Livv
Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 15 mai 1997, n° 95-01977

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ministère public, Comité National contre le le Tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bertolini

Conseillers :

Mmes Verleene-Thomas, Marie

Avocats :

Vaisse, Bihl

CA Paris n° 95-01977

15 mai 1997

Rappel de la procédure :

La prévention :

Par exploit d'huissier en date du 16 septembre 1994, le Comité National contre le Tabagisme a fait citer directement devant le Tribunal Jacques L et la société R T France pour avoir réalisé une publicité illicite en faveur de la marque de cigarettes Winston.

Faits prévus et réprimés par les articles 2 et 12 de la loi du 9 juillet 1976.

Le jugement :

Le Tribunal, par jugement contradictoire a déclaré Jacques L coupable des faits reprochés et après avoir rejeté l'exception d'incompétence,

L'a condamné à 350 000 F d'amende,

Et sur l'action civile, a reçu le CNCT en son intervention et a condamné Jacques L à lui payer :

- la somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts

- celle de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

A déclaré le société R T France civilement responsable.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Monsieur Jacques L, le 2 février 1995 sur les dispositions pénales et civiles,

La société R T France, civilement responsable, le 2 février 1995, le Ministère public, le 2 février 1995.

Décision :

Rendu contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu, le civilement responsable et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.

Rappel des faits

Pendant les mois de février, mars et avril 1994, les acheteurs de cigarettes Winston trouvaient dans chaque paquet de cigarettes un prospectus " Winston " leur promettant des articles divers (sac à dos " Eagel Road ", réplique de plaque de voiture américaine " Eagel Road ", disque de " la musique des routes américaines "), qu'ils pouvaient obtenir moyennant 40, 60 ou 90 preuves d'achats à partir du code barre figurant sur chaque paquet de cigarettes.

Les participants devaient remettre les preuves d'achat dans une courte période de quinze jours.

Le CNCT estimant qu'il y avait là une violation de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 dans sa rédaction issue de la loi du 1er janvier 1993 qui interdit toute propagande ou publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, a fait citer directement le Tribunal correctionnel, Jacques L et la société R T France.

Il faisait valoir que cette opération constitue un acte de publicité au sens de la Directive CEE du 10 septembre 1986.

Le CNCT soulignait que les primes offertes montraient bien que cette publicité est destinée essentiellement à toucher un public de jeunes.

Jacques L et la société R T France soutiennent, par voie de conclusions conjointes, en premier lieu que l'action publique est éteinte du fait de la loi d'amnistie du 3 août 1995. A l'appui de leur demande, ils font valoir, que l'infraction n'est punie que d'une peine d'amende, hors le cas de récidive et que, par conséquent, l'article 2 de la loi précitée selon lequel sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue, à l'exception de toute autre peine ou mesure trouve à s'appliquer.

En deuxième lieu, que les documents litigieux ont été conçus, imprimés et insérés dans une série de parquets de cigarettes par la société de droit allemand R T GmbH, dans ses usines en Allemagne, sans la moindre participation de la société R T France, qui font-ils observer n'est pas chargée de la commercialisation des cigarettes Winston.

Les concluants ajoutent que la société R T France n'est pas titulaire de la marque Winston et n'est pas en mesure d'empêcher la société R T GmbH d'insérer, dans les produits fabriqués dans son usine en Allemagne, des documents destinés à exploiter une promotion.

Ils font remarquer que le Tribunal a retenu à tort que la société R T France avait participé à la mise en place, à la gestion et au financement de l'opération et qu'elle s'était comportée, sinon comme l'organisatrice -du moins comme le véritable partenaire de la société allemande- quant à l'organisation de la promotion, en relevant qu'elle avait fait figurer son nom et les coordonnées de son siège social très lisiblement à l'intérieur du paquet de cigarettes sous la mention " information consommateurs " alors que ces indications sont soit erronées, soit dénuées de la portée juridique que le Tribunal leur a donnée.

