Cass. crim., 21 février 1996, n° 95-81.605
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
X
Défendeur :
Comité National Contre le Tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon (conseiller le plus ancien faisant fonction)
Rapporteur :
Mme Ferrari.
Avocat général :
M. Amiel
Avocats :
SCP Lyon Caen, Fabiani, Thiriez.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par S François, la société V, civilement responsable, contre l'arrêt (n° dossier 94-05107) de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, du 24 février 1995, qui, pour complicité de publicité illicite en faveur du tabac, a condamné le premier à 200 000 F d'amende et a prononcé sur les intérêts civils. - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 355-24 du Code de la santé publique, 691 et 693 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré constitué le délit de publicité illicite en faveur du tabac ;
" aux motifs que les premiers juges ont, à bon droit, décidé que l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui proclame que : " la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme " permet à la loi de réprimer l'abus de cette liberté et que la Convention européenne des droits de l'homme a autorisé les Etats à soumettre ce droit à certaines restrictions, notamment dans le domaine de la santé ; que les lois des 9 juillet 1976 et du 10 janvier 1991, qui n'ont pas été déclarées inconstitutionnelles, interdisent toute publicité en faveur du tabac et d'un produit du tabac quelle qu'en soit la forme ;
" que, d'une part, l'article litigieux, sous le couvert d'une information constituant en réalité une publicité destinée à promouvoir le tabac, en présentant le produit comme nouveau, fruit d'une recherche en soulignant le goût qui ne peut qu'avoir une action incitative ;
" que, d'autre part, le législateur en interdisant toute publicité indirecte en faveur du tabac, a entendu précisément interdire la publication de photographie d'objet portant la marque d'un fabricant de tabac ou de produit de tabac et ainsi déroger à la liberté d'information ; que les infractions sont donc bien constituées ;
" alors que la notion de publicité ou de propagande telle que visée par l'article L. 355-25 du Code de la santé publique s'entend de toute opération de communication faite par le fabricant ou le distributeur pour promouvoir la fourniture du bien ou du service, mais ne saurait, par une interprétation extensive portant atteinte à la liberté d'expression, s'appliquer à toute forme d'écrit publié, dès lors que ceux-ci n'ont pas pour objectif de favoriser la vente et la distribution des produits du tabac ; il s'ensuit que, d'une part, en incriminant ainsi, au titre de la publicité illicite en faveur du tabac, une information rédactionnelle donnée à propos d'une innovation technique portant sur un nouveau type de cigarettes, sur lesquelles au demeurant aucune appréciation n'était portée quant au goût ou aux qualités de manière générale, la cour d'appel a tout à la fois violé le texte susvisé et l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
" que, d'autre part, en prétendant sanctionner au même titre la publication de photographie d'une compétition automobile internationale, motif pris de ce qu'un véhicule portait le nom d'un fabricant de tabac, la Cour a, par là même, porté atteinte à la liberté d'information du journaliste, principe fondamental qui ne saurait souffrir d'autres exceptions que celles impérativement justifiées par l'existence d'intérêt général supérieur, ce qui ne saurait manifestement être le cas, en l'espèce, où la loi de 1993 autorise la diffusion d'images de course automobile à la télévision dans les mêmes conditions que celles de l'espèce " ;
Et sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l'article L. 121-1 du nouveau Code pénal, 691 et 693 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré François S. coupable de publicité illicite en faveur du tabac ;
" aux motifs que c'est à bon droit que le tribunal a décidé que s'agissant du délit de publicité illicite en faveur du tabac, la responsabilité pénale doit être appréciée selon les règles du droit commun ; que M S a la qualité de directeur de publication ; que le directeur d'une publication doit veiller à ce que celle-ci ne comporte pas d'infractions aux lois ;
