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Décisions

CA Besançon, 1re ch. civ., 28 octobre 1993, n° 91-1764

BESANÇON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bertoncini

Défendeur :

Guinchard, Plâtres Lambert (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Waultier

Juges :

MM. Déglise, Polanchet

Avoués :

Mes Lévy, Economou, SCP Leroux-Meunier

Avocats :

Mes Maître, Maucande, SCP Charmont-Uzan.

TGI Dôle, du 21 mai 1991

21 mai 1991

EXPOSE DES FAITS ET RAPPEL DE LA PROCEDURE ANTERIEURE

Monsieur Marcel Guinchard, propriétaire d'un immeuble à Sirod (39) a confié, en 1977, à Monsieur Bertoncini, entrepreneur de plâtrerie-peinture à Vannoz (39), des travaux sur les façades de son pavillon, exécutés en octobre 1997 et facturés le 22 décembre 1977; l'entrepreneur a mis en œuvre un enduit "Lutèce Projext", commercialisé par la société Lambert Industries, cet enduit devant assurer l'étanchéité des façades.

Des dégradations étant apparues sur les façades provoquant des infiltrations selon Monsieur Guinchard, ce dernier invitait dans un premier temps Monsieur Bertoncini, par lettre en date du 28 mai 1984, à remédier à ces désordres puis, dans un second temps, la société Lambert Industries, par lettre recommandée, dont l'accusé de réception était signé le 24 novembre 1986, Monsieur Guinchard précisant à cette société que l'entrepreneur avait quitté la région et n'était pas assuré en "responsabilité civile décennale".

La société Lambert répondait le 27 novembre 1986, qu'en vertu d'accords de fin 1982, le Marc assurait le suivi de ce dossier enregistré sous le n° C0850010745.

Monsieur Guinchard, par l'intermédiaire de son assureur, intervenait à nouveau auprès de la société Lambert, par lettre du 10 août 1987, et lui demandait de procéder directement à son indemnisation, le Marc n'assurant en fait aucun suivi au motif que l'artisan en cause n'était pas assuré en décennale.

N'ayant pas obtenu satisfaction, Monsieur Guinchard assignait alors en référé Monsieur Bertoncini les 7 janvier 1989 et 8 février 1989 et la société Lambert, le 6 février 1989, aux fins d'expertise; le président du Tribunal de grande instance de Dôle, le 21 février 1989, désignait Monsieur Besana comme expert, l'ordonnance étant réputée contradictoire, en l'absence des défendeurs.

L'expert, dans son rapport daté du 27 octobre 1989 constatait les désordres et mettait en cause le mauvais vieillissement du produit utilisé, le Lutèce Projext, ce problème étant bien connu des professionnels, la commercialisation de ce type d'enduit ayant d'ailleurs été abandonnée; l'expert excluait toute faute de mise en œuvre et précisait que ce désordre constituait un vice grave susceptible de rendre l'immeuble impropre à sa destination, l'étanchéité normale des murs n'étant plus assumée.

Monsieur Guinchard assignait alors au fond Monsieur Bertoncini, désormais domicilié à Charix (01) par acte en date du 18 avril 1990, et la société Lambert Industries par acte en date du 10 avril 1990, aux fins de les voir déclarés solidairement responsables des désordres constatés dans son immeuble, et de les voir condamnés notamment au paiement des travaux de réfection.

Par acte du 30 octobre 1990, Monsieur Bertoncini assignait la société Lambert Industries en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre lui.

Le Tribunal de grande instance de Dôle, par jugement du 21 mai 1991, faisait droit à ces demandes et condamnait:

- d'une part Jean-Claude Bertoncini et la société Lambert Industries, in solidum à payer à Marcel Guinchard la somme de 50 485 F au titre des travaux de réfection, celle de 2 000 F au titre du trouble de jouissance, et celle de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- d'autre part la société Lambert Industries à garantir Jean-Claude Bertoncini de l'ensemble des condamnations.

L'exécution provisoire des condamnations a en outre été prononcée.

Le tribunal, sur le fondement des articles 1792, 1792-1, 1792-2 et 1792-4 du Code civil a retenu d'une part que la présomption de responsabilité de l'entrepreneur n'était pas écartée, faute de preuve d'une causé étrangère, et d'autre part que le fabricant de l'enduit "Lutèce Projext" était solidairement responsable des obligations mises à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en œuvre sans modification cet enduit, conformément aux règles édictées par le fabricant.

Le tribunal avait au préalable écarté des débats des conclusions déposées le 5 février 1991 au nom de Monsieur Bertoncini par un second avocat, alors que la première constitution subsistait; la prescription avait été soulevée par le second avocat, et le tribunal n'a pas suppléé d'office le moyen résultant de la prescription, ce moyen n'étant pas présenté par l'avocat seul constitué.

Par déclaration au greffe de la cour, enregistrée le 25 juillet 1991, Monsieur Jean-Claude Bertoncini a interjeté appel de ce jugement (n° 1764-91).

