CA Paris, 13e ch. B, 11 avril 1996, n° 96-00623
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ministère public
Défendeur :
Comité National contre le Tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bertolini
Avocat général :
M. Bartoli
Conseillers :
Mme Magnet, Marie
Avocats :
Mes Klein, Antonini.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le Tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré G Bernard coupable de publicité illicite en faveur du tabac, du 1er janvier 1995 au 28 février 1995, à Paris, infraction prévue par l'article 1, 2, 8, 12, 15 loi 76-616 du 9 juillet 1976,
et, en application de ces articles, l'a condamné à 30 000 F d'amende,
a déclaré la société F D S civilement responsable de son dirigeant,
a assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 600 F ;
Sur l'action civile, le Tribunal a reçu le Comité National contre le Tabagisme en sa constitution de partie civile, l'a déclarée fondée, et a condamné G Bernard à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
Monsieur G Bernard, le 19 décembre 1995, sur les dispositions pénales et civiles,
M. le Procureur de la République, le 19 décembre 1995.
Décision :
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.
Rappel des faits :
La société F D S, qui a pour activité la vente par correspondance, diffusait courant janvier et février 1995, dans la France entière et notamment à Paris, un document publicitaire par lequel, les clients de la société étaient invités à participer à une loterie permettant de gagner un téléviseur S.
Cette publicité était illustrée par 4 photographies, dont l'une occupe près des 2/3 d'une page du document d'un poste de télévision. Sur l'écran de ce poste apparaissait une voiture de course de couleur jaune portant de façon très lisible le mot " Camel ", le graphisme et la couleur des caractères rappelant la marque de cigarettes Camel.
Monsieur G Bernard, prévenu appelant et la société F D S civilement responsable, représentés, demandent par voie de conclusions : la relaxe de Monsieur G, et réclament outre une somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts, celle de 15 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
A l'appui de leurs prétentions, ils font valoir, d'une part, que c'est tout à fait par accident qu'une marque de cigarette figure sur le document publicitaire en question : le téléviseur S aurait pu être tout aussi bien être illustré par un autre véhicule, une autre discipline sportive ou tout autre événement télévisuel.
Les concluants font observer que la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 décide que sont autorisées les retransmissions télévisées de compétitions de sport mécanique qui se déroulent dans des pays où la publicité pour le tabac est autorisée et, ce jusqu'à ce qu'intervienne une réglementation communautaire et qu'ainsi les téléspectateurs découvrent des véhicules de compétition sur lesquels figurent des marques d'alcool et de tabac.
Monsieur G et la société FDS soulignent que le CNCT a conclu un accord avec la chaîne TF1 selon lequel il n'intente aucune poursuite à l'encontre de retransmission de grands prix de "Formule 1" qui tomberaient sous le coup de la loi interdisant la publicité en faveur du tabac, moyennant compensations financières.
Ils estiment que, ce que la loi interdit, c'est l'utilisation d'un produit autre que le tabac pour promouvoir un produit du tabac : selon eux le simple nom de Camel figurant sur le véhicule illustrant le téléviseur S ne peut être suffisant pour constituer une promotion du tabac.
Le prévenu et le civilement responsable ajoutent qu'il n'est pas possible de soutenir comme le fait le CNCT, que le mot " Camel " figurant sur l'aileron arrière du véhicule qui illustre le téléviseur S objet du document publicitaire, attire immanquablement chaque destinataire d'attention moyenne qui le percevra comme une publicité en faveur du tabac.
Ils font valoir d'autre part qu'il existe une exception à l'interdiction des publicités en faveur du tabac pour les produits autres que le tabac, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une publicité indirecte et qu'il n'existe aucun lien juridique ou financier entre l'entreprise concernée et une entreprise qui importe ou commercialise du tabac et qu'eux-mêmes n'ont aucun lien direct ou indirect avec une entreprise de tabac et qu'ils n'ont pas eu l'intention de promouvoir un produit du tabac.
