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Décisions

Cass. crim., 11 février 1998, n° 94-80.154

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

X

Défendeur :

Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roman (faisant fonctions)

Rapporteur :

M. Ruyssen

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

SCP Rouviere, Boutet, Me Cossa.

Cass. crim. n° 94-80.154

11 février 1998

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par R André, la Société C P, civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 3 décembre 1993, qui, pour publicité illicite en faveur du tabac, a condamné le premier à 300 000 F d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'au cours d'une émission satirique, diffusée au mois d'avril 1992 sur l'antenne de C P, un journaliste a présenté le nouveau produit commercialisé par la Société R, les cigarettes " Golden American ", dont il a montré et commenté à l'écran les différents conditionnements, tout en précisant leur prix ; Qu'à la suite de ces faits, André R, et la société C P, qu'il dirigeait lors des faits, ont été cités, la seconde comme civilement responsable, pour infraction à l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976, dans sa rédaction alors applicable ;

En cet état : - Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 4 du Code pénal, 2-1°, 12, 13 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée, L. 355-24, L 355-31 du Code de la santé publique, 27 de la loi du 30 septembre 1986, 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication audiovisuelle, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré André R coupable du délit de publicité illicite en faveur du tabac et l'a, en répression, condamné à une amende de 300 000 F, tout en déclarant la société C P solidairement responsable du paiement de la totalité des amendes et frais de justice et a par ailleurs prononcé des condamnations civiles au profit du Comité National contre le Tabagisme ;

" aux motifs que la matérialité des faits n'est pas contestée ; que les termes et les images de l'émission litigieuse constituent bien une publicité au sens pénal du terme et au sens que lui donne l'encyclopédie Larousse : " caractère de ce qui est fait en présence du public - ensemble de moyens employés pour faire connaître une entreprise commerciale industrielle (...) pour faciliter la diffusion de denrées ou marchandises diverses " ; que les définitions retenues par le prévenu, notamment celle de l'article 1er du décret du 27 mars 1992 concerne les émissions de publicité proprement dites qui assurent à la télévision des ressources financières importantes ; qu'en l'espèce, et en l'absence d'élément établissant l'existence d'une quelconque rémunération, la Cour n'en retient pas moins que le fait de brandir un paquet de cigarettes dont la marque est indiquée et le conditionnement nouveau précisé avec le commentaire : " c'est pour nous les hommes " puis " vous en avez par 5 à 2 F 20 pour les tester, excellent pour la santé " constitue bien une publicité interdite par l'article 2-1° de la loi du 9 juillet 1976 applicable au moment des faits et à tout le moins une propagande en faveur du tabac également interdite par la loi, la liberté de la presse n'autorisant en aucune façon un journaliste à ignorer les lois ou à commettre des infractions sanctionnées pénalement ; qu'en faisant diffuser cette émission, André R a bien commis l'infraction qui lui est reprochée dans les termes de l'article 13 de la loi du 9 juillet 1976 ;

" alors, d'une part, que la cour d'appel qui constate l'absence de rémunération ne pouvait, sans violer les textes visés au moyen, décider que les faits incriminés constituaient une publicité illicite contre le tabac ;

" alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait considérer l'infraction caractérisée sans répondre aux conclusions d'André R faisant valoir que si toute publicité télévisée pour l'édition littéraire ou pour le cinéma est interdite, il n'en demeure pas moins que les émissions de M P (littérature) et de Mme T (cinéma) n'ont jamais été qualifiées de publicité alors pourtant que ces deux journalistes présentent et font l'éloge de produits pour lesquels la loi interdit expressément toute publicité ;

" alors, enfin que, la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer que la liberté de la presse n'autorisait pas un journaliste à ignorer les lois ou à commettre des infractions sanctionnées pénalement sans rechercher si, comme l'y invitaient les conclusions délaissées du prévenu, le ton humoristique et satirique de l'émission de Jérôme B, le fait que le conseil supérieur de l'audiovisuel n'ait, après contrôle, relevé aucune infraction et l'absence d'acte positif et de volonté promotionnelle émanant d'un annonceur ou d'un fabricant, n'étaient pas de nature à supprimer tout caractère de publicité et donc d'infraction aux faits incriminés " ;

Attendu que le prévenu soutenait, pour sa défense, que les agissements incriminés, n'ayant donné lieu à aucune rémunération et étant dépourvus de toute volonté promotionnelle, ne constituaient pas une publicité au sens de l'article 27 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et fixant les principes généraux concernant le régime applicable à la publicité et au parrainage, et des décrets des 26 janvier 1987 et 27 mars 1992, pris pour son application ; Que, pour écarter cette argumentation et déclarer l'infraction constituée, la juridiction du second degré relève, par motif propres et adoptés, que les textes invoqués par le prévenu, qui réglementent les émissions publicitaires proprement dites, ont pour objet d'assurer le contrôle des ressources publicitaires de l'audiovisuel; qu'elle ajoute que ces dispositions ne sauraient déroger aux prescriptions de la loi du 9 juillet 1976 qui, prise en son article 2, applicable lors des faits, interdisait, dans un but de santé publique, la diffusion télévisée, qu'elle soit rémunérée ou non, de toute publicité ou propagande en faveur du tabac ou de ses produits; Que les juges déduisent, ensuite, l'existence d'une publicité ou d'une propagande en faveur du tabac des conditions dans lesquelles le produit a été présenté par le journaliste qui, après avoir montré à l'écran ses différents conditionnements, en indiquant leur prix, a précisé " c'est pour nous les hommes ", puis " vous en avez par 5 pour les tester. Excellent pour la santé " ;

Attendu qu'en se prononçant ainsi, par une appréciation souveraine de la finalité promotionnelle de l'émission incriminée, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre mieux qu'elle l'a fait aux conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués; Que le moyen ne peut, dès lors, qu'être écarté ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 4 du Code pénal, 2-1°, 12, 13 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976, relative à la lutte contre le tabagisme, 3, 5 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 modifiant la loi du 9 juillet 1976, L. 355-24, L. 355-31 du Code de la santé publique, 6, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré André R coupable du délit de publicité illicite en faveur du tabac et l'a en répression condamné à une amende de 300 000 F, tout en déclarant la société C P solidairement responsable du paiement de la totalité des amendes et frais de justice, et a par ailleurs prononcé des condamnations civiles au profit du Comité national contre le tabagisme ;

" aux motifs qu'en faisant diffuser l'émission litigieuse, André R a bien commis l'infraction qui lui est reprochée dans les termes de l'article 13 de la loi du 9 juillet 1976 ;

" alors, d'une part, que l'article 13 de la loi du 9 juillet 1976 sur lequel l'arrêt s'est fondé, ayant été abrogé par la loi du 10 janvier 1991, la cour d'appel ne pouvait, sans violer les textes visés au moyen et commettre un excès de pouvoir, déclarer André R coupable et le condamner, dès lors que les faits incriminés, à les supposer établis, n'étaient pas susceptibles de sanctions pénales au moment de leur commission, à l'égard du directeur de la chaîne de télévision concernée ;

" alors, d'autre part, et en tout état de cause, qu'en supposant l'incrimination punissable, la cour d'appel ne pouvait condamner André R sans caractériser à son encontre et dans les conditions du droit commun, un fait personnel autre que la diffusion de l'émission, action entrant dans le cadre des textes abrogés lors de la commission des faits ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 4 du Code pénal, 2-1°, 12, 13 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, 3, 5 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 modifiant la loi du 9 juillet 1976, L. 355-24, L. 355-31 du Code de la santé publique, 6, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré André R coupable du délit de publicité illicite en faveur du tabac et l'a, en répression, condamné à une amende de 300 000 F, tout en déclarant la société C P solidairement responsable du paiement de la totalité des amendes et frais de justice, et a par ailleurs prononcé des condamnations civiles au profit du Comité national contre le tabagisme ;

