CA Paris, 13e ch. B, 7 mars 1996, n° 95-07017
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ministère public, Comité National contre le Tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bertolini
Conseillers :
Mmes Magnet, Marie
Avocats :
Mes Levy, Bihl.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré J Serge coupable de publicité illicite en faveur du tabac, le 16 décembre 1992, à Paris, Infraction prévue par les articles 1, 2, 8, 12, 15 de la loi 76-616 du 9/07/1976,
Et, en application de ces articles, l'a condamné à 100 000 F d'amende,
A déclaré la SN civilement responsable,
A débouté Serge J de ses demandes au titre de l'article 472 du Code de procédure pénale,
A assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 600 F ;
Sur l'action civile, le tribunal a reçu le CNCT en sa constitution de partie civile et a condamné J Serge solidairement avec un co-prévenu non en cause d'appel à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 2 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, a débouté le CNCT du surplus de ses demandes,
Les appels :
Appel a été interjeté par :
M. J Serge, le 5 octobre 1995, sur les dispositions pénales et civiles,
La SN (société), le 5 octobre 1995 contre CNCT Comité National Contre le Tabagisme,
M. le Procureur de la République, le 5 octobre 1995 contre M. J Serge.
Décision :
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu M. Serge J, le civilement responsable la société S et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.
Rappel des faits :
Dans le numéro du 16 décembre 1992 du journal Libération plusieurs pages surmontées de la mention " publicité " représentaient des paquets de cigarettes Peter Stuyvesant. En page centrale, figurait le texte suivant :
" Espace fumeurs à fabriquer, détachez cette page centrale. Tenez A de la main gauche, B de la main droite. Posez l'espace fumeurs ainsi obtenu sur votre tête et enfin allumer-en une ".
Deux éditions de cette publication avaient été diffusées, la première comportait en première page, la mention " fumeur " sur fond bleu, tandis que la seconde comportait également en première page la mention " non-fumeur " sur fond bleu, tandis que la seconde comportait également en première page la mention " non-fumeur " sur fond beige.
M. Serge J et la société S représentés par leur conseil, demandent par voie de conclusions conjointes l'infirmation du jugement entrepris, la relaxe de M. Serge J et la condamnation du CNCT en tous les dépens.
À l'appui de leur appel, ils font valoir :
En premier lieu que la loi du 10 janvier 1991 en son article 5 a abrogé les dispositions de l'article 14 de la loi du 9 juillet 1976, qui faisaient référence à l'article 285 du Code pénal et qui avaient institué une présomption de responsabilité à l'encontre du directeur de la publication.
Les concluants estiment que la responsabilité du directeur de la publication ne peut pas être engagée par le seul fait de la publication incriminée et qu'il y a lieu de rechercher si le prévenu a eu un comportement fautif, comme coauteur ou complice, soit en prenant lui-même la décision de publier l'encart publicitaire illicite, soit en n'empêchant pas cette publication dont il aurait eu connaissance avant l'impression du journal.
En deuxième lieu, que la publicité dont s'agit n'a pas été faite au bénéfice de la société RIF, mais avait pour objet la création d'un espace fumeur à fabriquer à l'aide des pages du journal Libération, que le produit concerné n'est pas le tabac mais cet espace fumeur.
Les concluants estiment qu'ils bénéficient en conséquence de la dérogation prévue à l'article 3 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 pour les publicités de produits autre que le tabac et mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement financièrement distincte d'une entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac.
En troisième lieu, qu'il s'agissait de caricaturer la loi et que le droit à l'humour est un élément de la liberté d'expression.
Le CNCT représenté par son conseil demande la confirmation du jugement déféré et réclame la somme de 4 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Sur ce,
Sur l'infraction à l'interdiction de toute publicité en faveur du tabac :
Considérant que la loi du 9 juillet 1976, dans sa rédaction applicable aux faits de la cause, dans les cas où elle autorisait la publicité en faveur du tabac ou des produits du tabac prévoit que celle-ci ne pouvait comporter d'autre représentation graphique ou photographique, outre celle du produit et de son emballage, que celle de l'emblème de la marque ;
Considérant que, d'une part, la publicité litigieuse ne correspond pas à ces exigences en raison des commentaires qui accompagnent la représentation du produit ;
Que, d'autre part, il s'agit d'une publicité directe, un encart dans un journal ne pouvant être considéré comme un produit autre que le tabac, alors qu'il s'agit précisément d'un support publicitaire ;
Que, l'infraction est caractérisée dans tous ses éléments ;
Qu'il convient donc de confirmer le jugement attaqué de ce chef ;
Sur la responsabilité de M. Serge J :
Considérant que, deux éditions du journal Libération ont été réalisées, portant la mention Fumeur " et non " fumeur " en première page;
Qu'il ne pouvait donc ignorer cette campagne publicitaire importante;
Que, par ailleurs le prévenu excipe de la liberté d'expression, ce qui est contradictoire ;
Considérant que, ces pages des éditions du 16 décembre 1992 du journal Libération comportaient le nom d'une marque de tabac, en l'espèce " Peter Stuyvesant " qu'il s'agissait donc d'une publicité en faveur d'un produit du tabac et non de l'exercice de la liberté d'expression comme le prétend le prévenu;
Que, c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu M. Serge J dans les liens de la prévention ;
Considérant que le jugement déféré doit donc être confirmé tant sur la déclaration de culpabilité, que sur la peine prononcée, laquelle est équitable ;
Sur la condamnation du civilement responsable :
Considérant que la société SN s'est bornée à demander la relaxe de M. Serge J et n'a pas sollicité sa mise hors de cause ;
Qu'il convient donc de confirmer le jugement déféré, en ce qu'il a déclaré cette société civilement responsable de M. Serge J ;
Sur les dommages-intérêts alloués à la partie civile :
Considérant que, le Comité national contre le tabagisme, association qui a été créée pour lutter contre le tabagisme et qui a été reconnue d'utilité publique à cet effet, subit, en raison de la spécificité du but et de l'objet de sa mission, un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur du tabac ou des produits du tabac, un préjudice dont elle est recevable à demander réparation ;
Qu'en effet, le CNCT déploie pour la sauvegarde de la santé, notamment par de nombreuses compagnes d'information et par l'édition d'une publication périodique, des efforts constants de lutte contre le tabagisme, qui sont contrariés par les agissements du prévenu ;
Considérant que, dans leur conclusions, le prévenu et le civilement responsable ne critiquent pas l'évaluation du préjudice subi par la partie civile retenue par le tribunal ;
Qu'il convient donc de confirmer le jugement déféré de ce chef ;
Sur la demande formulée au titre des frais irrépétibles :
Considérant que la demande d'une somme de 4 000 F, formulée par la partie civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel est justifiée, mais que la somme allouée à ce titre doit être limitée à 2 500 F ;
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu M. Serge J, du civilement responsable la société SN et du Ministère public, Rejette les conclusions de relaxe, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions tant pénales que civiles. Y ajoutant : Condamne M. Serge J et la société SN à payer au Comité national contre le tabagisme, partie civile, la comme de 2 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Dit inopérants, mal fondés ou extérieurs à la cause, tous autres moyens, fins ou conclusions contraires ou plus amples, les rejette. Le tout en application des articles 8 dans sa rédaction alors applicable et 12 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976, 512 et suivants du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.