CA Paris, 13e ch. A, 2 mai 1994, n° 93-08045
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Comité national contre le tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Petit
Avocat général :
M. Bouazzouni
Conseillers :
M. Guilbaud, Mme Morat
Avocats :
SCP Courteaud Pellissier, Me Antonini.
RAPPEL DE LA PROCÉDURE:
LE JUGEMENT:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a:
déclaré P Evelyne coupable d'avoir publié dans le numéro de novembre 1992 du magazine féminin X deux séries de publicités illicites en faveur du tabac, à savoir:
- en page 196, la photographie d'un paquet de cigarettes Y accompagnée d'un texte de présentation,
- page 230 et suivantes, un reportage de mode réalisé sur le circuit de Magny-court qui montre de nombreux objets portant la marque Z,
infraction prévue par l'article 1, 2, 8, 12, 15 loi 76-616 du 09/07/1976 et, en application de ces articles, l'a condamnée à 150 000 F d'amende, reçu le Comité national contre le tabagisme en sa constitution de partie civile,
condamné P Evelyne à lui verser la somme de 150 000F à titre de dommages-intérêts, celle de 4 000F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,
déclare la société M civilement responsable, dit que la décision était assujettie à un droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné,
LES APPELS:
Appel a été interjeté par:
Madame P Evelyne, le 18 octobre 1993; M (société), le 18 octobre 1993;
M. le Procureur de la République, le 18 octobre 1993 contre Madame P Evelyne
DÉCISION:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels relevés par la prévenue, le civilement responsable et le Ministère public à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la prévention;
Par voie de conclusions conjointes la prévenue et le civilement responsable sollicitent de la cour, par infirmation, la relaxe de Mme Evelyne P des fins de la poursuite, la mise hors de cause de la société M et le débouté de la partie civile de ses demandes;
Ils font valoir, à titre principal, que les éléments constitutifs du délit reproché ne sont réunis ni pour la photographie d'un paquet de cigarettes Y accompagnée d'un texte de présentation ni pour le reportage de mode réalisé dans un décor représentant le circuit de Magny Cours pendant les essais de l'écurie Ligier, marque automobile parrainée par Z,
Ils soutiennent en effet que les mentions considérées par le tribunal comme constitutives d'une publicité illicite en faveur des cigarettes Y ne sont qu'une simple information objective ou une explication de la constitution se rattachant directement au produit et qu'elles ne peuvent, en aucun cas, être assimilées à de la propagande;
Ils indiquent par ailleurs que les articles portant la marque "Z" n'étaient pas l'objet du reportage et qu'à supposer que l'on puisse retenir en l'espèce la notion de publicité en faveur du tabac, seule celle de publicité indirecte par voie de presse pourrait être invoquée, laquelle s'inscrit dans le vide juridique crée par la loi du 10 janvier 1991 pour la période intermédiaire comprise entre le 12 janvier 1991 et le 1er janvier 1993; que le CNCT en ayant parfaitement conscience a visé dans sa citation l'article 8 de la loi de 1976 relatif à la seule publicité directe; que pour écarter cet argument les premiers juges ont estimé selon eux à tort, que la référence à la marque de cigarettes "Z" constituait une publicité directe malgré son caractère accessoire, créant ainsi une catégorie nouvelle de "publicité accessoire" qui, non prévue par le législateur, ne peut faire l'objet d'aucune sanction pénale;
Ils concluent en outre, à titre subsidiaire, que la seule publication imputée à Mme Evelyne P n'emporte pas sa responsabilité personnelle l'article 5 de la loi du 10 janvier 1991 ayant abrogé l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976 et que, s'il est effectivement difficile d'imaginer que le directeur de publication n'ait pas eu connaissance de l'existence des publicité et reportage litigieux, leur caractère "manifestation illicite" est loin d'être acquis malgré l'affirmation péremptoire du tribunal et que, par voie de conséquence, la mauvaise foi n'est pas établie;
Le représentant du Ministère public requiert pour sa part la confirmation du jugement déféré;
La partie civile intimée conclut à la confirmation du jugement entrepris et sollicite une somme de 5 000 F pour frais irrépétibles en cause d'appel;
Considérant qu'il convient de rappeler que par citation directe le CNCT a fait citer Mme Evelyne P et la société M, en tant que civilement responsable, pour voir Mme Evelyne P déclarée coupable d'infractions à l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976 et condamnée avec la société M à lui verser 250 000 F à titre de dommages-intérêts outre la somme de 4 000 F pour frais irrépétibles;
Que dans sa citation la partie civile expose que le numéro de novembre 1992 de la revue "X" comporte 2 séries de publicités illicites en faveur du tabac:
- en page 196, la photographie d'un paquet de cigarettes Y accompagnée d'un texte de présentation: "nouveau système de filtrage pour la cigarette Y ultra mild. Elle est présentée en paquet rigide et produit par R"