Le 3 octobre 1991, la SA Plâtres Lambert, venant aux droits de la SA Lambert Industries, a également interjeté appel de ce jugement (n° 1867-91).

La jonction de ces deux affaires a été prononcée par le conseiller de la mise en état le 31 décembre 1991, l'instance se poursuivant sous le n° 1764-91.

EXAMEN DES PRETENTIONS DES PARTIES

Monsieur Bertoncini, par conclusions visées le 25 novembre 1991 et le 15 avril 1993, demande à la cour de déclarer nul le jugement entrepris aux motifs que le tribunal avait soulevé l'irrecevabilité de la demande tendant à la prescription dans les conclusions du 5 février 1991, qui ont été écartées, le principe de la contradiction n'ayant pas été respecté; il soutient d'autre part que le tribunal pouvait d'office soulever la prescription décennale qui est d'ordre public.

Monsieur Bertoncini demande à la cour de constater que ]a réception de l'ouvrage est du 22 décembre 1977 et que l'assignation en référé est du 7 janvier 1989, l'action engagée par Monsieur Guinchard étant dès lors irrecevable; il conteste toute reconnaissance de responsabilité.

Subsidiairement, si la cour lui laisse une part de responsabilité, il demande la réduction du montant des indemnités demandées au titre du trouble de jouissance et de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et la garantie de la SA Plâtres Lambert.

Par conclusions visées le 3 février 1992, le 1er juin 1992 et le 17 novembre 1992, la société Plâtres Lambert demande à la cour de réformer le jugement entrepris et de déclarer tant Monsieur Guinchard que Monsieur Bertoncini irrecevables en leurs demandes respectives à son encontre, les actions étant prescrites; elle sollicite en outre la condamnation de Monsieur Guinchard et de Monsieur Bertoncini, chacun, à une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Dans ses dernières écritures, elle soutient en effet que seule la qualification de vice caché peut être retenue et servir de fondement aux deux actions qui devaient être engagées dans un bref délai; subsidiairement, si la cour considère que les vices inhérents à l'enduit Lutèce Projext relèvent de la non-conformité de la chose vendue, la SA Plâtres Lambert soutient que les actions tant principale que récursoire sont irrecevables sur le fondement de l'article 189 bis du Code de commerce, la prescription décennale étant applicable entre commerçants et non-commerçants Et les actions ayant un fondement contractuel et non délictuel.

Monsieur Marcel Guinchard, par conclusions visées le 27 mars 1992 et le 16 octobre 1992, sollicite la confirmation du jugement entrepris, en y ajoutant la condamnation solidaire de la société Plâtres Lambert et de Monsieur Bertoncini à lui payer les sommes de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et de 10 000 F au titre des frais irrépétibles; à titre subsidiaire, il soutient qu'il bénéficie en tant que maître de l'ouvrage, d'une action directe à l'encontre de la société Plâtres Lambert en raison de la non conformité de la chose livrée, action soumise à la prescription de droit commun; il demande en conséquence à la cour de constater que l'origine des désordres ressort de la commercialisation par la société Plâtres Lambert d'un produit impropre à son usage, cette société devant être condamnée à réparer l'intégralité des désordres constatés ainsi que le préjudice subi par Monsieur Guinchard, tel que fixé par le premier juge; il demande en plus, la condamnation de cette société au paiement de la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts, et de la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mai 1993.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que le jugement entrepris n'encourt pas la nullité contrairement à ce que soutient Monsieur Bertoncini, ce dernier ayant manifestement commis une erreur en constituant deux avocats en première instance au mépris des articles 414 et 419 du nouveau Code de procédure civile, alors que le juge de la mise en état avait invité Monsieur Bertoncini à régulariser la procédure le 5 février 1991 pour le 12 mars 1991; qu'en ne régularisant pas la procédure, Monsieur Bertoncini devait s'attendre à ce que seules les conclusions de l'avocat constitué en premier soient retenues;

Attendu d'autre part, que l'article 2223 du Code civil dispose que les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription; que le tribunal ne pouvait donc d'office soulever la prescription, une partie ayant toujours la possibilité de renoncer, ne fût-ce que tacitement, à la prescription, en application de l'article 2220 du Code civil;

Sur l'action dirigée à l'encontre de Monsieur Bertoncini:

Attendu que l'article 2224 du Code civil dispose que la prescription peut être opposée en tout état de cause même devant la cour d'appel, à moins que la partie qui n'aurait pas opposé le moyen de prescription ne doive, par les circonstances, être présumée y avoir renoncé;

Attendu que Monsieur Bertoncini, présumé responsable du désordre susceptible de rendre l'immeuble impropre à sa destination, soulève en cause d'appel la prescription de l'action décennale, l'acte interruptif de prescription étant constitué par l'assignation en référé en date du 7 janvier 1989 alors que la réception des travaux date de la facture du 22 décembre 1977;

