Livv
Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 22 mai 1997, n° 95-02293

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Comité national contre le tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bertolini

Avocat général :

Mme Auclair

Conseillers :

Mme Verleene-Thomas, Mme Marie

Avocats :

Mes Blum, Bihl.

TGI Paris, 31e ch., du 31 janv. 1995

31 janvier 1995

Rappel de la procédure:

La prévention:

R Richard, Paul et la X ont été cités devant le tribunal correctionnel par le Comité national contre le tabagisme, pour avoir réalisé une publicité illicite en faveur de la marque de cigarettes Y,

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a rejeté les exceptions d'irrecevabilité soulevées par la défense, a déclaré R Richard, Paul non coupable des faits reprochés et l'a relaxé des fins de la poursuite et a débouté le Comité national contre le tabagisme de ses demandes.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Le CNCT, le 1er février 1995 contre la X, Monsieur R Richard, Paul.

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel de la partie civile, régulièrement interjeté à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.

Rappel des faits

Pendant les mois de février, mars et avril 1994, les acheteurs de cigarettes Y trouvaient dans chaque paquet de cigarettes un prospectus " Y " leur promettant des articles divers (sac à dos " Eagel Road ", réplique de plaque de voiture américaine " Eagel Road ", disque de " la musique des routes américaines "), qu'ils pouvaient obtenir moyennement 40, 60 ou 90 preuves d'achats à partir du code barre figurant sur chaque paquet de cigarettes.

Les participants devaient remettre les preuves d'achat dans une période déterminée à la X, dont l'objet est la réalisation d'opérations promotionnelles. Un contrat avait été passé pour ce faire entre la X et la société R.

Le CNCT estimant qu'il y avait là une violation de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 qui interdit toute propagande ou publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, faisait citer directement devant le tribunal correctionnel, Richard R Président Directeur Général de la X, et la X, devant le Tribunal correctionnel de Paris.

Il faisait valoir que cette opération qui se qualifie elle-même de promotionnelle, constitue une publicité par ce qu'elle consiste en un acte de communication destiné à promouvoir la vente des cigarettes Y.

Le CNCT soulignait que les primes offertes montraient bien que cette publicité est destinée essentiellement à toucher un public de jeunes.

Le CNCT réclamait en outre la somme de 300 000 F de dommages-intérêts, celle de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le tribunal relaxait Richard R et déboutait le CNCT de ses demandes.

Le Comité national contre le tabagisme (CNCT), partie civile appelante, demande par voie de conclusions, l'infirmation du jugement déféré, faisant valoir: d'une part que la publicité litigieuse n'est pas cantonnée aux bureaux de tabac comme le soutient Richard R, mais est diffusée en tous lieux où un consommateur ouvre un paquet de cigarettes contenant les cartonnettes servant de support à cette publicité.

D'autre part que Richard R a accepté, moyennant finance, d'apporter son aide à la réalisation de l'infraction.

Enfin, sur son préjudice, le CNCT soutient que toutes ces opérations destinées à détourner les dispositions de la loi du 10 janvier 1991, ont pour but et pour résultat de détruire les effets bénéfiques de cette loi et de favoriser le tabagisme.

Richard R et la X en sa qualité de civilement responsable, intimés demandent par voie de conclusions conjointes la confirmation du jugement attaqué, faisant valoir:

Sur la recevabilité de la demande:

D'une part, que la société X à son siège social au Perray en Yvelines et que Richard R a son domicile dans les Yvelines.

Les concluants font observer que le tribunal a estimé que les cigarettes avaient été distribuées dans toute la France et notamment à Paris, ce qui n'est qu'une supposition.

D'autre part, que la citation ne mentionne aucune date permettant de déterminer à quel moment les faits ont été commis.

Sur le fond:

D'une part, qu'il ne s'agit pas d'une publicité en faveur du tabac, aucune cartonnette ne figurant à l'extérieur des paquets de tabac, le bulletin de participation étant insérée à l'intérieur de chaque paquet.

Richard R et la société X font observer qu'il s'agissait d'inciter les consommateurs à préférer la marque Y, plutôt qu'une autre et que la loi n'interdit pas la concurrence entre les différentes marques.

D'autre part, Richard R soutient qu'il n'a pas participé à l'élaboration ou à la conception de l'opération promotionnelle incriminée.

Les concluants indiquent que le rôle de la société X a consisté à ouvrir un numéro de Cedex (dans la série qui lui a été réservée par la poste) afin de réceptionner les réponses des consommateurs à la proposition de l'annonceur, à trier les réponses et à expédier les cadeaux aux bénéficiaires qui y avaient droit.

Richard R et la X font observer que l'aide qu'ils ont apporté à l'infraction, à supposer que l'opération puisse être qualifiée de publicité illicite en faveur du tabac, est postérieure aux faits, ce qui exclut que puisse être retenue la complicité.

Ils soulignent que l'article 9 des conditions générales du contrat précise, d'une part, que la société n'est pas responsable des défauts de conception des opérations promotionnelles qui lui sont confiées, d'autre part, que le client s'engage à respecter la législation en vigueur.