Le Comité National contre le Tabagisme, représenté par son conseil, demande outre la confirmation du jugement déféré, la condamnation de Monsieur G et de la société FDS à la payer la somme de 6 000 F en remboursement des frais irrépétibles exposés devant la Cour, au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Sur ce
Sur l'action publique
Considérant que, la loi du 9 juillet 1976 dans sa rédaction issue de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991, interdit toute publicité directe ou indirecte en faveur du tabac; Que, la loi n° 93-131 du 27 janvier 1993 n'y déroge que dans le cas très précis d'une retransmission d'une compétition de sports mécaniques qui se déroulent dans des pays où la publicité pour le tabac est autorisée; Que, l'image figurant sur le téléviseur ne répond pas à ces critères; Qu'en effet à supposer que l'image ait été prise pendant une compétition se déroulant à l'étranger, il ne peut être soutenu que l'on se trouve en présence d'une retransmission au sens de la loi précitée; Que, pas davantage, le prévenu et le civilement responsable ne sauraient se prévaloir de l'exception prévue à la loi du 9 juillet 1976 dans sa rédaction issue de la loi du 10 janvier 1991, qui prévoit qu'est considérée comme propagande ou publicité indirecte toute propagande ou publicité en faveur d'un produit ou d'un article autre que le tabac ou un produit du tabac, en faveur d'un produit mis sur le marché avant le 1er janvier 1990; Qu'en effet, cette exception ne saurait s'appliquer à une publicité ayant pour objet un téléviseur, cette dérogation ayant pour finalité de permettre aux marques qui répondent aux conditions prévues par la loi de promouvoir un produit qui n'ayant aucun rapport avec le tabac se trouverait rappeler par sa marque un produit du tabac et non de rappeler un produit du tabac sans aucune nécessité;
Considérant que, l'infraction est caractérisée dans tous ces éléments, que le jugement déféré doit donc être confirmé tant sur la déclaration de culpabilité, que sur la peine prononcée laquelle est équitable ;
Sur l'action civile
Considérant que,le Comité National contre le Tabagisme, association qui a été créée pour lutter contre le tabagisme et qui a été reconnue d'utilité publique à cet effet, subit, en raison de la spécificité du but et de l'objet de sa mission, un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur du tabac ou des produits du tabac; Qu'en effet, le CNCT déploie pour la sauvegarde de la santé, notamment par de nombreuses campagnes d'information et par l'édition d'une publication périodique, des efforts constants de lutte contre le tabagisme, qui sont contrariés par les agissements du prévenu ; Que, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour le Comité National de lutte contre le Tabagisme, partie civile des agissements de M. G Bernard ; Que, dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions civiles ;
Sur la demande en remboursement des frais irrépétibles exposés en cause d'appel :
Considérant que, la demande d'une somme de 6 000 F formulée par ledit Comité au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais irrépétibles exposés par lui devant la Cour, est justifiée dans son principe, mais doit être limitée à 3 000 F ;
Sur les demandes formulées par le prévenu et le civilement responsable :
Considérant en premier lieu qu'il résulte de ce qui précède que cette demande n'est pas fondée, les dispositions de l'article 472 du Code de procédure pénale ne pouvant trouver application qu'en cas de relaxe ;
En second lieu, que l'article 475-1 du Code de procédure pénale ne peut bénéficier qu'à la partie civile ; Que, ces demandes doivent donc être rejetées ;
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public, Rejette les conclusions de relaxe du prévenu, Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions, Déboute le prévenu et la partie civile de leurs demandes au titre de l'article 472 du Code de procédure pénale, Dit inopérants, mal fondés ou extérieurs à la cause, tous autres moyens, fins ou conclusions contraires ou plus amples, les rejette. Le tout en application des articles 3 et 12 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 dans sa rédaction issue de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991, 512 et suivants du Code de procédure pénale.