CA Paris, 13e ch. B, 8 novembre 1991, n° 90-9274
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martinez (conseiller faisant fonction)
Avocat général :
M. Jeanjean
Conseillers :
Mmes Magnet, Barbarin
Avocats :
Mse Louvet, Me Bihl.
Rappel de la procédure
Le jugement
Tel qu'il sera rappelé en tête des motifs du présent arrêt,
Etant toutefois précisé que :
- les faits ont été commis le 10 mars 1990
- les dépens de première instance ont été liquidés (montant non précisé)
Appels
Appel a été interjeté par :
1°) C Jean-Pierre et l'EM, le 5 décembre 1990
2°) Le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Paris le même jour
3°) Le Comité National contre le Tabagisme, le 11 décembre 1990
Décision :
Rendue, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par exploit d'huissier en date du 31 mai 1990, le Comité National contre le Tabagisme a cité directement devant le Tribunal de Paris, Jean-Pierre C, en qualité de directeur de publication de " l'EM "et la société " L'E ", en qualité de civilement responsable pour infractions aux dispositions des articles 3 et 8 de la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme en publiant dans le numéro 442 de " L'EM " en date du 10 mars 1990 quatre publicités de " l'EM " en date du 10 mars 1990 quatre publicités afférentes, pour deux d'entre elles, à la marque " Malboro " et pour les autres aux marques " Peter Stuyvesant " et " Camel ", lesdites publicités étant considérées comme illicites ;
Par jugement en date du 28 novembre 1990 le Tribunal de Paris (31ème chambre) a relaxé Jean-Pierre C en ce qui concerne la publicité " Peter Stuyvesant Travel ", mais a déclaré le prévenu coupable de publicité illicite en faveur du tabac en ce qui concerne les publicités " Camel " et " Malboro " et l'a condamné, de ces chefs, à 200.000 F d'amende, en outre, le Tribunal a condamné Jean-Pierre C à payer au Comité National contre le Tabagisme, partie civile, la somme de 200.000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 3.000 F en application de l'article 475.1 du Code de Procédure Pénale ; enfin, le Tribunal a déclaré la société " L'EM " civilement responsable de son préposé Jean-Pierre C ;
Appel de cette décision a régulièrement été interjeté par le prévenu, dont le recours porte sur les dispositions tant pénales que civiles du jugement, par le civilement responsable, par le Ministère public et par la partie civile ;
A l'audience du 27 septembre 1991, le prévenu, représenté par son Conseil, demande à la Cour par voie de conclusions conjointes avec la société civilement responsable :
- Vu l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976 permettant la publicité dans la presse par représentation de l'emballage et de l'emblème de la marque, de relaxer Jean-Pierre C des fins de la poursuite concernant la publicité " Malboro " du fait qu'elle figure sur l'emballage par cartouches de 10 paquets et reproduit l'emblème de la marque qui a été déposée à l'I.N.P.I., le 15 juin 1989, sous le numéro 137459.
- Pour les publicités " Camel Aventure " et " Malboro Leisure Wear ", d'infirmer le jugement entrepris en retenant qu'elles s'appliquaient à des produits ou services autres que le tabac ou les produits du tabac et ne rappelaient pas ces derniers ; de retenir de surcroît, que la nouvelle rédaction de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 résultant de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 pourrait être invoqué, ni le parquet ni la partie civile n'établissant qu'il s'agit de produits mis sur le marché postérieurement au 1er janvier 1990 par une entreprise non distincte de celle qui fabrique, importe ou commercialise le tabac ;
- De dire et juger, en conséquence, que les éléments matériels des délits reprochés ne sont pas constitués en l'espèce et qu'en tout état de cause, le défaut d'élément intentionnel justifie la relaxe de Jean-Pierre C.
La partie civile, pour sa part sollicite la confirmation du jugement attaqué ;
I - Sur l'action publique :
1) Sur la publicité " Malboro " figurant en quatrième page de couverture du numéro 442 de " L'EM ".
Considérant que cette publicité représente, outre un paquet de cigarettes " Malboro " et une cigarette allumée, un bivouac dans un paysage de Western et comporte la mention " Come to where the flaver is " ainsi que sa traduction en Français (" Venez où est la saveur "). Qu'elle enfreint donc manifestement les dispositions de l'article 8 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, qui prévoit que la publicité en faveur du tabac ne peut comporter d'autre représentation graphique ou photographique que celle du produit, de son emballage et de l'emblème de marque ".
