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Décisions

Cass. crim., 22 janvier 1997, n° 95-82.674

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

X

Défendeur :

Comité National contre le Tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

Mme Verdun

Avocat général :

M. Dintilhac

Avocats :

Mes Choucroy, Cossa.

Cass. crim. n° 95-82.674

22 janvier 1997

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par le Comité national contre le tabagisme, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, en date du 6 avril 1995, qui, dans les poursuites exercées contre Jean-Pierre D et Jean-Claude D pour publicité illicite en faveur du tabac, l'a débouté de ses demandes, après relaxe des prévenus. - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 8 et 12 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée par celle du 10 janvier 1991 notamment en son article 3 II, des articles L. 355-26 et L. 355-31 du Code de la santé publique, 1382 du Code civil, 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse aux conclusions, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Jean-Pierre et Jean-Claude D des fins de la poursuite pour infractions à la loi du 9 juillet 1976 et débouté le Comité national contre le tabagisme de ses demandes dirigées contre ces derniers et contre les sociétés Jean-Claude D et RPMU ;

" aux motifs que, aux termes des articles 2 et 3.1, de la loi du 9 juillet 1976, modifiée, la publicité indirecte en faveur du tabac est illicite et qu'est présumée publicité indirecte, toute publicité en faveur d'un article autre que le tabac lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou tout autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ; qu'en l'espèce l'affiche représente un homme s'employant à désembourber une jeep ; qu'elle porte en haut à droite, sur fond jaune, la mention " Camel Trophy Montres " et en bas à droite la photographie d'une montre portant la marque " Camel Trophy " ; que la dénomination " Camel " correspond à une marque de cigarettes ; qu'en outre, le graphisme utilisé, la forme incurvée de l'inscription, le fond jaune sur lequel elle apparaît constituent autant d'éléments qui renforcent dans l'esprit du consommateur l'analogie entre la marque de la montre et la marque de cigarettes ; qu'il s'agit là, au sens de la loi, d'une publicité indirecte en faveur du tabac ; que la loi a institué, en faveur de certaines entreprises, une dérogation excluant de l'infraction, la publicité indirecte en faveur du tabac mise en œuvre par certaines entreprises et ainsi définie à l'article 3.2 : " toutefois ces dispositions ne sont pas applicables à la propagande ou à la publicité en faveur d'un produit autre que le tabac ou un produit du tabac qui a été mise sur le marché avant le 1er janvier 1990, par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac. La création de tout lien juridique ou financier entre ces entreprises rend caduque cette dérogation " ; qu'il résulte de cette dérogation que le législateur a entendu préserver certains droits acquis ; qu'en effet, elle vise bien " la propagande ou la publicité en faveur d'un produit autre que le tabac ou un produit du tabac ", de manière générale et ne saurait donc être limitée au rapprochement fortuit d'une publicité qui rappellerait le tabac, tels que les cycles Gitane, les bas Chesterfield, la lessive Ariel, cités lors des débats parlementaires, peuvent en donner l'exemple ; qu'il n'est pas sans intérêt de relever à cet égard que le Gouvernement avait présenté devant le Sénat, à titre d'amendement, une nouvelle rédaction de ce paragraphe instituant une dérogation, à savoir : " les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables lorsque l'identité partielle ou totale entre une marque de tabac et une marque d'un produit autre que le tabac commercialisé avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte est purement fortuite " ; que le Sénat a repoussé cet amendement et qu'il n'a pas été pris en considération par la commission mixte paritaire, laquelle a repris la formulation résultant du vote de l'Assemblée nationale, adoptée en des termes identiques par le Sénat ; que la loi accorde le bénéfice de la dérogation à condition que " les entreprises " concernées soient " juridiquement ou (sic) financièrement distinctes de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac " ; que cette disposition tend à écarter du bénéfice de la dérogation les publicités indirectes émanant des entreprises ayant certes la personnalité morale mais qui, en raison de prises de participation, constituent des filiales intégrées à un groupe économique dont dépend aussi une entreprise ayant pour objet la fabrication, l'importation ou la commercialisation du tabac ; que la loi n'a pas restreint la dérogation aux seules entreprises dépourvues d'un lien juridique quelconque avec une entreprise intéressée au commerce du tabac, excluant ainsi de son bénéfice celles qui, antérieurement au 1er janvier 1990 auraient conclu un contrat de concession de marque ; qu'en effet l'existence d'un tel contrat n'est nullement incompatible avec l'indépendance juridique et financière des entreprises cocontractantes, seule condition imposée par le législateur ; qu'enfin, la loi édicte que " la création de tout lien juridique ou financier entre ces entreprises rend caduque la dérogation " ; qu'il résulte sans ambiguïté de la rédaction de la loi que cette disposition ne vaut que pour l'avenir, postérieurement au 1er janvier 1990 et envers des entreprises juridiquement et financièrement distinctes antérieurement ; qu'en effet la " caducité " ne saurait se concevoir qu'à l'encontre d'entreprises bénéficiaires de la dérogation à la date du 1er janvier 1990 ; qu'en outre, si un lien juridique quelconque avait fait échec à la dérogation avant le 1er janvier 1990, la loi n'aurait pas sanctionné la " création " mais aurait visé l'existence d'un tel lien ; que la partie civile invite en réalité à une extension du champ d'application de la loi pénale dont la rédaction est exempte d'incertitude ; qu'il convient en effet d'observer que la loi n'est exposée à l'interprétation qu'à la condition qu'elle soit imprécise ou ambiguë, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; qu'il n'appartient pas aux juridictions d'ajouter à ses prescriptions des conditions que le législateur n'a pas édictées ; qu'en particulier, en l'espèce, il ne serait pas acceptable d'étendre par analogie la condition du défaut de tout lien juridique entre les entreprises à la période antérieure au 1er janvier 1990, alors que la loi a pour cette période exigé seulement que les entreprises fussent juridiquement et financièrement distinctes ; qu'enfin c'est en vain que la partie civile se réfère aux travaux préparatoires ; qu'en effet, ils témoignent des difficultés éprouvées par le Gouvernement pour faire adopter le projet de loi qu'il avait déposé ; qu'au Sénat le ministre a stigmatisé les obstacles soulevés à la faveur d'amendement ayant pour objet de réduire la portée de la loi dont l'adoption était en cours ; qu'enfin les explications succinctes données par Mme Bachelot, qui avait présenté l'amendement précisant que la création de tout lien juridique ou financier entre les entreprises rendait caduque la dérogation, ne permettent nullement de conclure qu'il tendait à restreindre avant le 1er janvier 1990 la portée de la dérogation ; qu'en l'espèce il n'est pas discuté que les montres Camel Trophy ont été mises sur le marché, notamment en France, en 1987 et en tout cas avant le 1er janvier 1990, par la société de droit italien O S qui les fabriquait et les commercialisait en vertu d'un contrat de licence de marque conclu antérieurement à la mise sur le marché, avec la société américaine WW Brands ; que la société O S, ainsi qu'il en est justifié, constitue une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise fabriquant ou important ou commercialisant du tabac ou un produit du tabac ; qu'à cet égard l'extrait du registre du commerce de la société O S met la Cour en mesure de s'assurer que son activité concerne certes, parmi d'autres nombreuses activités la vente d'articles pour fumeurs ; qu'il ne s'agit pas là toutefois de tabac ou d'un produit du tabac ; que l'entreprise O S peut prétendre au bénéfice de la dérogation, sans qu'il y ait lieu de rechercher si le contrat de concession de marque qu'elle a conclu la lie à une entreprise fabriquant ou important ou commercialisant du tabac ou un produit du tabac, cette circonstance étant indifférente dès lors que ce contrat est antérieur au 1er janvier 1990, ce que nul ne discute, et que les produits ont été mis sur le marché avant cette date ; qu'il convient, réformant le jugement, de renvoyer les prévenus des fins de la poursuite et de rejeter les demandes formées entre eux et les civilement responsables par la partie civile ;

" alors que les dispositions du second alinéa de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1991, codifiées à l'article L 355-26 du Code de la santé publique, selon lesquelles il est dérogé à l'interdiction de publicité en faveur du tabac pour les produits autres que le tabac ou un produit du tabac mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, ne sont pas applicables aux entreprises liées juridiquement avant le 1er janvier 1990, notamment en vertu d'un contrat de licence de marque, avec une entreprise fabriquant, important ou commercialisant du tabac ou un produit du tabac ; qu'en décidant au contraire que, par cette dérogation, le législateur avait entendu préserver les droits acquis des entreprises se livrant de façon non fortuite à une publicité indirecte en faveur du tabac dès avant le 1er janvier 1990, la cour d'appel a violé le texte susvisé " ;

Vu lesdits articles ; - Attendu qu'il résulte de l'article 3, alinéa 2, de la loi du 9 juillet 1976 modifiée, devenu l'article L. 355-26, alinéa 2, du Code de la santé publique, que la dérogation au régime de la publicité indirecte en faveur du tabac, au sens de ce texte, est exclue pour les produits commercialisés, même avant le 1er janvier 1990, par les entreprises qui, sans constituer juridiquement et financièrement une entité avec celle qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, se rattachent à cette dernière par un lien juridique ou financier, fût-il indirect ou occasionnel ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société " RPMU", qui assure l'exploitation commerciale de panneaux d'information et d'abri-bus appartenant à la société Jean-Claude D SA, a, en exécution d'un contrat de publicité conclu avec la société de droit italien O S, assuré la diffusion, durant les mois de novembre et décembre 1992, d'une affiche publicitaire destinée à promouvoir les montres de marque " Camel Trophy " ; Que les 2 sociétés françaises et leurs dirigeants respectifs, Jean-Pierre et Jean-Claude D, ont été cités, les premières comme civilement responsables, sur le fondement des articles 3 et 8 de la loi du 9 juillet 1976, dans leur rédaction alors applicable, pour avoir réalisé une publicité indirecte en faveur de la marque de cigarettes Camel ;

Attendu que les prévenus, qui ont invoqué le bénéfice de l'exception prévue par l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée, en faveur de certains produits mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par des entreprises juridiquement et financièrement distinctes de toute entreprise fabriquant, important ou commercialisant du tabac ou des produits du tabac, ont été condamnés en première instance, en qualité de complices du délit poursuivi ;

Attendu que, pour infirmer cette décision, relaxer les prévenus et débouter de ses demandes le Comité national contre le tabagisme, partie civile, la juridiction du second degré relève que l'affiche litigieuse, qui réalise une publicité indirecte en faveur du tabac, est destinée à promouvoir les montres " Camel Trophy ", commercialisées depuis 1987 par une société de droit italien, en vertu d'un contrat de licence de marque conclu avec une société tierce ; Que les juges énoncent que, l'existence d'un tel contrat ne mettant pas fin à l'indépendance juridique et financière des sociétés qu'il concerne, le cessionnaire de la licence peut prétendre au bénéfice de l'exception prévue par l'article 3, alinéa 2, de la loi du 9 juillet 1976, sans qu'il y ait lieu de rechercher si la société avec laquelle il a contracté est intéressée ou non au commerce du tabac ; qu'ils précisent que la " déchéance " résultant de la création d'un lien juridique quelconque avec une telle société n'est édictée que pour la période postérieure au 1er janvier 1990 ; qu'ils en déduisent que, le contrat de licence de marque relatif aux montres " Camel Trophy " étant antérieur à cette date, la publicité incriminée est licite ;

Mais attendu qu'en se prononçant ainsi, alors que le lien né d'un contrat de licence de marque, quelle que soit sa date, est de nature à mettre obstacle à la dérogation prévue par l'article 3, alinéa 2, de la loi précitée, la cour d'appel, qui se devait de rechercher si la société concédante était intéressée, directement ou indirectement, au commerce du tabac ou de ses produits, n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de s'assurer de la légalité de sa décision; Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, casse et annule l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, en date du 6 avril 1995, mais en ses seules dispositions civiles, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ; renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel d'Angers.