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Décisions

CA Caen, 1re ch. sect. civ., 7 novembre 1995, n° 94-00402

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pichot

Défendeur :

Huille (ès qual.), Benoist Construction (SA), Mutuelles du Mans IARD, Larivière Matériaux et Construction (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calle

Conseillers :

Mme Beuve, M. Gregoire

Avoués :

Me Grandsard, SCP Duhaze-Mosquet-Mialon, Me Sebire, SCP Dupas-Trautvetter-Ygouf

Avocats :

Mes Le Pesant, Huaume, Souron, Papin

TGI Alençon, du 28 sept. 1993

28 septembre 1993

Monsieur Didier Pichot a conclu le 31 octobre 1980 avec la SA Benoist Construction un contrat de construction d'une maison individuelle de type F4.

Il s'est réservé une partie importante des prestations dont la pose de la couverture, les tuiles étant fournies par la SA Benoist Construction qui s'était elle-même approvisionnée auprès de la société Larivière Matériaux et Construction.

La réception des travaux a été prononcée sans réserves le 31 juillet 1982.

Ayant constaté une dégradation des tuiles, Monsieur Pichot a obtenu, suivant ordonnance de référé en date du 11 octobre 1989, la désignation d'un expert Monsieur Bourreau.

Ensuite du dépôt du rapport d'expertise, il a saisi le Tribunal de grande instance d'Alençon qui, par jugement rendu le 28 septembre 1993, a:

- Déclaré la société SA Benoist Construction, responsable des désordres constatés sur la couverture de l'immeuble appartenant à Monsieur Pichot, sis le Bois Aulard à St-Sulpice-sur-Risle, sur le fondement de la garantie des vices cachés.

- Constaté que le contrat liant Monsieur Pichot et la SA Benoist Construction pour le lot couverture n'est pas un contrat de louage d'ouvrage mais un contrat de fourniture; en conséquence mis hors de cause les Mutuelles du Mans Assurances.

- Constaté que la SA Benoist Construction est en liquidation judiciaire et que Monsieur Pichot ne justifie pas avoir produit.

- Constaté que l'expertise n'est pas opposable à la SA Larivière appelée en garantie par la SA Benoist Construction agissant par l'intermédiaire de Maître Huille, mandataire liquidateur.

- En conséquence, débouté Monsieur Pichot de ses demandes et la SA Benoist Construction, en la personne de Maître Huille, "ès qualité", de son appel en garantie.

Ayant relevé appel de cette décision, Monsieur Pichot demande à la cour de la réformer partiellement et de:

- Condamner, Les Mutuelles du Mans Assurances en qualité d'assureur de la SA Benoist Construction in solidum avec la société "Larivière Construction & Matériaux" à lui payer la somme de 88 455,34 F - valeur avril 1991, montant du coût des travaux réparatoires à entreprendre afin que l'ouvrage soit remis dans l'état où il aurait dû être livré dès l'origine.

- Dire que ladite condamnation sera actualisée au jour de l'arrêt à intervenir par application de l'indice du coût de la construction et portera ensuite intérêts au taux légal.

- Condamner in solidum Les Mutuelles du Mans Assurances, la société "Larivière Matériaux & Construction" à payer la somme de 50 000 F a titre de dommages et intérêts pour troubles de jouissance et 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il conclut, par ailleurs, à la confirmation des dispositions ayant déclaré la société Benoist Construction responsable des désordres, sans condamnation pécuniaire à son encontre.

Maître Huille, mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SA Benoist Construction, conclut pour sa part à l'irrecevabilité et au mal-fondé des demandes formées par Monsieur Pichot à son encontre et à la condamnation de ce dernier à lui payer une somme de 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A titre subsidiaire, elle demande à la cour de:

- Déclarer Monsieur Pichot responsable dans une proportion qu'il appartient à la cour de déterminer, des désordres affectant la toiture de son pavillon.

- Accorder pour le surplus recours et garantie à Maître Huille, ès qualité, à l'encontre de la SA Larivière et, à défaut, à l'encontre des Mutuelles du Mans de toute condamnation qui viendrait à être prononcée à son encontre.

- Ordonner en tant que de besoin une expertise complémentaire afin de voir déclarer l'expertise de Monsieur Bourreau opposable à la SA Larivière.

- Condamner la SA Larivière à payer à Maître Huille, ès qualité, une somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Compagnie Mutuelle du Mans Assurances demande à la cour de:

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'elle a été mise hors de cause;

- Subsidiairement si par extraordinaire la cour retenait sa garantie pour le désordre allégué, constater la part de responsabilité de Monsieur Pichot dans ces désordres;

- Lui accorder recours et récompense contre les Etablissements Larivière.

- Ordonner si besoin un complément d'expertise afin de rendre le rapport de Monsieur Bourreau opposable à la société Larivière.

La SA Larivière Matériaux et Construction conclut à la confirmation des dispositions du jugement la mettant hors de cause et à la condamnation du succombant au paiement de la somme de 5 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 septembre 1995.

MOTIFS

- Sur la demande de Monsieur Pichot à l'encontre de la SA Benoist Construction:

Maître Huille critique la décision déférée en faisant valoir que l'action en garantie des vices cachés qui n'a pas été exercée à bref délai est irrecevable.

Elle soutient par ailleurs que l'expert ayant relevé à la charge de Monsieur Pichot un non-respect des règles de l'art dans la mise en place des tuiles, une part de responsabilité doit être en tout état de cause laissée à sa charge.

Monsieur Pichot rétorque qu'aucun vice de mise en œuvre susceptible d'engager sa responsabilité n'est caractérisé.

Les premiers juges ont exactement analysé les relations contractuelles existant entre Monsieur Pichot et la SA Benoist Construction en retenant qu'ils étaient liés par un contrat de fourniture de sorte que Monsieur Pichot est recevable à rechercher la garantie de son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Il est certain qu'il s'est produit un phénomène de dégradation générale des tuiles par exfoliation et effritement dû à un vice du matériau, non apparent lors de la vente.

Il n'est pas contesté que cette dégradation s'est manifestée cinq ans après la pose des tuiles soit à la fin de l'année 1986.

Monsieur Pichot en a informé la SA Benoist Construction qui a, à son tour, alerté son fournisseur la SA Larivière qui a effectué une déclaration de litige.

Il résulte des courriers émanant de la SA Benoist Construction, annexés au rapport d'expertise, que celle-ci qui ne contestait pas être tenue de remédier aux désordres a recherché avec la société Larivière un produit de remplacement pouvant s'apparenter à la tuile posée.

Il en résulte que Monsieur Pichot qui a alerté son vendeur dès qu'il a eu connaissance du vice du matériau et qui a patienté pendant dix-huit mois du fait des propositions de reprise faites par le vendeur a engagé son action -assignation en référé du 6 octobre 1989- à bref délai.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que la SA Benoist Construction devait sa garantie sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil.

L'expert a toutefois relevé que Monsieur Pichot qui a assuré la pose des tuiles n'a pas strictement respecté la réglementation de pose en omettant de placer les chatières de ventilation hautes et basses.

Il relève toutefois que sa "responsabilité est amoindrie" dès lors que c'est le matériau lui-même qui est en cause.

Il convient, eu égard à cette erreur dans la mise en œuvre des matériaux, imputable au maître de l'ouvrage, de laisser à la charge de ce dernier un quart des travaux de reprise.

Il y a donc lieu à réformation de ce chef.

L'expert a préconisé le remplacement intégral des tuiles.

La nature des travaux de reprise pas plus que leur coût -88 455,43 F valeur avril 1991- ne sont critiqués par les parties intéressées de sorte que cette cour adopte les conclusions de l'expert sur ce point.

Il convient d'observer que c'est à tort que les premiers juges ont déclare que Monsieur Pichot n'avait pas déclaré sa créance à la liquidation judiciaire de la SA Benoist Construction.

- Sur l'appel en garantie de Maître Huille contre la société Larivière:

Il convient de relever en premier lieu que dès lors que la responsabilité de la SA Benoist Construction est partiellement retenue et que Monsieur Pichot a déclaré sa créance à la liquidation judiciaire, Maître Huille a un intérêt à demander à être garanti par la société Larivière.

Le vendeur dispose d'une action récursoire à l'encontre de son fournisseur sur le fondement de la garantie des vices cachés.

C'est à tort que la société Larivière soutient que l'action n'a pas été engagée à bref délai dès lors que le point de départ du bref délai est fixé à la date de l'assignation au fond délivrée par le maître de l'ouvrage soit le 26 juin 1991 et que l'appel en garantie a été effectué par acte du 17 janvier 1992 étant observé qu'entre ces deux dates est intervenue la liquidation judiciaire de la société Benoist Construction.

Par ailleurs, si le délai de prescription de 10 ans prévu par l'article 189 bis du Code de commerce trouve application dans les relations entre la SA Benoist Construction et la société Larivière, ce délai est suspendu tant que le vendeur ne voit pas sa responsabilité mise en cause par le maître de l'ouvrage.

Maître Huille n'est donc pas forclos dans son action récursoire.

Il est certain, par ailleurs, que le rapport d'expertise de Monsieur Bourreau n'est pas opposable à la société Larivière.

Il convient toutefois d'observer que la société Larivière n'a, avant l'engagement de la procédure, jamais contesté l'existence d'une dégradation des tuiles consécutives à un vice caché du matériau.

Elle a effectué en avril 1987 une déclaration de litige et il résulte des courriers établis par la société Benoist Construction, non contestés, qu'elle a fait des diligences pour trouver des tuiles en remplacement de celles dégradées.

Elle ne forme par ailleurs aucune contestation sur le fond dans le cadre de la présente instance.

Il convient en conséquence de faire droit à l'action récursoire formée par Maître Huille.

- Sur l'action directe de Monsieur Pichot contre la société Larivière:

Monsieur Pichot soutient qu'il bénéficie, eu égard aux dispositions de l'article 1166 du Code civil d'une action directe à l'encontre du fournisseur des matériaux.

Il ajoute que son action peut également être accueillie sur la base des dispositions de l'article 1792-4 du Code civil.

Il précise que son action n'est pas fondée sur les constatations expertales mais sur le fait objectif que le matériau est impropre à sa destination.

La société Larivière rétorque qu'elle n'a aucun lien de droit avec Monsieur Pichot et que l'action directe ne peut prospérer sur les fondements invoqués.

C'est à juste titre que la société Larivière soutient que les conditions posées par l'article 1166 du Code civil pour l'exercice de l'action oblique ne sont pas remplies.

Par ailleurs, Monsieur Pichot ne peut fonder son action sur les dispositions de l'article 1792-4 du Code civil dès lors, d'une part, que la société Larivière n'est pas le fabricant des tuiles et, d'autre part, qu'il ne s'agit pas d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement mais d'un matériau.

Il appartient toutefois au juge, par application de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile, de restituer aux faits et aux actes litigieux leur exacte qualification et de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.

Or le sous-acquéreur qui jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartient à son auteur dispose à cet effet contre le fournisseur d'une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée laquelle peut-être exercée dans le délai de droit commun.

Il en résulte que Monsieur Pichot est bien fondé à rechercher directement la responsabilité contractuelle de la société Larivière qui a approvisionné la SA Benoist Construction.

La SA Larivière n'oppose pas à Monsieur Pichot que le matériau qu'elle a livré était conforme à l'usage auquel il était destiné.

Il convient donc de la condamner à payer à Monsieur Pichot, eu égard à la part de responsabilité restant à la charge de ce dernier, une somme de 66 341,57 F valeur avril 1991 réactualisée.

- Sur la garantie des Mutuelles du Mans:

Pour critiquer la décision déférée, Monsieur Pichot soutient que la SA Benoist Construction, en procédant à la réception sous réserve de l'ouvrage, a réceptionné la totalité des travaux exécutés par elle-même ou des locateurs d'ouvrage qu'elle s'est substituée dont lui-même qui peut être assimilé, dans l'exécution de la pose de la couverture, à un sous-traitant.

Il n'est pas contesté que la SA Benoist Construction a souscrit auprès des Mutuelles du Mans une police de responsabilité décennale des constructeurs de maison individuelle de sorte que la Compagnie d'assurances ne pourrait se voir tenue qu'à la garantie de la responsabilité prévue par les articles 1792 et suivants du Code civil.

En l'espèce, la garantie due par la société Benoist Construction est retenue sur le fondement de la garantie des vices cachés dans le cadre d'un contrat de fourniture.

Il importe peu que Monsieur Pichot et la SA Benoist Construction aient été liés par un contrat de louage d'ouvrage pour l'exécution d'autres prestations et la réception n'a pu porter sur les travaux que se réservaient le maître de l'ouvrage.

C'est donc à juste titre, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, que les Mutuelles du Mans dénient leur garantie.

La décision déférée doit être confirmée de ce chef.

- Sur le trouble de jouissance et les demandes annexes:

Eu égard à l'ancienneté de désordres mais aussi en tenant compte de ce que ceux-ci n'ont pas créé une gêne importante dans la jouissance de l'immeuble, le préjudice de jouissance sera évalué à 12 000 F.

Les dépens de première instance et d'appel seront supportés in solidum par Maître Huille, en qualité de liquidateur de la SA Benoist Construction, et par la société Larivière.

Il est inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Pichot la totalité des frais irrépétibles qu'il a exposés dans le cadre la présente instance.

Sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doit être accueillie à hauteur de 15 000 F.

Les demandes présentes sur ce même fondement par Maître Huille et la société Larivière seront rejetées.

Par ces motifs: Réforme partiellement la décision déférée; Constate que Monsieur Pichot a déclaré sa créance à la liquidation judiciaire de la SA Benoist Construction; Déclare fondée l'action en garantie des vices cachés formée par Monsieur Pichot à l'encontre de la SA Benoist Construction représentée par Maître Huille; Dit toutefois que Monsieur Pichot devra conserver à sa charge un quart du coût des travaux de reprise; Accorde à Maître Huille, en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Benoist Construction, recours et garantie à l'encontre de la société Larivière pour toute somme que la SA Benoist Construction serait amenée à régler au maître de l'ouvrage; Condamne la société Larivière Matériaux et Constructions à payer à Monsieur Pichot les sommes suivantes: 66 341,57 F au titre des travaux de reprise, ladite somme étant réévaluée selon l'indice du coût de la construction au jour du présent arrêt, l'indice de référence étant celui d'avril 1991, outre les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, 12 000 F à titre de dommages-intérêts, 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Confirme la décision déférée en ses autres dispositions non contraires à celles du présent arrêt; Y ajoutant, Déboute Maître Huille, en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SA Benoist Construction, et la société Larivière du surplus de leurs demandes; Condamne in solidum Maître Huille, en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SA Benoist Construction, et la société Larivière aux dépens de première instance en ce compris le coût de l'expertise et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit des avoués qui en font la demande.