CJCE, 4 avril 1995, n° C-350/93
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Président de chambre :
M.Schockweiler
Avocat général :
M. Jacobs
Juges :
MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Murray, Edward, Puissochet
Avocat :
Me Ferri.
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 7 juillet 1993, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en n'ayant pas supprimé et récupéré, dans le délai qui lui était imparti, les aides versées au groupe ENI-Lanerossi (actuellement SNAM SpA) d'un montant de 260,4 milliards de LIT, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la décision 89-43-CEE de la Commission, du 26 juillet 1988, relative aux aides accordées par le Gouvernement italien à ENI-Lanerossi (JO 1989, L 16, p. 52, ci-après la "décision").
2. Dans la décision, la Commission a constaté que les 260,4 milliards de LIT d'aides accordées au groupe ENI-Lanerossi, sous forme d'injections de capitaux dans ses filiales fabriquant des vêtements pour hommes, étaient illicites, au motif qu'elles enfreignaient les dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité et étaient incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité (article 1er). Elle a décidé qu'il serait procédé par voie de recouvrement au retrait des aides précitées (article 2). Le Gouvernement italien devait l'informer, dans un délai de deux mois à dater de la notification de la décision, des mesures prises pour s'y conformer (article 3).
3. Par arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission (C-303-88, Rec. p. I-1433), la Cour a rejeté le recours en annulation introduit contre la décision.
4. Après avoir été invitée à plusieurs reprises par la Commission à exécuter la décision et à lui donner communication des mesures prises à cet effet, la République italienne l'a informée le 25 mars 1992 de son intention de procéder à la récupération des aides par le versement par la société Lanerossi, au holding d'État ENI, d'un montant égal aux aides majoré des intérêts échus.
5. Par note du 26 juin 1992, la Commission a informé le Gouvernement italien qu'il aurait dû exiger non seulement le remboursement des aides par la société Lanerossi à l'ENI, mais également leur versement à l'État italien. Dans cette lettre, la Commission a annoncé son intention de saisir la Cour de justice si la République italienne ne prenait pas les mesures nécessaires à la récupération des aides avant le 31 juillet 1992, délai reporté ultérieurement au 31 mars 1993.
6. Ce n'est qu'après la date d'introduction du recours que SNAM SpA, ayant succédé à la société Lanerossi, a transféré à l'ENI la somme de 362,241 milliards de LIT représentant, d'après la République italienne, le principal et les intérêts des aides dont la Commission avait exigé le recouvrement.
7. A l'appui de son recours, la Commission soutient que la République italienne a contrevenu à l'article 93, paragraphe 2, du traité en ce qu'elle n'a pas procédé à la récupération des aides dans le délai de deux mois suivant la notification de la décision et omis d'exiger le remboursement des aides par l'ENI à l'État italien.
Sur la recevabilité du recours
8. La République italienne excipe de l'irrecevabilité du recours dans la mesure où ce dernier viserait à obtenir une déclaration d'inaccomplissement d'une obligation, à savoir la restitution des aides par l'ENI à l'État italien, qui ne résulterait pas de la décision. Par ailleurs, le recours ne contiendrait pas, en violation de l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour, l'exposé sommaire des moyens selon lesquels un défaut de récupération des aides auprès de l'ENI serait contraire à la décision.
9. A cet égard, il y a lieu de constater que la Commission se borne à soutenir que la République italienne ne s'est pas conformée à la décision dont la violation alléguée fait l'objet de la présente procédure. La question de savoir si la décision impose à la République italienne l'obligation de récupérer les aides auprès de l'ENI relève de l'examen du bien-fondé du recours et ne saurait entacher la recevabilité de celui-ci.
10. Par ailleurs, la requête contient un exposé clair des faits et des arguments de la Commission, conformément aux exigences de l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, et a permis au Gouvernement italien de présenter un mémoire en défense détaillé.
11. L'exception d'irrecevabilité doit dès lors être rejetée.
Sur l'inexécution de la décision
12. Il convient d'examiner successivement les deux griefs invoqués par la Commission.
Grief tiré d'un défaut de récupération des aides dans le délai fixé
13. La décision a fixé en termes clairs l'obligation du Gouvernement italien d'exiger le remboursement des aides dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, intervenue le 10 août 1988.
14. Or, le remboursement n'a été effectué que le 11 octobre 1993 par SNAM SpA à l'ENI.
15. Conformément à une jurisprudence constante, le seul moyen de défense susceptible d'être invoqué par un État membre contre le recours en manquement, introduit par la Commission sur la base de l'article 93, paragraphe 2, du traité, est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision (voir en dernier lieu arrêt du 23 février 1995, Commission/Italie C-349-93, non encore publié au Recueil, point 12, et la jurisprudence citée).
16. La Cour a encore jugé qu'un État membre qui, lors de l'exécution d'une décision de la Commission en matière d'aides d'État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission, doit soumettre ces problèmes à l'appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, la Commission et l'État membre doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l'article 5 du traité, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité et, notamment, de celles relatives aux aides (voir arrêt Commission/Italie, précité, point 13, et la jurisprudence citée).
17. Or, la République italienne ne fait état ni d'une impossibilité absolue d'exécuter ni de difficultés imprévues et imprévisibles.
18. Dans ces conditions, il y a lieu de déclarer le recours fondé dans la mesure où la République italienne n'a pas procédé à l'exécution de la décision dans le délai fixé.
Grief tiré d'un défaut de remboursement des aides par l'ENI à l'État italien
19. Pour statuer sur ce grief, il convient de se référer à l'objectif de l'obligation de récupération des aides illégales et à la portée donnée à cette obligation dans la décision.
20. A cet égard, l'article 93, paragraphe 2, du traité prévoit que si la Commission constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le marché commun, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine.
21. L'obligation pour l'État de supprimer une aide considérée par la Commission comme incompatible avec le marché commun vise, selon une jurisprudence constante, au rétablissement de la situation antérieure (voir arrêt du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-278-92, C-279-92 et C-280-92, Rec. p. I-4103, point 75, et la jurisprudence citée).
22. Cet objectif est atteint dès que les aides en cause, augmentées le cas échéant des intérêts de retard, ont été restituées par le bénéficiaire, en l'occurrence SNAM SpA, à l'ENI, organisme public de gestion des participations de l'État. Par cette restitution, le bénéficiaire perd en effet l'avantage dont il avait bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents, et la situation antérieure au versement de l'aide est rétablie.
23. Il y a lieu de constater ensuite que la Commission a uniquement exigé, à l'article 2 de la décision, que le Gouvernement italien supprime les aides et exige de SNAM SpA qu'elle les restitue dans un certain délai, avec des intérêts de retard après l'expiration de celui-ci.
24. S'il ne peut être exclu que l'attribution de fonds par l'État à un organisme public tel que l'ENI puisse constituer une aide d'État au sens de l'article 92 du traité, la Commission, contrairement à ce qu'elle soutient, n'a cependant pas constaté dans la décision, à la suite de la procédure prévue par le traité, que la mise à disposition de fonds opérée par l'État au profit de l'ENI constitue également une aide incompatible avec le marché commun.
25. Dans ces conditions, le recours doit être considéré comme non fondé dans la mesure où la Commission reproche à la République italienne de n'avoir pas exigé le remboursement des aides par l'ENI à l'État italien.
26. Il y a lieu dès lors de constater que la République italienne, en ne procédant pas dans le délai fixé à l'exécution de la décision, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité.
Sur les dépens
27. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête:
1°) La République italienne, en n'ayant pas supprimé et récupéré, dans le délai qui lui était imparti, les aides versées au groupe ENI-Lanerossi (actuellement SNAM SpA) d'un montant de 260,4 milliards de LIT, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la décision 89-43-CEE de la Commission, du 26 juillet 1988, relative aux aides accordées par le Gouvernement italien à ENI-Lanerossi.
2°) Le recours est rejeté pour le surplus.
3°) La République italienne est condamnée aux dépens.