Attendu qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure d'acte manifestant de façon non équivoque la volonté de Monsieur Bertoncini de renoncer à la prescription, bien que ce dernier ait été avisé dès 1984 de la survenance de désordres; que Monsieur Guinchard a d'ailleurs réagi à l'absence de réponse de l'entrepreneur en se mettant directement en rapport avec la société Lambert Industries, et en mettant en cause le produit commercialisé par celle-ci, alors que l'entrepreneur n'a commis aucune faute de mise en œuvre, ainsi que cela résulte de l'expertise;

Attendu que l'action engagée par Monsieur Guinchard à l'encontre de Monsieur Bertoncini doit dès lors être déclarée irrecevable, et que l'action en garantie de Monsieur Bertoncini à l'égard de la SA Plâtres Lambert est sans objet; que le jugement entrepris sera infirmé en ce qui concerne Monsieur Bertoncini;

Sur l'action dirigée à l'encontre de la SA Plâtres Lambert:

Attendu que les travaux effectués en 1977 l'ont été sous l'empire de la loi n° 67-3 du 3 janvier 1967, et sont, au sens de l'article R. 111-26 du Code de la construction et de l'habitation, des gros ouvrages, les revêtements des murs étant en effet des éléments qui assurent l'étanchéité;

Attendu que l'expert a clairement précisé que le produit utilisé par l'entrepreneur, à savoir le Lutèce Projext, du fait d'un mauvais vieillissement, rendait l'immeuble impropre à sa destination "l'étanchéité normale les murs n'étant plus assumée"; que la SA Plâtres Lambert, venant aux droits de la SA Lambert Industries, est donc seule responsable des désordres survenus sur l'immeuble appartenant à Monsieur Guinchard;

Attendu que sous l'empire de la loi de 1967, le maître de l'ouvrage peut rechercher directement la responsabilité des fournisseurs et: du fabricant des matériaux, l'action directe étant alors fondée sur l'article 1382 du Code civil, et la prescription étant trentenaire;

Attendu qu'en l'espèce la faute de la SA Plâtres Lambert est établie par l'expert, le produit fabriqué et livré par cette société étant défectueux; que la prescription de 30 ans est loin d'être acquise et que la SA Plâtres Lambert devra en conséquence payer à Monsieur Guinchard la somme de 50 485 F au titre des travaux de réfection, celle de 2 000 F au titre du trouble de jouissance et celle de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel; que la demande de dommages-intérêts supplémentaires de Monsieur Guinchard n'est pas justifiée, d'autant plus que la décision entreprise était assortie de l'exécution provisoire; que Monsieur Guinchard sera en outre débouté de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à l'encontre de Monsieur Bertoncini;

Que la SA Plâtres Lambert sera déboutée de ses demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile dirigées à l'encontre de Monsieur Guinchard et de Monsieur Bertoncini;

Attendu que la SA Plâtres Lambert sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel à l'exception de ceux relatifs à l'action dirigée à l'encontre de Monsieur Bertoncini, qui resteront à la charge de Monsieur Guinchard.

Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire, après débats publics et après en avoir délibéré; Reçoit les appels jugés réguliers de Monsieur Jean-Claude Bertoncini et de la SA Plâtres Lambert, venant aux droits de la SA Lambert Industries, ainsi que l'appel incident de Monsieur Marcel Guinchard; Déclare irrecevable l'action engagée par Monsieur Marcel Guinchard à l'encontre de Monsieur Jean-Claude Bertoncini, la prescription décennale étant acquise; Infirme en conséquence le jugement rendu le 21 mai 1991 par le Tribunal de grande instance de Dôle en ce qu'il a retenu la responsabilité de Monsieur Jean-Claude Bertoncini; Réforme le jugement en ses autres dispositions; Statuant à nouveau, Vu le rapport d'expertise de Monsieur Besana; Dit que Monsieur Marcel Guinchard bénéficie en tant que maître de l'ouvrage d'une action directe fondée sur l'article 1382 du Code civil à l'encontre de la SA Plâtres Lambert, cette société étant à l'origine des désordres constatés sur l'immeuble appartenant à Monsieur Guinchard, en commercialisant un produit impropre à son usage, les travaux ayant été exécutés sous l'empire de la loi n° 67-3 du 3 janvier 1967 et la prescription étant trentenaire; Condamne en conséquence la SA Plâtres Lambert à payer à Monsieur Marcel Guinchard la somme de cinquante mille quatre cent quatre-vingt-cinq francs (50 485 F) au titre des travaux de réfection, et celle de deux mille francs (2 000 F) au titre du trouble de jouissance, avec intérêts au taux légal à compter du jugement en date du 21 mai 1991; Condamne en outre la SA Plâtres Lambert à payer à Monsieur Marcel Guinchard la somme de huit mille francs (8 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires; Condamne Monsieur Guinchard aux dépens de première instance et d'appel concernant l'action dirigée à l'encontre de Monsieur Jean- Claude Bertoncini, avec possibilité de recouvrement direct par Maître Lévy, Avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Cde de procédure civile; Condamne la SA Plâtres Lambert en tous les autres dépens, tant de première instance que d'appel, y compris les frais d'expertise, avec droit pour la SCP Leroux-Meunier, Avoués associés, de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.