Les concluants ajoutant que la société R T France n'a joué aucun rôle dans cette campagne et s'est bornée à la seule exécution de sa mission de conseil en matière de fixation de prix, de surveillance de la commercialisation et de la distribution en France par la SEITA des cigarettes fabriquées par la société R T GmbH et ajoutent que c'est dans le cadre de cette mission que la société R T France a contracté avec la société chargée de la collecte des preuves d'achat et de la répartition des primes, étant précisé qu'il était spécifié que la facture devait être adressée à la société " RJ R T GmbH, Maria Ablassa Platz 15, Cologne, Deutschland ".

En troisième lieu, Jacques L fait valoir qu'il est le directeur de la société R T France et non le président du Conseil d'administration et qu'en cette qualité, il ne répond pas des infractions commises en matière de publicités illicites.

En quatrième lieu, Jacques L et la société R T France font valoir que les opérations de ventes avec primes sont courantes dans les débits de tabac et n'incitaient pas à la consommation du tabac.

En dernier lieu, ils prétendent que c'est à tort que le Tribunal a cru devoir relever que l'opération avait duré à peine une quinzaine de jours, alors que la SEITA a vendu les paquets en question aux débitants de tabac dès la mi-décembre 1993 et que l'opération s'est terminée le 2 avril 1994.

Le Comité National contre le Tabagisme (CNCT), représenté par son Conseil, demande par voie de conclusions, outre la confirmation du jugement déféré, la somme de 8 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, faisant valoir d'une part, sur l'exception d'incompétence soulevée par le prévenu au motif que la société a son siège social dans les Hauts-de-Seine que la publicité ayant été effectuée à Paris, les Tribunaux parisiens sont compétents pour connaître du délit.

D'autre part, que le fait d'inciter les consommateurs à acheter 40, 60 ou 90 paquets de cigarettes constitue bien une publicité illicite en faveur du tabac contrairement à ce que soutiennent le prévenu et le civilement responsable.

Enfin, que même Jacques L n'est, ni le producteur, ni le distributeur des cigarettes, il ressort des éléments du dossier que c'est bien R T France qui a passé commande de l'opération à la société de services qui a assuré cette promotion et que Jacques L s'est à maintes reprises, vanté de son activité en vue de telles promotions.

Sur ce

Sur l'action publique

Sur l'exception d'incompétence

Considérant que le prévenu et le civilement responsable ont renoncé à soulever ce moyen en cause d'appel ;

Que, comme l'ont relevé les premiers juges l'infraction a été commise dans le ressort du Tribunal de Paris dès lors que les paquets de cigarettes litigieux ont été vendus à Paris ;

Qu'ils ont retenu, à juste titre, leur compétence et que le jugement attaqué doit être confirmé de ce chef ;

Sur le moyen tiré de l'amnistie

Considérant qu'aux termes de l'alinéa 1er de l'article 2 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995, sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue, à l'exception de toute autre peine ou mesure, lorsqu'ils ont été commis avant le 18 mai 1995 ;

Que le législateur a entendu exclure du bénéfice de l'amnistie les infractions pour lesquelles une peine ou une mesure autre que l'amende peut être prononcée, peu importe qu'il y eut encore utilité à les prononcer et quel qu'en soit la nature ;

Considérant que l'article L. 355-31 du Code de la santé publique, applicable aux faits de la cause, prévoit que le Tribunal ordonne, s'il y a lieu, la suppression, l'enlèvement ou la confiscation de la publicité interdite aux frais des délinquants ;

Considérant que, dans ces conditions, les infractions à l'article L. 355-31 du Code de la santé publique n'entrent pas dans le champ d'application de la loi d'amnistie susvisée ;

Que le moyen doit donc être écarté :

Sur l'infraction à l'article L. 355-25 du Code de la santé publique reprenant l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 dans sa rédaction issue de la loi du 10 janvier 1993.

Considérant que, selon ce texte, toute propagande ou publicité directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac est interdite sans qu'il y ait lieu de distinguer entre la promotion d'une marque ou d'un produit du tabac ;

Que par ailleurs tout acte de communication destiné à promouvoir un produit ou un service constitue une publicité ;

Considérant que le Tribunal a, à juste titre, estimé que l'opération avait pour objet de promouvoir une marque de cigarettes et ainsi d'encourager la consommation d'un produit du tabac;

Qu'il a relevé d'une part, que cette publicité était particulièrement incitative, puisqu'elle invitait le consommateur à acheter dans une période de temps assez courte, abstraction faite de l'erreur qu'il a commise sur la durée réelle de l'opération, un nombre important de paquets de cigarettes Winston, d'autre part, que les cadeaux ne pouvaient attirer qu'une clientèle jeune et particulièrement sensible à l'attrait du tabac et peu apte à en apprécier les dangers;

Qu'en effet, les adultes cessent de fumer et que les firmes productrices de tabac sont amenées à conquérir les jeunes consommateurs pour maintenir le montant des ventes de cigarettes;

Que le Tribunal a donc, a bon droit, décidé que l'opération litigieuse, constituait une publicité en faveur du tabac interdite par l'article 355-25 du Code de la santé publique;

Sur la complicité de Jacques L

Considérant que le Tribunal a relevé que le bon de commande versé aux débats démontre que la Société Française de Diffusion et de Documentation (SFDD) a contracté avec R T France et que c'est cette société qui l'a chargée, le 1er février 1994, de la gestion de la campagne ce qui a permis par la suite à la société R T GmbH de préciser sur la cartonnette que les réponses des consommateurs devaient être adressées à la SFDD ;

Que ce bon de commande révèle également que, si les factures SFDD ont été libellées à l'ordre de " RJ R T GmbH ", le fournisseur a été invité " pour accélérer le paiement " à les adresser au service " comptabilité fournisseur RJ R T France " ;

Que les premiers juges ont ainsi caractérisé des actes d'aide et d'assistance à la commission d'une infraction constitutifs de la complicité ;

Considérant que les premiers juges relevaient d'une part, que, la société RJ R T France s'affirme depuis de nombreuses années comme responsable de la publicité et du marketing des produits Reynolds sur le territoire français, d'autre part, que le Président du Conseil d'administration est domicilié en Grande-Bretagne et que Jacques L se présente toujours comme vice-président de la société, et celui qui depuis douze ans est à la tête du troisième groupe de cigarettes en France;

Qu'il apparaît ainsi comme titulaire d'une délégation de pouvoirs, celle-ci pouvant être tacite;

Que c'est donc, à juste titre, que les premiers juges l'ont retenu dans les liens de la prévention;

Que la peine prononcée a été exactement appréciée par les premiers juges ;

Que le jugement déféré doit donc être confirmé tant sur la déclaration de culpabilité que sur la peine prononcée ;

Sur l'action civile

Considérant que le Comité National contre le Tabagisme, association qui a été créée pour lutter contre le tabagisme et qui a été reconnue d'utilité publique à cet effet, subit, en raison de la spécificité du but et de l'objet de sa mission, un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur du tabac ou des produits du tabac un préjudice dont il lui est dû réparation ;

Qu'en effet, le CNCT déploie pour la sauvegarde de la santé, notamment par de nombreuses campagnes d'information et par l'édition d'une publication périodique, des efforts constants de lutte contre le tabagisme qui sont contrariés par les agissements du prévenu ;

Que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour le CNCT, partie civile, des agissements de Jacques L ;

Considérant que le société R T France est civilement responsable des agissements de Jacques L compte tenu de sa position de directeur au sein de celle-ci ce qui fait de lui un préposé ;

Que, dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions civiles ;

Que la demande d'une somme de 8 000 F formulée par ledit Comité au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel, est justifiée en son principe mais doit être limitée à 3 000 F ;

Par ces motifs La Cour, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu, du civilement responsable et du Ministère public, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions tant pénales que civiles, Y ajoutant, Condamne Jacques L et la société R T France à payer au Comité National contre le Tabagisme, partie civile, la somme de 3 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Dit inopérants mal fondés ou extérieurs à la cause tous autres moyens, fins et conclusions, les rejettes. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné.