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Décisions

CA Rouen, ch. corr., 27 mars 1995, n° 94-00559

ROUEN

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tardif

Substitut :

Général: M. Rabesandratana

Conseillers :

MM. Cardon, Gallais

Avocat :

Me Pointel

T. corr. Evreux, du 14 avr. 1994

14 avril 1994

Exposé de la situation:

M. Christian H est appelant d'un jugement rendu par le Tribunal correctionnel d'Evreux en date du 14 avril 1994 qui a déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés et l'a condamné à une amende de 15 000 F.

Cette décision devra être réformée et M. H relaxé purement et simplement des fins de la poursuite.

I°) Rappel des faits:

La société Vermadis exploite un hypermarché à l'enseigne Leclerc à Vernon.

Conformément à un usage constant dans la grande distribution, la société Vermadis procède régulièrement à des campagnes publicitaires (environ 50 campagnes par an).

A l'occasion d'une de ces campagnes dénommée "Les prix bas, c'est par ici", la Direction de la Concurrence a cru devoir dresser procès-verbal et reproche à la société Vermadis et donc à son PDG, M. H, une vente au déballage aux motifs qu'une partie des produits ayant fait l'objet de la publicité était vendue sous un barnum.

II°) Discussion:

Le tribunal pour entrer en voie de condamnation a retenu que l'élément matériel ainsi que l'élément moral étaient réunis en l'espèce.

Se faisant, le tribunal a fait une mauvaise application des principes juridiques et a méconnu les faits de l'espèce.

1°) Sur l'absence d'élément matériel:

En droit:

Pour être constitué, le délit de vente au déballage suppose que soient réunies cumulativement les quatre conditions suivantes:

- la vente au détail des marchandises neuves,

- accompagnée ou précédée de publicité,

- ayant un caractère occasionnel ou exceptionnel,

- dans des locaux non habituellement destinés au commerce.

En l'espèce:

Il est incontestable que si les deux premières conditions sont remplies, les deux dernières conditions à savoir le caractère occasionnel ou exceptionnel de la vente dans des locaux non habituellement destinés au commerce font défaut.

A°) Sur l'absence de caractère occasionnel ou exceptionnel:

Le tribunal a cru devoir déduire le caractère occasionnel ou exceptionnel de la vente du fait que celle-ci était précédée d'une publicité.

Se faisant, le tribunal a gravement méconnu les usages et pratiques en matière de distribution.

En effet, il est d'usage courant pour toute chaîne de distribution confondue de procéder très régulièrement à des campagnes publicitaires afin de capter l'attention des clients.

Chaque campagne est intitulée d'un nom "accrocheur" conformément à la vocation même de la publicité dont le but est de capter l'attention des consommateurs.

La société Vermadis participe à plus de 50 campagnes publicitaires par an !

Il s'agit donc d'une vente normale et habituelle et il importe peu que la surface de vente ait été temporairement augmentée pour des raisons techniques tenant à la présentation d'articles volumineux de jardinage, les produits proposés à la vente sous le barnum n'ayant aucun caractère occasionnel ou exceptionnel tant par leur nature que par leurs conditions de vente.

B) Sur la nature des locaux:

Le tribunal a cru relever le critère de locaux non habituellement destinés au commerce considérés du seul fait que partie des produits se trouvait sous un barnum installé pour l'occasion.

Là encore, le tribunal a gravement méconnu les faits de l'espèce.

En effet, l'adjonction d'un barnum ne peut être considérée comme un local non habituellement destiné au commerce considéré.

Au contraire, le barnum a précisément pour vocation d'augmenter la surface utile d'un bâtiment par adjonction d'une surface supplémentaire, et non de créer un autre local non habituellement ouvert au commerce.

Du fait de l'installation de ce barnum, la surface de vente du magasin s'est trouvée augmentée de 200 m² environ.

Bien plus:

- Les consommateurs accédaient à cette surface commerciale par l'entrée normale du magasin,

- et réglaient leurs produits achetés aux caisses habituelles.

- Les produits disposés sous ce barnum ne concernaient que partiellement les produits ayant fait l'objet d'une publicité.

