Cass. crim., 12 avril 1994, n° 93-82.339
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
X
Défendeur :
Ministère public
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Souppe (conseiller le plus ancien faisant fonctions)
Rapporteur :
Mme Verdun
Avocat général :
M. Galand
Avocats :
SCP Piwnica, Molinie, Me Cossa.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par S François et la Société V, civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 27 avril 1993, qui, pour publicités illicites en faveur du tabac, a condamné le premier à 150.000 francs d'amende, a déclaré la seconde civilement responsable, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 3 de la loi du 9 juillet 1976, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'avoir commis le délit de publicité illicite en faveur du tabac et l'a condamné de ce chef ;
" aux motifs, adoptés des premiers juges, que dans le magazine V du 6 février 1992 figurait une publicité en faveur du service Minitel Camel Aventure représentant un homme en bivouac dans un paysage tropical accompagné de la mention " going for discovery " ; que conformément aux principes posés par l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée par la loi du 10 janvier 1991 " la propagande de la publicité en faveur d'un objet ou produit autre que le tabac ou les produits du tabac ne doit pas, soit par son vocabulaire ou son graphisme, soit par son mode de représentation ou tout autre procédé, constituer une propagande ou publicité indirecte ou clandestine en faveur du tabac ou des produits du tabac ; que l'examen de la publicité litigieuse révèle que le mot Camel figure en gros caractères dans le graphisme et la couleur de la marque de cigarettes mondialement connue, le mot aventure n'étant qu'en petits caractères ; que le logo Camel attire immanquablement tout lecteur d'attention moyenne qui le perçoit comme une publicité en faveur du tabac, même si la référence au service Minitel est apposée en bas de la page en caractères modestes ;
" alors, d'une part, qu'après avoir énoncé que la publicité indirecte illicite était uniquement réalisée en faveur d'un objet ou d'un produit autre que le tabac, l'arrêt attaqué ne pouvait, sans se contredire, affirmer que la publicité litigieuse réalisée en faveur d'une prestation de service était interdite ;
" alors, d'autre part, que lorsque le logo d'un service régulièrement déposé accompagne une publicité en faveur dudit service, la seule circonstance que les caractères des lettres employées dans ledit logo, parmi lesquelles figure le nom Camel soient de taille différente, est insuffisante pour constituer une publicité indirecte en faveur du tabac ; qu'ainsi, l'arrêt attaqué se trouve privé de toute base légale " ;
Attendu que François S, directeur de publication de l'hebdomadaire " V ", et la société du même nom, éditeur du magazine, sont poursuivis, la seconde comme civilement responsable, pour publicité illicite en faveur du tabac, en application notamment des dispositions de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée, à la suite de la parution, dans le numéro du 6 février 1992 dudit magazine, d'une annonce publicitaire afférente au service minitel " Camel Aventure " ;
Attendu que, pour déclarer cette annonce constitutive d'une publicité indirecte en faveur du tabac, les juges du second degré relèvent, par motifs propres et adoptés, que celle-ci représente, sous le sigle " Camel Aventure ", un homme en bivouac dans un paysage tropical accompagné d'une légende, le tout évoquant, à raison de la taille, du graphisme et de la couleur des caractères du mot " Camel ", la marque de cigarettes mondialement connue;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance et de contradiction, et procédant de l'appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; Que, dès lors, le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 5 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 abrogeant les articles 13 et 14 de la loi du 9 juillet 1976, du principe de la légalité des délits et des peines, 59, 60 et 285 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré S coupable en tant qu'auteur de publicité illicite en faveur du tabac et l'a condamné de ce chef ;
" alors que les dispositions de l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976 prévoyant qu'en cas de publicité illicite en faveur du tabac commise par voie de presse, les directeurs de publication visés à l'article 285 du Code pénal sont, du seul fait de la publication, désignés comme auteurs principaux du délit, ont été abrogées par l'article 5 de la loi n 91-32 du 10 janvier 1991 ; que dès lors, seul le délit de complicité de publicité illicite en faveur du tabac qui exige la connaissance concrète du caractère illicite de la publicité chez celui qui fournit le support, peut éventuellement être reproché au directeur de publication de sorte qu'en déclarant le prévenu coupable de publicité illicite en faveur du tabac, sans constater la connaissance exacte du caractère frauduleux de la publicité, ni davantage la participation du prévenu à l'infraction selon l'un des modes limitativement prévus à l'article 60 du Code pénal, la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;
Attendu que, pour condamner François S en tant qu'auteur principal du délit de publicité illicite en faveur du tabac, la cour d'appel énonce que la responsabilité pénale de ce dernier doit être retenue à raison de sa qualité de directeur de publication, chargé de la diffusion de la publicité.
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel, qui au demeurant n'était saisie par le prévenu d'aucune contestation sur sa faute personnelle, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; Qu'en effet, l'abrogation par la loi du 10 janvier 1991 de l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976 ne met pas obstacle, en cas de publicité illicite en faveur du tabac commise par voie de presse, à la poursuite du directeur de publication à raison de son fait personnel, dans les conditions du droit commun; Que le moyen ne saurait, dès lors, être accueilli ;
Mais sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 800-1 du Code de procédure pénale, 12 de la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme pris en leur rédaction issue de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993, 591 et 593 du même Code, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement du tribunal correctionnel condamnant S aux dépens ;
" alors qu'il résulte tant des dispositions de l'article 800-1 du Code de procédure pénale que de l'article 12 de la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme pris en leur rédaction issue de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993, qu'à compter du 1er mars 1993 les frais et dépens ne sont plus à la charge des condamnés ; que, dès lors, en condamnant le prévenu aux dépens le 27 avril 1993, l'arrêt attaqué a violé les textes susvisés" ;
Vu lesdits articles ; - Attendu qu'aux termes de l'article 800-1 du Code de procédure pénale, les frais de justice criminelle, correctionnelle et de police sont à la charge de l'Etat et sans recours envers les condamnés, nonobstant toutes dispositions contraires ;
Attendu que les juges d'appel ont, par l'arrêt attaqué du 27 avril 1993, confirmé en toutes ses dispositions, tant pénales que civiles, le jugement déféré, lequel a condamné le prévenu aux dépens avancés par la partie civile et par l'Etat ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que le recouvrement des frais de justice correctionnelle ne peut plus être poursuivi contre les condamnés, la cour d'appel a méconnu les dispositions précitées ; Que la cassation est, dès lors, encourue de ce chef ;
Par ces motifs, casse et annule, l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 27 avril 1993, par voie de retranchement, en ses seules dispositions relatives aux dépens, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Et attendu qu'il ne reste rien à juger ; Dit n'y avoir lieu à renvoi.