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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 19 mars 1993, n° 8063-92

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Comité national contre le tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenormand

Avocat général :

M. Jeanjean

Conseillers :

Mmes Magnet, Barbarin

Avocats :

Mes Louvet, Bihl.

TGI Paris, 31e ch., du 21 oct. 1991

21 octobre 1991

Rappel de la procédure

Appels

Appel a été interjeté par:

1°) C Jean-Pierre et la SNC E, le 29 octobre 1992,

2°) le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris, le même jour.

Décision

Rendue, après en avoir délibéré conformément à la loi.

Par jugement en date du 21 octobre 1992, le Tribunal de grande instance de Paris (31e chambre) a, sur citation directe délivrée à la requête du Comité national contre le tabagisme (CNCT) déclaré Jean-Pierre C coupable du délit de publicité illicite en faveur du tabac, l'a condamné à une amende de 100 000 F, a déclaré la société en nom collectif E, civilement responsable, a reçu le CNCT en sa constitution de partie civile, l'a déclaré fondé en ses demandes, a condamné Jean-Pierre C à lui payer la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts, a ordonné la publication dans le même magazine et au même emplacement du message suivant; dans son numéro du 15 février 1992, "E Magazine" a publié une publicité en faveur d'une marque de cigarettes présentée comme "tellement plus agréable". Une telle publicité est interdite par la loi. Il est rappelé que, chaque année, le tabac fait en France des dizaines de milliers de morts" et, en outre, a condamné Jean-Pierre C à verser au CNCT la somme de 3 000 F, en application de l'article 475-1 du Code de procédure civile.

Appel de cette décision a été régulièrement interjeté tant par Jean-Pierre C et la SNC E, qui ont fait porter leur recours sur les dispositions pénales et civiles du jugement, que par le Ministère public.

Les premiers juges ayant exactement rappelé les termes de la citation et les faits de la cause, la cour s'en rapporte, sur ces points, aux énonciations du jugement attaqué.

Régulièrement représentés par leur conseil, Jean-Pierre C et la société en nom collectif E demandent à la cour, par voie de conclusions conjointes, de:

"Dire et juger les concluants recevables et biens fondés en leur appel".

"Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions concernant les concluants".

"Dire et juger que la publicité litigieuse n'excède pas ce qu'admet l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976, notamment à raison de l'article 4 de la loi du 10 janvier 1991".

"Subsidiairement vu l'article 5 de la loi 91-32 du 10 janvier 1991 abrogeant l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976, dire et juger que le fait de publication, seul imputé au concluant, n'emporte pas sa responsabilité pénale personnelle".

"Constater qu'aucun fait précis n'est imputé au concluant, autre que le seul fait de publication et, compte tenu de ce que les modalités d'élaboration et de fabrication du supplément hebdomadaire au quotidien E emportent ignorance du directeur de publication quant à la teneur des insertions publicitaires dont les typons sont directement adressés à l'atelier de photocomposition et à l'imprimerie".

"Constater l'absence d'implication personnelle du concluant".

"Renvoyer, en conséquence, M. Jean-Pierre C des fins de la poursuite sans peine ni dépens, en prononçant la mise hors de cause de la SNC E, et débouter la partie civile".

A l'appui de leur recours, Jean-Pierre C et la SNC E font valoir, ainsi qu'ils l'avaient fait devant le tribunal, d'une part, que les faits ne sont pas en eux-mêmes constitutifs du délit de publicité illicite en faveur du tabac, le paquet de cigarettes vendu par la marque P portant les mots "more favour - more satisfaction" et les mots "tellement plus agréable" figurant sur la publicité litigieuse n'étant que la traduction de la mention "more satisfaction", d'autre part, qu'à le supposer établi, le délit ne peut être imputé à Jean-Pierre C, directeur de la publication du supplément hebdomadaire "E Magazine" du journal quotidien E, dans lequel a paru ladite publicité, l'article 14 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 ayant été expressément abrogé par l'article 5 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 et n'étant pas établi que Jean-Pierre C ait contribué, activement ou passivement, à la mise en place de la publicité en cause.

Quant au CNCT, représenté par son conseil, il demande à la cour, par voie de conclusions, de:

"Dire et juger irrecevables et mal fondés les appels de M. C et de E Magazine et les en débouter";

"Conformer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions";

"Y ajoutant, condamner M. C et E Magazine à (lui) payer la somme de 4 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale devant la cour";

Sur l'action publique:

I - Sur le caractère illicite de la publicité en cause en faveur des cigarettes P:

Considérant qu'aux termes de l'alinéa 1er de l'article 8 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976, "la publicité en faveur de tabac ou des produits de tabac ne peut comporter d'autres mentions que la dénomination du produit, sa composition, le nom et l'adresse du fabricant et le cas échéant du distributeur, ni d'autre représentation graphique ou photographique que celle du produit, de son emballage et de l'emblème de la marque".

Considérant qu'il est constant qu'à la date du 15 février 1992 paraissait dans le numéro 527 du supplément hebdomadaire E Magazine du journal quotidien E dont Jean-Pierre C est le directeur de la publication, sur toute la hauteur de la partie droite de la page 75, une publicité représentant trois paquets de cigarettes "P" apparaissant sous ce qui semble être une feuille de papier déchirée et, en outre, pour l'un d'eux, sous l'extrémité d'un rouleau de papier le tout accompagné, en haut de page, par les mots: "...tellement plus agréable!";

Qu'une telle publicité enfreint manifestement les dispositions de l'article 8 précité puisqu'elle ne se limite pas à la représentation graphique ou photographique du produit, de son emballage et de l'emblème de la marque;

Que les premiers juges ont donc à juste titre estimé illicite la publicité ainsi faite dans le numéro 527 de l'hebdomadaire E Magazine daté du 15 février 1992;

II - Sur l'imputabilité de l'infraction et la répression:

Considérant que l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976, en faisant référence à l'article 285 du Code pénal, avait institué une présomption de responsabilité à l'égard du directeur de publication en cas de publicité illicite en faveur du tabac par voie de la presse, ce dernier étant, pour le seul fait de la publication, passible, comme auteur principal, des peines portées à l'article 12 de la même loi; que, toutefois, ces dispositions ont été abrogées par l'article 5 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991;

Que, du fait de cette disposition, les directeurs de publication ne se trouvent plus, en cas de publicité illicite en faveur du tabac et pour le seul fait de la publication, passibles, comme auteurs principaux, des peines portées à l'article 12 de ladite loi, modifié par l'article 4 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991;

Considérant, dans ces conditions qu'il importe de rechercher si Jean-Pierre C, directeur de la publication de E Magazine, a eu un comportement fautif;

Qu'en l'espèce, compte tenu de la place et de l'importance de la publicité figurant sur une grande partie d'une page intérieure de cet hebdomadaire, le prévenu, qui, de par ses fonctions, a une obligation de surveillance, y compris sur les messages publicitaires, ne pouvait nullement ignorer l'existence de celle-ci avant sa parution ainsi que son caractère manifestement illicite; qu'il a ainsi sciemment pris part aux faits, objet de la poursuite;

Qu'à supposer même qu'il n'ait pas eu connaissance de cette publicité, ce qui n'apparaît pas vraisemblablement, la négligence grave dont il aurait fait preuve en ce cas serait constitutive de la mauvaise foi de son auteur;

Considérant que les premiers juges ont donc à juste titre déclaré Jean-Pierre C coupable, comme auteur principal du délit de publicité illicite en faveur du tabac;

Que, dès lors, il convient de confirmer le jugement attaqué tant sur la déclaration de culpabilité de celui-ci que sur la peine prononcée à son encontre, laquelle est équitable;

Qu'il y a lieu d'y ajouter en déclarant, compte tenu des circonstances de fait, que la société en nom collectif E, dont Jean-Pierre C est le préposé, est, en application du quatrième alinéa de l'article 12 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 modifiée par la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 solidairement responsable en totalité du paiement de l'amende mise à la charge de celui-ci;

Sur l'action civile:

Considérant que la cour puise dans l'ensemble des pièces de la procédure les éléments suffisants pour fixer à 50 000 F le montant du préjudice résultant directement pour le Comité national contre le tabagisme, partie civile, des agissements délictueux de Jean-Pierre C;

Qu'il y a donc lieu, en réformant sur ce point, le jugement attaqué, de condamner Jean-Pierre C à payer au CNCT la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts;

Que la demande d'une somme de 4 000 F formulée par le CNCT au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, pour les frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel, venant s'ajouter à celle de 3 000 F allouée par les premiers juges, est justifiée en son principe mais doit être limitée à 2 000 F;

Considérant, enfin, qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'insertion d'un message dans E Magazine formulée par le CNCT à titre de réparation complémentaire du préjudice qu'il a subi; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point;

Sur la mise en cause de la société en nom collectif E citée en qualité de civilement responsable:

Considérant que la société en nom collectif E doit être déclarée civilement responsable des agissements répréhensibles de son préposé, Jean-Pierre C, qui a agi dans l'exercice de ses fonctions à des fins qui n'y étaient nullement étrangères;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de la société E et du comité national contre le tabagisme et contradictoirement en application de l'article 411 du Code de procédure pénale à l'égard de Jean-Pierre C, reçoit les appels de Jean-Pierre C, de la société E et du Ministère public, Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré Jean-Pierre C coupable de publicité illicite en faveur du tabac et l'a condamné à cent mille (100 000) francs d'amende. Y ajoutant, déclare la société en nom collectif E solidairement responsable en totalité du paiement de l'amende mise à la charge de Jean-Pierre C. Réformant, pour partie, le jugement attaqué sur les intérêts civils, condamne Jean-Pierre C à payer au Comité national contre le tabagisme, partie civile, la somme de cinquante mille (50 000) francs à titre de dommages-intérêts et celle de trois mille (3 000) francs au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Y ajoutant, condamne Jean-Pierre C à payer au Comité national contre le tabagisme la somme de deux mille (2 000) francs au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel; Le confirme en ce qu'il a déclaré la société en nom collectif E civilement responsable de Jean-Pierre C; Déboute le CNCT du surplus de ses demandes. Condamne Jean-Pierre C aux dépens de première instance. Le tout par application des articles 8, 12 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 modifiée par la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991, 473, 512 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné.