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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 18 décembre 1997, n° 96-06665

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Ministère public, Comité National contre le Tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Sauret

Conseillers :

Mme Verleene-Thomas, Mme Marie

Avocats :

Mes Matignon, Antonini.

CA Paris n° 96-06665

18 décembre 1997

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le Tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré B Pierre coupable de publicité indirecte ou clandestine en faveur du tabac, de novembre 1995 à décembre 1995 à Paris, infraction prévue par l'article 1, 3, 8, 12, 15 Loi 76-616 du 09/07/1976 et, en application de ces articles, l'a condamné à 100 000 F d'amende,

Sur l'action civile : le Tribunal a reçu le Comité National contre le Tabagisme en sa constitution de partie civile et a condamné B Pierre à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le Tribunal a déclaré la société BGM solidairement responsable du paiement des amendes et frais de justice mis à la charge de son dirigeant et civilement responsable du paiement des dommages et intérêts.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Monsieur B Pierre, le 10 septembre 1996 contre Comité National contre le Tabagisme

Monsieur le Procureur de la République, le 10 septembre 1996 contre Monsieur B Pierre

Déroulement des débats :

A l'audience publique du 13 novembre 1997, toutes les parties étaient représentées par leur conseil :

Ont déposé des conclusions :

Maître Matignon, avocat du prévenu et de la société civilement responsable

Maître Antonini, avocat de la partie civile ;

Ont été entendus :

Monsieur le Président Sauret en son rapport ;

Maître Matignon, avocat du prévenu et du civilement responsable, en ses conclusions et plaidoirie ;

Madame Auclair, avocat général, en ses réquisitions ;

Maître Antonini, avocat de la partie civile en ses conclusions et plaidoirie ;

Le conseil de B Pierre à nouveau qui a eu la parole en dernier.

Le président a ensuite averti les parties que l'arrêt serait prononcé le 18 décembre 1997. A cette date, il a été procédé à la lecture de l'arrêt par l'un des magistrats ayant participé aux débats et au délibéré.

Décision :

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.

Rappel des faits

Par exploit en date des 13 février et 1er mars 1996, le Comité National contre le Tabagisme (CNCT) faisait citer B Pierre, président directeur général de la société BGM, cette dernière en qualité de civilement responsable, devant le Tribunal correctionnel de Paris, sous la prévention d'avoir courant novembre et décembre 1995, en diffusant dans les débits de tabac parisien, un catalogue intitulé " Welcome to Us Collection ", effectué une publicité illicite en faveur du tabac ou des produits du tabac et commis une infraction aux dispositions de l'article L. 121-18 du Code de la consommation relatif aux ventes par correspondance.

Il réclamait la condamnation de la société BGM à lui payer outre la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts, celle de 6 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le catalogue était illustré de photographies de l'ouest américain, chapeau de l'ouest, chevaux en liberté, montagnes rocheuses, le tout dans des couleurs rappelant celles des publicités antérieures de la marque Marlboro et sur lesquelles figuraient le célèbre cow-boy et proposait un certain nombre d'articles qui pouvaient être obtenus au moyen de points et d'une certaine somme d'argent.

Ainsi :

- chapeau de l'ouest 60 points + 302 F,

- lampe de bivouac 33 points + 96 F,

- parka 45 points + 294 F

Les points en question permettant d'acquérir ces articles se trouvaient dans les paquets de cigarettes Marlboro.

Aux personnes qui en faisaient la demande une pochette pour collecter les points était envoyée. Elle comportait les mots " US Collection " inscrits dans un losange blanc. Les mots " US Collection " étaient inscrits en utilisant la typographie habituelle du vocable " Marlboro ".

A la fin du catalogue, il était indiqué que d'autres catalogues pouvaient être demandés afin de les envoyer à des amis.

Le bon de commande rappelait que le catalogue était disponible du 1er novembre 1995 au 30 avril 1996 et incitait le lecteur à collectionner des points : " le catalogue " US Collection " et les points vous font profiter de prix vraiment avantageux, de 15 à 60 points vous bénéficiez de prix préférentiels par rapport aux prix publics, profitez-en ! Dès aujourd'hui conservez les points et choisissez vos articles "

Aucune indication n'était donnée sur la façon de se procurer les points, il était seulement conseillé dans le catalogue d'appel un numéro indiqué et dans un dépliant annexé au catalogue de s'adresser au détaillant.

En téléphonant au numéro indiqué, on apprenait que les points à collectionner figuraient sur le papier argenté se trouvaient à l'intérieur des paquets de cigarettes Marlboro.

B Pierre et la société BGM représentés par leur Conseil, demandent par voie de conclusions conjointes, à titre principal, l'infirmation du jugement attaqué et la relaxe de B Pierre, à titre subsidiaire, la réformation du jugement déféré sur le montant des dommages et intérêts alloués, à titre infiniment subsidiaire le maintient de la condamnation solidaire de B Pierre et de la société BGM au paiement des amendes et frais de justice, faisant valoir :

En premier lieu que la société BGM propose au public par le biais d'un catalogue de vente par correspondance d'acquérir une sélection d'articles pour lesquels une réduction de prix pouvait être obtenue au moyen de la production de points.

Ils estiment qu'un tel aménagement des conditions de vente ne constitue par en soi une infraction à la loi du 10 janvier 1991 portant interdiction de la publicité en faveur du tabac.

Les concluants soulignent que les articles commercialisés par BGM sont des articles de qualité qui ne comportent aucun marquage rappelant une marque du tabac, ni même aucune référence évoquant un produit du tabac et ajoutent que si les points peuvent être obtenus dans les paquets de cigarettes de la marque " Marlboro ", ils sont présentés dans le catalogue sans aucune référence à cette marque et que le paquet de cigarettes " Marlboro " ne contient aucune référence à l'opération " US Collection ".

En deuxième lieu que le Tribunal a décidé qu'en incitant des consommateurs à acheter des paquets de cigarettes Marlboro afin d'obtenir des points permettant d'acquérir des produits à prix réduit, B Pierre a directement participé à une opération de promotion de ces cigarettes et ainsi commis l'infraction qui lui est reprochée, sans caractériser les éléments constitutifs du délit.

Les concluants estiment que la loi visant très précisément la publicité en faveur du tabac, le Tribunal aurait dû relever que l'activité de BGM constitue une publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, alors que le Tribunal s'est borné à retenir une participation à une opération de promotion ", qui ne saurait caractériser à elle seule l'existence du délit de publicité directe ou indirecte en faveur du tabac.

En troisième lieu qu'au terme de la directive communautaire du 10 septembre 1984, on entend par publicité : " toute forme de communication faite dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens et de services, y compris les biens immeubles, les droits ou les obligations ", et que la société BGM n'a réalisé aucune communication au sens précité en faveur du tabac et qu'en particulier le catalogue mis en circulation en tant que support de l'activité n'assure aucune publicité autre que celles des produits pouvant être achetés par correspondance.

Ils ajoutent qu'il n'est fait aucune référence à la marque Marlboro et à la façon d'obtenir les points.

B Pierre et la société GBM font remarquer que le Tribunal a retenu qu'en téléphonant au numéro indiqué pour obtenir des renseignements, on apprenait que les points à collectionner figuraient sur le papier argenté se trouvant à l'intérieur des paquets de cigarettes Marlboro rouges, alors que le CNCT a produit une attestation établie par Madame Marie-Pierre Léger, laquelle a déclaré avoir composé le numéro d'appel figurant en page 3 du catalogue, afin de savoir comment collecter les points permettant d'acheter les articles à prix réduit et avoir obtenu une jeune femme lui ayant indiqué que les points se trouvaient sur l'aluminium du paquet de cigarettes. Le témoin ajoutait que s'enquérant de savoir s'il s'agissait des paquets de Marlboro Light, cette jeune femme lui avait indiqué qu'ils se trouvaient en fait sur les paquets rouges.

Ils soutiennent qu'il ressort de cette déclaration que la société BGM prend toutes les précautions utiles pour ne pas faire de publicité en faveur du tabac.

Les concluants ajoutent que le point figure sur l'emballage interne du produit et que par conséquent le consommateur ne peut donc le découvrir qu'après avoir acheté le produit.

En quatrième lieu que le Tribunal a considéré que le catalogue était illustré de photographies de cavaliers évoluant dans un ouest américain mythique rappelant certaines publicités en faveur du tabac, alors que cette motivation est insuffisante pour permettre de considérer que le catalogue " US Collection " constitue une publicité indirecte en faveur du tabac en général ou de la marque Marlboro en particulier.

Ils soulignent que les signes distinctifs se définissent comme étant des moyens phonétiques ou visuels, particulièrement des mots ou des images, qui sont appliqués, dans la vie économique et sociale, à la désignation des personnes ou des entreprises, ainsi que des produits ou services qu'elles fournissent, afin de les distinguer et de permettre au public de les reconnaître, et que les photographies reproduites dans le catalogue ne constituent pas un signe distinctif de la marque Marlboro, mais de photographies typiques de l'ouest américain qui ne peuvent faire l'objet d'une appropriation particulière par une marque, que ces photographies évoquent principalement des thèmes tels que la nature, les grands espaces, l'aventure, les chevauchées, la liberté idées qui ne sont pas susceptibles d'approbation.

Ils ajoutent que le thème de l'ouest américain est utilisé par de très nombreux producteurs qui cherchent à rappeler l'origine américaine de leurs produits ou à les identifier aux valeurs d'aventure, de liberté et d'espace attachés à cet univers.

En cinquième lieu, les concluants font valoir que le Tribunal a estimé à tort que l'absence de mention de la marque Marlboro sur le catalogue diffusé par la Société BGM ne fait que souligner le soin pris par son dirigeant pour déguiser une publicité dont il connaissait l'illicéité, alors que la Société BGM s'est attachée dans la préparation du catalogue à ne faire aucune référence à une marque ou produit du tabac.

Sur le montant des dommages et intérêts alloués, les concluants font valoir qu'il a été démontré que l'activité " US Collection " ne saurait constituer une publicité directe ou indirecte en faveur du tabac et qu'aucune référence à la marque Marlboro ou au tabac en général n'est faite et qu'en conséquence il n'a été causé aucun préjudice au CNCT dans le cadre de sa mission de défense de la santé des consommateurs français.

Enfin, sur la condamnation solidaire et la Société BGM et de B Pierre, ils soutiennent que, selon l'article 12 alinéa 4 de la loi du 9 juillet 1976 ; le Tribunal peut, compte tenu des circonstances de fait, décider que les personnes morales, sont en totalité ou en partie solidairement responsables du paiement des amendes et des frais de justice mis à la charge de leurs dirigeants ou de leurs préposés et que B Pierre a agit dans l'intérêt exclusif de la Société BGM afin de développer l'activité de cette dernière.

Le Comité National contre le Tabagisme représenté par son Conseil demande par voie de conclusions, la confirmation du jugement entrepris, faisant valoir que depuis que la loi a interdit toute publicité en faveur du tabac des produits du tabac, les sociétés productrices de tels produits tentent de tourner cette prohibition en organisant des opérations de promotion organisées par des sociétés apparemment distinctes.

Il souligne que le catalogue diffusé par la société BGM permet une identification immédiate et incontestable de la marque Marlboro.

Qu'en effet ce catalogue reprend les couleurs de Marlboro sur sa couverture comme sur les pages intérieures, le célèbre cow-boy, le losange emblème des paquets de cigarettes et sa présentation, les " visuels " utilisés étant ceux de l'univers Marlboro et non de façon générale des paysages de l'ouest américain.

Le concluant soutient que la Société BGM est une société écran dont le président directeur général B Pierre est un professionnel qui connaît la réglementation en vigueur.

Il fait remarquer que l'absence de mention de la marque Marlboro dans le catalogue n'empêche nullement la réalisation de l'infraction dans la mesure où toutes les autres caractéristiques de la marque sont présentées.

Sur ce

Sur l'action publique

Considérant que l'article L. 355-25 du Code de la santé publique interdit toute publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ;

Considérant d'une part, que constitue une publicité, tout acte tendant à assurer la promotion d'un produit;

Que d'autre part, pour qu'il y ait publicité directe, il suffit que la publicité en question soit de nature, par sa présentation, à rappeler le tabac ou un produit du tabac;

Qu'en l'espèce, les photographies du catalogue, rappellent les cigarettes Marlboro;

Qu'en effet, depuis de nombreuses années, le thème de l'Ouest américain était utilisé par cette marque de cigarettes;

Que le cow-boy était représenté dans des paysages analogues à ceux figurant sur le catalogue litigieux;

Que les couleurs dominantes étaient celles des photographies dudit catalogue;

Que, par une association d'idées bien connue des publicitaires, le paysage évoquait la marque et que, par conséquent, la marque et le cow-boy peuvent ne plus figurer sur le message sans en altérer sa signification;

Que ce sens du message se maintiendra d'autant plus facilement que des pays voisins de la France, autorisant la publicité en faveur du tabac, on peut y voir le célèbre cow-boy et l'indication de la marque Marlboro;

Qu'en l'espèce, les cigarettes Marlboro sont évoquées par le chapeau de l'ouest les montagnes du Nevada et les chevaux en liberté;

Que si les idées sont de libre commerce, ces images de l'ouest américain, telles qu'elles étaient présentées dans le catalogue de la société BGM étaient nécessairement liées à la marque Marlboro;

Que ce lien est d'autant moins fortuit, que le point permettant d'obtenir une réduction du prix de vente ne pouvait être acquis qu'en achetant un paquet de cigarettes de la marque Marlboro;

Qu'en effet, le CNCT déploie pour la sauvegarde de la santé, notamment par de nombreuses campagnes d'information et par l'édition d'une publication périodique, des efforts constants de lutte contre le tabagisme, qui sont contrariés par les agissements du prévenu ;

Que la publicité incriminée est d'autant plus pernicieuse qu'elle ne tend pas seulement à promouvoir une marque, mais tend à un accroissement de l'acquisition de paquets de cigarettes de la part de consommateurs d'autant plus vulnérables qu'il s'agit d'une clientèle jeune et éprise d'aventure qui n'est pas avertie des méfaits du tabac;

Que, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour le Comité national de lutte contre le tabagisme, partie civile dès agissements de B Pierre et de la société BGM qui ne conteste pas sa qualité de civilement responsable ;

Que, dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions civiles ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu, du civilement responsable et du Ministère public, Confirme le jugement attaqué sur la déclaration de culpabilité, sur la Condamnation solidaire du prévenu et de la société BGM au paiement des intérêts civils, Infirme le jugement entrepris sur la peine, Condamne solidairement B Pierre et la société BGM au paiement d'une amende de 200 000 F, La présente décision est assujettie à un droit fixe de 800 F dont est redevable le condamné.