En résumé, l'installation du barnum doit s'analyser uniquement comme une extension provisoire de surfaces de vente qui, dès lors que cette extension est limitée dans le temps, ne donne pas lieu à autorisation préalable de la Commission Départementale d'Urbanisme Commercial.

C'est donc par une dénaturation des faits et du droit que le tribunal a à tort considéré que cette extension ne revêtait pas un caractère habituel destiné au commerce considéré.

2°) Sur l'élément moral:

La Cour de cassation a rappelé que l'infraction reprochée est une infraction intentionnelle et il appartient à la partie suivante de caractériser cet élément intentionnel et notamment de démontrer que le vendeur a volontairement omis de demander l'autorisation nécessaire.

Le tribunal a cru devoir trouver la preuve de cet élément intentionnel dans le fait que en tant que PDG de la société exploitant une enseigne nationalement connue, le prévenu ne peut sérieusement soutenir avoir confondu les autorisations requises pour l'ouverture au public d'un nouvel espace et celles relatives à la vente au déballage.

Le tribunal ne caractérise pas la preuve de l'élément intentionnel du seul fait qu'il " ne pourrait être sérieusement soutenu " qu'il y ait eu confusion dans les autorisations à solliciter.

Une éventuelle erreur de droit même commise par un professionnel ne suffit pas à caractériser l'élément intentionnel.

L'article 122-3 du nouveau Code pénal prévoit en effet que " n'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru par une erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte ".

- D'une part, il est établi que M. H a sollicité les autorisations municipales nécessaires pour l'installation du barnum et a obtenu les autorisations des services de sécurité.

On voit mal pourquoi M. H qui a pris la peine de solliciter les autorisations administratives nécessaires pour installer un barnum en prolongement de son magasin existant n'aurait pas sollicité l'autorisation municipale adéquate s'il avait considéré que cette demande devait être présentée.

L'absence d'élément intentionnel résulte de ce seul fait de bon sens.

- D'autre part, le Commissaire de la Direction Départementale de la Concurrence dans son mémoire en réponse au mémoire présenté par M. H reconnaît que les faits peuvent êtres analysés sous deux angles différents soit l'analyse présentée au soutient du procès-verbal soit au contraire l'analyse défendues par M. H et caractérisant l'extension de surface de vente.

La cour notera que le commissaire de la Direction de la Concurrence n'apporte aucun élément permettant de faire privilégier une analyse juridique plutôt qu'une autre.

A tous égards, non seulement l'élément matériel fait défaut mais encore l'élément intentionnel ne peut en aucune façon être caractérisé.

Dès lors, la cour devra relaxer purement et simplement des fins de la poursuite M. H et le renvoyer sans peine ni dépens.

Il est donc demandé à la cour:

- Relaxer purement et simplement M. H des fins de la poursuite.

Il résulte de la procédure et des débats et en particulier d'un procès-verbal en date du 22 juillet 1992 dressé par la Direction Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes que les fonctionnaires de cette administration ont constaté le 29 avril 1992 que l'hypermarché Leclerc de Vernon, exploité par la société Vermadis, dont le Président Directeur Général est Christian H, avait à cette date fait dresser un chapiteau couvert (ou barnum) sur le côté droit du magasin.

Ce chapiteau, d'une surface de 200 m² se trouvait installé sur un terrain attenant à l'hypermarché et servant habituellement de parc de stationnement; il était directement accessible par l'intérieur du magasin.

Sur questions des enquêteurs, le PDG du Centre Leclerc indiquait exposer en vue de leur vente des produits s'inscrivant dans le cadre d'une opération publicitaire organisée conjointement par 31 Centres Leclerc et leur centrale d'approvisionnement.

Cette publicité était réalisée notamment grâce à des prospectus distribués dans des boîtes aux lettres et à des encarts dans la presse locale.

Les enquêteurs de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ayant demandé à voir l'autorisation municipale de vente au déballage, Christian H déclarait ne détenir qu'un avis favorable du Maire de Vernon d'installation du " barnum " à titre provisoire et un avis de même nature, sous réserve de mesures de sécurité, du capitaine des sapeurs-pompiers de Vernon.