" alors que la loi du 10 janvier 1991 n'édictant aucune présomption de responsabilité à l'encontre du directeur de publication en matière d'infraction à la publicité relative au tabac ou à l'alcool, il s'ensuit que cette responsabilité ne peut être retenue qu'à la condition que soit dûment établi que le directeur de publication a eu un comportement fautif, sur lequel les juges du fond doivent s'expliquer ; que, dès lors, en prétendant déduire la responsabilité pénale de François S., directeur de publication de V, de la seule considération d'ordre général qu'un directeur de publication doit veiller à ce que celle-ci ne comporte pas d'infractions aux lois, la Cour, qui n'a aucunement caractérisé une quelconque faute personnellement commise par le directeur de publication, a violé le principe susvisé " ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que François S., directeur de publication de l'hebdomadaire V, et la société du même nom, éditeur du journal, ont été cités, la seconde en qualité de civilement responsable, pour publicité illicite en faveur du tabac ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de complicité de ce délit, les juges énoncent que dans un numéro du mois de septembre 1993 a été publié un article intitulé " Cigarettes parfumées " consacré au lancement par la S de nouvelles cigarettes " Royales Saveurs ", accompagné de la photographie de paquets de ces cigarettes ; qu'ils retiennent que le texte, qui présente le produit nouveau comme le fruit de recherches et souligne son arôme, constitue une incitation à la consommation ; qu'ils en déduisent que, sous le couvert d'une information donnée par le journal, cet écrit doit être considéré comme une publicité destinée à promouvoir le tabac ; que les juges relèvent que le même numéro a présenté en illustration d'un article sur le rallye des pharaons, la photographie en couleur pleine page d'un véhicule, devant une pyramide, sur lequel apparaît 9 fois la marque de cigarettes R ; qu'ils énoncent que l'interdiction, par l'article L. 355-25 du Code de la santé publique, de toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, rend illicite la publication de photographie d'objets portant la marque d'un fabricant de tabac ou de produit du tabac ; qu'ils précisent que cette interdiction n'est pas contraire à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle constitue une mesure nécessaire à la protection de la santé publique ;qu'ils ajoutent que le directeur de la publication doit veiller à ce que celle-ci ne comporte pas d'infraction à la loi ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, d'où il résulte que le prévenu a, en connaissance de cause, permis la réalisation du délit, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués; qu'en effet, toute diffusion d'écrit, d'image ou de photographie participant à la promotion du tabac ou des produits du tabac pour inciter à l'achat constitue, quel qu'en soit l'auteur, une publicité ou propagande interdite par l'article L. 355-25 du Code de la santé publique;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, contradiction entre les motifs et le dispositif, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué, après avoir déclaré dans ses motifs que c'était à bon droit que les juges avaient évalué le préjudice dû au Comité national contre le tabagisme à la somme de 50 000 F, a déclaré dans ses motifs confirmer ledit jugement qui, en réalité, avait alloué la somme de 150 000 F à la partie civile ;
" alors que, d'une part, en l'état de cette contradiction flagrante entre les motifs et le dispositif, il existe une incertitude irrémédiable quant au montant des dommages-intérêts qu'a entendu allouer la Cour au Comité national de lutte contre le tabagisme, de sorte que la décision se trouve privée de base légale ;
" et alors que, d'autre part, en tout état de cause, il n'a pas été répondu aux conclusions de la partie civile faisant valoir que le Comité national contre le tabagisme n'a versé aucun élément aux débats justifiant son préjudice, de sorte que l'existence même de celui-ci se trouvait incertaine dans son principe, comme dans son quantum " ;
Vu lesdits articles ; - Attendu que doivent être déclarés nuls les jugements ou arrêts dont les motifs sont en contradiction avec le dispositif ;
Attendu que pour confirmer les dispositions civiles du jugement, l'arrêt attaqué, après avoir exactement rappelé que le prévenu était condamné par cette décision à payer au Comité national contre le tabagisme, partie civile, une indemnité de 150 000 F, énonce que les premiers juges ont à bon droit évalué le préjudice de celui-ci à 50 000 F ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, casse et annule, mais en ses seules dispositions civiles, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 24 février 1995, et pour qu'il soit à nouveau juger conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée ; Renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.