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Décisions

CA Paris, 1re ch. B, 11 avril 2002, n° 2001-09150

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Comité national contre le tabagisme, Lebosse-Peluchonneau (ès qual.)

Défendeur :

RJ Reynolds Tobacco (GmbH)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grellier

Conseillers :

Mmes Brongniart, Chaubon

Avoués :

Me Bodin- Casalis, SCP Gaultier-Kistner-Gaultier

Avocats :

Mes Biacabe, Vaisse.

TGI Paris, 1re ch., du 3 juill. 1996

3 juillet 1996

A la fin de l'année 1993 et au début de l'année 1994 la société Reynolds Tobacco GmbH a inséré dans les emballages de paquets de cigarettes qu'elle a commercialisés sous la marque "Camel" une fiche cartonnée ornée d'un chameau, indiquant qu'en contrepartie de la justification de l'achat d'un certain nombre de paquets les possesseurs de ceux-ci pouvaient recevoir des "CD", des "compils" ou des "places de concert".

Le 12 mai 1995, l'association Comité national contre le tabagisme considérant qu'une telle pratique fautive comme étant contraire aux dispositions de l'article L. 355-25 du Code de la santé publique, présentait toutes les caractéristiques d'une publicité illicite en faveur du tabac, a fait en conséquent assigner la société Reynolds Tobacco devant le Tribunal de grande instance de Paris en paiement des sommes de 304 898 euros à titre de dommages-intérêts et de 4 573 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

La société Reynolds Tobacco, de son côté, soutenait, d'une part, l'incompétence du Tribunal de grande instance de Paris au profit des juridictions de Cologne en Allemagne, lieu ou ladite société a son siège social et soutenait, d'autre part, que ses ventes avec primes étaient régulières; que de ce fait le CNCT ne pouvait justifier ni d'un préjudice ni d'un lien de causalité liant la faute reprochée au dommage allégué, acceptant toutefois l'allocation d'une réparation symbolique.

La cour statue sur l'appel interjeté par le Comité national contre le tabagisme à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 3 juillet 1996 qui a:

- déclaré les juridictions françaises territorialement compétentes pour connaître du litige,

- considéré que la vente avec prime organisée par la société Reynolds Tobacco constituait une publicité illicite en faveur du tabac prohibée par la loi Evin et ses décrets d'application,

- alloué au demandeur, le Comité national contre le tabagisme, à titre de dommages-intérêts la somme de un franc à titre symbolique en raison du préjudice subi et la somme de 4 573 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions par lesquelles l'association Comité national contre le tabagisme, demande à la cour:

- de confirmer le jugement en ce qu'il a estimé que l'opération de vente avec primes organisée par la société Comité national contre le tabagisme est constitutive d'une annonce publicitaire illicite en faveur du tabac contraire à l'article L. 355-25 du Code de la santé publique,

- d'allouer au titre de l'indemnisation du préjudice subi une indemnité de 304 898 euros à titre de dommages-intérêts, considérant être une association reconnue d'utilité publique et poursuivant quasiment seule la lutte contre le tabac,

- d'allouer une somme de 4 573 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- de confirmer également la décision des premiers juges qui ont admis la compétence des juridictions françaises dans la mesure où la publicité a eu lieu lors de l'ouverture du paquet en France et non lors de l'insertion de la fiche cartonnée dans le paquet de cigarettes en Allemagne;

Vu les conclusions par lesquelles la société société Reynolds Tobacco, poursuivant l'infirmation de la décision déférée, demande à la cour de dire irrecevable et en tout cas mal fondé le Comité national contre le tabagisme en son appel et ce, essentiellement aux motifs:

- que l'opération litigieuse, consistant à insérer dans des paquets de cigarettes Camel une cartonnette indiquant les modalités d'une vente avec primes, ne constituait pas une opération publicitaire illicite en faveur du tabac au regard de la loi Evin mais une vente avec primes licite;

- qu'en effet, si cette loi interdit toute publicité par voie de distribution de tabac à titre gratuit, elle n'interdit nullement les opérations promotionnelles dans le cadre desquelles les acquéreurs de cigarettes se voient offrir des primes consistant en d'autres produits ou services et qu'en l'espèce les objets offerts en prime (des disques ou des places de concert) n'ont aucun lien avec le tabac,

- que la fiche cartonnée insérée dans les paquets de cigarettes était un document qui d'une part n'est destiné à être lu que par les personnes qui ont acheté un paquet de cigarette Camel incluant ladite cartonnette et qui, d'autre part, décrit simplement les modalités d'obtention des primes en question par des personnes majeures, sans comporter le moindre argumentaire ou texte publicitaire en faveur des cigarettes Camel et n'est donc destinée qu'à une simple fonction d'information au consommateur de cigarettes sur l'existence de primes assortissant la vente et que par conséquent de telles opérations de vente avec primes étaient licites et courantes dans les débits de tabac,

- que l'arrêté du 31 décembre 1992 relatif à la publicité autorisée dans les débits de tabacs permet explicitement, en son article 4, les indications relatives aux "conditions de ventes à l'exception du prix" ce qui ne peut viser que les opérations de vente avec primes,

- que le protocole d'accord conclu début 2000 entre les services des Douanes et la Confédération des débitants de tabac indique que l'information du consommateur sur "le nombre de paquets permettant de bénéficier de l'opération" tel qu'un cadeau, est autorisée dès lors que le cadeau ne comporte "aucune marque, logo ou emblème..." et que tel était bien le cas des primes offertes aux consommateurs de Camel (des "CD" et des "places de concert");

- que le Comité national contre le tabagisme n'apporte pas la démonstration du préjudice qui aurait été porté à ses missions spécifiques telles que précisées par ses statuts et ne justifie pas d'un préjudice personnel et direct que lui aurait causé la cartonnette litigieuse,

- que le Comité national contre le tabagisme ne fournit pas de justificatif quant à la réalité et l'importance de ses actions notamment concernant l'existence d'importantes campagnes de prévention contre le tabagisme et que de ce fait les demandes formulées par le Comité national contre le tabagisme devront être réduites à une somme purement symbolique de un franc;

Considérant que par jugement du 12 mars 1999, le Tribunal de grande instance de Paris a arrêté un plan de continuation et désigné pour l'exécuter Maître Lebosse-Peluchonneau qui a repris, au côté du président du Comité national contre le tabagisme, l'action engagée par ce dernier;

Considérant que les premiers juges par des motifs pertinents que la cour adopte se sont livrés à une exacte appréciation des faits de la cause et à une juste application des règles de droits s'y rapportant;

Qu'en l'absence de tout moyen nouveau la décision déférée sera donc confirmée;

Qu'il suffira d'ajouter que la société Reynolds Tobacco a bien réalisé une opération, exactement décrite par le tribunal, de publicité en faveur du tabac pourtant prohibée par la loi "Evin";

Que les premiers juges ont encore justement répondu à la réalité du préjudice subi par le Comité national contre le tabagisme en constatant que les statuts de cette association l'autorisaient à agir comme il l'a fait.

Considérant que l'équité ne justifie pas qu'il soit fait droit aux demandes formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Par ces motifs: Donne acte à Maître Lebosse-Peluchonneau de son intervention volontaire, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan et de la continuation de la présente procédure; Confirme le jugement en toutes ses dispositions; Rejette toutes autres demandes; Dit n'y avoir lieu à faire application en cause d'appel de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Laisse à la charge de chacune des parties les dépens par elle engagés.