevée qu'à 1,7 millions de FF, malgré le fait que 2,7 millions de FF ont été avancés par l'État au CELF, à ce titre, en début d'année. Le solde non utilisé n'est apparemment pas remboursé par le CELF; il fait plutôt l'objet d'une compensation avec les montants à accorder pour les années subséquentes.

La plainte et la procédure devant la Commission

12 Par lettre du 20 mars 1992, le conseil de la requérante a attiré l'attention des services de la Commission sur les aides à la promotion, au transport et à la commercialisation du livre français que le ministère de la Culture français accorderait au CELF. Dans cette lettre, il a demandé à la Commission si les aides en question avaient fait ou non l'objet d'une notification conformément aux dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité CE.

13 Par lettre du 2 avril 1992, la Commission a demandé aux autorités françaises des renseignements sur les mesures dont bénéficierait le CELF. Après avoir rappelé les obligations qui incombent aux États membres au titre de l'article 93, paragraphe 3, du traité, la Commission a imparti aux autorités françaises un délai de quinze jours ouvrables pour lui apporter une réponse appropriée, sous peine d'ouverture de la procédure prévue au paragraphe 2 du même article. D'après cette lettre, bien qu'un livre "soit un produit exceptionnel (du point de vue) de la concurrence, la Commission ne peut pas a priori exclure que de telles aides puissent fausser la concurrence et affecter les échanges au sens de l'article 92, paragraphe 1 du traité".

14 Le 7 avril 1992, la Commission a répondu au conseil de la SIDE que les aides en question ne semblaient pas avoir été notifiées. Elle l'a informé, par ailleurs, que, bien qu'un livre "soit un produit exceptionnel (du point du vue) de la concurrence, la Commission a demandé aux autorités françaises de lui communiquer les informations nécessaires pour une appréciation de la compatibilité de ces aides avec le marché commun" et elle s'est engagée à lui faire part des résultats de ses recherches.

15 Par courrier du 29 juin 1992, les autorités françaises ont transmis à la Commission des informations relatives aux statuts du CELF, aux circonstances entourant sa constitution et à ses activités, ainsi qu'aux objectifs et modalités des subventions qui lui sont accordées ou confiées par l'État français.

16 Le 7 août 1992, les services de la Commission ont confirmé par écrit au conseil de la requérante l'absence de notification préalable des aides en question. Dans la même lettre, ils lui ont transmis l'essentiel des renseignements obtenus auprès des autorités françaises et ont indiqué que, à première vue, "les aides en question ne semblent pas être de nature à altérer les conditions des échanges dans la Communauté dans une mesure contraire à l'intérêt commun". Toutefois, avant de proposer à la Commission l'adoption d'une décision formelle sur ce sujet, ils ont invité la requérante à leur communiquer toute information supplémentaire jugée utile, notamment en ce qui concerne l'effet des aides sur les échanges intracommunautaires, la position concurrentielle de la SIDE et la possibilité pour celle-ci de bénéficier des subventions distribuées par le biais du CELF.

17 Par lettre du 7 septembre 1992, le conseil de la SIDE a répondu aux questions qui lui ont été posées par les services de la Commission, attirant leur attention sur le fait que l'aide "à la diffusion de la langue et de la littérature françaises" accordée au CELF concernait directement les échanges intracommunautaires, le quart du chiffre d'affaires de cette coopérative provenant d'exportations à destination de l'Italie et de l'Espagne. Dans sa lettre, le conseil de la requérante souligne, par ailleurs, que celle-ci, à l'instar des deux autres commissionnaires exportateurs du livre en France Hexalivre et Amateur du livre international se trouve en concurrence avec le CELF pour les petites commandes émanant de libraires étrangers. Il en tire la conclusion que sa cliente n'est pas en mesure de faire face à la concurrence du CELF sur certains marchés (en particulier, l'espagnol et l'italien) et que cette situation entraîne une réduction de l'offre de livres d'origine française et le maintien de prix élevés pour les livres d'autres origines communautaires. Ces prix élevés découleraient de la nécessité, pour les concurrents du CELF, de consentir des efforts financiers importants pour se maintenir sur le marché des livres français. Le conseil de la requérante a indiqué, en outre, que sa cliente ne pouvait pas bénéficier d'une aide équivalente à celle octroyée au CELF et a annexé à sa lettre des copies de la correspondance échangée entre la SIDE et le ministère de la Culture concernant cette question.

18 Par courrier du 23 février 1993, les services de la Commission ont demandé aux autorités françaises de répondre à trois questions supplémentaires, afin qu'ils puissent vérifier la compatibilité des aides en cause avec le marché commun. Ils souhaitaient s'entendre préciser si le CELF est ouvert à tous les éditeurs en France, si les éditeurs d'œuvres francophones établis dans un autre État membre peuvent aussi participer au CELF et bénéficier également desdites subventions, et si les mesures de compensation du surcoût de traitement des petites commandes sont limitées aux œuvres d'une certaine valeur culturelle ou sont, au contraire, applicables à toute catégorie de livre.

19 Les autorités françaises ont transmis leurs réponses aux questions susvisées par télécopie du 19 avril 1993. Elles ont expliqué que le CELF est une coopérative ouverte à tous les éditeurs francophones, quel que soit leur lieu de résidence, de façon que ceux établis dans d'autres États membres peuvent également bénéficier de ses interventions. En ce qui concerne les aides visant à compenser le surcoût de traitement des petites commandes, les autorités françaises ont indiqué qu'elles sont attribuées uniquement en fonction du surcoût subi, sans que la valeur culturelle des livres ou assimilés qui en bénéficient soit appréciée.

20 Le 18 mai 1993, la Commission a adopté une décision d'autorisation des aides en question, dont un avis a été publié au Journal officiel des Communautés européennes du 25 juin 1993 sous le titre "aides aux exportateurs de livres français" et le numéro "NN 127-92" (JO C 174, p. 6).

21 Par courrier du 27 mai 1993, la Commission a informé le conseil de la SIDE qu'elle avait pris une décision concernant la compatibilité avec le marché commun des aides aux exportations de livres accordées par les autorités françaises par le biais du CELF. En annexe, les services de la Commission reproduisaient le texte de la lettre adressée au Gouvernement français à ce propos.

22 Par lettre du 10 juin 1993, la Commission a informé le Gouvernement français que, tenant compte "de la situation particulière de la concurrence dans le secteur du livre et du but culturel des régimes d'aides en question, la Commission a décidé d'y appliquer la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité". La Commission a, néanmoins, exprimé le regret que le Gouvernement français n'ait pas respecté l'obligation de notifier au préalable ces aides, conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité.

