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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 16 octobre 1997, n° 97-00896

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ministère public, Comité National contre le Tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Sauret

Conseiller :

Mmes Verleene-Thomas Marie

Avocats :

Iscovici, Roubach, Antonini.

CA Paris n° 97-00896

16 octobre 1997

Rappel de la procédure :

La prévention :

Par exploit d'huissier en date des 8 et 18 janvier 1996, le Comité National contre le Tabagisme (CNCT) a fait citer directement devant le cric de Paris K Pieter en qualité de prévenu et la société R International France en qualité de civilement responsables pour publicité illicite en faveur du tabac.

Et R Richard en qualité de prévenu et la S F en qualité de civilement responsable pour complicité de publicité illicite en faveur du tabac.

Faits prévus et réprimés par les articles L. 355-25 et suivants du Code de la santé publique, L. 121-18 du Code de la consommation,

Le jugement :

Le Tribunal, par jugement contradictoire, a relaxé K Pieter et R Richard Paul des fins de la poursuite, a débouté le Comité National contre le Tabagisme de sa demande et a déclaré irrecevable le Comité National contre le Tabagisme en son action des chefs d'infraction au Code de la consommation.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Comité National contre le Tabagisme, le 15 octobre 1996 contre la société R International France, la société F, Monsieur K Pieter, Monsieur R Richard,

Déroulement des débats :

A l'audience publique du 18 septembre 1997, toutes les parties étaient représentées par leur Conseil ;

Maître Antonini, avocat de la partie civile, a déposé des conclusions ;

Ont été entendus :

Monsieur le président Sauret en son rapport ;

Maître Antonini, avocat de la partie civile appelante, en ses conclusions et plaidoirie ;

Maître Iscovici et Maître Roubach, avocats des prévenus et des civilement responsables, en leur plaidoirie ;

Madame Auclair, avocat Général, en ses observations ;

Les conseils des prévenus à nouveau qui ont eu la parole en dernier.

Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 16 octobre 1997. A cette date, il a été procédé à la lecture de l'arrêt par l'un des magistrats ayant participé aux débats et au délibéré.

Décision :

Rendu contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel de la partie civile, régulièrement interjeté à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.

Le Comité National contre le Tabagisme (CNCT) relevait appel le 15 octobre 1996 contre le jugement du 14 octobre 1996 qui relaxait K Pieter et R Richard des fins de la poursuite engagée sur citation du CNCT pour publicité illicite en faveur du tabac, vente avec prime illicite, offre dans une vente à distance d'un bien sans avoir indiqué le nom de son entreprise, ses coordonnées téléphoniques ainsi que l'adresse de son siège, et si elle est différente, celle de l'établissement responsable de l'offre et le déboutait de sa demande en réparation du préjudice qu'il avait subi.

Le Comité National contre le Tabagisme représenté par son conseil, demande par voie de conclusions, à la Cour de dire constituée l'infraction de publicité illicite en faveur du tabac à l'égard de la société R International France et de K Pieter.

Dire constituée l'infraction de publicité illicite en faveur du tabac et complicité de ce délit à l'égard de la société F et de R Richard.

En conséquence le recevoir en sa constitution de partie civile et y faisant droit :

Condamner R Richard et K Pieter au paiement de la somme de 400 000 F à titre de dommages et intérêts.

Déclarer les sociétés R International France et F, civilement responsable.

Les condamner au paiement d'une indemnité de 10 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

A l'appui de sa demande le Comité National contre le Tabagisme soutient :

D'une part, que le Tribunal n'a pas pris en considération le fait que la société R International France représentée par K Pieter a pour but d'assurer la promotion des marques de cigarettes produites par la société R International France et qu'il ne peut être sérieusement soutenu qu'elle n'a joué aucun rôle dans la réalisation de l'opération.

D'autre part, que le Tribunal a fait une interprétation erronée du rôle joué par R Richard et la société F, dès lors qu'il est établi que cette société à fourni à la R France :

- une domiciliation,

- un numéro de Cedex,

- un écran vis-à-vis de la loi,

Éléments sans lesquels la réalisation des faits litigieux n'aurait pu intervenir.

Le CNCT souligne que 1 730 000 paquets de cigarettes ont été vendus dans ces conditions et que l'opération de publicité litigieuse mettait à néant ses efforts pour prévenir et limiter les violations de la loi.

K Pieter et la société R France, représentés par leur conseil, demandent par voie de conclusions conjointes à la Cour de :

- déclarer irrecevable la demande formulée par le CNCT à leur encontre, visant à voir dire constituée l'infraction pénale de publicité illicite en faveur du tabac ;

- en conséquence, le débouter de son appel ;

- Subsidiairement au fond, de dire et juger mal fondé le CNCT en ses demandes et en conséquence l'en débouter.

- A titre très subsidiaire, faire application de l'article L. 335-31 du Code de la santé publique.

A l'appui de leur demande, ils font valoir :

D'une part, qu'à défaut d'appel du Ministère public, le jugement de la relaxe acquiert, quant à l'action publique, l'autorité de la chose jugée et que par suite, la Cour doit rechercher, sur le terrain de la faute quasi délictuelle de droit commun si la partie poursuivie, de par son comportement, est à l'origine d'un préjudice subi par la partie poursuivante et que demander à la Cour de caractériser les éléments d'une infraction revient à statuer sur une question ayant déjà été tranchée de façon définitive par le juge de premier ressort.

D'autre part, que le Tribunal a, à juste titre, constaté qu'il n'était apporté aucun élément établissant que la société R International France ait participé à l'opération qui s'est déroulée entre le 1er avril et le 15 septembre 1995 et consistant à permettre aux acquéreurs des paquets de cigarettes contenant des tickets points d'obtenir des lots de faible valeur.

Les concluants soulignent que la société R International France a une activité de prestataire de service chargée du contrôle des ventes et n'exerce pas le commerce du tabac, précisant qu'elle n'est pas responsable du conditionnement des produits du tabac et n'a aucun droit sur la marque Peter Stuyvesant.

En outre que les tickets-points insérés à l'intérieur des paquets de cigarettes, étaient invisibles des tiers et destinés exclusivement à chacun des acheteurs desdits paquets, ce qu ne caractérise pas un acte de publicité.

Les concluants font observer que les tickets ne comportaient aucune indication les rattachant à la marque Peter Stuyvesant, ni plus généralement, à aucune marque du tabac, ce qui excluait la possibilité, s'ils avaient été trouvés sur la voie publique, qu'ils puissent être associés au tabac.

Enfin que le CNCT ne reprend pas les demandes qu'il avait formulées sur le terrain de l'atteinte prétendue aux dispositions du Code de la consommation relative à la vente avec prime, étant observé que la partie civile n'a pas qualité pour agir sur le fondement des dispositions du Code de la consommation et ne fait été qu surplus d'aucun préjudice résultant de ces prétendues infractions.

R Richard et la société F demandent, par voie de conclusions conjointes, à la Cour de dire et juger qu'il n'existe en l'espèce aucune infraction à l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 et en tout état de cause que R Richard n'est ni l'auteur, ni le co-auteur, ni le complice des faits incriminés.

Les concluants sollicitent en conséquence, la confirmation du jugement déféré.

A l'appui de leur demande, ils font valoir :

D'une part, que la société F ne s'occupe ni de la conception, ni de la réalisation des opérations publicitaires dont seul le traitement final lui est confié ;

Ils soulignent que la société n'est nullement spécialisée dans ce type d'opération, traitant les opérations les plus diverses pour les produits les plus diversifiés.

R Richard et la société F ajoutent qu'il n'entre pas dans leur mission vérifier systématiquement le caractère éventuellement illicite, mensonger ou trompeur des publicités dont le traitement lui est confié.

D'autre part, que l'opération a été organisée par son concepteur afin d'éviter toute infraction à la loi puisque le bon de participation est parfaitement anonyme, ne faisant l'objet d'aucune publicité extérieure aux paquets et destinée à inciter non à la consommation du tabac, mais à avantager une marque plutôt qu'une autre.

En outre, que le CNCT n'a pas poursuivi le grief tiré d'une infraction de vente avec prime illicite et d'une infraction à l'article L. 121-18 du Code de la consommation, infractions pour lesquelles il n'a au surplus pas qualité pour agir.

Enfin, les concluants invoquent un arrêt rendu par la Cour de Céans dans une affaire identique et selon lequel un acte postérieur à l'infraction ne pouvait constituer un acte punissable que s'il est en liaison directe et préméditée avec celui-ci.

Rappel des faits

Par exploit d'huissier en date des 8 et 18 janvier 1996, le Comité National contre le Tabagisme a fait citer directement devant le Tribunal correctionnel de Paris, K Pieter en qualité de prévenu, la société R International France en qualité de civilement responsable, R Richard en qualité de prévenu, la société F en qualité de civilement responsable, sous la prévention de publicité illicite en faveur du tabac faits prévus et réprimés par les articles L. 355-25 et suivants du Code de la santé publique, de vente avec prime illicite faits prévus et réprimés par les articles L. 121-35 et L. 121-40 du Code de la consommation, d'avoir offert dans une vente à distance, un bien sans avoir indiqué le nom de son entreprise, ses coordonnées téléphoniques, ainsi que l'adresse de son siège, et, si elle est différente, celle de l'établissement responsable de l'offre faits prévus et réprimés par les articles L. 121-18 et 121-19 du Code de la consommation.

Du 1er avril au 15 septembre 1995, tout acheteur d'un paquet de cigarettes de marque Peter Stuyvesant trouvait à l'intérieur de ce paquet, un petit ticket constituant " un point " et expliquant comment obtenir un cadeau. Ainsi, 25 points permettaient de recevoir un briquet, 50 points un paréo, et 100 points accompagnés d'un chèque de 130 F, un coffret de deux montres d'une valeur de 380 F.

Cette opération était réalisée par la société F qui indiquait pour seule adresse " Paris Cedex ".

Cette opération constituait en premier lieu, selon le CNCT, une publicité illicite en faveur du tabac d'une part, parce que les tickets constituent une forme de communication et ont pour but de pousser le consommateur à acheter 25, 50 ou 100 paquets de cigarettes de marque Peter Stuyvesant, d'autre part, parce que les objets promis s'ils comportaient la mention de la marque donneraient lieu à une publicité illicite en faveur du tabac, à moins qu'ils ne soient pas revêtus de marque ce qui est interdit par l'article L. 121-35 du Code de la consommation.

En deuxième lieu, la valeur de certains des objets offerts en prime, à savoir les montres, faisait que cette opération contrevenait à l'interdiction d'offrir en prime un objet dont la valeur est supérieure à 7 % de la valeur du bien.

En troisième lieu, que cette opération contrevenait à l'article L. 121-18 du Code de la consommation qui prévoit que, dans toute offre de vente à distance, le professionnel est tenu d'indiquer le nom de son entreprise, ses coordonnées téléphoniques et l'adresse de son siège. Le CNCT réclamait en réparation de son préjudice, outre la somme de 400 000 F à titre de dommages et intérêts, celle de 6 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Sur ce

Sur l'étendue de l'appel du Comité National contre le Tabagisme

Considérant que l'appelant dans ses conclusions limite son recours aux dispositions du jugement relatives à la relaxe de K Pieter et R Richard du chef du délit de publicité illicite en faveur du tabac ;

Que la Cour n'est donc saisie que de la relaxe intervenue du chef de cette infraction et n'a pas à examiner les autres chefs de prévention visés par la citation du CNCT .

Sur la recevabilité de l'appel du Comité National contre le Tabagisme

Considérait que les premiers juges relaxaient K Pieter et R Richard des fins de la poursuite et qu'en l'absence d'appel du Ministère public, la décision de relate est devenue définitive ;

Considérant qu'en raison de l'indépendance de l'action civile et de l'action publique, l'appel de la partie civile, s'il est sans incidence sur la force de chose jugée qui s'attache comme en l'espèce à la décision de relaxe sur l'action publique, saisit le juge des intérêts civils ;

Qu'en conséquence, malgré la décision de relaxe, il appartient à la Cour d'apprécier les faits dans le cadre de la prévention, pour se déterminer sur le mérite des demandes civiles qu lui sont présentées ;

Sur le caractère illicite de l'insertion des tickets points dans les paquets de cigarettes Peter Stuyvesant

Considérant que, selon l'article L. 355-25 du Code de la santé publique reprenant l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 dans sa rédaction issue de la loi du 10 janvier 1993, toute propagande ou publicité directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac est interdite sans qu'il y ait lieu de distinguer entre la promotion d'une marque ou d'un produit du tabac ;

Que par ailleurs tout acte de communication destiné à promouvoir un produit ou un service constitue une publicité ;

Considérant que l'opération qui avait pour objet de promouvoir une marque de cigarettes, encourageait la consommation d'un produit du tabac ;

Que le Tribunal a relevé d'une part, que cette publicité était particulièrement incitative puisqu'elle invitait le consommateur à acheter un nombre conséquent de paquets de cigarettes Peter Stuyvesant, d'autre part, que les auteurs de cette opération avaient soigneusement déterminé les personnes auxquelles s'adressait le message publicitaire, les cadeaux offerts ne pouvant attirer qu'une clientèle d'adolescents ou de très jeunes adultes;

Qu'en effet, les adultes cessent de fumer et que les firmes productrices de tabacs sont amenées à conquérir les jeunes consommateurs pour maintenir le montant des ventes de cigarettes ;

Que les premiers juges ont à juste titre retenu que, contrairement à ce qu'affirmait le prévenu, la campagne publicitaire ne s'est pas déroulée à l'intérieur des débits de tabacs, dès lors que les affichettes étaient incluses dans les paquets de cigarettes et étaient transportées par les consommateurs ;

Que le Tribunal a donc à bon droit décidé que l'opération litigieuse, constituait une publicité en faveur du tabac interdite par l'article 355-25 du Code de la santé publique;

Sur l'imputabilité à K Pieter :

Considérant que la société R International France n'a pas pour objet la commercialisation du tabac et qu'il n'est pas établi qu'elle ait participé à l'opération litigieuse ;

Que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont relaxé K Pieter des fins de la poursuite ;

Sur la mise en cause de la société R

Considérant que les premiers juges ont omis de statuer sur la mise en cause de la société R en qualité de civilement responsable ;

Qu'il convient donc d'annuler et d'évoquer le jugement de ce chef ;

Considérant que la mise en cause de la société R en qualité de commettant, est sans objet du fait de la relaxe du prévenu, qui n'est, au surplus, pas son préposé, dès lors qu'il en était le président du conseil d'administration ;

Sur la complicité de R Richard :

Considérant que, si un acte postérieur à l'infraction peut constituer un acte de complicité punissable, s'il est en liaison directe et préméditée avec celui-ci, encore faut-il qu'il existe un lien de causalité suffisamment net entre le comportement du prétendu complice et la commission de l'infraction ;

Considérant que l'activité de la société F s'est limitée à la réception des cartonnettes, au contrôle des réponses et à l'expédition des cadeaux aux bénéficiaires;

Que la campagne publicitaire a été organisée sans son concours et qu'elle n'a pas donné les moyens de réaliser l'infraction;

Considérant qu'aucun acte de complicité n'ayant été caractérisé à l'encontre de R International France, c'est à juste titre que les premiers juges l'ont relaxé des fins de la poursuite et ont débouté la partie civile de ses demandes ;

Que le jugement déféré doit être confirmé de ce chef ;

Sur la mise en cause de la société F :

Considérant que les premiers juges ont omis de statuer sur la mise en cause de la société F en qualité de civilement responsable ;

Qu'il convient donc d'annuler et d'évoquer le jugement de ce chef ;

Considérant que la mise en cause de la société en qualité de commettant est sans objet du fait de la relaxe du prévenu, qui n'est au surplus pas son préposé, dès lors qu'il en était le président du conseil d'administration ;

Par ces motifs La Cour Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel de la partie civile, Constate que la partie civile a limité son appel aux dispositions de relaxe relatives à l'infraction de publicité illicite en faveur du tabac et qu'elle n'est saisie que de ce chef de prévention, Confirme le jugement déféré sur les intérêts civils seuls en cause d'appel, Annule le jugement déféré en ce qu'il n'a pas statué sur la mise en cause des sociétés R et F, Evoquant : Met hors de cause les sociétés R et F.