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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 23 octobre 1992, n° 92-4738

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

X

Défendeur :

Comité National Contre le Tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenormand

Avocat général :

M. Jeanjean

Conseillers :

Mmes Magnet, Barbarin

Avocats :

Mes Louvet, Bihl.

CA Paris n° 92-4738

23 octobre 1992

Rappel de la procédure

Le jugement tel qu'il sera rappelé en tête des motifs du présent arrêt.

Étant toutefois précisé que :

- les faits ont été commis le 11 mai 1991.

Appels

Appel a été interjeté par :

1°) C Jean-Pierre, le 20 mai 1992 ainsi que la société L'E ;

2°) Le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Paris le même jour.

Décision :

Rendue, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par jugement en date du 14 mai 1992, le Tribunal de Paris (31e Chambre), après en avoir relaxé Bertrand G du chef du délit de publicité illicite en faveur du tabac et mis hors de cause la société S, a, sur citation directe délivrée à la requête du Comité National contre le Tabagisme (CNCT), déclaré Jean-Pierre C coupable de complicité par fourniture de moyen de ce même délit (infraction à l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976), l'a condamné à 200.000 F d'amende, a déclaré que la société l'E Magazine sera tenue solidairement en totalité de l'amende prononcée à l'égard de ce dernier, son dirigeant, a condamné Jean-Pierre C à payer au CNCT, partie civile, la somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 1.500 F au titre de l'article 475.1 du Code de procédure pénale et a déclaré la société l'E Magazine civilement responsable.

Appel de cette décision a été régulièrement interjeté par Jean-Pierre C et par la société en nom collectif l'E, qui ont fait porter leurs recours sur les dispositions tant pénales que civiles du jugement attaqué, ainsi que par le Ministère public à l'égard de Jean-Pierre C.

Les premiers juges ayant exactement rappelé les termes de la citation et les faits de la cause, la Cour s'en rapporte, sur ces points, aux énonciations du jugement attaqué.

Régulièrement représentés par leur conseil, Jean-Pierre C, Directeur de la Publication du Journal l'E, et la société l'E, éditrice de ce même journal et de son supplément hebdomadaire l'E Magazine, qui, dans leurs écritures, ne contestent nullement l'illicéité de la publicité en cause en faveur des cigarettes Lucky Strike, demandent à la Cour, par voie de conclusions conjointes, de :

- " dire et juger les concluants recevables et bien fondés en leur appel "

- " infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions concernant les concluantes "

- " vu l'article 5 de la loi 91-32 du 10 janvier 1991 abrogeant l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976, dire et juger qu'aucun fait précis n'est imputé à M. Jean-Pierre C autre que celui d'être directeur de la publication, mais que l'abrogation du texte de loi qui définissait une responsabilité personnelle pénale du directeur de la publication rend infondées faute de texte, les poursuites à l'encontre du directeur de la publication et, a fortiori, sa condamnation "

- " relaxer, en conséquence, le concluant des fins de la poursuite dans peine ni dépens et prononcer la mise hors de cause de la SNC L'E "

- " débouter la partie civile de toutes ses demandes ".

Quant au Comité National contre le Tabagisme (CNCT), représenté par son conseil, il demande à la Cour, par voie de conclusions, de :

- " dire et juger l'appel de M. C irrecevable et mal fondé et l'en débouter " ;

- " confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions " ;

- " condamner M. C à (lui) payer la somme de 4.000 F au titre de l'article 475.1 du Code de procédure pénale et en tous les dépens ".

Considérant qu'il est constant et n'est pas discuté que l'encart publicitaire en cause, figurant en page 60 du numéro 496 du journal l'E Magazine du 11 mai 1991, avec la mention " communiqué ", constituait, ainsi que les premiers juges l'ont à juste titre énoncé par des motifs pertinents que la Cour ne peut qu'adopter, une publicité illicite en faveur des cigarettes Lucky Strike, en infraction aux dispositions de l'article 8 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme ;

Considérant que le CNCT avait fait citer devant la juridiction correctionnelle Jean-Pierre C en sa qualité de directeur de publication du journal l'E Magazine pour l'entendre déclarer complice de ladite infraction qui aurait été commise par Bertrand G, Président du Conseil d'Administration de la Sté S, société anonyme assurant la distribution des produits de la marque Lucky Strike. Que le tribunal, par le jugement du 14 mai 1992, tout en renvoyant, par une décision, devenue définitive, Bertrand G des fins de la poursuite exercée à son encontre par le CNCT au motif que la publicité concernée n'avait pas été publiée à l'initiative de la Sté S, a déclaré Jean-Pierre C, par fourniture de moyens, coupable du délit de complicité qui lui était reproché ;

Considérant que l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976, en faisant référence à l'article 285 du Code Pénal, avait institué une présomption de responsabilité à l'égard du directeur de la publication en cas de publicité illicite en faveur du tabac par la voie de la presse, ce dernier étant, pour le seul fait de la publication, passible, comme auteur-principal, des peines portées à l'article 12 de la même loi ; que, toutefois, ces dispositions ont été abrogées par l'article 5 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 ;

Considérant que, contrairement à ce qui a été soutenu, la responsabilité pénale de Jean-Pierre C ne saurait se trouver engagée par la seule application de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse aux termes duquel " seront passibles comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse dans l'ordre ci-après :

1°) les directeurs de publications ou éditeurs ... " ; qu'en effet, l'article 42 précité, qui figure au § 1 intitulé " Des Personnes responsables des crimes et délits commis par la voie de la presse " du chapitre V intitulé " Des poursuites et de la répression " et qui institue une présomption de responsabilité pour le directeur de la publication, n'est exclusivement applicable qu'aux différentes infractions prévues au chapitre précédent intitulé " Des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication " ; Que, lorsque le législateur a entendu engager comme auteur principal, à l'occasion d'une infraction autre que celles prévues à la loi précitée du 29 juillet 1981, la responsabilité pénale des directeurs des publications, il l'a toujours énoncé de façon expresse ; que tel est, notamment, le cas, à titre indicatif, des délits, commis par la voie de la presse, d'outrage aux bonnes mours (article 285 du Code Pénal) ou d'atteinte à la vie privée (article 369 du même code). Que les dispositions de l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976 ayant été abrogées, les directeurs des publications ne se trouvent plus, en cas de publicité illicite en faveur du tabac et pour le seul fait de la publication, passibles, comme auteur principal, des peines portées à l'article 12 de ladite loi, modifiée par l'article 4 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991;

Considérant, dans ces conditions, qu'il importe de rechercher si Jean-Pierre C a eu un comportement fautif, que ce soit comme co-auteur ou complice, savoir qu'il ait lui-même pris la décision de publier l'encart publicitaire en cause dont le caractère illicite ne pouvait, en aucun cas, lui échapper, ou encore que, sachant que celui-ci avait été inséré sans qu'il lui en ait été auparavant parlé, il ne s'y soit pas opposé alors qu'il était encore temps pour lui de le faire avant l'impression du journal; que la preuve n'en est pas rapportée, Jean-Pierre C soutenant, au contraire, dans ses écritures, que la mise en place impromptue et inopinée du quart de page litigieux, sans que la raison en soit d'ailleurs clairement définie mais pouvant procéder d'une annulation in extremis d'un ordre de publicité ou d'un projet d'article, était survenue en son absence et à son insu, ce qui, compte tenu des circonstances de l'espèce, apparaît vraisemblable; Que dès lors, n'étant pas démontré que le prévenu a sciemment pris part aux faits objet de la poursuite, il convient d'infirmer le jugement attaqué, de relaxer Jean-Pierre C du chef de publicité illicite en faveur du tabac et de mettre hors de cause la société l'E citée en qualité de civilement responsable. Que, compte tenu de la relaxe à intervenir, les demandes du C.N.C.T., partie civile, se trouvent être sans fondement.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, reçoit les appels de Jean-Pierre C, de la société l'E et du Ministère public ; infirmant le jugement attaqué, relaxe Jean-Pierre C du chef de publicité illicite en faveur du tabac. Met hors de cause la société en nom collectif l'E citée en qualité de civilement responsable ; déboute le Comité National contre le Tabagisme (CNCT), partie civile, de ses demandes ; laisse les dépens à la charge du Trésor en raison de la bonne foi de la partie civile.