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Décisions

Cass. crim., 15 février 2000, n° 98-86.820

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

Mme Mazars

Avocat général :

M. Geronimi

Avocats :

Me Cossa, SCP Rouvière, Boutet.

Cass. crim. n° 98-86.820

15 février 2000

LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par le Comité national contre le tabagisme, partie civile, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 1er octobre 1998, qui, après relaxe partielle de Jean-Dominique C des chefs d'infractions au Code de la santé publique l'a débouté pour partie de ses demandes; - Vu les mémoires produits en demande et en défense; - Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 355-27- II, L. 355-27-III bis et L. 355-31 du Code de la santé publique ainsi que des dispositions de l'arrêté d'application du 26 avril 1991, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Jean-Dominique C du chef d'infraction à l'obligation d'utiliser un fond contrastant pour les paquets de Royale Filtre, Royale 100 Ultra Légère, Royale Ultra Légère, Royale Menthol, Royale Menthol Légère, Royale Légère Anis, Royale Légère, Pêche-Abricot, Royale Extra-Fine, Gitanes Extra-Légères, Gitanes Blondes Filtres, Gitanes Blondes Légères, Gauloises Blondes 100, Gitanes Ultra-Légères, Gitanes Légères, Royale Menthol Ultra (au lieu de Royale Menthol Ultra-Légère) et Gitanes Légères;

"alors, d'une part que, tout jugement doit comporter des motifs et répondre à tous les chefs péremptoires de conclusions dont les juges sont saisis; qu'en l'espèce, dans ses conclusions circonstanciées, le CNCT faisait sienne la portée reconnue par les premiers juges à l'exigence d'un fond contrastant et analysait, paquet par paquet, le rapport des couleurs utilisées "en fond" et pour les caractères de la mention sanitaire y apposée, ainsi que le caractère intrinsèquement réfléchissant de certaines de ces couleurs, puis invitait en conséquence la cour d'appel à confirmer la décision des premiers juges du chef portant condamnation de Jean- Dominique C pour avoir omis d'utiliser un fond contrastant sur 17 des 21 paquets incriminés, et à l'infirmer en revanche du chef de la relaxe prononcée à raison des paquets de Gitanes Ultralégères, Gitanes Légères, Royale Menthol Ultra-Légère (en réalité Royale Menthol Ultra) et Gitanes Légères; que, dès lors, en infirmant le chef du jugement prononçant la condamnation précitée et en confirmant concomitamment la relaxe partielle, pour ne retenir en définitive la culpabilité de Jean-Dominique C qu'à raison de 7 des paquets de cigarettes visés à la citation, sans autrement en justifier que par l'énumération de ceux-ci, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale;

"alors, d'autre part, qu'en mentionnant tour à tour les paquets de Gitanes Blondes Filtres et de Gitanes Blondes Légères dans l'énumération des paquets pour lesquels elle retenait la culpabilité de Jean-Dominique C pour non-respect de l'exigence d'un fond contrastant, puis dans celle des paquets au titre desquels Jean-Dominique C était relaxé des faits de la poursuite, la cour d'appel a statué en des termes contradictoires, en violation encore des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale";

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des infractions concernant le défaut de fond contrastant sur certains paquets de cigarettes n'était pas rapportée à la charge du prévenu, en l'état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses prétentions; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale;

"en ce que l'arrêt attaqué, confirmant l'allocation au CNCT d'une réparation civile de 150 000 F a, du même coup, implicitement mais nécessairement rejeté le surplus de la demande de dommages-intérêts évaluée par la partie civile à la somme de 87 800 000 F;

"aux motifs que le comité national contre le tabagisme, association qui a été créée pour lutter contre la tabagisme et qui a été reconnue d'utilité publique à cet effet, subit, en raison de la spécificité du but et de l'objet de sa mission, un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur du tabac ou des produits du tabac, un préjudice dont il lui est dû réparation; qu'en effet, le CNCT déploie pour la sauvegarde de la santé, notamment par de nombreuses campagnes d'information et par l'édition d'une publication périodique, des efforts constants de lutte contre le tabagisme qui sont contrariés par les agissements du prévenu; que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour le CNCT partie civile, des agissements de Jean-Dominique C et de la SEITA;

"alors que la cour d'appel, infirmant partiellement le jugement querellé, a notamment retenu la culpabilité de Jean-Dominique C sur certains chefs au titre desquels il avait bénéficié d'une relaxe en première instance, tout en reconduisant purement et simplement les condamnations civiles ordonnées par les premiers juges, motif pris de ce que ceux-ci en avaient exactement apprécié le montant; qu'en statuant de la sorte, au lieu de rechercher si le préjudice subi par le CNCT en conséquence des infractions en définitive retenues en appel, ne justifiait pas une augmentation du montant des réparations allouées par le jugement, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés";

Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, la réparation du préjudice subi par le Comité national contre le tabagisme du fait des infractions dont elle a déclaré le prévenu coupable, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage en découlant; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 355-27-II et L. 355-31 du Code de la santé publique ainsi que des dispositions de l'arrêté d'application du 26 avril 1991, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué, d'une part, a relaxé Jean-Dominique C du chef d'infractions à l'article L. 355-27-II du Code de la santé publique par apposition, en exergue de la mention sanitaire exigée par ce texte, de la mention "selon la loi n 91-32", d'autre part, a dit que la demande tendant à faire cesser la publicité concernée était sans fondement, enfin, et par voie de conséquence, a partiellement débouté le CNCT de sa demande de réparation civile;

"aux motifs que selon l'article L. 355-27 du Code de la santé publique, chaque unité de conditionnement du tabac ou des produits du tabac doit porter, selon des modalités précisées par arrêté du ministre chargé de la santé, la mention: "nuit gravement à la santé"; que la directive des Communautés européennes précise que les Etats membres peuvent prévoir que cet avertissement sanitaire soit accompagné de la mention de l'autorité qui en est l'auteur; qu'il n'est pas soutenu que cette mention réduit la taille de l'avertissement sanitaire ou le rend illisible, mais en affaiblit la portée; que si, comme l'a relevé le tribunal, l'Etat français n'a pas prévu que cet avertissement sanitaire soit accompagné de la mention de l'autorité qui en est l'auteur, il n'a pas non plus interdit toute adjonction faisant référence au texte légal obligeant à mentionner ce message sanitaire; que la référence à la loi n'est pas en soi de nature à rendre ce message inopérant auprès du consommateur qui est suffisamment averti pour savoir que ce n'est pas le législateur qui a décidé que le tabac était un produit dangereux;

"alors, d'une part, que l'article L. 355-27, II, du Code de la santé publique fait obligation d'apposer sur tous les paquets de cigarettes la seule mention "nuit gravement à la santé", sans autoriser l'adjonction d'une quelconque mention complémentaire, serait-elle même simplement indicative de l'origine de l'avertissement sanitaire; que, dès lors, en jugeant que l'adjonction de la mention "selon la loi n 91-32" n'est pas contraire aux dispositions précitées, motif pris de ce que le législateur n'a pas expressément interdit que le message sanitaire soit accompagné du visa du texte exigeant son apposition, la cour d'appel a méconnu le caractère impératif de l'article L. 355-27-II du Code de la santé publique, qu'elle a ainsi violé;

"alors, d'autre part que, pour justifier de ce que l'adjonction, en exergue de l'avertissement sanitaire imposée par l'article L. 355-27-II du Code de la santé publique, de la mention "selon la loi n° 91-32", ne serait pas contraire aux exigences dudit article, la cour d'appel s'est bornée à relever que le visa du texte d'où résulte l'obligation d'apposer un message sanitaire ne rendait pas ce dernier inopérant dès lors que le consommateur n'ignore pas que ce n'est pas le législateur qui a décidé que le tabac est dangereux; qu'en statuant ainsi, sans expliquer en quoi le visa de la loi ne prenait pas, contrairement à ce qu'avait admis le tribunal, une coloration dénigrante, voire ridiculisante, de nature à affaiblir la portée du message sanitaire subséquent, du seul fait qu'il était lui-même précédé de la préposition "selon", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés";

Vu l'article L. 355-27, II, du Code de la santé publique;

Attendu que chaque conditionnement du tabac ou des produits du tabac doit porter la mention: "Nuit gravement à la santé";

Attendu que Jean-Dominique C, dirigeant de la Société Nationale d'Exploitation Industrielle des Tabacs, est poursuivi pour avoir, sur les paquets de cigarettes produits par cette société, fait précéder l'avertissement sanitaire: "Nuit gravement à la santé", des termes: "selon la loi n° 91-32";

Attendu que, pour relaxer le prévenu de ce chef, les juges d'appel retiennent que cette adjonction, qui n'est pas de nature à affaiblir le message sanitaire, n'est pas interdite;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'en l'absence de transposition, dans la loi interne, des dispositions facultatives de l'article 4, 3 , de la directive n° 89-622-CEE du 13 novembre 1989, l'infraction punie par l'article L. 355-31 du Code de la santé publique est caractérisée par toute modification du texte de l'avertissement sanitaire imposé par l'article L. 355-27, II, du même Code, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de ce texte; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef;

Par ces motifs, casse et annule l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 1er octobre 1998, mais en ses seules dispositions civiles relatives à l'application de l'article L. 355-27-II du Code de la santé publique, toutes autres dispositions étant expressément maintenues; Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel d'Orléans, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.