Considérant que le prévenu ne saurait se prévaloir du fait que la publicité attaquée reproduit une marque déposée à l'INPI par le fabricant, le 15 juin 1989, sous le numéro 137459 ; qu'en effet le dépôt d'une marque ne saurait lier le juge pénal qui doit apprécier la conformité de la publicité à la loi, laquelle autorise la reproduction de l'emblème de la marque, cet emblème ne pouvant être qu'une figure symbolique et non, comme en l'espèce, un montage photographique élaboré mettant en scène le produit dans un paysage destiné à le valoriser, que de surcroît le dépôt d'un paysage comme emblème qui ne figure d'ailleurs pas sur les paquets de cigarettes de la marque " Malboro " constitue une manœuvre, destinée à tourner les strictes limites que fixe la publicité en faveur du tabac l'article 8 de la loi ;
Considérant, par ailleurs, que le prévenu ne saurait davantage fonder sa demande de relaxe sur le motif que la publicité critiquée reproduit l'emballage des cartouches de 10 paquets de cigarettes qui seraient habituellement présentées à la vente ; Qu'en effet, et en premier lieu l'article 8 de la loi de 1976 précise, dans son second alinéa, que " le conditionnement du tabac ou des produits du tabac ne peut être reproduit que s'il satisfait aux règles de l'alinéa premier ", de cet article ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Considérant, par ailleurs, que la publicité litigieuse ne reproduit pas l'enveloppe de la cartouche mais seulement le paysage qui figure sur cette enveloppe, étant rappelé que le fait de déposer comme emblème de la marque une photographie publicitaire et de la reproduire ensuite sur certains conditionnements du produit et dans la presse écrite constitue manifestement une manœuvre destinée à contourner la loi ;
Considérant que le directeur de publication, même s'il n'en est pas l'auteur, ne saurait exciper d'une telle manœuvre comme preuve de sa bonne foi. Que c'est dans ces conditions que le prévenu a été retenu pour ces faits dans les liens de la prévention ;
2°) Sur la publicité " Camel Aventure "
Figurant pages 40 et 41 de " L'EM "
Considérant que cette publicité, qui reproduit la photographie d'un homme ramant sur un bateau, comporte, en outre, en surimpression à cette photographie, le logo de la marque Camel et sa dénomination, qui figure en très gros caractères identiques par leurs formes et leur couleur à ceux de la marque ; Qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, ces graphismes évocateurs d'une marque de cigarettes très connue sont immédiatement visibles par tout lecteur d'attention moyenne et perçus comme publicité pour le tabac, et non pour un service inconnu du public l'adjonction du mot " aventure " sans autre explication ne fournissant aucune autre signification à cette publicité qui contrevient ainsi aux dispositions de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée par la loi du 13 janvier 1989 lequel dispose notamment que la publicité en faveur d'un service, produit ou article autre que le tabac ne doit pas, par son graphisme, sa présentation ou l'utilisation de l'emblème publicitaire, rappeler un produit du tabac.
3°) Sur la publicité " Malboro Leisure Wear " figurant pages 60 à 64 de " L'EM ".
Considérant que la publicité incriminée, qui introduit un article sur une compétition en motos-neige, compote en tête de chaque double-page, en gros caractères, le logo et la graphisme de la marque de cigarettes " Malboro ", le terme anglais Leisure Wear figurant en plus petit format sous le logo ; Qu'en outre, tous les hommes photographiés portent des vêtements, présentés en gros plan, bordés du même logo et du même graphisme ; que ladite publicité, comme la précédente évoque davantage une marque de cigarettes bien connue qu'un produit vestimentaire désigné en langue anglaise (" Malboro Leisure Wear for action ") et inconnu du public français alors, qu'aucune autre mention en langue française ne vient expliciter l'objet de la publicité.
Considérant dans ces conditions que la publicité incriminée, qui rappelle un produit du tabac, contrevient par là-même aux dispositions de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée, étant observé que la preuve n'est pas rapportée pour le prévenu à qui incombe la charge de cette preuve, que les produits litigieux ont été mis sur le marché antérieurement au 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de celles commercialisant ces marques de tabac;
4°) Sur la publicité " Peter Stuyvesant Travel " publiée pages 12 et 13 de " L'EM ".
Considérant que, par des motifs pertinents que la Cour adopte les premiers juges ont à juste titre estimé que ladite publicité n'était pas illicite et qu'il échet, dès lors, de confirmer leur décision en ce qu'elle a relaxé le prévenu de ce chef de prévention.
II - Sur l'action civile :
Considérant que le Comité National contre le Tabagisme, association créée pour lutter contre les méfaits du tabac et reconnue d'utilité publique a subi, du fait des infractions commises par le prévenu, un préjudice certain, direct et personnel dont il lui est du réparation ; que les premiers juges ayant fait une exacte application équitable de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale il convient, dès lors, de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions civiles.
Considérant qu'il échet, enfin, de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré la société " L'EM " civilement responsable de son préposé Jean-Pierre C.
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; reçoit les appels du prévenu, de la société civilement responsable, du Ministère public et de la partie civile. Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions tant pénales que civiles ; Condamne Jean-Pierre C aux dépens d'appel, liquidés à 521,77 F; Le tout par application des articles, 3, 8, 12 et 15 de la loi n° 76.616 du 9 juillet 1986 modifiée par la loi du 13 janvier 1989, 285 du Code Pénal, 411, 473, 512, 514 du Code de Procédure Pénale ;