CJCE, 6e ch., 23 février 1995, n° C-349/93
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Schockweiler
Avocat général :
M. Jacobs
Juges :
MM. Mancini, Kakouris, Murray, Hirsch
Avocat :
Me Ferri.
LA COUR (sixième chambre),
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 7 juillet 1993, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à faire constater que la République italienne, en omettant d'exiger le remboursement des aides indûment versées en 1987 à la société Aluminia et à la société Comsal, appartenant au groupe EFIM, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité et en particulier de la décision 90-224-CEE de la Commission, du 24 mai 1989, concernant les aides accordées par le Gouvernement italien à Aluminia et Comsal, deux entreprises publiques du secteur de l'aluminium (JO 1990, L 118, p. 42, ci- après la "décision").
2. Dans la décision, la Commission a constaté que les aides accordées par le Gouvernement italien aux entreprises Aluminia et Comsal étaient incompatibles avec le marché commun, au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, en ce qu'elles avaient été accordées en violation des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité. Elle a décidé que le Gouvernement italien était tenu de supprimer lesdites aides et d'exiger leur remboursement par les entreprises bénéficiaires (article 1er). Le Gouvernement italien devait l'informer, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, des mesures prises pour s'y conformer (article 2).
3. Par arrêt du 3 octobre 1991 (Italie/Commission, C-261-89, Rec. p. I-4437), la Cour a rejeté le recours en annulation introduit contre cette décision.
4. Après avoir vainement demandé au Gouvernement italien de l'informer des mesures qu'il avait l'intention de prendre, à la suite de l'arrêt de la Cour, pour se conformer à la décision, la Commission lui a adressé, le 26 juin 1992, une lettre de mise en demeure l'invitant à exécuter la décision avant la fin du mois de juillet 1992.
5. Par lettre du 14 octobre 1992, les autorités italiennes ont demandé un délai supplémentaire, en alléguant la nécessité d'aborder la question du remboursement des aides dans le contexte plus général du programme de privatisation des entreprises publiques que le Gouvernement italien se proposait de mettre en œuvre.
6. Par lettre du 10 mars 1993, la Commission a fixé au 31 mars 1993 la date limite d'exécution de la décision.
7. Cette lettre n'ayant reçu aucune suite, la Commission a saisi la Cour de justice d'un recours au titre de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité.
8. A l'appui de son recours, la Commission soutient que la République italienne a contrevenu à l'article 93, paragraphe 2, du traité, en ce que à la date de dépôt de la requête, soit plus de cinq années et demie après le versement des aides illicites, elle n'avait pas encore mis fin au manquement.
9. Sans contester l'obligation d'exécuter la décision, la République italienne fait état de difficultés objectives d'exécution dues à la procédure de liquidation de l'EFIM et à la mise en œuvre du projet de restructuration du secteur de l'aluminium. L'exécution de la décision devrait être réalisée dans le cadre d'une collaboration loyale avec la Commission à qui le projet de restructuration du secteur aurait été communiqué en vue d'une appréciation de sa compatibilité avec l'article 92 du traité.
10. Pour statuer sur le bien-fondé du recours introduit par la Commission, il convient de constater que la décision a fixé en termes clairs l'obligation du Gouvernement italien d'exiger le remboursement des aides.
11. Conformément à une jurisprudence constante, un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour se soustraire à l'exécution des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire (voir notamment arrêt du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne, C-5-89, Rec. p. I-3437, point 18).
12. Le seul moyen de défense susceptible d'être invoqué par un État membre contre le recours en manquement, introduit par la Commission sur la base de l'article 93, paragraphe 2, du traité, est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision (voir arrêts du 15 janvier 1986, Commission/Belgique, 52-84, Rec. p. 89, point 14, du 2 février 1989, Commission/Allemagne, 94-87, Rec. p. 175, point 8, et du 10 juin 1993, Commission/Grèce, C-183-91, Rec. p. 3131, point 10).
13. Toutefois, un État membre qui, lors de l'exécution d'une décision de la Commission en matière d'aides d'État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission, doit soumettre ces problèmes à l'appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, la Commission et l'État membre doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l'article 5 du traité, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité et, notamment, de celles relatives aux aides (voir arrêts du 15 janvier 1986, Commission/Belgique, précité, point 16, du 2 février 1989, Commission/Allemagne, précité, point 9, et du 10 juin 1993, Commission/Grèce, précité, point 19).
14. A cet égard, il convient de constater que, jusqu'au 14 octobre 1992, c'est-à-dire plus d'une année après l'arrêt de la Cour rejetant le recours en annulation, la République italienne n'a pas réagi aux invitations successives de la Commission à procéder à l'exécution de la décision.
15. En l'espèce, le Gouvernement défendeur s'est borné à faire part à la Commission des difficultés juridiques et pratiques que présentait la mise en œuvre de la décision, sans entreprendre quelque démarche que ce fût auprès des entreprises en cause afin de récupérer l'aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en œuvre de la décision qui auraient permis de surmonter les difficultés alléguées. En effet, le Gouvernement italien s'est limité à faire état, en des termes très généraux, des difficultés liées à la liquidation de l'EFIM et à justifier la non-récupération des aides en cause par la procédure d'examen des nouvelles aides envisagées dans le programme de restructuration.
16. Dans ces circonstances, force est de constater que la République italienne n'est pas fondée à alléguer une impossibilité absolue d'exécuter la décision. Elle n'a pas davantage établi l'existence de difficultés imprévues et imprévisibles ni démontré qu'elle aurait collaboré avec la Commission en vue de surmonter d'éventuelles difficultés de cette nature.
17. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de constater le manquement dans les termes résultant des conclusions de la Commission.
Sur les dépens
18. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Déclare et arrête:
1°) La République italienne, en omettant d'exiger le remboursement des aides indûment versées en 1987 à la société Aluminia et à la société Comsal, appartenant au groupe EFIM, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE et en particulier de la décision 90-224-CEE de la Commission, du 24 mai 1989, concernant les aides accordées par le Gouvernement italien à Aluminia et Comsal, deux entreprises publiques du secteur de l'aluminium.
2°) La République italienne est condamnée aux dépens.