Christian H précisait également que le chapiteau était en place depuis le début de la campagne, soit le 22 avril 1992 et devait rester jusqu'au 2 mai 1992.

Les fonctionnaires de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes constataient encore qu'étaient exposés et mis en vente sous le chapiteau des produits divers constituant des références soumises à une campagne publicitaire ainsi qu'il résultait d'un prospectus, joint en annexe 3 du procès-verbal du 22 juillet 1992 et intitulé " les 31 Centres E. Leclerc de Normandie, fêtent les prix les plus bas de l'année " la période indiquée sur le prospectus étant " du 22 avril au 2 mai 1992 ".

De tout ce qui vient d'être exposé et des pièces du dossier il résulte que:

- la vente organisée par le Centre Leclerc sous le chapiteau portait sur des marchandises neuves, dont aucun particulier n'était déjà entré en possession;ce point d'ailleurs non contesté ressortant clairement du procès-verbal de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes et d "es déclarations du prévenu,

- cette vente a été précédée et accompagnée par une campagne publicitaire sous forme de prospectus tels que décrits plus haut et d'encarts publicitaires dans les journaux locaux tels que " le gratuit " du 29 avril 1992, la " vallée de la Seine " n° 42 du 21 avril 1992 et " démoflash " du 23 avril 1992,

- la vente présentée par la publicité à grand renfort de superlatifs comme portant sur " les prix les plus bas de l'année " revêtait dans son esprit même un caractère exceptionnel et occasionnel. Occasionnel puisque clairement limitée dans le temps; exceptionnel parce que permettant au chaland de bénéficier d'un niveau de prix inhabituel et impossible à trouver en période de vente ordinaire,

- l'emplacement sur lequel se trouvait installé le chapiteau n'était, de l'aveu même du prévenu, pas habituellement destiné à ce commerce, ni même d'ailleurs au commerce en général, puisqu'il s'agissait du parc de stationnement du personnel. Par ailleurs l'argument du prévenu selon lequel ce type de chapiteau a pour fonction même d'augmenter la surface de vente est inopérant en l'espèce; la loi visant un local habituellement destiné au commerce, ce que ne saurait être le barnum qui n'est par essence même qu'une structure légère et provisoire susceptible d'abriter toute sorte de manifestations différentes.

Il y a lieu de constater en conséquence que la vente organisée le 29 avril 1992 par le Centre Leclerc de Vernon était une vente au déballage au sens entendu par la loi du 30 décembre 1906 et le décret du 26 novembre 1962 en son article 4.

A ce titre l'hypermarché en question devait être titulaire d'une autorisation délivrée par le Maire de la commune selon les formes détaillées prévues à l'article 6 du décret susvisé de 1962.

Or, ainsi qu'il a été dit plus haut, le Centre Leclerc ne disposait que d'un avis favorable en date du 13 avril 1992 du Maire de Vernon portant uniquement sur l'installation à titre provisoire du barnum.

De plus ainsi que l'a relevé le tribunal, le prévenu, " PDG d'une société anonyme au capital de 300 000 F exploitant une enseigne nationalement connue " ne peut sérieusement exciper de sa bonne foi dans la méconnaissance des textes en vigueur. De la même manière, étant un professionnel confirmé et de haut niveau du commerce de détail, il ne peut invoquer l'erreur de droit, les textes en question étant certes anciens mais toujours appliqués et de ce fait connus de tous les professionnels de ce type de commerce.

En conséquence, il échet de confirmer le jugement entrepris sur la culpabilité.

Au regard des circonstances de la cause et notamment de la particulière gravité de l'infraction commise, la peine prononcée par le tribunal loin d'être excessive doit être portée à 18 000 F d'amende.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; En la forme : Reçoit les appels; Au fond: Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré Christian H coupable des faits qui lui sont reprochés; Infirme partiellement sur la peine et condamne Christian H à une amende de 18 000 F; La présente procédure est assujettie à un droit fixe de 800 F dont est redevable Christian H; Fixe la durée de la contrainte par corps conformément à l'article 750 du Code de procédure pénale.