Sur ce

Sur l'exception d'incompétence:

Considérant que, comme l'ont relevé les premiers juges l'infraction a été commise dans le ressort du Tribunal de Paris, dès lors que les paquets de cigarettes litigieux ont été vendus à Paris;

Qu'ils ont retenu à juste titre leur compétence et que le jugement attaqué doit être confirmé de ce chef;

Sur la recevabilité de la demande:

Considérant que les mentions de la citation permettraient de déterminer avec précision la date des faits, dès lors qu'il visaient une opération qui s'est déroulée aux mois de février, mars et avril 1994;

Que c'est à juste titre que les premiers juges ont écarté ce moyen et que leur décision doit être confirmée de ce chef;

Sur la demande de la partie civile;

Considérant que les premiers juges relaxaient Richard R des fins de la poursuite et qu'en l'absence d'appel du Ministère public la décision de relaxe est devenue définitive;

Considérant qu'en raison de l'indépendance de l'action civile et de l'action publique, l'appel de la partie civile, s'il est sans incidence sur la force de chose jugée qui s'attache comme en l'espèce à la décision de relaxe sur l'action publique, saisit le juge des intérêts civils; qu'en conséquence, malgré la décision de relaxe, il appartient à la cour d'apprécier les faits dans le cadre de la prévention, pour se déterminer sur le mérite des demandes civiles qui lui sont présentées;

Considérant que selon l'article L. 355-25 du Code de la santé publique reprenant l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 dans sa rédaction issue de la loi du 10 janvier 1991, toute propagande ou publicité directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac est interdite sans qu'il y ait lieu de distinguer entre la promotion d'une marque ou d'un produit du tabac; Que par ailleurs tout acte de communication destiné à promouvoir un produit ou un service constitue une publicité;

Considérant quel'opération qui avait pour objet de promouvoir une marque de cigarettes, encourageait la consommation d'un produit du tabac; Que le tribunal a relevé d'une part, que cette publicité était particulièrement incitative, puisqu'elle invitait le consommateur à acheter dans une période de temps assez courte, abstraction faite de l'erreur qu'il a commise sur la durée réelle de l'opération, un nombre important de paquets de cigarettes Y, d'autre part que cette opération avait été soigneusement ciblée, les cadeaux offerts ne pouvant attirer qu'une clientèle d'adolescents ou de très jeunes adultes; Qu'en effet, les adultes cessent de fumer et que les firmes productrices de tabac sont amenées à conquérir les jeunes consommateurs pour maintenir le montant des ventes de cigarettes; Que les premiers juges ont à juste titre retenu que contrairement à ce qu'affirmait le prévenu la campagne publicitaire ne s'est pas déroulée à l'intérieur des débits de tabacs, dès lors que les affichettes étaient incluses dans les paquets de cigarettes et étaient transportées par les consommateurs; Que, le tribunal a donc à bon droit décidé que l'opération litigieuse, constituait une publicité en faveur du tabac interdite par l'article 355-25 du Code de la santé publique;

Sur la complicité de Richard R:

Considérant que si un acte postérieur à l'infraction peut constituer un acte de complicité punissable, s'il est en liaison directe et préméditée avec celui-ci, encore faut-il qu'il existe un lien de causalité suffisamment net entre le comportement du prétendu complice et la commission de l'infraction;

Considérant que l'activité de la société X s'est limitée à la réception des cartonettes, au contrôle des réponses et à l'expédition des cadeaux aux bénéficiaires; Que, la campagne publicitaire a été organisée sans son concours et que la X n'a pas donné les moyens de réaliser l'infraction;

Considérant qu'aucun acte de complicité n'ayant été caractérisé à l'encontre de Richard R, c'est à juste titre que les premiers juges l'ont relaxé des fins de la poursuite et ont débouté la partie civile de ses demandes; Que le jugement déféré doit être confirmé de ce chef;

Sur la mise en cause de la X:

Considérant que les premiers juges ont omis de statuer sur la mise en cause de la X en qualité de civilement responsable; Qu'il convient donc d'annuler et d'évoquer le jugement de ce chef;

Considérant que la mise en cause de la société X est sans objet du fait de la relaxe du prévenu lequel au surplus dirige la société et ne saurait engager sa responsabilité.

Considérant que la cour au vu des pièces produites estime que Richard R n'a pas, dans le cadre de la prévention, commis de faute entraînant une réparation civile.

Considérant que la cour, adoptant les motifs pertinents et convaincants des premiers juges confirmera, statuant sur les intérêts civils seuls en cause d'appel, le jugement dont appel qui a débouté le Comité national contre le tabagisme de ses demandes.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel de la partie civile, Sur les intérêts civils seuls en cause d'appel, Dit que dans le cadre de la prévention reprochée, Richard R n'a pas commis de faute entraînant une réparation civile, Confirme le jugement déféré sur les intérêts civils seuls en cause d'appel, Annule le jugement déféré en ce qu'il n'a pas statué sur la mise en cause de la X; Evoquant: Met hors de cause la société Française de diffusion et de documentation, Dit inopérants, mal fondés ou extérieurs à la cause, tous autres moyens, fins ou conclusions contraires ou plus amples, les rejette.