Procédure

23 C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 août 1993, la SIDE a introduit, en vertu de l'article 173, paragraphe 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission du 18 mai 1993, relative aux aides d'État litigieuses (NN 127-92).

24 Par lettre enregistrée au greffe le 10 janvier 1994, la République française a demandé au Tribunal à être admise à intervenir dans la présente procédure à l'appui des conclusions de la partie défenderesse. Le Président de la deuxième chambre du Tribunal a fait droit à cette demande par ordonnance du 7 février 1994.

25 La procédure écrite s'est poursuivie normalement, le mémoire en duplique ayant été déposé par la Commission au greffe du Tribunal le 8 mars 1994. Le mémoire en intervention du gouvernement de la République française a été enregistré au greffe le 15 avril 1994. La procédure écrite s'est terminée par le dépôt, le 24 juin 1994, des observations de la requérante sur le mémoire en intervention.

26 Par décision du Tribunal du 2 juin 1994, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre élargie, à laquelle l'affaire a, par conséquent, été attribuée. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Il a, toutefois, invité les parties à répondre à certaines questions et à produire certains documents.

27 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience qui a eu lieu le 25 avril 1995.

Conclusions des parties

28 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision de la Commission du 18 mai 1993 par laquelle a été autorisée l'aide NN 127-92;

- condamner la Commission aux dépens.

29 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme irrecevable pour partie et non fondé;

- condamner la requérante aux dépens.

30 La partie intervenante demande au Tribunal de rejeter le recours présenté par la SIDE.

Sur la recevabilité

31 L'institution défenderesse, sans pour autant soulever une exception formelle d'irrecevabilité, s'interroge sur le fait de savoir si la requérante doit être considérée comme recevable en ce qui concerne les aides dont le CELF n'est pas le bénéficiaire exclusif et qui n'ont pas une incidence directe sur les échanges intracommunautaires, à savoir, les aides au sac postal aérien, les aides concernant l'Europe centrale et orientale et les aides relatives aux ventes de manuels universitaires en Afrique subsaharienne. En effet, la Commission, tout en admettant que la requérante est fondée à estimer que sa situation est affectée par l'octroi de ces aides et peut, à ce titre, se considérer comme directement et individuellement concernée, relève, néanmoins, que, dans sa réponse à la demande de renseignements complémentaires qui lui a été adressée le 7 août 1992, celle-ci s'est limitée à critiquer la subvention annuelle octroyée au CELF pour compenser le surcoût de traitement des petites commandes, reconnaissant que les autres aides visées semblent concerner exclusivement les échanges extracommunautaires.

32 La SIDE s'estime concernée directement et individuellement par la décision attaquée parce qu'elle a été à l'origine de la plainte qui a déclenché l'examen par la Commission des aides en question et parce qu'elle exerce l'activité d'exportateur de livres français et est, de ce chef, concernée par l'autorisation d'aides qui ont été qualifiées par la Commission d'"aides aux exportateurs de livres français". Elle remplit donc, à son avis, les conditions de recevabilité définies par la Cour dans son arrêt du 28 janvier 1986 dans l'affaire Cofaz e.a./Commission (169-84, Rec. p. 391).

33 Dans la réplique, la requérante rappelle, en outre, que sa plainte visait toutes les aides dont bénéficie le CELF et qu'elle n'était pas, à ce moment-là, en mesure de les identifier avec précision, tout en subissant leurs conséquences, notamment en raison des distorsions de la concurrence introduites sur le marché de l'exportation. Le fait que sa réponse du 7 septembre 1992 ne concernait que l'effet direct des aides sur le commerce intracommunautaire serait justifié par la formulation même des questions qui lui avaient été posées par la Commission dans sa demande d'informations complémentaires.

Appréciation du Tribunal

34 Il y a lieu de constater, liminairement, que le moyen mis en avant par la Commission concernant l'irrecevabilité partielle du recours a une portée limitée et ne remet pas en question le fait que la requérante soit directement et individuellement concernée par la décision litigieuse au sens de l'article 173 du traité. En effet, l'institution défenderesse ne conteste pas les arguments de la SIDE visant à établir qu'elle remplit les conditions de recevabilité relevées par la Cour dans son arrêt Cofaz e.a./ Commission, précité, applicables lorsqu'une entreprise entend attaquer une décision prise par la Commission dans le cadre des articles 92 et 93 du traité. La question soulevée par ce moyen est celle de savoir si la requérante est recevable à attaquer l'ensemble de la décision litigieuse, dès lors que, au stade de la procédure précontentieuse, elle n'a pas soutenu que les trois régimes d'aides gérés par le CELF étaient susceptibles d'affecter sa position concurrentielle ou le commerce intracommunautaire.

35 A cet égard, il convient de rappeler que la plainte, adressée par le conseil de la requérante à la Commission le 20 mars 1992, faisait état d'un certain nombre d'aides de contenu diversifié, perçues par le CELF, comprenant des aides à la promotion, au transport et à la commercialisation. Il y a donc lieu de constater que, comme l'affirme la requérante, sa plainte visait l'ensemble des aides dont bénéficierait le CELF.

36 Il y a également lieu de reconnaître que l'explication donnée par la requérante pour justifier l'information insuffisante dont elle disposait, au stade de la procédure précontentieuse, sur les trois régimes d'aides et leurs effets sur les conditions de la concurrence, apparaît convaincante. En effet, les éléments fournis par le Gouvernement français et reproduits dans la lettre du 7 août 1992, adressée par la Commission à la requérante, mettaient en évidence que ces trois régimes subventionnaient exclusivement certaines modalités d'exportation de livres à destination de pays tiers. Sur la base de ces éléments, il est normal que la réponse de la requérante concernant l'affectation des échanges intracommunautaires ait été centrée sur l'aide à caractère plus général, octroyée au CELF en vue de soutenir son activité de diffusion de la langue et de la littérature françaises.

37 Il convient enfin d'observer que la décision adoptée par la Commission, suite aux informations complémentaires qui lui ont été transmises par les autorités françaises, couvre non seulement l'aide octroyée directement au CELF, mais aussi les trois régimes d'aides gérés par cette coopérative et leur applique la même dérogation, à savoir, celle prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c).

38 Au vu de ce qui précède, le Tribunal estime que la Commission n'est pas fondée à soutenir que la requérante ne doit pas être admise à attaquer l'ensemble des aides qui font l'objet de la décision. Il y a donc lieu de rejeter le moyen de la Commission et de déclarer que le recours de la requérante est recevable dans son entièreté.

Sur le fond

39 La requérante soulève trois moyens à l'appui de ses conclusions. Le premier moyen est tiré d'une violation de l'obligation de motivation, instituée par l'article 190 du traité CE. Le deuxième moyen, tiré d'une violation de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité s'articule en deux branches: d'une part, la Commission aurait commis une erreur de droit en ce qu'elle aurait à tort considéré que les conditions d'application de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), sont réunies en raison du but culturel des aides litigieuses; d'autre part, elle aurait commis une erreur manifeste d'appréciation des faits ayant trait à la situation de la concurrence dans le secteur en cause. Le troisième moyen, qui s'articule également en deux branches, est tiré, d'une part, d'une violation des règles de procédure, en ce que la Commission aurait dû ouvrir, avant l'adoption de la décision, la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, et, d'autre part, d'une violation de l'article 93, paragraphe 3, et de l'article 155 du traité CE, en ce que la Commission aurait manqué à ses obligations en n'exigeant pas de la République française qu'elle suspende le versement et ordonne le recouvrement d'aides qui n'ont pas été notifiées sous forme de projet.

40 Le Tribunal estime qu'il convient d'examiner en premier lieu la première branche du troisième moyen de la requérante, tirée de l'existence d'un vice de procédure substantiel entraînant l'illégalité de la décision litigieuse.

Quant à la première branche du troisième moyen, tirée d'une violation des règles de procédure

Argumentation des parties

41 Dans la première branche de ce moyen, la requérante fait valoir que la Commission a commis une violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité, dans la mesure où elle a déclaré les aides litigieuses compatibles avec le marché commun sans avoir ouvert la procédure prévue au paragraphe 2 du même article. En effet, la requérante estime que la situation de la concurrence dans le secteur de l'exportation du livre nécessitait une analyse complexe et que la Commission, n'ayant pas engagé la procédure susvisée, ne pouvait pas prétendre que sa décision était fondée sur la situation particulière de la concurrence dans le secteur du livre.

42 La requérante considère, en particulier, que, eu égard aux éléments qu'elle avait fournis à la Commission et qui comportaient des indices sérieux d'infraction aux articles 85 et 86 du traité CE, celle-ci n'aurait pas dû se contenter "de quelques réponses très superficielles du Gouvernement français". La SIDE rappelle, à ce propos, les points 41 à 45 de l'arrêt du 15 juin 1993, Matra/Commission (C-225-91, Rec. p. I-3203), dans lesquels la Cour aurait précisé que, lorsqu'elle adopte une décision sur la compatibilité d'une aide d'État avec le marché commun, la Commission est tenue de veiller à ce que la procédure prévue par les articles 92 et 93 n'aboutisse pas à un résultat contraire à d'autres dispositions du traité et, notamment, de s'assurer que le bénéficiaire de l'aide ne se trouve pas en situation de contrevenir aux articles 85 et 86 du traité. L'absence d'un examen sérieux aurait ainsi conduit la Commission à croire qu'elle autorisait un régime d'aide aux exportateurs de livres français, alors qu'il s'agirait en réalité d'une aide au fonctionnement d'une seule entreprise, le CELF, qui est un commissionnaire parmi d'autres. En octroyant exclusivement au CELF la subvention pour compenser le traitement des petites commandes, associée à la gestion des trois régimes d'aides spécifiques, le Gouvernement français encouragerait une entente entre les éditeurs membres de cette coopérative, ayant pour effet d'empêcher les libraires de choisir librement leurs canaux d'approvisionnement, en violation de l'article 85 du traité. La requérante invoque, à cet égard, la décision 82-123-CEE de la Commission, du 25 novembre 1981, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité (IV-428 ° VBBB/VBVB, JO 1982, L 54, p. 36), confirmée par l'arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission (43-82 et 63-82, Rec. p. 19). L'octroi des aides litigieuses renforcerait également la position dominante que, selon la requérante, le CELF détient sur le marché de la commission à l' exportation du livre. Ces aides lui permettraient de pratiquer des prix qui, ne pouvant pas être suivis par les autres commissionnaires à l'exportation, pourraient conduire à l'élimination des concurrents indépendants de ce marché et donc à un abus de sa position dominante.

43 La requérante affirme, en outre, que la correspondance échangée entre la Commission et les autorités françaises montre que le premier examen n'a pas permis de dissiper tous les doutes quant à la compatibilité de l'aide octroyée au CELF avec le marché commun, cette circonstance ayant été considérée comme significative par la Cour dans son arrêt du 20 mars 1984, Allemagne/Commission (84-82, Rec. p. 1451). Elle reproche, par ailleurs, à la Commission de ne l'avoir pas invitée à se prononcer sur les renseignements complémentaires transmis par les autorités françaises le 19 avril 1993, d'autant plus que la Commission elle-même leur aurait attaché une grande importance. La requérante considère, d'une part, que les réponses données par le Gouvernement français sont inexactes et, d'autre part, que les questions posées par la Commission ne sont pas pertinentes pour analyser la compatibilité d'une aide qui vise à soutenir l'activité d'exportation du livre et non celle de l'édition. Elle rappelle que le CELF, bien que composé d'éditeurs, est présent sur le marché comme exportateur et qu'il est donc en concurrence directe avec la SIDE et les autres exportateurs indépendants.

44 Toujours selon la requérante, l'ouverture de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité aurait donné à la Commission l'occasion d'étudier de manière plus approfondie les relations entre le CELF et les pouvoirs publics (relations dont elle critique l'opacité) et d'appliquer, le cas échéant, la directive 80-723-CEE de la Commission, du 25 juin 1980, relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques (JO L 195, p. 35). Elle fait observer que divers documents relatifs au CELF, qui ont été déposés au greffe du Tribunal de commerce de Paris, révèlent qu'en 1980 et en 1981 les autorités françaises auraient participé au sauvetage financier du CELF et à l'augmentation de son capital social.

45 La requérante soutient, par conséquent, que la jurisprudence de la Cour (arrêts Allemagne/Commission, précité, du 19 mai 1993, Cook/Commission, C-198-91, Rec. p. I-2487, et Matra/Commission, précité) imposait à la Commission l'obligation d'ouvrir la procédure contradictoire de l'article 93, paragraphe 2, du traité, afin de mettre tous les intéressés en mesure de présenter leurs observations et d'être complètement éclairée sur l'ensemble des données de l'affaire avant de prendre sa décision.

46 La Commission considère, pour sa part, qu'elle n'était pas tenue d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, étant donné qu'elle n'a éprouvé aucun doute quant à la compatibilité des aides avec le marché commun.

47 En ce qui concerne les prétendues violations des articles 85 et 86 du traité, la Commission fait remarquer, à titre liminaire, que ces questions n'ont pas été soulevées au cours de la procédure administrative préalable à l'autorisation des aides. Dès lors, ce moyen ne devrait pas être recevable, en ce sens qu'il n'y pas concordance entre la plainte et la requête. Lors de l'audience, la Commission a ajouté que la présente affaire soulève, à son avis, une question de principe importante qui est celle de savoir quelles conditions doivent remplir les plaintes en matière d'aides d'État déposées par les concurrents des entreprises bénéficiaires de ces aides. A cet égard, l'institution défenderesse estime qu'il incombe aux plaignants de lui fournir des informations suffisamment précises, concrètes, détaillées, preuves à l'appui, sur leurs allégations et sur la réalité des aides dont ils prétendent être les victimes, faute de quoi ils ne peuvent pas s'attendre à ce qu'une enquête approfondie soit engagée ni que la Commission se prononce sur des griefs qui ne lui sont pas communiqués.

48 La Commission considère, en tout état de cause, que la décision et l'arrêt concernant l'accord "VBVB-VBBB", cités par la requérante, ne sont pas pertinents dans le cas d'espèce. Les systèmes d'exclusivité et de prix imposés institués par cet accord comportaient une restriction sensible de la concurrence dans le marché commun tandis que, dans le litige dont le Tribunal est saisi, la requérante n'aurait pas démontré en quoi les activités du CELF sont susceptibles de restreindre la concurrence de manière sensible et d'affecter le commerce du livre en langue française. La Commission estime, au contraire, que la situation de l'espèce serait à rapprocher de celle qui a donné lieu à une attestation négative en faveur de la Société anonyme de fabricants de conserves alimentaires (Safco) [décision 72-23-CEE de la Commission, du 16 décembre 1971, relative à une procédure au titre de l'article 85 du traité CEE (IV-23514 ° Safco, JO 1972, L 13, p. 44)]. Dans cette décision, la Commission a considéré que le regroupement de petites unités productrices d'un marché local ou purement national peut même renforcer la concurrence grâce à une activité nouvelle ou accrue d'exportation.

49 La Commission conteste également la délimitation du marché pertinent proposée par la requérante, ainsi que l'existence d'un abus de position dominante de la part du CELF. Contrairement à ce que soutient la SIDE, elle estime que le marché de la commission à l'exportation ne peut pas être considéré comme un marché spécifique et distinct de celui de l'exportation du livre français.

50 La Commission affirme, en outre, que le fait qu'elle ait posé des questions complémentaires aux autorités françaises n'est pas l'indice de difficultés particulières, mais correspond à une pratique courante et bien établie.

51 Elle considère, par ailleurs, qu'il n'était pas nécessaire d'examiner de façon plus approfondie les relations entre le CELF et les pouvoirs publics dans le cadre de sa décision ni d'y appliquer la directive 80-723, du 25 juin 1980, relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques, citée par la requérante.

52 L'institution défenderesse souligne que le seul grief qui a été formulé par la requérante lors de la procédure administrative concernait le caractère discriminatoire de l'aide octroyée exclusivement au CELF, en ce sens qu'elle n'est pas accordée de manière égale à tous les exportateurs de livres en langue française sur la base de critères objectifs et non discriminatoires. Or, la Commission affirme que cette discrimination ne viole pas d'autres dispositions du traité CE, notamment les articles 48, 52, 59 et 95. Elle se serait assurée que le CELF est ouvert à la participation de tous les éditeurs francophones de la Communauté, ce qui indiquerait que le système mis en œuvre par les autorités françaises ne comporte pas de discrimination fondée sur le lieu d'établissement des éditeurs qui peuvent bénéficier de ses interventions.

53 La Commission estime, en conclusion, qu'elle a rempli ses obligations au titre de l'examen de la compatibilité des aides avec le marché commun, prévu par les articles 92 et 93 du traité. Elle aurait, en premier lieu, vérifié que l'aide accordée au CELF poursuit un objectif culturel légitime, lequel d'ailleurs n'est pas contesté par la requérante, et que l'aide est nécessaire pour atteindre cet objectif. Elle aurait ensuite mis en balance l'objectif légitime poursuivi et les effets de l'aide sur la concurrence et sur les échanges. Dans le cadre de cette deuxième analyse, elle aurait conclu qu'il n'y avait pas une restriction sensible de la concurrence et des échanges intracommunautaires. Elle considère donc qu'elle disposait des éléments suffisants pour appliquer à cette aide la dérogation énoncée à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité.

54 Le Gouvernement français, partie intervenante, rappelle les points 33 et 34 de l'arrêt Matra/Commission, précité, et conclut que la Commission n'était pas tenue d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité. Il estime que, comme la Commission l'a affirmé, le premier examen n'a pas révélé de difficultés de nature à justifier l'ouverture d'une telle procédure, les précisions qui ont été demandées aux autorités françaises n'ayant pas un caractère exceptionnel dans le cadre de cette première appréciation.

55 Le Gouvernement français rejette, en tout état de cause, les allégations de la requérante, qui accuse les autorités françaises d'apporter leur soutien à une entente dont se rendraient coupables les éditeurs réunis au sein du CELF. Il souligne que la SIDE n'a pas apporté d'éléments suffisants pour établir l'existence soit d'une coordination du comportement concurrentiel ou d'une restriction de la concurrence entre ces éditeurs, soit d'une violation de l'article 86 du traité de la part du CELF. Le Gouvernement français rejette également l'argument que la requérante croit pouvoir tirer du rôle joué par le CELF dans la gestion des trois autres régimes d'aides. Il affirme que cette coopérative se limite à appliquer les critères d'attribution des subventions qui ont été définis par l'autorité publique et qu'elle n'a jamais disposé d'une marge d'appréciation pour accorder ou refuser le bénéfice des aides en cause.

56 Il fait remarquer, par ailleurs, que les apports en capital faits au CELF par les autorités françaises ne sont pas en cause dans la présente espèce, qui concerne le régime de soutien à l'exportation du livre francophone. Selon le Gouvernement français, la seule participation des pouvoirs publics au capital du CELF s'élève à 500 FF et ne saurait sérieusement être considérée comme susceptible de constituer une aide.