- page 230 et suivantes, un reportage de mode "cuir" qui montre de nombreux objets portant la marque Z dont la mention apparaît à près de 10 reprises sur des casques, des panneaux, des voitures, des combinaisons portées par des mannequins, des ombrelles...;
Considérant que la matérialité des faits n'est pas contestée;
Considérant que la cour ne saurait suivre la prévenue en son argumentation;
Sur les faits d'infractions à la loi de 1976
Considérant que la cour constate en effet que, sous prétexte de faire connaître à ses lecteurs des produits nouveaux, le numéro de novembre de X reproduit en page 196, la photographie d'un paquet de cigarettes Y Ultra Mild accompagnée d'un texte comprenant des mentions incitativestelles que:
"Elle est aujourd'hui la plus légère du marché"... "Elle est présentée en paquet rigide..." en violation des dispositions de l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976 qui prohibent toute mention autre que la dénomination du produit, sa composition, le nom et l'adresse du fabricant et le cas échéant du distributeur;
Considérant que d'autre part la cour est convaincue, comme le tribunal, que le rappel systématique et complaisant, dans le reportage des pages 230 et suivantes, de la marque de cigarettes "Z" constitue une publicité directe, bien qu'accessoire, en faveur du tabac qui ne peut être qualifiée de clandestine tant son caractère évident est affiché;
Que l'apposition répétée de la marque même de cigarettes "Z" jusque sur une ombrelle, objet peu usité en formule 1, ne peut résulter que d'une volonté délibérée de promouvoir directement un produit du tabac et non d'un malencontreux concours de circonstances;
Que la cour observe par ailleurs que cette publicité effectuée dans le cadre valorisant d'un circuit de formule I contrevient manifestement aux dispositions de l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976, en vigueur au moment des faits, qui n'autorisent d'autre représentation graphique ou photographique que celle du produit, de son emballage et de l'emblème de la marque;
Considérant que c'est donc par des motifs pertinents que la cour fait siens que les premiers juges ont, à bon droit, considéré ces délits établis;
Sur la responsabilité pénale
Considérant que l'article 5 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 a abrogé l'article 14 de la loi de 1976 qui, en matière d'infraction à la publicité en faveur du tabac par voie de presse, se référait aux règles spécifiques de l'article 285 du Code pénal quant à la détermination de personnes pénalement responsables;
Que dès lors, il convient d'appliquer en matière d'infraction à la loi de 1976 les règles de droit commun en matière d'imputabilité de la responsabilité pénale;
Que sont auteurs d'une infraction toutes les personnes qui ont concouru à la réalisation de ses éléments constitutifs;
Considérant qu'en l'espèce Mme Evelyne P en sa qualité de Président de la société M SA qui édite la revue X, et de directeur de la publication, ainsi que cela ressort des mentions figurant page 316 du numéro X, a personnellement participé à la diffusion des publicités illicites;
Qu'en effet sans son intervention ces publicités, dont il lui appartenait de s'assurer du caractère licite, n'auraient pas été diffusées au public des lecteurs du magazine
Qu'ainsi elle s'est donc personnellement rendue coupable des infractions visées à la citation;
Considérant qu'il échet de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité ainsi que sur la peine prononcée qui, eu égard à la personnalité de la prévenue et à la nature des faits, est équitable
Sur l'action civile
Considérant que la cour qui dispose des éléments nécessaires et suffisants pour évaluer le préjudice certain subi par la partie civile et découlant directement des faits visés à la citation estime devoir modifier l'évaluation qu'en ont faite les premiers juges et fixer à 100 000 F le montant des dommages-intérêts à allouer au CNCT;
Considérant qu'il y a lieu de confirmer la somme de 4 000 F allouée par le tribunal au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, et, y ajoutant de condamner la prévenue à verser celle de 3 000 F pour les frais irrépétibles en cause d'appel;
Considérant qu'il échet de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la société M civilement responsable de Mme Evelyne P;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement Reçoit les appels interjetés, Sur l'action publique: Rejette les conclusions de relaxe de la prévenue, Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité et sur la peine, Sur l'action civile: Rejette les conclusions de mise hors de cause du civilement responsable, Emende la décision entreprise sur les intérêts civils, Condamne Mme Evelyne P à verser à la partie civile la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, Confirme le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la prévenue à verser au CNCT la somme de 4 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Y ajoutant, condamne Mmc Evelyne P à verser celle de 3 000 F à la partie civile pour frais irrépétibles en cause d'appel, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la société M civilement responsable de la prévenue, Rejette toutes autres conclusions plus amples ou contraires, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné.