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Décisions

CA Pau, 2e ch., 26 avril 1990, n° 583-90

PAU

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Kis Photo Speed (SARL)

Défendeur :

Auxibail (SA), Lagrace

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Biecher

Conseillers :

M. Bataille, Mlle Massieu

Avoués :

Me Vergez, SCP Rodon

Avocats :

SCP Dissez-Rivet, Me Laparade

T. com. Oloron Sainte-Marie, du 28 déc. …

28 décembre 1988

LA COUR,

Attendu que suivant bon de commande du 4 août 1983, A. Lagrace a acquis auprès de la société Kis Photo un ensemble "Magnum" pour le tirage des photographies au prix de 213 641,40 F TTC et la livraison est intervenue le 8 décembre 1983;

Que pour financer cet achat, il a contracté auprès de la société Auxibail un crédit-bail daté du 7 février 1984 et stipulant 60 loyers mensuels exigibles à compter du 20 février 1984;

Attendu que suivant bon de commande du 7 janvier 1986, A. Lagrace a acquis auprès de la société Kis et au prix de 63 332,40 F, un analyseur de couleur et un transformateur de la tireuse qui ont été livrés le 12 février 1986 avec une garantie totale de 6 mois à compter de cette date;

Attendu qu'il n'a plus réglé les échéances du crédit-bail à compter du 20 juillet 1986, et la société Auxibail lui ayant adressé une lettre recommandée avec accusé de réception le 15 septembre a obtenu le 4 février 1987 une ordonnance du président du Tribunal de commerce d'Oloron Sainte-Marie l'autorisant à prendre possession du matériel;

Attendu aussi que le 23 juillet 1986, A. Lagrace faisait constater par huissier le mauvais fonctionnement du matériel Kis;

Attendu que par exploits des 8 et 9 avril 1987, il assignait les société Kis et Auxibail en référé aux fins d'expertise du matériel livré en 1986 et "présentant d'importants défauts le rendant impropre à l'usage auquel il est destiné";

Que cette procédure avait pour finalité, selon les termes même de l'assignation, la justification du non-paiement des échéances du crédit-bail et l'obtention d'un sursis à la saisie du matériel;

Attendu que par décision du 21 avril, le président du Tribunal de commerce d'Oloron Sainte-Marie statuant en référé a ordonné une expertise confiée à Monsieur Drobny qui a établi son rapport le 2 décembre 1987;

Attendu qu'au cours de cette expertise le matériel livré en 1986 a été remplacé par la société Kis;

Attendu que par exploit du 28 juillet 1988 la société Auxibail a fait assigner A. Lagrace en paiement d'une somme de 208 178,42 F due en exécution du contrat du 7 février 1984;

Que sur cette action, A. Lagrace a le 1er octobre 1988 assigné en garantie la société Kis;

Que par exploit du même jour il a assigné cette même société en résolution de la vente de 1986;

Que les deux procédures ont donné lieu à deux décisions rendues le 28 décembre 1988 par le Tribunal de commerce d'Oloron Sainte-Marie qui, homologuant le rapport d'expertise Drobny a:

- dans l'instance opposant la société Auxibail à Alain Lagrace et à la société Kis, constaté la résiliation de plein droit du contrat de crédit-bail et, en conséquence, a condamné A. Lagrace à payer le montant des sommes dues en vertu de ce contrat et à restituer le matériel loué; a condamné la société Kis à la relever le défendeur indemne de ces condamnations;

- dans l'instance opposant A. Lagrace à la société Kis, refusé de prononcer la résolution de la vente du matériel acquis en 1986 mais a condamné la défenderesse à payer à A. Lagrace diverses sommes à titre de dommages-intérêts;

Attendu que la société Kis a régulièrement formé appel contre ces deux décisions;

Attendu qu'il existe entre les instances un lien tel que les premiers juges ont dû reproduire les mêmes motifs dans les deux jugements; qu'en conséquence, et par application de l'article 367 du nouveau Code de procédure civile, il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de les joindre pour les juger ensemble;

La résiliation du contrat de crédit-bail:

Attendu selon l'article 1134 du Code civil que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi;

Attendu qu'en l'espèce le contrat litigieux stipule en son article 13 que la résiliation est acquise de plein droit huit jours après mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception en cas notamment de non-paiement à l'échéance d'un terme de loyer;

Que la lettre recommandée avec accusé de réception du 15 septembre 1986 ne figure pas au dossier des parties, mais son existence a été spécialement constatée par ordonnance définitive de référé et A. Lagrace reconnaît sa défaillance dès l'échéance du 20 juillet 1986 et ne conteste ni la résiliation intervenue de plein droit à la date du 23 septembre 1986 ni le montant de la somme réclamée par la société Auxibail, 208 178,42 F, critiquée cependant par les premiers juges qui ont invité les parties à établir un nouveau décompte;

Que la société Kis n'émet pas davantage de critique contre cette résiliation;

Attendu que dans ces conditions, la cour constatera la résiliation du contrat du 4 août 1983, à compter du 23 septembre 1986, confirmera la condamnation mise à la charge de A. Lagrace et l'obligation de restitution du matériel loué;

La demande de résolution du contrat de vente du 7 janvier 1986:

Attendu que les premiers juges au motif que l'article 6 du contrat de crédit-bail aux termes duquel "toute pièce incorporée au matériel devient immédiatement la propriété du bailleur" ont décidé que A. Lagrace en sa qualité de locataire était irrecevable à se prévaloir de la résiliation du contrat de vente du matériel acquis en 1986;

Attendu que la société Kis critique ce moyen, relevé d'office par les juges et non soumis à la discussion contradictoire des parties au mépris de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile;

Qu'elle rappelle que le locataire est subrogé dans les droits du propriétaire pour mettre en œuvre toutes actions nées du vice caché de la machine;

Que sur le fond de la demande faite en application des articles 1641 et suivants du Code civil elle invoque la tardivité de l'action; qu'elle fait valoir aussi l'absence de vice caché, l'expertise Drobny ne faisant état que d'un défaut de réglage ; qu'elle ajoute enfin qu'il appartenait à A. Lagrace de souscrire un contrat de maintenance pour obtenir une mise au point régulière de l'appareil, ce qui n'a pas été fait par souci d'économie de la part du client, mais ne peut être imputé à faute au fabricant;

Attendu que devant la cour ni A. Lagrace ni la société Auxibail n'ont développé de nouveaux moyens et répondu à ceux qui viennent d'être exposés;

Attendu selon l'article 4 du contrat de crédit-bail que le locataire renonce à tout recours contre le bailleur dans les droits duquel il se trouve subrogé vis-à-vis du fabricant ou fournisseur défaillant;

Qu'il s'ensuit que A. Lagrace locataire est fondé à agir aux lieux et place de la société Auxibail propriétaire, directement contre le fabricant pour vice rédhibitoire affectant le matériel faisant l'objet du crédit-bail ou bien le matériel incorporé ultérieurement;

Attendu qu'A. Lagrace avait saisi le tribunal d'une action pour vice rédhibitoire affectant seulement le matériel acquis en 1986;

Qu'il appartient en conséquence à la cour de rechercher si les conditions de l'action des articles 1641 et suivants du Code civil sont réunies pour cette vente exclusivement;

Attendu selon ces textes que le vendeur est tenu sauf stipulation contraire à la garantie des vices cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acquéreur, s'il les avait connus, ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix;

Qu'une telle action pour être recevable doit être intentée à bref délai suivant la nature du vice et l'usage du lieu où la vente a été faite;

Attendu que selon l'article 2444 du Code civil dans la rédaction que lui a donné la loi du 5 juillet 1985 qu'une citation en justice même en référé, signifiée à celui qu'on veut empêcher de prescrire interrompt la prescription ainsi que les délais pour agir;

Que la jurisprudence a précisé que la demande devait, au moins implicitement, renfermer une prétention à l'interruption de la prescription;

Attendu que l'interruption du bref délai ouvre ensuite à l'acquéreur le temps du droit commun, et ce par assimilation du bref délai de l'article 1648 du Code civil aux courtes prescriptions visées par l'article 2274 du même Code, qui produit une inversion des prescriptions;

Attendu aussi que la prescription peut aussi se trouver contredite par une reconnaissance expresse ou tacite, se déduisant de l'attitude non équivoque du débiteur, du bien-fondé du droit de l'acquéreur;

Attendu qu'en l'espèce, à la suite du procès-verbal de constat de malfaçons de juillet 1986 intervenant après plusieurs réparations, la société Kis a de nouveau dépêché un technicien chez A. Lagrace en août et septembre;

Qu'après un échange de courrier en vue d'une solution amiable qui n'a pas abouti a été citée en référé en avril 1987, l'assignation faisant une référence implicite aux dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil dont elle reproduit les termes;

