Cass. crim., 19 janvier 1994, n° 92-86.649
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
Mme Ferrari
Avocat général :
M. Perfetti
Avocats :
Mes Guinard, Cossa.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par S Claude, la société T, civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, du 24 novembre 1992, qui, pour publicité illicite en faveur du tabac, a notamment condamné Claude S à 30 000 francs d'amende, déclaré la société T civilement responsable et prononcé sur les intérêts civils. - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 8 et 12 de la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude S, directeur de la société T coupable d'infraction à l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme ;
" aux motifs qu'à supposer que l'emballage dont la représentation est admise, puisse être celui de la " cartouche " de cigarettes, il suffit, pour caractériser l'existence de l'infraction, de relever que la représentation sur la publicité de l'emballage des cartouches de cigarettes Rothmans ne satisfait pas aux règles définies à l'alinéa 1er de la loi du 9 juillet 1976 (sic) puisqu'elle ne se contente pas de faire mention de la dénomination du produit, de sa composition, du nom et adresse (sic) du fabricant ou du distributeur ;
" 1° alors qu'il résulte de l'article 8, alinéa 1er, de la loi du 9 juillet 1976 que, dans le cas où elle est autorisée, la publicité en faveur des produits du tabac est licite lorsqu'elle comporte, pour toute représentation graphique, celle de l'emballage du produit du tabac considéré ; que la cour d'appel, qui a constaté que la publicité ayant donné lieu aux poursuites, était constituée, l'exclusion d'autres éléments, par la représentation graphique portée sur les cartouches de paquets de cigarettes Rothmans, devait en déduire que la publicité avait un caractère licite, qui la soustrayait aux poursuites ; qu'en décidant le contraire, elle a violé les textes visés au moyen ;
" 2° alors que les dispositions de l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976 s'appliquent à la publicité en faveur des produits du tabac, dans le cas où elle est autorisée et ne concernent pas la représentation graphique qu'il est loisible au fabricant de produits du tabac, d'apposer, à titre d'ornementation, sur l'emballage de ces produits ; qu'en énonçant dès lors, pour déclarer illicite la publicité ayant donné lieu aux poursuites, que la représentation graphique, qui était celle de l'emballage, ne répondait pas elle-même aux prescriptions fixées par l'alinéa 1er de l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que la publicité consistât en la reproduction du conditionnement du produit au sens de l'alinéa 2 de cet article, a, pour cette raison encore, violé les textes visés au moyen " ;
Attendu que Claude S, directeur de publication de l'hebdomadaire T, et la société du même nom, éditrice du journal, sont poursuivis la seconde comme civilement responsable pour complicité de publicité illicite en faveur du tabac en ayant fait paraître, dans cette revue, une publicité relative aux cigarettes Rothmans ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'infraction à l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976, applicable à la cause, l'arrêt attaqué énonce que, dans le cas où elle est autorisée, la publicité en faveur du tabac ne peut comporter, aux termes de ce texte, d'autre mention que la dénomination du produit, sa composition, le nom et l'adresse du fabricant et, le cas échéant du distributeur, ni d'autre représentation graphique ou photographique que celle du produit, de son emballage et de l'emblème de la marque ; qu'en application du même texte, le conditionnement du tabac ne peut être reproduit que s'il satisfait à ces règles ; que la cour d'appel retient qu'est illicite la publicité incriminée constituée par l'image figurant sur l'emballage des cartouches de cigarettes Rothmans, consistant en la représentation d'un paquet de cigarettes au premier plan d'un paysage marin, accompagné des mentions " le goût de l'exploit ", " famous cigarettes all over the world " et sa traduction française " renommées dans le monde entier " ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué ; qu'en effet, l'emballage du tabac ou des produits du tabac ne peut être reproduit à des fins publicitaires que s'il satisfait aux prescriptions définies à l'article 8, alinéa 1er, de la loi du 9 juillet 1976 ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 388, 512 et 593 du Code de procédure pénale et des articles 59 et 60 du Code pénal :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude S, directeur de la société T coupable d'infraction à l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme ;
" alors que s'il appartient aux tribunaux répressifs de modifier la qualification des faits dont ils sont saisis, c'est à la condition qu'ils statuent dans la limite des seuls faits visés par la prévention ; que saisie de poursuites, exercées par la voie de la citation directe, du chef de complicité de l'infraction prévue par l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, la cour d'appel ne pouvait, statuant ainsi sur des faits de commission directe de l'infraction excédant les limites de sa saisine, déclarer Claude S coupable comme auteur principal de ce délit ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que S avait formellement accepté le débat en tant qu'auteur principal du délit, a violé les textes visés au moyen " ;
Et sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l'article 5 de la loi du 10 juillet 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, des dispositions de la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, de l'article 4 du Code pénal et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude S, directeur de la société T coupable d'infraction à la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme ;
" aux motifs que " le journal T, en diffusant auprès de ses lecteurs la publicité (décrite par l'arrêt attaqué) a matériellement commis l'infraction de publicité interdite en faveur du tabac ; que bien que l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976 ait été abrogé, le principe selon lequel les dirigeants des personnes morales sont responsables des infractions commises par les personnes morales qu'ils dirigent, demeure ; que S, directeur de la publication et responsable en tant que tel des infractions commises par le truchement de T, ne pouvait ignorer qu'il acceptait de faire paraître une publicité pour le tabac interdite dans son principe, interdiction que seul le respect scrupuleux de l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976 aurait permis d'écarter, ce qui n'était à l'évidence, pas le cas en l'espèce " ;
" et aux motifs adoptés du jugement qu'en vertu des textes généraux sur la publicité illicite, sont toujours considérés comme pénalement responsables des réclames interdites, les annonceurs, les agents de publicité et les supports qui tous ont concouru à la commission du délit ; que les textes visant les délits commis par voie de presse retiennent la responsabilité pénale du directeur de la publication ; que S qui ne soutient pas méconnaître les dispositions de la loi de 1976 a manifesté une intention coupable en acceptant de diffuser une publicité illicite ;
" 1° alors que l'article 5 de la loi du 10 juillet 1991 relative à la lutte contre le tabagisme ayant abrogé l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976, aux termes duquel, lorsqu'une infraction aux dispositions de ce texte était commise par la voie de la presse, les poursuites devaient être exercées contre le directeur de la publication, ce dernier ne peut plus être poursuivi pour infraction aux dispositions relatives à la publicité pour les produits du tabac ; qu'en déclarant Claude S, directeur du magazine T, coupable du délit prévu par les articles 8 et 12 de la loi du 9 juillet 1976, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" 2° alors qu'aucune disposition légale n'édicte une responsabilité des personnes morales à raison des infractions commises, par voie de presse, aux dispositions relatives à la publicité des produits du tabac ; qu'en décidant dès lors que malgré l'abrogation de l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976 prévoyant que les poursuites devaient être exercées contre le directeur de la publication, celui-ci devait néanmoins répondre sur le plan pénal de l'infraction commise par la société de presse qu'il dirigeait, la cour d'appel a, pour cette raison encore, méconnu les textes visés au moyen ;
" 3° alors que le délit prévu par les articles 8 et 12 de la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme est étranger tant aux dispositions légales relatives à la publicité illicite qu'aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; que pour déclarer S, directeur de la publication, pénalement responsable, la cour d'appel s'est fondée, par adoption des motifs du jugement, sur les " textes généraux relatifs à la publicité illicite ", qui édictent une responsabilité pénale contre le support et sur les " textes visant les délits commis par voie de presse ", qui édictent une responsabilité pénale contre le directeur de la publication ; qu'en statuant de la sorte, elle a, une fois encore, violé les textes visés au moyen " ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu que, pour déclarer Claude S, poursuivi comme complice de l'annonceur, coupable de publicité illicite en faveur du tabac, non pas comme complice mais comme auteur du délit, l'arrêt attaqué, qui n'a pas, contrairement aux allégations du deuxième moyen, adopté les motifs du jugement, énonce que le prévenu, responsable des infractions commises au moyen de la publication dont il est le directeur, n'a pas pu ignorer qu'il acceptait de faire paraître une publicité interdite ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, les juges d'appel, qui avaient le devoir de restituer à la poursuite sa qualification véritable, dès lors qu'ils puisaient les éléments de leur décision dans les faits mêmes dont ils étaient saisis, n'encourent pas les griefs allégués ; Qu'en effet, l'abrogation par la loi du 10 janvier 1991 de l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976 n'interdit pas, en cas de publicité illicite en faveur du tabac commise par voie de presse, la poursuite du directeur de la publication, qui est pénalement responsable, dans les conditions du droit commun, à raison de son fait personnel; Que le moyen ne saurait, dès lors, être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.