CA Paris, 13e ch. A, 2 mars 1998, n° 97-02790
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ministère public, Comité National contre le Tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Guilbaud
Conseillers :
Mme Petit, M. Paris
Avocats :
Mes Braun, Dauzier, Antonini
Rappel de la procédure :
La prévention :
Par acte d'huissier en date des 27 février, 29 février et 4 mars 1996, le Comité National contre le Tabagisme (CNTC) a cité directement devant le Tribunal de grande instance de Paris, Messieurs Jean-Dominique C, Patrick A et Christian G, ainsi que les sociétés X, Y et Z, aux fins d'entendre :
- déclarer Monsieur Jean-Dominique C coupable du délit de publicité illicite en faveur du tabac et dire la X civilement responsable,
- déclarer Monsieur Patrick A coupable de complicité des mêmes faits et dire la société Y civilement responsable,
- déclarer Monsieur Christian G coupable de complicité des mêmes faits et dire la société Z civilement responsable,
- condamner Monsieur Jean-Dominique C, la X, Monsieur Patrick A, la société Y, Monsieur Christian G et la société Z à payer au Comité National contre le Tabagisme les sommes de 3 000 000 F à titre de dommages et intérêts et de 10 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,
- ordonner la publication du jugement à intervenir sur plusieurs pages des journaux Z Magazine, le Monde, Virgin Mégapresse, aux frais de Monsieur Jean-Dominique C et la X.
Le jugement :
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de Monsieur Patrick A, contradictoirement en application de l'article 411 du Code de procédure pénale à l'encontre de Monsieur Jean-Dominique C, prévenus, contradictoirement en application de l'article 415 du même Code à l'encontre des sociétés X et Y, civilement responsables, et en premier ressort, a :
- donné acte au CNCT de son désistement à l'encontre de Monsieur Christian G et de la société Z,
- déclara Jean-Dominique C coupable de publicité illicite en faveur du tabac,
- déclaré Patrick A coupable de complicité de publicité illicite en faveur du tabac,
Faisant application des articles L. 355-25 et L. 355-31 du Code de la santé publique, 121-6 et 121-7 du Code pénal,
- condamné Jean-Dominique C à la peine de 80 000 F d'amende,
- condamné Patrick A à la peine de 50 000 F d'amende,
- reçu le CNCT en sa constitution de partie civile,
- condamné solidairement Jean-Dominique C et Patrick A à payer au CNCT la somme de 80 000 F à titre de dommages et intérêts et chacun d'eux celle de 2 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,
- déclaré X civilement responsable de Monsieur Patrick A,
- rejeté le surplus des demandes de la partie civile.
- la présente procédure a été assujettie à un droit fixe de 600 F dont est redevable chaque condamné.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
Y, le 14 janvier 1997 contre Comité National contre le Tabagisme
Monsieur le Procureur de la République, le 14 janvier 1997 contre Monsieur Patrick A
Monsieur Patrick A, le 14 janvier 1997 contre Comité National contre le Tabagisme
X, le 14 janvier 1997 contre Comité National contre le Tabagisme
Monsieur le Procureur de la République, le 14 janvier 1997 contre Comité National contre le Tabagisme
Décision :
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels relevés par les prévenus, les sociétés civilement responsables et le Ministère public à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la prévention.
Par voie de conclusions conjointes, aux développements desquelles la cour se réfère expressément, Jean-Dominique C et la société X sollicite la cour de :
A titre principal :
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
En conséquence,
. relaxer purement et simplement Monsieur Jean-Dominique C des fins de la poursuite,
. débouter le CNCT de toutes ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire, sur les intérêts civils,
. Déclarer le CNCT irrecevable en sa constitution de partie civile,
A titre infiniment subsidiaire, sur les intérêts civils,
. Ramener la réparation du préjudice subi par le CNCT à la somme de un franc de dommages et intérêts.
Ils font valoir, à titre principal que l'exposition " 20 désigners pour une silhouette " ne constitue pas un fait de publicité illicite en faveur d'un produit de tabac.
Ils exposent à cet égard qu'il s'agissait à l'évidence pour X de promouvoir les travaux de désigners contemporains et non de réaliser une opération publicitaire.
Ils justifient que X à tout au contraire fait en sorte qu'aucune référence au tabac, même implicite, ne soit reproduite sur les affiches ou cartons d'invitation annonçant l'exposition.
Ils soutiennent que si l'exposition avait été conçue comme un support à une opération publicitaire en faveur du tabac, X aurait immanquablement choisi un lieu d'exposition plus ouvert et plus large que l'espace réservé au design contemporain de Beaubourg, espace culturel réduit, confiné au sous-sol du centre Georges Pompidou.
Ils affirment d'autre part, que la communication faite par la X autour de cette exposition, dès lors qu'elle ne reproduisait par le mot Gitane, est parfaitement conforme à l'esprit du Protocole du 3 mars 1996 et par voie de conséquence, aux dispositions de la loi Evin, en ce qu'à aucun moment, ni les marques, ni les emblèmes, ni aucune des caractéristiques des paquets de Gitanes blondes n'ont été présentés au public par voie d'affiche ou par voie d'invitation.
A titre subsidiaire, ils demandent à la cour de déclarer le CNCT irrecevable en sa constitution de partie civile dans la mesure où le protocole d'accord conclu entre les parties le 3 mars 1996 a incontestablement mis fin à un différend né de la diffusion de documents publicitaires liés à l'exposition Modes Gitanes qui s'est déroulée dans le courant de l'année 1994 mais également à toutes contestations élevées à propos des opérations de mécénat culturel organisées par X.
A titre infiniment subsidiaire, ils sollicitent la cour de ramener la réparation du préjudice subi par la partie civile à la somme de un franc de dommages et intérêts, en l'absence de tout justificatif sur le sérieux du préjudice allégué par le CNCT.
Patrick A et la société Y, représentés par leur Conseil, sollicitent de la cour, par infirmation, le renvoi de Patrick A des fins de la poursuite et la mise hors de cause de la société Y.
Ils font plaider que l'exposition critiquée ne constituait pas un fait de publicité illicite en faveur d'un produit de tabac et que par ailleurs Patrick A est intervenu en qualité de prestataire de service en se bornant à organiser l'exposition sans avoir aucune délégation en matière de choix des œuvres et de communication.
Monsieur l'Avocat général requiert de la cour la confirmation du jugement déféré en ce qui concerne Jean-Dominique C. Il s'en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne Patrick A.
Représenté par son Conseil, le CNCT sollicite de la cour la confirmation pure et simple de la décision critiquée.
Sur l'action publique
Considérant que par exploit d'huissier des 27, 29 février et 4 mars 1996, le CNCT a cité directement devant le Tribunal de grande instance de Paris Messieurs Jean-Dominique C, Patrick A et Christian G, ainsi que les sociétés X, Y et Z, aux fins d'entendre :
- déclarer Monsieur Jean-Dominique C coupable de délit de publicité illicite en faveur du tabac et dire X civilement responsable de son dirigeant,
- déclarer Monsieur Patrick A coupable de complicité des mêmes faits et dire la société Y civilement responsable,
- déclarer Monsieur Christian G coupable de complicité des mêmes faits et dire la société Z civilement responsable,
- condamner Monsieur Jean-Dominique C, X, Monsieur Patrick A, la société Y, Monsieur Christian G et la société Z à payer au CNCT les sommes de 300 000 F à titre de dommages et intérêts et de 10 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure civile,
- ordonner la publication du jugement à intervenir sur plusieurs pages des journaux Z Magasine, Le Monde, Virgin Megapresse aux frais de Monsieur Jean-Dominique C et de X.
Considérant qu'à l'audience des premiers juges du 14 octobre 1996 ; le CNCT s'est désisté de ses demandes à l'encontre de Monsieur Christian G et du Z ;
Considérant que dans ses citations, la partie civile expose que X, désirant lancer un nouvel emballage de ses cigarettes Gitanes blondes, a organisé un concours mondial pour le dessin de ce nouveau paquet ;
Qu'un tel concours est parfaitement régulier et n'est pas contesté mais que X profite de cette occasion pour organiser une énorme opération publicitaire autour de ce nouveau paquet et de son lancement ;
Qu'ainsi est organisée au Centre Georges Pompidou du 7 au 29 février 1996, une exposition des affiches du concours " 20 désigners pour une silhouette " ;
Que durant quinze jours, le musée le plus visité de France pourra ainsi exposer à des centaines de milliers de visiteurs, vingt publicités en faveur des cigarettes Gitanes ;
Que cette opération s'accompagne de nombreux articles de la grande presse :
. Z Magazine du 3 février 1996 consacre huit pages à cette opération sous le titre " Beaubourg va faire un tabac avec les Gitanes " accompagné de dix sept représentations de paquets de cigarettes,
. Virgin Megapresse de février 1996 comporte un encart de huit pages " La Belle Gitane s'expose " accompagné de vingt-cinq représentations de paquets,
. Le Monde du 4 février 1996 consacre une demi-page à cette opération " La Gitane blonde fait paquet neuf " ;
Considérant que le CNCT soutient que Monsieur Jean-Dominique C, professionnel du tabac, pouvait d'autant moins ignorer le caractère délictueux de son opération que X n'avait pas hésité, courant 1991, à faire interdire par voie de référé, une exposition à la bibliothèque Nationale des affiches anti-tabac des collégiens de Quimper et leur utilisation éventuelle par le CNCT, ce au nom des droits de propriété d'une marque, alors qu'elle n'hésite pas aujourd'hui à violer le droit beaucoup plus important, à la santé et à la vie ;
Considérant que la partie civile affirme par ailleurs que cette vaste opération de publicité illicite a été montée grâce à l'aide d'une agence spécialisée, l'agence Y dont Monsieur Patrick A est le dirigeant ;
Considérant que la cour ne saurait suivre les prévenus en leurs explications ;
Considérant que la cour observe tout d'abord que le protocole d'accord intervenu en date du 3 mars 1996 entre le CNCT, Monsieur Jean-Dominique C et X portait -non sur l'exposition organisée du 7 au 19 février 1996 au Centre Georges Pompidou- mais sur une autre exposition intitulée " Modes Gitanes " qui s'est tenue au Carrousel du Louvre ;
Que d'autre part, ainsi que relevé à juste titre par le tribunal, cette transaction du 3 mars 1996 a eu pour but de réglementer des opérations publicitaires promouvant les manifestations de mécénat culturel organisées par X mais non ces opérations elles-mêmes ;
Considérant qu'en l'espèce s'il est patent que les organisateurs de l'exposition " 20 désigners pour une silhouette " ont pris le plus grand soin de ne reproduire ni la marque " Gitanes " ni son emblème, ni le paquet de cigarettes Gitanes sur les affiches et les invitations diffusées par X, il n'en demeure pas moins que l'exposition, en elle-même, compte tenu de la nature des œuvres concernées qui reproduisent sous différentes formes la célèbre Gitane crée à l'origine par Max Ponty et portent en plus ou moins gros caractères le mot Gitane, constitue -au-delà de l'aspect artistique- une incontestable opération de promotion en faveur d'un produit de tabac;
Considérant qu'au vu des éléments soumis à son appréciation, la cour est convaincue, comme les premiers juges, que tel était bien le but recherché par X qui, manifestement, a sciemment dépassé le cadre d'une simple opération de mécénat culturel pour se livrer à une opération publicitaire prohibée par l'article L. 355-25 du Code de la santé publique;
Que d'ailleurs la manière dont la presse, et notamment Z Magasine, a " couvert " l'évènement ne peut laisser aucun doute à cet égard ;
Que la plupart des articles reposaient en effet visiblement sur un dossier remis au journaliste et parlaient plus de tabac que d'art ;
Considérant que Jean-Dominique C, PDG de X, est l'un des organisateurs de l'exposition illicite;
Que dans leurs écritures de première instance, Monsieur Patrick A et la société Y reconnaissaient que Patrick A et la société Y ont été chargés par leur client de promouvoir l'exposition litigieuse auprès des médias et d'un certain public " amateur de création contemporaine ";
Considérant que par ces motifs et ceux pertinents des premiers juges, qu'elle fait siens, la cour confirmera le jugement entrepris sur les déclarations de culpabilité et les peines d'amende prononcées à l'encontre de chaque prévenu qui constituent une juste application de la loi pénale, étant précisé que les faits poursuivis ont été commis courant février 1996;
Sur l'action civile :
Considérant que le protocole d'accord du 3 mars 1996 ne porte pas sur les faits visés à la prévention ;
Considérant que la cour confirmera le jugement attaqué en ce qu'il a reçu le CNCT en sa constitution de partie civile ;
Considérant que le CNCT, association reconnue d'utilité publique, qui déploie pour sauvegarde de la santé publique des efforts constants dans la lutte contre le tabagisme, a subi un préjudice certain et découlant directement des faits visés à la prévention ;
Considérant que la cour qui dispose des éléments nécessaires et suffisants pour apprécier le préjudice certain subi par la partie civile et résultant directement des faits poursuivis, confirmera l'estimation qu'en ont faite les premiers juges ;
Considérant que la cour confirmera le jugement critiqué sur le montant des dommages et intérêts, les sommes allouées au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et en ce qu'il a déclaré X et la société Y civilement responsables, respectivement de Monsieur Jean-Dominique C et de Monsieur Patrick A ;
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges qu'elle adopte expressément, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Confirme le jugement dont appel sur les déclarations de culpabilité, les peines d'amende et les intérêts civils, étant précisé que les faits poursuivis ont été commis courant février 1996, Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné.