CA Paris, 13e ch. B, 19 octobre 1995, n° 95-02786
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Comité National Contre le Tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bertolini
Avocat général :
M. Bartoli
Conseillers :
Mmes Magnet, Marie
Avocats :
Mes Nore, Bihl.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le Tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré D Christian coupable de publicité illicite en faveur du tabac, courant juin 1994, à Paris, infraction prévue par l'article 1, 2, 8, 12, 15, loi 76-616 du 9 juillet 1976,
Et, en application de ces articles, l'a condamné à 150 000 F d'amende,
A déclaré la société C civilement responsable,
A assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 600 F ;
Sur l'action civile le tribunal a reçu le Comité National contre le Tabagisme en sa constitution de partie civile et a condamné D Christian à lui payer la somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
Monsieur D Christian, le 15 mars 1995, sur les dispositions pénales et civiles,
La société C, le 15 mars 1995,
M. le Procureur de la République, le 15 mars 1995.
Décision :
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu, le civilement responsable et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention et l'exposé des faits ;
Rappel des faits
Courant juin 1994, des briquets de marque C, portant : sur une face l'indication d'une route des USA :
- " New Mexico US 25 " et la direction " Santa Fe "
- " Nevada US 15 " et la direction " Las Vegas ",
- " Arizona US 17 " et la direction " Phoenix ",
sur l'autre face en très gros caractère le mot " M ", dans le graphisme utilisé par la marque de cigarettes du même nom ;
Monsieur D et la société C, régulièrement représentés par leur conseil, font valoir par voie de conclusions conjointes :
En premier lieu, après avoir faire remarquer que, l'arrêt rendu le 4 novembre 1994 par la Cour d'appel de Paris, sur lequel le CNCT s'appuie pour prétendre que l'apposition d'une marque de cigarettes sur un briquet constitue un acte de publicité illicite, n'a pas estimé illicite une telle mention, mais a sanctionné une publicité parue dans la presse pour la promotion desdits briquets, ils soulignent que, l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976, vise les actes de propagande et de publicité et non les actes de simple mise en vente d'un produit.
En deuxième lieu, que le fait d'avoir apposé la marque " M " sur des briquets fabriqués par la société F et que la société C commercialise, ne constitue pas un acte de publicité directe, le seul objectif de cette dernière société étant de développer la vente de briquets.
En troisième lieu, qu'ils bénéficient de l'exception prévue à l'article 3 alinéa 2 de la loi du 9 juillet 1976, dans sa rédaction issue de la loi du 10 janvier 1991, selon lequel, la prohibition de toute publicité ou propagande en faveur d'un produit autre que le tabac n'est pas applicable aux produits mis sur le marché avant le 1er janvier 1990, dès lors que les briquets qui étaient commercialisés avant cette date, sous la marque M constituaient des produits à part entière.
Elle indique que la société C n'est pas juridiquement liée à une société fabriquant ou commercialisant du tabac ou un produit du tabac.
Le CNCT, représenté par son conseil, fait valoir par voie de conclusions que l'article 355-25 du Code de la santé publique, interdit de manière générale et absolue, toute publicité en faveur du tabac ou des produits du tabac, quel qu'en soit le support.
Le CNCT demande la confirmation du jugement déféré et réclame en outre la somme de 7.000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Sur ce
Sur l'action publique
Considérant que, selon l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976, dans sa rédaction issue de la loi du 10 janvier 1991 et devenu l'article 355-25 du Code de la santé publique, toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac est interdite ;
Considérant que, cette interdiction a pour fondement la protection de la santé publique et s'étend à toutes les formes de publicités ;
Considérant que, la publicité est un acte de communication impersonnelle par lequel un annonceur entend susciter ou développer la demande d'un produit, quel qu'en soit le support ; Qu'ainsi un briquet peut servir de support à une publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ou d'un produit du tabac;
Considérant que, le législateur a défini la propagande ou publicité indirecte, comme étant celle faite en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit, ou d'un article autre que le tabac ou un produit du tabac;
Considérant qu'il n'est pas reproché à Monsieur D un acte de publicité ou de propagande en faveur d'un produit autre qu'un produit du tabac, mais bien en faveur d'une marque de cigarettes, le mot " M " évoquant nécessairement une marque de cigarettes connue et non un quelconque bien ou service ; Qu'en effet, cette marque est connue avant tout comme une marque de cigarettes, et qu'au surplus le mot " M " était imprimé sur les briquets commercialisés par la société C avec le graphisme utilisé par la marque de cigarettes du même nom ; Que cette utilisation d'une marque de tabac incite bien évidemment à la consommation de ce produit; Qu'il s'agit donc d'un acte de publicité directe en faveur d'un produit du tabac, entrant dans le champ d'application de l'article 355-25 du Code de la santé publique contrairement à ce qui soutiennent le prévenu et le civilement responsable;
Considérant que le bénéfice de l'exception prévue en faveur d'un produit autre que le tabac ou un produit du tabac qui a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement ou financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac est vainement soutenu par Monsieur D et la société C ; Qu'en effet, d'une part cette dérogation est limitée à la publicité indirecte; Que, d'autre part, elle ne peut être invoquée par des entreprises ayant des liens juridiques ou financiers avec des entreprises fabriquant du tabac avant le 1er janvier 1990;
Considérant que, Monsieur D et la société C reconnaissent eux-mêmes qu'il existe un lien financier entre eux-mêmes et la société productrice des cigarettes " M ", dès lors qu'ils indiquent, dans leurs écritures, que la société P M a concédé en, janvier 1984 à la société F, le droit d'utiliser la marque " M " pour la commercialisation et la fabrication de briquets par cette dernière ; Que, c'est en vertu de ce contrat de licence, que la société C, qui appartient au groupe de société dont fait partie la société F, a assuré la commercialisation sous la marque " M " de briquets;
Considérant que, l'infraction est caractérisée dans tous ses éléments et que le jugement doit être confirmé tant sur la déclaration de culpabilité, que sur la peine prononcée, laquelle est équitable ;
Sur l'action civile
Considérant que, le Comité National contre le Tabagisme, association qui a été créée pour lutter contre le tabagisme et qui a été reconnue d'utilité publique à cet effet, subit, en raison de la spécificité du but et de l'objet de sa mission, un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur du tabac ou des produits du tabac, un préjudice dont il lui est dû réparation.
Qu'en effet, le CNCT déploie pour la sauvegarde de la santé, notamment par de nombreuses campagnes d'information et par l'édition d'une publication périodique, des efforts constants de lutte contre le tabagisme, qui sont contrariés par les agissements du prévenu ; Que, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour le Comité National contre le Tabagisme, partie civile des agissements de Monsieur D ; Que, dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions civiles ; Que, la demande d'une somme de 7 000 F formulée par ledit Comité au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais irrépétibles exposés par lui devant la Cour, est justifiée dans son principe, mais doit être limitée à 2 500 F ;
Considérant que la société C doit être déclarée civilement responsable des agissements de Monsieur D ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de toutes les parties, Reçoit les appels de Monsieur D, de la société C, et du Ministère public, Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions tant pénales que civiles. Y ajoutant, Condamne solidairement Monsieur D et la société C à payer au Comité National contre le Tabagisme la somme de 2 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.