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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 24 février 1995, n° 94-06902

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bertolini

Avocat général :

M. Necchi

Conseillers :

Mmes Magnet, Marie

Avocats :

Mes Garcia, Bihl.

CA Paris n° 94-06902

24 février 1995

Rappel de la procédure :

Le jugement :

S. François a été poursuivi devant le tribunal sous la prévention de publicité illicite en faveur du tabac, le 27 janvier 1994, à Paris, infraction prévue par l'article 1, 2, 8, 12, 15 de la loi n° 76-616 du 09/07/1976,

Le Tribunal a requalifié les faits en complicité de publicité illicite en faveur du tabac et l'a condamné à 150 000 F d'amende,

A déclaré la société V. civilement responsable,

A assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 600 F ;

Sur l'action civile le tribunal a reçu le CNCT en sa constitution de partie civile et a condamné François S. à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Les appels :

Appel interjeté par :

Monsieur S. François, le 29 septembre 1994, sur les dispositions pénales et civiles,

La Société V le 29 septembre 1994,

Décision :

Rendu contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu, la société civilement responsable et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré ;

S'y référant pour l'exposé de la prévention ;

Rappel des faits

Le numéro 856 du journal V présentait page 94, dans la rubrique " Quoi de neuf " sous le titre " Chesterfield Originals, le goût de l'Amérique " avec le texte suivant :

" Avis aux amateurs ! Dans un packaging vraiment différent façon kraft, les nouvelles Chesterfield Originals renvoient aux couleurs américaines des années cinquante. Pour 14 F, c'est l'Amérique mythique et authentique que vous retrouverez dans ces paquets de vingt-cinq cigarettes plein arôme au goût léger " ;

Le Comité national contre le tabagisme (CNCT) fait valoir par voie de conclusions, d'une part que les faits constituent une publicité illicite en faveur du tabac ;

Il ajoute qu'il importe peu que cette publicité ait été gratuite ;

D'autre part que M. S. est responsable du contenu du journal V et ne peut ignorer l'interdiction de toute publicité en faveur du tabac ;

Il demande la confirmation de la décision attaquée et l'allocation d'une somme de 6 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Le prévenu qui ne s'est pas présenté à l'audience, s'est fait représenter par un avocat, par voie de conclusions, il fait valoir :

- en premier lieu que l'article en question était publié dans le cadre d'une rubrique intitulée " Quoi de neuf " qui présente aux lecteurs les nouveaux produits commercialisés en raison de leur intérêts ou de leur originalité ;

Qu'en l'espèce, il s'agissait d'un nouveau conditionnement avec vingt-cinq cigarettes, et que l'article avec la photographie occupe le quart d'une seule colonne ;

- en deuxième lieu que le tribunal a retenu la définition de la publicité fournie par la Directive Européenne n° 84-450 du 10 septembre 1984 relative à la publicité trompeuse, qui par conséquent ne s'applique pas aux faits ;

Que, pour qu'il y ait publicité au sens de ce texte, la communication doit avoir pour objet non pas de promouvoir le produit lui-même, comme l'affirme par erreur le tribunal, mais de promouvoir la fourniture de ce produit, c'est à dire qu'elle doit émaner du fabricant, du distributeur et plus généralement de celui qui est en mesure ou qui a pour objet de fournir le produit visé ;

Qu'en outre une directive européenne ne s'applique pas directement dans l'ordre juridique interne des Etats membres ;

Que la seule directive qui pourrait s'appliquer serait la Directive n° 89-552 du 3 octobre 1989 portant sur la réglementation de la publicité sur l'alcool et le tabac à la télévision, mais que ce texte suppose une rémunération de l'annonceur ;

- en troisième lieu, que le principe de l'interdiction de la publicité en faveur du tabac ne peut limiter le principe de la liberté d'expression et de l'information, qui a valeur constitutionnelle et figure également à l'article 10 de la Convention Européenne des droits de l'Homme ;

- en quatrième lieu, que conformément au droit commun, la personne responsable du délit de publicité illicite sur le tabac est celle ayant participé personnellement à la commission du délit pris la décision de publier l'article incriminé ;

Qu'en effet s'agissant d'articles rédactionnels, ceux-ci relèvent de la compétence du Directeur de la publication et non pas de celle du Président de la société qui est exclusivement chargé de la gestion et de sa représentation à l'égard des tiers ;

- en cinquième lieu, que le tribunal a appliqué la même peine que celles habituellement prononcées pour les publicités commerciales en faveur du tabac avant le 1er janvier 1993 pour une pleine page en deuxième ou quatrième de couverture, alors qu'il s'agit non pas d'une publicité commerciale, mais d'un simple article de taille dérisoire, à peine visible et d'une photographie de presse d'information ;

- en sixième lieu, que le CNCT et l' ALATA ne justifient d'aucun préjudice, étant précisé que cette dernière cherche ainsi à faire face à ses difficultés économiques qui l'ont contraintes à déposer le bilan.

Sur l'action publique

Considérant que les premiers juges ont, à bon droit, décidé que l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, qui proclame que " la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme " permet à la loi de réprimer l'abus de cette liberté et que la Convention Européenne des droits de l'Homme, a autorisé les Etats à soumettre ce droit à certaines restrictions, notamment dans le domaine de la santé;

Considérant que les lois des 9 juillet 1976 et 10 janvier 1991, qui n'ont pas été déclarées inconstitutionnelles, interdisent toute publicité en faveur du tabac ou d'un produit du tabac, qu'elle qu'en soit la forme;

Considérant d'une part que l'article litigieux, sous le couvert d'une information, constitue en réalité une publicité destinée à promouvoir le tabac, en présentant le produit comme nouveau, et évoquant l'Amérique des années cinquante, ce qui ne peut qu'inciter à le consommer; Que l'infraction est donc bien constituée abstraction faite du motif surabondant des premiers juges relatif à la Directive n° 84-450 ;

Sur la responsabilité de M. S.

Considérant que c'est à bon droit que le tribunal a décidé que la responsabilité de celui-ci doit être appréciée selon les règles du droit commun s'agissant du délit de publicité illicite en faveur du tabac ;

Considérant que, l'encadré appelé " ours " du journal V mentionne que M. S a la qualité de directeur de publication ; Que le directeur d'une publication doit veiller à ce que celle-ci ne comporte pas d'infraction aux lois ; Que le délit de complicité de publicité illicite est donc bien imputable à M. S., abstraction faite de sa citation en qualité de Président du conseil d'administration, cette erreur n'étant pas de nature à préjudicier aux droits de la défense ; Qu'il convient donc de confirmer le jugement attaqué en sa déclaration de culpabilité ;

Considérant que, le principe de la proportionnalité des peines ne s'oppose pas à ce qu'une même peine, soit prononcée pour des faits différents, dès lors que le juge prononce une peine légalement prévue ;

Considérant que M. S. a été condamné à de nombreuses reprises pour des faits de publicité illicite en faveur du tabac ; Que la commission du délit, sous forme d'information, démontre sa volonté d'éluder des règles particulièrement importantes pour la santé publique ; Que la peine prononcée par les premiers juges est justifiée et doit donc être confirmée ;

Sur l'action civile

Considérant que les premiers juges qui ont relevé que le CNCT association reconnue d'utilité publique, déployait pour la sauvegarde de la santé, des efforts constant en procédant à de nombreuses campagnes d'information tendant à lutter contre les méfaits du tabac a exactement évalué son préjudice à 50 000 F ;

Considérant que la partie civile a du engager des frais irrépétibles et que l'équité commande d'allouer au CNCT la somme de 1500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Par ces motifs : Et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR : Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit les appels du prévenu, de la société V civilement responsable et du Ministère public ; Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions tant pénales que civiles ; Y ajoutant, condamne François S. à payer à la partie civile la somme de 1 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné.