CJCE, 4 avril 1995, n° C-348/93
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Président de chambre :
M. Schockweiler (rapporteur)
Avocat général :
M. Jacobs
Juges :
MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Murray, Edward, Puissochet
Avocat :
Me Ferri.
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 7 juillet 1993, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en omettant de supprimer et de récupérer, dans le délai imparti, les aides indûment versées au groupe Alfa Romeo à concurrence d'un montant de 615,1 milliards de LIT majoré des intérêts de retard calculés à compter de septembre 1991 jusqu'au jour du versement du montant en question et/ou de communiquer à la Commission les mesures prises à cet effet, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la décision 89-661-CEE de la Commission, du 31 mai 1989, concernant les aides accordées par le Gouvernement italien à l'entreprise Alfa Romeo (secteur automobile) (JO L 394, p. 9, ci-après la "décision").
2. Dans la décision, la Commission a constaté que les aides octroyées au groupe Alfa Romeo par le Gouvernement italien sous forme d'apports de capitaux, d'un montant total de 615,1 milliards de LIT par l'intermédiaire des holdings publics IRI et Finmeccanica étaient incompatibles avec le marché commun, au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, en ce qu'elles avaient été accordées en violation des règles de procédure énoncées à l'article 93, paragraphe 3, du traité et ne répondaient pas aux conditions de dérogation prévues par l'article 92, paragraphe 3 (article 1er). Elle a décidé que le Gouvernement italien était tenu de supprimer lesdites aides et d'exiger de la société Finmeccanica qu'elle les restitue dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision. Faute de restitution dans ce délai, le bénéficiaire devait également verser des intérêts de retard (article 2). Le Gouvernement italien devait informer la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, des mesures prises pour s'y conformer (article 3).
3. Le montant des 615,1 milliards de LIT se composait d'une somme de 206,2 milliards de LIT de dotations budgétaires accordée par le Gouvernement italien à l'IRI, en vue d'une recapitalisation d'Alfa Romeo, et d'un montant de 408,9 milliards de LIT versé par Finmeccanica à Alfa Romeo, sur la base d'emprunts obligataires contractés par l'IRI en vertu d'une loi l'autorisant à émettre des obligations portant intérêts, dont le remboursement était à la charge de l'État.
4. Par arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission (C-305-89, Rec. p. I-1603), la Cour a rejeté le recours en annulation introduit contre la décision.
5. Après avoir été invité à plusieurs reprises par la Commission à exécuter la décision et à lui donner communication des mesures prises à cet effet, le Gouvernement italien l'a informée le 13 mars 1992 que Finmeccanica, considérée comme bénéficiaire des aides en tant que holding dont la société Alfa Romeo faisait partie à l'époque des faits, rembourserait ces aides, majorées des intérêts dus, au holding d'État IRI.
6. Par note du 26 juin 1992, la Commission a informé le Gouvernement italien qu'il aurait dû exiger non seulement le remboursement des aides par Finmeccanica à l'IRI, mais également leur versement à l'État italien.
7. Le 12 février 1993, les autorités italiennes ont informé la Commission que Finmeccanica avait remboursé 719,1 milliards de LIT à l'IRI, comportant le principal de 615,1 milliards de LIT et des intérêts de l'ordre de 104 milliards de LIT. Le principal comprenait l'apport de capitaux de 206,2 milliards de LIT et le montant de 408,9 milliards de LIT financé par l'IRI au moyen des prêts obligataires à la charge de l'État. Le Gouvernement italien a précisé que la loi financière de 1991 n° 405, du 29 décembre 1990 (GURI n° 303 du 31 décembre 1990), avait supprimé l'engagement de verser à l'IRI un montant de 1 269 milliards de LIT en rapport avec les obligations émises par l'IRI.
8. A l'appui de son recours, la Commission soutient que la République italienne a contrevenu à l'article 93, paragraphe 2, du traité en ce qu'elle n'a pas procédé à la récupération des aides dans le délai de deux mois suivant la notification de la décision, en ce qu'elle a opéré un calcul erroné des intérêts et omis d'exiger le remboursement des aides par l'IRI à l'État italien.
Sur la recevabilité du recours
9. La République italienne excipe de l'irrecevabilité du recours dans la mesure où ce dernier viserait à obtenir une déclaration d'inaccomplissement d'une obligation, à savoir la restitution des aides par l'IRI à l'État italien, qui ne résulterait pas de la décision. Par ailleurs, le recours ne contiendrait pas, en violation de l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour, l'exposé sommaire des moyens selon lesquels un défaut de récupération des aides auprès de l'IRI serait contraire à la décision.
10. A cet égard, il y a lieu de constater que la Commission se borne à soutenir que la République italienne ne s'est pas conformée à la décision dont la violation alléguée fait l'objet de la présente procédure. La question de savoir si la décision impose à la République italienne l'obligation de récupérer les aides auprès de l'IRI relève de l'examen du bien-fondé du recours et ne saurait entacher la recevabilité de celui-ci.
11. Par ailleurs, la requête contient un exposé clair des faits et des arguments de la Commission, conformément aux exigences de l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, et a permis au Gouvernement italien de présenter un mémoire en défense détaillé.
12. L'exception d'irrecevabilité doit dès lors être rejetée.
Sur l'inexécution de la décision
13. Il convient d'examiner successivement les trois griefs invoqués par la Commission.
Grief tiré d'un défaut de récupération des aides dans le délai fixé
14. La décision a fixé en termes clairs l'obligation du Gouvernement italien d'exiger le remboursement des aides dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, intervenue le 31 juillet 1989.
15. Or, ce n'est que le 12 février 1993 que les autorités italiennes ont informé la Commission des remboursements effectués par Finmeccanica à l'IRI.
16. Conformément à une jurisprudence constante, le seul moyen de défense susceptible d'être invoqué par un État membre contre le recours en manquement, introduit par la Commission sur la base de l'article 93, paragraphe 2, du traité, est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision (voir en dernier lieu arrêt du 23 février 1995, Commission/Italie, C-349-93, non encore publié au Recueil, point 12, et la jurisprudence citée).
17. La Cour a encore jugé qu'un État membre qui, lors de l'exécution d'une décision de la Commission en matière d'aides d'État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission, doit soumettre ces problèmes à l'appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, la Commission et l'État membre doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l'article 5 du traité, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité et, notamment, de celles relatives aux aides (voir arrêt Commission/Italie, précité, point 13, et la jurisprudence citée).
18. Or, la République italienne ne fait état ni d'une impossibilité absolue d'exécuter ni de difficultés imprévues et imprévisibles.
19. Dans ces conditions, il y a lieu de déclarer le recours fondé dans la mesure où la République italienne n'a pas procédé à l'exécution de la décision dans le délai fixé.
Grief tiré d'un calcul erroné des intérêts de retard
20. Au cours de l'audience, la Commission a précisé, sans être contredite par la partie défenderesse, que dans la conclusion de sa requête, elle a indiqué par erreur comme point de départ des intérêts de retard le mois de septembre 1991, au lieu du mois de septembre 1989 visé à juste titre dans le corps de ladite requête. Elle a souligné que l'on doit effectivement lire "1989".
21. Il y a lieu de relever que, en vertu de l'article 2 de la décision, les intérêts doivent être calculés à partir de l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification de la décision au Gouvernement, en l'occurrence à partir du 30 septembre 1989.
22. Or, le Gouvernement italien ne conteste pas avoir procédé au calcul des intérêts à partir du 28 février 1990, date d'expiration du délai de deux mois suivant la publication de la décision au Journal officiel.
23. Il y a lieu dès lors de constater que le recours est également fondé dans la mesure où la Commission reproche à la République italienne d'avoir procédé à un calcul erroné des intérêts de retard.
Grief tiré d'un défaut de remboursement des aides par l'IRI à l'État italien
24. Pour statuer sur ce grief, il convient de se référer à l'objectif de l'obligation de récupération des aides illégales et à la portée donnée à cette obligation dans la décision.
25. A cet égard, l'article 93, paragraphe 2, du traité prévoit que si la Commission constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le marché commun, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine.
26. L'obligation pour l'État de supprimer une aide considérée par la Commission comme incompatible avec le marché commun vise, selon une jurisprudence constante, au rétablissement de la situation antérieure (voir arrêt du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-278-92, C-279-92 et C-280-92, Rec. p. I-4103, point 75, et la jurisprudence citée).
27. Cet objectif est atteint dès que les aides en cause, augmentées le cas échéant des intérêts de retard, ont été restituées par le bénéficiaire, en l'occurrence Finmeccanica, à l'IRI, organisme public de gestion des participations de l'État. Par cette restitution, le bénéficiaire perd en effet l'avantage dont il avait bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents, et la situation antérieure au versement de l'aide est rétablie.
28. Il y a lieu de constater ensuite que la Commission a uniquement exigé, à l'article 2 de la décision, que le Gouvernement italien supprime les aides et exige de la société Finmeccanica qu'elle les restitue dans un certain délai, avec des intérêts de retard après l'expiration de celui-ci.
29. S'il ne peut être exclu que l'attribution de fonds par l'État à un organisme public tel que l'IRI puisse constituer une aide d'État au sens de l'article 92 du traité, la Commission, contrairement à ce qu'elle soutient, n'a cependant pas constaté dans la décision, à la suite de la procédure prévue par le traité, que la mise à disposition de fonds opérée par l'État au profit de l'IRI constitue également une aide incompatible avec le marché commun.
30. Dans ces conditions, le recours doit être considéré comme non fondé dans la mesure où la Commission reproche à la République italienne de n'avoir pas exigé le remboursement des aides par l'IRI à l'État italien.
Sur le défaut de communication des mesures d'exécution de la décision
31. La Cour n'a pas à examiner le chef des conclusions visant à condamner la République italienne pour ne pas avoir communiqué à la Commission les mesures d'exécution de la décision, étant donné que la République italienne n'a précisément pas procédé à cette exécution dans le délai fixé.
32. Il y a lieu dès lors de constater que la République italienne, en ne procédant pas dans le délai fixé à l'exécution de la décision et en opérant un calcul erroné des intérêts de retard, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité.
Sur les dépens
33. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête:
1°) La République italienne, en omettant de supprimer et de récupérer, dans le délai imparti, les aides indûment versées au groupe Alfa Romeo à concurrence d'un montant de 615,1 milliards de LIT majoré des intérêts de retard calculés à compter du 30 septembre 1989 jusqu'au jour du versement du montant en question, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la décision 89-661-CEE de la Commission, du 31 mai 1989, concernant les aides accordées par le Gouvernement italien à l'entreprise Alfa Romeo (secteur automobile).
2°) Le recours est rejeté pour le surplus.
3°) La République italienne est condamnée aux dépens.