57 En réponse aux arguments de la requérante concernant le caractère discriminatoire de sa décision d'octroyer l'aide en cause exclusivement au CELF, le Gouvernement français considère que les articles 92 et 93 du traité n'interdisent pas aux États membres d'accorder des aides individuelles et ne les privent pas de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire dans la mise en œuvre d'un régime d'aide. Il fait valoir, en outre, que cette décision est justifiée par le souci de garantir la réalité de l'affectation des fonds publics apportés au soutien des petites commandes d'ouvrages francophones par des libraires étrangers. Le Gouvernement français affirme qu'il n'exclut pas la possibilité d'octroyer à la SIDE une aide similaire à celle reçue par le CELF. Il estime néanmoins que, pour le moment, la requérante, contrairement au CELF, ne lui donne aucune assurance qu'elle utiliserait une éventuelle aide aux fins de soutenir la diffusion de livres rédigés en langue française.

Appréciation du Tribunal

58 Il convient de rappeler que, appelée à se prononcer sur la légalité de décisions autorisant des aides d'État prises par la Commission au terme de l'examen préliminaire prévu à l'article 93, paragraphe 3, du traité, la Cour a, dans son arrêt Allemagne/Commission, précité (point 13), formulé le principe selon lequel la procédure de l'article 93, paragraphe 2, "qui donne aux autres États membres et aux milieux concernés la garantie de pouvoir se faire entendre et qui permet à la Commission d'être complètement éclairée sur l'ensemble des données de l'affaire avant de prendre sa décision, revêt ... un caractère indispensable dès que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si un projet d'aide est compatible avec le marché commun. Il faut en déduire que la Commission ne peut s'en tenir à la phase préliminaire de l'article 93, paragraphe 3, pour prendre une décision favorable à un projet d'aides que si elle est en mesure d'acquérir la conviction, au terme d'un premier examen, que ce projet est compatible avec le traité. Par contre, si ce premier examen a conduit la Commission à acquérir la conviction contraire, ou même n'a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l'appréciation de la compatibilité de ce projet avec le marché commun, la Commission a le devoir de s'entourer de tous les avis nécessaires et d'ouvrir, à cet effet, la procédure de l'article 93, paragraphe 2".

59 Au point 30 de son arrêt Cook/Commission, précité, la Cour a précisé qu'"il appartient à la Commission de déterminer, sous le contrôle de la Cour, en fonction des circonstances de fait et de droit propres à l'affaire, si les difficultés rencontrées dans l'examen de la compatibilité de l'aide nécessitent l'ouverture de cette procédure".

60 Il convient, par conséquent, d'examiner les appréciations sur lesquelles s'est fondée la Commission pour adopter une décision favorable au terme de la phase préliminaire d'examen, afin de déterminer si, face aux objections qui ont été soulevées en raison des prétendus effets anticoncurrentiels des aides litigieuses, elles présentaient des difficultés de nature à justifier l'ouverture de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2. L'existence éventuelle de ces difficultés doit être évaluée par le Tribunal d'une manière objective, en mettant en rapport les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission disposait lorsqu'elle s'est prononcée sur la compatibilité des aides litigieuses avec le marché commun.

61 La décision attaquée applique la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, en se basant, d'une part, sur le but culturel des régimes d'aides en question et, d'autre part, sur la situation particulière de la concurrence dans le secteur du livre. Au vu de cette motivation, le Tribunal doit examiner, en premier lieu, si la Commission a pu vérifier que l'objectif poursuivi par les autorités françaises est effectivement d'ordre culturel et, en second lieu, si elle a procédé à une analyse économique du secteur concerné lui permettant de conclure que l'octroi des aides litigieuses n'affecte pas les conditions de la concurrence et des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.

62 Pour ce qui est du but culturel des aides litigieuses, il est constant entre les parties que l'objectif poursuivi par le Gouvernement français est la diffusion de la langue et de la littérature françaises. A cet égard, le Tribunal constate également que les éléments dont disposait la Commission lorsqu'elle a adopté sa décision, y compris ceux contenus dans la lettre du conseil de la requérante du 7 septembre 1992, étaient de nature à étayer l'appréciation qu'elle a portée sur la réalité et la légitimité de cet objectif. Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que l'appréciation de l'objectif des aides litigieuses ne posait pas à la Commission des difficultés particulières et qu'il ne lui était pas nécessaire d'obtenir d'autres renseignements pour reconnaître le caractère culturel de cet objectif.

63 En ce qui concerne l'appréciation des effets des aides litigieuses sur les conditions de la concurrence et sur le commerce intracommunautaire, le Tribunal estime qu'il y a lieu de distinguer, d'une part, les trois régimes d'aides gérés par le CELF et, d'autre part, la subvention qui est accordée exclusivement à celui-ci pour compenser le surcoût de traitement des petites commandes.

64 En effet, il ressort du dossier que, s'agissant de l'examen de la compatibilité des trois régimes d'aides susmentionnés avec le marché commun, la Commission avait obtenu des autorités françaises des informations suffisantes pour justifier la constatation que leur impact sur le fonctionnement de la concurrence et le commerce entre États membres était négligeable. Il convient de rappeler qu'aucun des trois régimes d'aides ne visait les exportations de livres à destination d'autres États membres et qu'il était possible à tout opérateur remplissant les conditions spécifiques établies par ces régimes d'introduire auprès du CELF des demandes de subvention.

65 Certes, lors de la procédure écrite, la requérante a fait valoir que le contrôle exercé par le CELF sur la distribution de ces aides renforçait la position dominante de celui-ci sur le marché pertinent, notamment parce que les concurrents du CELF étaient obligés de lui révéler des secrets d'affaires pour obtenir des subventions et que l'ensemble du système d'octroi des aides en question manquait de transparence. Le Tribunal constate, cependant, que cette argumentation de la requérante est infirmée par plusieurs éléments constants du dossier. En premier lieu, il en ressort que la requérante a pu trouver, de commun accord avec le CELF, une solution lui permettant de bénéficier, elle aussi, de l'aide au sac postal aérien, sans être obligée de lui communiquer des données qu'elle considère comme sensibles. En deuxième lieu, il convient de rappeler que le CELF ne gère plus, depuis 1993, deux de ces régimes d'aides et, particulièrement, l'aide au transport aérien dont la requérante entendait bénéficier. En troisième lieu, le Gouvernement français a établi que le CELF ne disposait d'aucune marge d'appréciation dans la distribution des subventions prévues par ces régimes. Enfin, la requérante n'a avancé aucun élément pour démontrer que l'octroi de ces trois régimes d'aides est susceptible d'affecter le commerce entre États membres ni n'a expliqué en quoi il lui fait grief, ce qui conforte la décision favorable prise à cet égard par la Commission.

66 Au vu de l'ensemble de ce qui précède, il y a lieu de constater que la Commission était en mesure d'adopter une décision favorable à l'égard des régimes d'aides gérés par le CELF et de rejeter comme non fondée l'argumentation de la requérante visant à remettre en question la décision attaquée en ce qui concerne la compatibilité avec le marché commun de ces trois régimes d'aides.

67 Quant à l'aide accordée exclusivement au CELF, il convient de rappeler que la requérante a avancé plusieurs arguments visant à soutenir que la Commission aurait dû procéder à un examen approfondi des conditions de la concurrence dans le secteur concerné avant de se prononcer sur la compatibilité de cette aide avec le marché commun. Elle a notamment attiré l'attention du Tribunal sur le fait que la Commission n'aurait pas été suffisamment éclairée sur certaines données essentielles, à savoir, entre autres, les caractéristiques du marché pertinent, les montants précis de la subvention en question et l'ensemble des relations liant le CELF et ses membres aux pouvoirs publics français. Le Tribunal a, en conséquence, jugé utile de poser aux parties, et en particulier à l'institution défenderesse, des questions écrites visant à vérifier la réalité des données de fait sur lesquelles ses appréciations se fondaient.

68 Or, le Tribunal constate que les réponses données par la Commission à ces questions ne sont pas de nature à écarter les doutes qui ont été soulevés par la requérante et révèlent à plusieurs égards l'insuffisance des informations ayant déterminé la décision attaquée. En effet, la Commission a indiqué qu'elle ne disposait pas des données chiffrées concernant le pourcentage d'ouvrages en langue française édités hors de France et bénéficiant de l'aide accordée au CELF, ni de celles concernant l'ensemble de l'offre éditoriale en langue française des pays francophones autres que la France. Elle ne disposait pas non plus des chiffres concernant les parts relatives des exportations de livres français qui sont assurées, d'une part, par les commissionnaires à l'exportation et, d'autre part, par les éditeurs ou leurs filiales de distribution. La Commission n'a pas davantage pu fournir au Tribunal des chiffres concernant les flux des exportations à destination, respectivement, des pays et zones francophones et des pays et zones non francophones. En ce qui concerne l'intensité de l'aide et le pourcentage que représentent les ventes subventionnées par rapport aux exportations totales de livres français, ses réponses se sont basées uniquement sur les chiffres avancés dans le mémoire en intervention du Gouvernement français. Quant au raisonnement qui l'aurait conduite à exclure que l'octroi de l'aide puisse aboutir à un résultat contraire aux articles 85 et 86 du traité, les précisions données par la Commission renvoient aussi pour l'essentiel aux affirmations de la partie intervenante, selon lesquelles le CELF ne participerait qu'à hauteur de 2,25 % au chiffre d'affaires global de l'exportation du livre hors de France.

69 La teneur des réponses de la Commission met en évidence les difficultés sérieuses que présente l'appréciation de la situation de la concurrence dans le secteur de l'exportation du livre. Il convient toutefois de relever d'autres éléments permettant au Tribunal de conclure que la Commission n'a pas pu surmonter ces difficultés, lesquelles persistaient encore à l'issue de la procédure devant le Tribunal.

70 Tout d'abord, le Tribunal souligne que la Commission a elle-même reconnu, au cours de la procédure orale, qu'elle ne disposait pas de données précises lui permettant de délimiter le marché pertinent.Dans ce contexte, l'institution défenderesse a soutenu qu'il appartient à la requérante d'établir l'existence d'un sous-marché spécifique pour la commission à l'exportation et a avancé l'argument selon lequel la Commission n'est tenue de mener une enquête approfondie sur les conditions du marché que lorsque des informations détaillées lui sont fournies au stade de la procédure administrative.

71 Le Tribunal, sans méconnaître l'ampleur et la difficulté de la tâche qui est imposée par le traité à la Commission en matière d'examen d'aides d'État, estime, néanmoins, qu'aucun de ces deux arguments ne peut être retenu dans un cas comme celui de l'espèce. En effet, l'argumentation de la Commission revient à exiger que les concurrents d'entreprises bénéficiaires d'une aide étatique non notifiée lui fournissent des données auxquelles, dans la plupart des cas, ils n'ont pas accès et qu'ils ne peuvent obtenir que par l'intermédiaire de la Commission elle-même, auprès des États membres qui accordent ces aides. En outre, lorsque la Commission décide de poursuivre l'examen d'une plainte sans mettre en cause l'existence d'un intérêt communautaire suffisant, et que cette plainte suscite des doutes sérieux quant à la compatibilité de l'aide avec le marché commun, il ne paraît pas excessif ou déraisonnable de considérer qu'elle est tenue d'ouvrir une enquête contradictoire lui permettant d'être éclairée sur les aspects essentiels du problème avant de prendre une décision.

72 Il convient d'observer, ensuite, que, même si la requérante n'a soulevé explicitement la question d'éventuelles violations des articles 85 et 86 du traité qu'au stade de la procédure contentieuse, la Commission doit cependant être en mesure d'examiner si le bénéficiaire de l'aide est ou non en situation de contrevenir à ces dispositions du traité. En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour (voir l'arrêt Matra/Commission, précité, point 42) que cette obligation, pour la Commission, "de respecter la cohérence entre les articles 92 et 93 et d'autres dispositions du traité s'impose tout particulièrement, dans l'hypothèse où ces autres dispositions visent également, comme en l'espèce, l'objectif d'une concurrence non faussée dans le marché commun". Or, dans la présente espèce, la Commission n'a pas pu démontrer qu'elle a eu l'occasion d'acquérir "la conviction, fondée sur l'analyse économique de la situation, entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation, que le bénéficiaire de l'aide ne se trouve pas en situation de contrevenir aux articles 85 et 86 du traité" (voir point 45 de l'arrêt Matra/Commission, précité).

73 Par ailleurs, l'argument tiré par la Commission d'une non-concordance, à cet égard, entre la plainte que lui a adressée la requérante et le recours que celle-ci a introduit devant le Tribunal ne saurait être accueilli. Il y a lieu de relever que, dans le cas d'espèce, la Commission n'a pas engagé de procédure contradictoire avant d'adopter sa décision. Par conséquent, elle n'a pas reconnu à la requérante le droit de faire valoir son point de vue sur tous les éléments constants du dossier, notamment sur les informations complémentaires transmises par le Gouvernement français. Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la Commission n'est pas fondée à exiger que la requérante se conforme à une règle de concordance stricte, comme celle reconnue par la jurisprudence en matière de recours de fonctionnaires (voir, entre autres, les arrêts du Tribunal du 3 mars 1993, Booss et Fischer/Commission, T-58-91, Rec. p. II-147, du 30 mars 1993, Vardakas/Commission, T-4-92, Rec. p. I-357, et du 26 octobre 1993, Reinarz/Commission, T-6-92 et T-52-92, Rec. p. II-1047), entre les moyens invoqués dans le cadre de la procédure administrative et ceux développés dans la requête.

74 Enfin, le Tribunal considère que la Commission a encore démontré l'insuffisance des éléments dont elle disposait en attribuant une importance excessive à la question de savoir si tous les éditeurs francophones, indépendamment de leur lieu d'établissement, pouvaient devenir membres du CELF. Il convient d'observer que l'aide octroyée au CELF vise à subventionner les opérations d'exportation réalisées par cette coopérative et ne peut donc bénéficier aux éditeurs que d'une façon indirecte. Par conséquent, la seule confirmation d'une absence de discrimination formelle à l'encontre des éditeurs non établis en France n'aurait pas dû suffire à la Commission pour exclure que l'octroi de l'aide puisse restreindre la concurrence sur le marché de l'exportation. D'une part, il ressort du dossier que tous les éditeurs de livres en langue française peuvent, en tant que fournisseurs, profiter indirectement de la subvention lorsque des ouvrages édités par eux sont commandés au CELF, la qualité de membre n'apportant aux éditeurs aucun avantage spécifique quant à l'utilisation de l'aide. Il en ressort, d'autre part, que les ventes de livres non édités en France n'excèdent pas 4 % du total du chiffre d'affaires réalisé par le CELF et que, malgré l'ouverture de la coopérative à la participation d'éditeurs non français, un seul éditeur belge est devenu coopérateur, ceci par l'entremise d'une filiale établie en France.

75 Il en résulte que, dans des circonstances comme celles de la présente espèce, où la Commission a entendu se fonder sur la situation particulière de la concurrence dans le secteur du livre pour autoriser l'aide en question, elle aurait dû disposer d'éléments plus complets sur cette situation et ne pas se limiter à ceux qui lui ont été transmis lors de la phase préliminaire d'examen de l'article 93, paragraphe 3, du traité. Comme la Cour l'a jugé dans son arrêt Cook/Commission, précité (point 38), "il lui appartenait d'ouvrir la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité, ceci afin de vérifier, après avoir recueilli tous les avis nécessaires, le bien-fondé de son appréciation qui était de nature à soulever des difficultés sérieuses".

76 La Commission n'ayant pas respecté l'obligation d'engager la procédure contradictoire de l'article 93, paragraphe 2, il y a donc lieu d'accueillir la première branche du troisième moyen invoqué par la requérante et d'annuler la décision, pour autant qu'elle concerne l'aide accordée exclusivement au CELF pour compenser le surcoût de traitement des petites commandes de livres en langue française passées par des libraires établis à l'étranger.

77 Il convient pour le Tribunal d'examiner, en outre, la deuxième branche de ce moyen, étant donné que la requérante soutient que la Commission était également tenue d'exiger du Gouvernement français la suspension immédiate du versement de l'aide et le recouvrement des montants octroyés en violation de l'obligation de notification prévue à l'article 93, paragraphe 3, du traité.

Quant à la deuxième branche du troisième moyen, tirée d'une violation de l'article 93, paragraphe 3, et de l'article 155 du traité

Argumentation des parties

78 La requérante fait valoir que la Commission a violé l'article 93, paragraphe 3, et l'article 155 du traité, en n'enjoignant pas au Gouvernement français de suspendre l'exécution de l'aide et en n'exigeant pas qu'il ordonne sa restitution. Selon la SIDE, il découlerait de la communication de la Commission du 24 novembre 1983 (JO 1983, C 318, p. 3) qu'une aide octroyée par un État membre sans avoir été notifiée sous forme de projet est illégale, aucune exception à l'obligation d'informer la Commission n'étant prévue par le traité. Pour accomplir la mission qui lui est impartie par l'article 155, la Commission aurait alors dû, en application de la jurisprudence dite "Boussac" (arrêt de la Cour du 14 février 1990, C-301-87, France/Commission, Rec. p. I-307), enjoindre au Gouvernement français de suspendre le versement de l'aide, en attendant le résultat de l'examen de sa compatibilité, et de récupérer les aides octroyées illégalement. En se bornant à regretter la violation de l'article 93, paragraphe 3, par l'État membre en cause, la Commission aurait privé cette disposition de son effet utile et manqué à ses propres obligations. Toujours selon la requérante, la jurisprudence que la Commission cite dans son mémoire en défense, et qui reconnaît le pouvoir des juridictions nationales d'ordonner le remboursement des aides octroyées illégalement, ne délie pas la Commission de ses obligations en la matière.

79 La Commission ne partage pas l'avis de la requérante en ce qui concerne l'obligation de prendre une décision d'injonction à l'encontre du Gouvernement français. Elle estime que la jurisprudence "Boussac" n'exige pas que la Commission enjoigne automatiquement à l'État membre concerné de suspendre le versement d'une aide non notifiée. En effet, la Commission ne pourrait prendre une décision d'injonction qu'après avoir mis l'État membre concerné en mesure de s'exprimer sur la compatibilité de l'aide avec le marché commun, et au cas où cet État ne lui aurait pas fourni toutes les informations nécessaires pour pouvoir apprécier cette compatibilité.

80 Quant au remboursement de l'aide, la Commission fait valoir qu'elle ne l'exige qu'en présence d'aides illégales, parce que non notifiées, qui sont également incompatibles avec le marché commun, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce. La Commission rappelle qu'en tout état de cause la requérante aurait pu, sans pour autant limiter le droit de recours qui lui est ouvert par l'article 173 du traité, exiger le recouvrement de l'aide litigieuse devant les juridictions nationales en se fondant sur l'arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon (C-354-90, Rec. p. I-5505, ci-après "arrêt Transformateurs de saumon").

81 Le Gouvernement français soutient également, sur la base des arrêts de la Cour France/Commission, précité, et du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C-142-87, Rec. p. I-959), que le pouvoir d'ordonner la suspension du versement des aides non notifiées n'est, pour la Commission, qu'une faculté qu'elle n'est pas tenue d'utiliser systématiquement à l'encontre des États membres qui n'auraient pas procédé à la notification. D'ailleurs, cette faculté ne devrait être utilisée que si, après avoir mis l'État membre concerné en mesure de s'exprimer, la Commission ne considère pas l'aide comme compatible, au fond, avec le marché commun.

82 En ce qui concerne le remboursement des aides, le Gouvernement français souligne que "la Cour n'a pas reconnu à la Commission le pouvoir de déclarer des aides illégales au seul motif que l'obligation de notifier n'a pas été respectée et sans avoir à rechercher si l'aide est ou non compatible avec le marché commun" (voir l'arrêt Transformateurs de saumon, précité, point 13). La partie intervenante en conclut que l'absence de notification n'est pas suffisante pour obliger la Commission à demander le remboursement de l'aide litigieuse, d'autant plus que, dans la présente espèce, la Commission a considéré cette aide comme compatible avec le marché commun.

Appréciation du Tribunal

83 Il convient de rappeler d'emblée que, selon la jurisprudence de la Cour, l'effet direct de l'interdiction de mise à exécution, visée par la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 93 du traité, s'étend à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être notifiée et, en cas de notification, se produit pendant la phase préliminaire et, si la Commission engage la procédure contradictoire, jusqu'à la décision finale (voir l'arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz, 120-73, Rec. p. 1471, point 8, et l'arrêt Transformateurs de saumon, précité, point 11). Toutefois, ainsi qu'il a été relevé par la Commission et par la partie intervenante, cette jurisprudence n'implique pas que la Commission soit tenue d'enjoindre automatiquement à l'État membre concerné de suspendre le versement d'une aide qui n'a pas été notifiée conformément à cet article. La Cour a en effet statué que, lorsque la Commission "constate qu'une aide a été instituée ou modifiée sans avoir été notifiée, (elle) a le pouvoir, après avoir mis l'État membre concerné en mesure de s'exprimer à cet égard, d'enjoindre à celui-ci, par une décision provisoire, en attendant le résultat de l'examen de l'aide, de suspendre immédiatement le versement de celle-ci et de fournir à la Commission, dans le délai qu'elle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour examiner la compatibilité de l'aide avec le marché commun" (voir l'arrêt France/Commission, précité, point 19). La Cour a donc reconnu à la Commission le pouvoir d'adopter une telle mesure conservatoire lorsqu'elle entame l'examen d'une aide non notifiée, mais ne lui a nullement imposé une obligation ayant le contenu allégué par la requérante.

84 En outre, s'il est vrai qu'au point 22 de l'arrêt France/Commission, précité, la Cour a également reconnu à la Commission le pouvoir d'exiger la récupération du montant d'aide déjà versé, elle ne lui a pas pour autant reconnu le pouvoir de déclarer des aides illégales au seul motif que l'obligation de notifier n'a pas été respectée par l'État membre concerné et sans que la compatibilité de l'aide en question avec le marché commun soit examinée, notamment au regard de l'article 92, paragraphe 3 (voir les arrêts France/Commission, Belgique/Commission et Transformateurs de saumon, précités). A la lumière de cette jurisprudence, force est de constater que la Commission n'était pas tenue d'exiger le recouvrement du montant de l'aide déjà versée, bien qu'il ait été octroyé par le Gouvernement français en violation de l'obligation énoncée à l'article 93, paragraphe 3, du traité.

85 Cette constatation est confirmée par l'arrêt Transformateurs de saumon, précité, dans lequel la Cour a expliqué qu'il y a une différence fondamentale entre "le rôle central et exclusif réservé par les articles 92 et 93 à la Commission" et celui qui incombe aux juridictions nationales. "Alors que la Commission est tenue d'examiner la compatibilité de l'aide ... avec le marché commun, même dans les cas où l'État membre méconnaît l'interdiction de mise à exécution des mesures d'aide, les juridictions nationales, elles, ne font que sauvegarder, jusqu'à la décision finale de la Commission, les droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l'interdiction visée à l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité" (voir point 14 de l'arrêt susmentionné). La Cour a, en outre, constaté que, "sous peine de porter atteinte à l'effet direct de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité et de méconnaître les intérêts des justiciables que les juridictions nationales ont, comme il a été dit ci-avant, pour mission de préserver, ladite décision finale de la Commission n'a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d'exécution qui étaient invalides du fait qu'ils avaient été pris en méconnaissance de l'interdiction visée par cet article. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l'inobservation, par l'État membre concerné, du paragraphe 3, dernière phrase, de cet article et le priverait de son effet utile" (voir point 16).

86 Il s'ensuit que, contrairement à l'argumentation développée par la requérante, lorsque la Commission n'exerce pas son pouvoir d'injonction pour exiger la restitution d'une aide non notifiée, la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 93 du traité n'est pas pour autant privée d'effet utile. Étant donné que la Cour a reconnu l'effet direct de cette disposition, les justiciables peuvent obtenir auprès des juridictions nationales la sauvegarde de leurs droits.Par ailleurs, ainsi qu'il a été précisé dans l'arrêt Transformateurs de saumon, précité, même au cas où la décision finale de la Commission déclare les aides compatibles avec le marché commun, les juridictions nationales peuvent être appelées à sanctionner l'invalidité des actes d'exécution pris par les autorités étatiques en méconnaissance de la disposition du traité susvisée.

87 Dans ces conditions, il convient de rejeter la deuxième branche du troisième moyen invoqué par la requérante. Le Tribunal ayant précédemment accueilli la première branche de ce moyen et annulé la décision de la Commission pour violation des règles de procédure, il n'est plus nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués par la requérante à l'appui de son recours.

Sur les dépens

88 En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon le paragraphe 3 du même article, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La Commission ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, deux tiers des dépens exposés par la requérante. Celle-ci supportera ainsi un tiers de ses propres dépens.

89 Conformément à l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, la partie intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête:

1°) La décision de la Commission, du 18 mai 1993, déclarant compatibles avec le marché commun certaines aides (NN 127-92) accordées par le Gouvernement français aux exportateurs de livres en langue française, est annulée, pour autant qu'elle concerne la subvention accordée exclusivement au CELF pour compenser le surcoût de traitement des petites commandes de livres en langue française passées par des libraires établis à l'étranger.

2°) Le recours est rejeté pour le surplus.

3°) La Commission supportera ses propres dépens ainsi que deux tiers des dépens exposés par la requérante.

4°) La requérante supportera un tiers de ses propres dépens.

5°) La République française, partie intervenante, supportera ses propres dépens.