" aux motifs que la matérialité des faits n'est pas contestée ; que les termes et les images de l'émission litigieuse constituent bien une publicité au sens pénal du terme et au sens que lui donne l'encyclopédie Larousse : " caractère de ce qui est fait en présence du public - ensemble de moyens employés pour faire connaître une entreprise commerciale, industrielle (...) pour faciliter la diffusion de denrées ou marchandises divers " ; que les définitions retenues par le prévenu, notamment celle de l'article 1er du décret du 27 mars 1992 concerne les émissions de publicité proprement dites qui assurent à la télévision des ressources financières importantes ; qu'en l'espèce, et en l'absence d'élément établissant l'existence d'une quelconque rémunération, la Cour n'en retient pas moins que le fait de brandir un paquet de cigarettes dont la marque est indiquée et le conditionnement nouveau précisé avec le commentaire : " c'est pour nous les hommes " puis " vous en avez par 5 à 2 F 20 pour les tester, excellent pour la santé " constitue bien une publicité interdite par l'article 2-1° de la loi du 9 juillet 1976 dont les dispositions sont demeurées en vigueur jusqu'au 1er janvier 1993 et donc au moment des faits, par application de l'article 3-11 de la loi n°91-32 du 10 janvier 1991, à tout le moins une propagande en faveur du tabac également interdite par la loi, la liberté de la presse n'autorisant en aucune façon un journaliste à ignorer les lois ou à commettre des infractions sanctionnées pénalement ; qu'en faisant diffuser cette émission, André R a bien commis l'infraction qui lui est reprochée dans les termes de l'article 13 de la loi du 9 juillet 1976 ; qu'en conséquence, la Cour estime devoir confirmer la décision entreprise sur la déclaration de culpabilité ; que s'agissant de la peine, elle considère que la sanction infligée au prévenu par les premiers juges constitue une équitable application de la loi pénale et la confirmera y compris en ses dispositions relatives à la condamnation solidaire de la société C P pour la totalité des amendes et frais de justice mis à la charge de son dirigeant, autorisée par l'article 12, alinéa 4, de la loi du 10 janvier 1991 puisque l'émission litigieuse a été diffusée sur les antennes de cette société de télévision ;

" alors que la cour d'appel ayant estimé que l'émission de Jérôme B et les propos par lui tenus constituaient une publicité ou une propagande en faveur du tabac, interdite par la loi, ne pouvait, en l'absence de texte spécifique, considérer que la diffusion de l'émission caractérisait le même délit ; qu'en tout état de cause, la cour d'appel avait l'obligation de rechercher si la diffusion de l'émission avait été faite avec la conscience et la volonté délibérée d'effectuer une publicité interdite ; qu'en l'absence de toute précision sur ce point, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu que, pour déclarer André R pénalement responsable du délit, les juges du second degré retiennent, par motifs propres et adoptés, que ce dernier a, en sa qualité de dirigeant de la société C P, autorisé et diffusé une émission télévisée ayant pour effet de promouvoir un produit du tabac ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, et abstraction faite de la référence erronée mais surabondante aux dispositions, abrogées, de l'article 13 de la loi du 9 juillet 1976, la cour d'appel, qui a caractérisé sans insuffisance ni contradiction le fait personnel du prévenu, accompli en connaissance de cause, a justifié sa décision; Qu'en effet, l'abrogation par la loi du 10 janvier 1991 de l'article 13 de la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme n'interdisait pas, en cas de publicité illicite en faveur du tabac commise par voie d'émissions de radiodiffusion ou de télévision, dans les termes de l'article 2, 1, de cette dernière loi, la poursuite du directeur de l'entreprise ayant procédé à l'émission, à raison de son fait personnel, dans les conditions du droit commun; Que les moyens ne sauraient, dès lors, être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.