Livv
Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 9 avril 1999, n° 98-00323

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Comité national contre le tabagisme, UFC Que Choisir

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Conseillers :

Mme Marie, M. Seltensperger

Avocats :

Mes Dauzier, Antonini.

Avocat général :

Mme Auclair

TGI Paris, 31e ch., du 7 nov. 1997

7 novembre 1997

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré C Jean-Dominique coupable de:

- publicité illicite en faveur du tabac, courant 1996, à Paris, infraction prévue par l'article 1, 2, 8, 12, 15 loi 76-616 du 09/07/1976

- offre à distance de vente sans indication nom, adresse ou coordonnées de l'entreprise, courant 1996, à Paris , infraction prévue par les articles L. 121-18 du Code de la consommation, 11 Décret 92-1289 du 09/12/1992 et réprimée par l'article 1 al. 1 Décret 92-128 du 09-12-1992

et, en application de ces articles, l'a condamné à 75 000 F d'amende, a déclaré la société X solidairement responsable du paiement de l'amende, une amende contraventionnelle de 5 000 F,

Sur l'action civile : le tribunal a reçu le Comité national contre le tabagisme et l'UFC en leur constitution de partie civile et a condamné C Jean-Dominique à payer au CNCT la somme de 50 000 F à titre de dommages-intéréts et celle de 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

et à l'UFC la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

et a déclaré la société X civilement responsable.

Les appels:

Appel a été interjeté par

Union fédérale des consommateurs UFC Que Choisir, le 14 novembre 1997 contre X, Monsieur C Jean-Dominique

Monsieur C Jean-Dominique, le 18 novembre 1997 contre le Comité national contre le tabagisme, Union fédérale des consommateurs UFC Que Choisir

M. le Procureur de la République, le 18 novembre 1997 contre Monsieur C Jean-Dominique

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels de l'Union fédérale des consommateurs partie civile, de Jean-Dominique C prévenu et du Ministère public à l'encontre du jugement entrepris auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention.

L'Union fédérale des consommateurs UFC Que Choisir représentée par son conseil, demande à la cour par voie de conclusions, de réformer le jugement entrepris et de condamner Jean-Dominique C à lui payer outre de la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts, celle de 8 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

La concluante fait valoir que la Cour de cassation a affirmé que les premiers juges ne pouvaient se borner à allouer une indemnité symbolique en raison du montant incertain du dommage et que le tribunal s'est donc fondé à tort sur l'incertitude du préjudice par elle subi pour lui allouer la somme de un franc.

Jean-Dominique C et la X représentés par leur conseil, demandent à la cour par voie de conclusions conjointes la relaxe du premier et le débouté du CNCT de toutes ses demandes, fins et conclusions

Les concluants font valoir à l'appui de leur demande:

En premier lieu que le CNCT au soutient de sa citation expose que la X et Jean-Dominique C, son représentant légal, auraient introduit dans les paquets de cigarettes de la marque Y une fiche cartonnée indiquant : "recevez cette montre en collectionnant 50 cartes complétées d'un chèque de 20 F ou directement en échange d'un chèque de 300 F".

Que le CNCT qui avait introduit une première citation qu' il a retirée au vu des conclusions de nullité fondées sur l'imprécision des éléments de l'infraction, tant au regard du texte de loi devant les réprimer, qu' au regard de la définition même des faits poursuivis, a spécifié que les faits auraient eu lieu au premier trimestre 1996 pour s'achever le 15 avril 1996, cette opération s'étant déroulée sur l'ensemble du territoire, et notamment à Paris.

Que le CNCT considère que l'opération, telle qu'elle est décrite, constituerait une double infraction tout d'abord aux dispositions de l'article L. 355-25 du Code de la santé publique, mais également au titre de l'article L. 121-18 du Code de la consommation, ce qui causerait un préjudice, non pas au CNCT, mais à l'UFC Que Choisir qui s'est associée aux demande du CNCT au regard de l'opération qualifiée de litigieuse.

Qu'il n'a été versé aux débats, ni les statuts, ni l'agrément, ni le justificatif de cette association pour apprécier si celle-ci peut agir conformément aux dispositions de l'article L. 421-1 du Code de la consommation.

Que par ailleurs, l'UFC Que Choisir n'a motivé d'aucune manière le préjudice direct ou indirect souffert par elle ou par l'intérêt collectif des consommateurs, se bornant à indiquer dans sa citation, que la violation des règlements protégeant les consommateurs en matière de vente à distance serait systématique, sans en justifier et sans préciser si en cela elle vise le comportement de la X.

Qu'en outre, le préjudice de l'UFC Que Choisir ne peut pas se confondre avec celui du CNCT, en ce que, ce qui est éventuellement critiquable pour une association de consommateurs n'est pas de savoir si la législation sur la publicité des produits du tabac est respectée ou non.

Que seul doit être pris en considération le fait de savoir si l'intérêt du consommateur a été atteint d'une manière générale par l'opération en cause.

Que le préjudice à l'intérêt collectif ne peut être confondu avec le préjudice de tel ou tel consommateur et que force est de constater qu'en l'espèce, aucun préjudice personnel ou collectif n'est invoqué.

En second lieu que si Jean-Dominique C, comme le retient le tribunal dans son jugement, a convenu que la X était bien à l'origine de cette opération, il n'en demeure pas moins que celle-ci n'est pas susceptible de constituer le délit de publicité illicite pour le tabac.

Qu'en effet, les fiches cartonnées insérées dans les paquets de cigarettes de marque Y n'ont en aucun cas été portée à la connaissance du public avant l'acquisition, par le consommateur de tabac, du paquet de cigarettes de marque Y.

Qu'aucune affichette, aucun tract n'a été distribué, ou apposé dans les débits de tabac pour promouvoir et porter à la connaissance du public les conditions dans lesquelles il pourrait éventuellement, s'il achetait des paquets de cigarettes de marque Y, obtenir sous certaines conditions la montre objet de l'offre litigieuse.

Que ce n'est qu'après avoir acquis un paquet de cigarettes de marque Y que le consommateur pouvait être informé de l'offre qui lui était faite, soit d'acquérir une montre, soit de renvoyer des preuves d'achat avec un complément financier pour obtenir cet objet de mode.

Que le consommateur était parfaitement libre de ne pas donner suite à cette offre, purement commerciale, qui lui avait été adressée à titre confidentiel par le fournisseur du produit qu'il venait d'acquérir.

Qu'une telle offre commerciale, si elle est incitative éventuellement en vue de l'acquisition de la montre, n'est certainement pas incitative à l'égard du consommateur de tabac.

Que ce n'est pas l'offre de cette montre qui entraînera un consommateur à fumer davantage, ni l'empêchera de s'arrêter de fumer si telle était sa volonté.

Que la X n'avait pas connaissance d'une décision définitive ayant condamné la pratique dite des "in pack" à l'intérieur des paquets comme étant des opérations de type publicitaire, la Cour de cassation ne s'étant pas encore prononcée.

Qu'il serait contraire aux dispositions de la loi de considérer la fiche en elle-même comme une promotion ou une propagande pour les produits du tabac, en ce que cette fiche ne reproduit aucun des éléments de la marque, et en ce que la montre, objet de l'offre commerciale faite par la X n'est elle-même revêtue d'aucun signe distinctif du produit du tabac.

Qu'il s'agit d'une offre commerciale faite à un consommateur d'un produit spécifique et non d'une publicité dés lors qu'il n'y a pas eu diffusion de l'information auprès du plus large public de nature à inciter celui-ci à acheter les paquets de cigarettes pour obtenir les preuves d'achat.

Que le tribunal pour décider que cette opération inciterait à fumer s'est livré à des suppositions.

A titre subsidiaire, le prévenu demande à la cour de prendre en considération le fait que cette opération est restée limitée dans son principe et dans ses effets. Seulement 11 500 montres ayant été distribuées, ce qui est relativement faible par rapport à l'ensemble des consommateurs de tabac et au volume des ventes de tabac qui pourraient être constatées pendant cette période.

Le CNCT, Maître Lebosse-Peluchonneau ès qualité d'administrateur judiciaire, Maître Pellegrini ès qualité de représentant des créanciers du Comité National contre le Tabagisme demandent à la cour, par voie de conclusions conjointes, de donner acte à Maître Lebosse-Peluchonneau et à Maître Pellegrini de leur intervention volontaire,

Ils sollicitent outre la confirmation du jugement entrepris, l'allocation d'une indemnité supplémentaire de 8 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Rappel des Faits

Le Comité National Contre le Tabagisme (CNCT) et l'Union fédérale des consommateurs (UFC) faisaient citer le 31 août 1996, Jean-Dominique C et la société X aux fins de voir Jean-Dominique C déclaré coupable du délit de publicité illicite en faveur du tabac, délit prévu par l'article L. 355-25 du Code de la santé publique et réprimé par l'article L. 355-31 du même Code et du délit de vente à distance illicite, délit prévu par l'article L. 121-18 du Code de la consommation et réprimé par le Décret du 9 décembre 1992.

Dire et juger la société X civilement responsable.

Le CNCT réclamait outre la somme de 200 000 F en réparation de son préjudice, celle de 6 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

L'UFC réclamait quant à elle outre la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts, celle de 3 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Les parties civiles exposaient que dans chaque paquet de cigarettes Y se trouvait une fiche cartonnée indiquant: "Recevez cette montre en collectionnant 50 cartes ... complétée d'un chèque ou directement en échange d'un chèque de 300 F".

Que cette opération avait eu lieu au premier trimestre 1996 pour s'achever le 15 avril 1996 et qu'elle avait eu lieu sur l'ensemble du territoire et notamment à Paris.

Elles joignaient à cette citation une fiche cartonnée intitulée: "Vivez dans l'R du Temps" et qui au recto comportaient les modalités selon lesquelles la montre présentée au verso pouvait être obtenue sans que soit mentionné le siège de l'entreprise, ses coordonnées téléphoniques et l'adresse de son siège, une simple boite postale étant indiquée pour permettre au consommateur d'obtenir la montre en question.

Sur ce

Sur l'action publique

Sur les poursuites du chef de publicité illicite en faveur du tabac

Considérant que les faits sont constants et que seul est discuté leur caractère illicite;

Considérant que l'article L. 355-25 du Code de la santé publique dispose que toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac ainsi que toute distribution gratuite sont interdites;

Que constitue une publicité toute action tendant à promouvoir la vente d'un produit, peu important qu'elle ne touche que certains consommateurs;

Que l'affiche en carton litigieuse incitait le consommateur à acheter des cigarettes pour obtenir une montre à un prix dérisoire;

Que l'acquisition d'un grand nombre de paquets de cigarettes incitait nécessairement à fumer davantage;

Que comme l'a relevé le tribunal d'autres personnes que des fumeurs réguliers ayant connaissance de cette offre étaient amenés à acquérir des paquets de cigarettes et donc à fumer;

Que l'infraction de publicité illicite en faveur du tabac est donc constituéeet que les premiers juges ont à bon droit retenu Jean-Dominique C dans les liens de la prévention de ce chef;

Sur les poursuites du chef d'offre de vente d'un bien faite à distance sans que soit indiqué le siège de l'entreprise et ses coordonnées téléphoniques ainsi que l'adresse de son siège

Considérant que les faits sont établis par la production de l'affiche litigieuse et que l'infraction est caractérisée dans tous ses éléments;

Qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité de ce chef de prévention;

Sur la peine

Considérant que les premiers juges ont fait une juste appréciation de la peine et que le jugement sera donc encore confirmé de ce chef;

Considérant que l'article L. 355-31 du Code de la santé publique dispose que le tribunal peut compte tenu des circonstances de fait, décider que les personnes morales, sont en totalité ou en partie solidairement responsables du paiement des amendes et des frais de justice mis à la charge de leurs dirigeants ou préposés;

Que la X ayant tiré bénéfice de l'opération litigieuse c'est à juste titre qu'elle a été condamné solidairement avec Jean-Dominique C par le tribunal, au paiement des amendes qui ont été prononcée à son encontre;

Sur l'action civile

Considérant qu'il convient de donner acte au CNCT de l'intervention volontaire de Maître Lebosse-Peluchonneau et de Maître Pellegrini respectivement administrateur judiciaire et représentant des créanciers du CNCT en redressement judiciaire.

Sur la recevabilité de l'Union fédérale des consommateurs

Considérant que l'Union fédérale des consommateurs association déclarée qui justifie de son agrément et a pour objet la défense du consommateur est recevable à agir tant pour demander réparation du préjudice résultant de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-18 du Code de la consommation qui réglemente les offres de vente à distance, que celles réglementant la publicité en faveur du tabac ou des produits du tabac, s'agissant de dispositions dont la violation lui cause un préjudice, dés lors que son action en faveur des consommateurs s'en trouve contrariée;

Que le moyen du prévenu et du civilement responsable tendant à voir déclarer l'UFC irrecevable en sa constitution de partie civile ne saurait donc être accueilli;

Sur les dommages-intérêts alloués au CNCT

Considérant que le tribunal a fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour le CNCT des agissements du prévenu;

Que le jugement attaqué sera confirmé tant sur les dommages-intérêts qui lui ont été alloués que sur la somme accordée sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Sur les dommages-intérêts alloués à l'UFC

Considérant que le tribunal ne pouvait sans méconnaître le principe de la réparation intégrale lui allouer la somme de un franc qu' il déclarait être symbolique;

Considérant que la cour puise dans les pièces soumises à son appréciation les éléments pour fixer à 23 000 F le préjudice subi par l'UFC.

Considérant que c'est à juste titre que le tribunal a condamné le prévenu et le civilement responsable à lui payer la somme de 3 000 F au titre des frais irrépétibles exposés en première instance;

Que le jugement sera confirmé de ce chef;

Sur la solidarité

Considérant que la X n'a pas relevé appel du jugement

Qu'il sera donc confirmé en ce que le tribunal l'a condamnée solidairement au paiement des dommages-intérêts accordés aux parties civiles;

Sur la demande des parties civiles au titre des frais irrépétib1es exposés en cause d'appel

Considérant que les demandes d'une somme de 8 000 F formées par chacune des parties civiles sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale sont justifiées dans leur principe, mais doivent être ramenées à la somme de 3 000 F;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels de Jean-Dominique C, de l'Union fédérale des consommateurs Que Choisir et du Ministère public, Sur l'action publique Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions pénales, Sur l'action civile Donne acte au CNCT de l'intervention volontaire de Maître Lebosse-Peluchonneau et de Maître Pellegrini respectivement administrateur judiciaire et représentant des créanciers du CNCT en redressement judiciaire, Confirme le jugement déféré sur les dommages-intérêts alloués au CNCT et sur les sommes accordées au CNCT et à l'UFC Que Choisir sur les fondements de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Infirme le jugement entrepris sur les dommages-intérêts alloués à l'UFC Que Choisir, Condamne solidairement Jean-Dominique C et la X à payer à l'UFC Que Choisir la somme de 23 000 F à titre de dommages-intérêts, Y ajoutant: Condamne solidairement Jean-Dominique C et la X à payer à chacune des parties civiles la somme de 3 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.