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Décisions

Cass. crim., 19 novembre 1997, n° 96-82.625

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

X

Défendeur :

Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Aldebert (conseiller le plus ancien faisant fonction)

Rapporteur :

Mme Verdun

Avocat général :

M. Dintilhac

Avocat :

Me de Nervo.

Cass. crim. n° 96-82.625

19 novembre 1997

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par J Serge, la société NPC, civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13ème chambre, en date du 7 mars 1996, qui, pour complicité de publicité illicite en faveur du tabac, a condamné le premier à 100 000 francs d'amende, a déclaré la seconde civilement responsable, et a prononcé sur les intérêts civils. - Vu le mémoire produit ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 7 et 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme, de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, des articles 2, 3, 8 et 12 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976, des articles 3, 5, 6 et 8 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991, des articles L. 335-24 à L. 355-32 du Code de la santé publique, des articles L. 121-1, L. 121-6 et L. 121-7 du nouveau Code pénal, 591 à 593 du Code de procédure pénale, insuffisance de motifs ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Serge J, directeur de la publication du journal L, coupable de " complicité d'infraction à la loi du 9 juillet 1976 " ;

" aux motifs, propres et repris par les premiers juges, que l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976, dans sa rédaction applicable au moment des faits litigieux (décembre 1992), énonçait que la publicité en faveur du tabac ne pouvait comporter d'autre mention que la dénomination du produit, sa composition, le nom et l'adresse du fabricant et du distributeur ; que le texte des publicités incriminées ne correspondait pas à ces mentions autorisées ; que l'humour n'était pas une cause d'exonération de la responsabilité pénale ; que si tout citoyen pouvait s'exprimer librement, c'était à condition de répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ; " que, compte tenu de ses fonctions de directeur de publication du journal L, Serge J ne pouvait ignorer l'existence de la publicité incriminée ; qu'en permettant la publication de cette publicité, il s'était rendu coupable de complicité d'infraction à la loi du 9 juillet 1976 ; que d'ailleurs, il était contradictoire de plaider à la fois l'irresponsabilité pénale et la liberté d'expression ; que le texte incriminé était une publicité en faveur du tabac et non l'exercice de la liberté d'expression ;

" alors que nul n'est responsable pénalement que de son propre fait, ce qui implique l'abandon de tout système de présomption de responsabilité pénale, hormis les cas précis où la loi répressive en dispose autrement ; que, précisément, l'article 5 de la loi du 10 janvier 1991 a abrogé l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976 qui, faisant référence à l'article 285 de l'ancien Code pénal, présumait la culpabilité du directeur de publication ; que les juges du fond ne pouvaient donc, comme ils l'ont fait, déduire la culpabilité de Serge J de sa seule fonction de directeur de publication du journal L, sous prétexte qu'en raison de cette fonction, il ne " pouvait ignorer " la campagne publicitaire litigieuse, sans relever des faits positifs d'aide ou d'assistance à l'infraction, directement imputables à ce prévenu ;

" et alors que, présentée de manière subsidiaire, l'argumentation fondée sur la liberté d'expression ne pouvait être en contradiction avec l'argumentation principale sur l'irresponsabilité du directeur de la publication ; que le fait que le texte publié dans le journal L ait été une publicité ne rendait pas davantage cette argumentation inopérante ; que les juges du fond devaient rechercher si la répression de la publicité incriminée, dont le caractère humoristique et caricatural n'était pas nié, constituait une mesure nécessaire et proportionnée à un but social légitime, au sens de l'article 11, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'Homme " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 16 décembre 1992, le quotidien L a fait l'objet de deux éditions portant en première page l'une la mention " fumeur ", l'autre la mention " non fumeur ", et invitant les lecteurs à détacher la page centrale du journal, sur laquelle était reproduite des paquets d'une marque de cigarettes, afin de s'en faire un espace fumeur ; que Serge J, directeur de publication du journal, et la Société NPC, qui l'édite, ont été cités, la seconde comme civilement responsable, pour publicité illicite en faveur du tabac ;

Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu, qui invoquait une violation de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, affirmant le droit à la liberté d'expression, et le déclarer coupable de l'infraction poursuivie, en qualité de complice, la cour d'appel retient que les écrits incriminés, qui, reproduisant le nom d'une marque de cigarettes, réalisent une publicité en faveur du tabac, ne relèvent pas de l'exercice de la liberté d'expression ; Que les juges ajoutent que le prévenu ne pouvait ignorer l'existence de cette campagne publicitaire, qui reposait sur la parution de deux éditions distinctes du journal dont il dirige la publication ;

Attendu qu'en cet état, si c'est à tort que la cour d'appel a cru pouvoir exclure la publicité incriminée fût-elle commerciale du champ d'application de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, l'arrêt attaqué n'encourt pas, pour autant, la censure dès lors que la réglementation de la publicité en faveur du tabac constitue une mesure nécessaire à la protection de la santé, au sens du paragraphe 2 de l'article précité, justifiant une restriction à la liberté d'expression; Que, dès lors, le moyen, inopérant en sa seconde branche, ne peut qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.