Qu'en cours d'expertise, la société Kis a procédé par deux fois au remplacement de l'analyseur et des optiques des passe-vues;

Attendu qu'il ressort du déroulement de ces faits que d'une part la société Kis a admis, au moins jusqu'au mois d'août 1987, la défectuosité du matériel livré puisqu'elle a accepté de le changer; et d'autre part, l'assignation en référé qui a eu pour effet d'interrompre le bref délai a ouvert un délai de droit commun à A. Lagrace qui, dès lors, est recevable à agir en septembre 1988;

Attendu qu'il convient de rechercher si les défaillances du matériel constituent un vice caché tel que défini par l'article 1641 du Code civil;

Attendu selon le rapport Drobny non critiqué par les parties que l'absence de plage de réglage de la commande de densité en mode manuel sans analyseur, et en mode automatique, avec analyseur, était une malfaçon réparée par l'échange des passe-vues en juin 1987; que "le manque de fiabilité du matériel (nombre élevé de petites pauses, arrêtant la machine) a fortement gêné le travail de A. Lagrace mais ne pouvait être considéré comme vice ou malfaçon si l'intervention du service d'entretien avait toujours été rapide. Vu le climat tendu qui a repris entre les parties cela n'a pas toujours été le cas : sur ce point les parties se rejettent mutuellement la responsabilité;

L'utilisation optimale de l'appareil n'a été possible qu'à compter de juin 1987 et depuis cette date, l'assistance technique doit être très suivie;

Qu'on en déduit, qu'après intervention des techniciens de la société Kis puis de l'expert, l'appareil vendu en 1986 n'est pas impropre à l'usage auquel il est destiné s'il est convenablement entretenu;

Que dès lors, l'action pour vice rédhibitoire n'est pas recevable; le litige opposant les parties pouvant relever éventuellement d'une action en responsabilité contractuelle pour non-conformité de la chose livrée ou manquement du vendeur à son obligation de conseil, mais ce point n'a pas été soulevé par les parties;

La demande reconventionnelle de la société Kis:

Attendu que la société Kis a formé une demande reconventionnelle tendant à la restitution des sommes réglées au titre de l'exécution provisoire et à la condamnation de A. Lagrace à lui payer 70 509,15 F montant du matériel acquis en 1986 avec intérêts de droit depuis le 24 janvier 1986 outre 15 000 F de dommages-intérêts pour résistance abusive et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que les intimés n'ont pas répliqué à ces demandes;

Attendu que A. Lagrace n'invoque ni le paiement de la facture de 1986 ni une quelconque cause d'extinction de la créance de la société Kis qui s'élèvent selon justificatifs fournis à 63 332,40 F TTC;

Qu'il y a lieu de le condamner à payer cette somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, le dossier de l'appelante ne comportant aucune mise en demeure de payer datée et signifiée au défendeur, y compris sous forme de conclusions, pouvant servir de point de départ des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil;

Attendu qu'il y a lieu aussi d'ordonner la restitution de sommes réglées par exécution provisoire, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt qui constitue le titre de la restitution;

Attendu que la résistance abusive alléguée n'est pas démontrée et ne peut donner lieu à dommages-intérêts;

Attendu par contre qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Kis la totalité des frais irrépétibles de l'instance et il lui sera alloué une somme de 8 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu l'article 696 du même Code;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort; Déclare l'appel de la société Kis recevable; Confirme le jugement du Tribunal de commerce d'Oloron Sainte-Marie en date du 28 décembre 1989 qui a résilié le contrat de crédit-bail du 7 février 1984 et condamné A. Lagrace au paiement des sommes restant dues au 15 septembre 1986 et à la restitution du matériel propriété de la société Auxibail; Infirme ce jugement pour le surplus; Infirme le jugement du Tribunal de commerce d'Oloron Sainte-Marie du 28 décembre 1988 qui a refusé de prononcer la résolution de la vente du 7 janvier 1986; Dit que le matériel acquis le 7 janvier 1986 n'est pas affecté d'un vice rédhibitoire; Condamne A. Lagrace à payer à la société Kis la somme de 63 330,40 F; Le condamne à restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire; Dit que ces sommes produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt; Déboute la société Kis de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive; Condamne A. Lagrace à payer à la société Kis la somme de 8 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Le condamne aux dépens de première instance et d'appel; Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, Maître Vergez et la SCP Rodon Georges et Rodon Jean-Yves, avoués, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.