CA Pau, 1re ch., 18 mai 2000, n° 98-02144
PAU
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Iveco France (Sté)
Défendeur :
GE Capital Equipement (SA), Thalassa (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pujo-Sausset
Conseillers :
Mmes del Arco Salcedo, Rossignol
Avoués :
SCP Longin, SCP Piault-Carraze, SCP de Ginestet-Duale
Avocats :
Mes Domercq, Dana, Etchegaray
FAITS ET PROCÉDURE
Le 3 août 1990, la société Locafrance Equipement a acheté un véhicule neuf Iveco auprès des Etablissements Commarieu à Bayonne pour un montant toutes taxes comprises de 553 330 F.
La société Locafrance Equipement a ensuite donné ce camion en location à l'Entreprise Boga pour une durée de cinq ans à compter du 10 août 1990.
A la demande de la société Boga, la location a pris fin en octobre 1993.
La société Locafrance Equipement a cédé le camion à la société Thalassa en décembre 1993 pour un montant toutes taxes comprises de 259 093,56 F.
Arguant de pannes successives, la société Thalassa a assigné devant le Tribunal de commerce de Bayonne, par actes d'huissier du 10 juin et 12 juin 1996, les sociétés Locafrance Equipement et Iveco France, aux fins d'obtenir:
- à titre principal, la résiliation de la vente du camion, la condamnation de la société Locafrance Equipement à rembourser le prix de vente et la condamnation solidaire des sociétés Locafrance Equipement et Iveco France à réparer les préjudices subis sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil,
- à titre subsidiaire, la condamnation de la société Iveco France à régler le coût de remplacement de la boîte de vitesses et les frais de remise en route, et les préjudices liés à la location d'un véhicule de remplacement et à l'immobilisation du véhicule.
Par jugement en date du 11 mai 1998, le Tribunal de commerce de Bayonne a:
- homologué le rapport d'expertise de Monsieur Jean Larmane,
- débouté la SARL Thalassa de sa demande de résolution de la vente du camion immatriculé 2301 TL 64,
- mis hors de cause la société Locafrance Equipement,
- condamné la société Iveco France à indemniser la SARL Thalassa en vue du remplacement de la boîte de vitesses du véhicule immatriculé 2301 TL 64 pour un montant de 66 000 F HT, outre frais annexes pour 10 000 F HT,
- dit que la société Iveco France pourra procéder elle-même à ce remplacement sous réserve de donner à la SARL Thalassa une garantie explicite de bonne tenue non seulement conforme aux usages commerciaux en la matière, mais se rapportant aussi au cas spécifique du camion dont s'agit,
- condamné la société Iveco France à rembourser à la SARL Thalassa la location d'un camion de remplacement, à raison de 12 000 F HT par mois, pour la période courant du 1er mai 1996 au jour de la remise en route effective du camion réparé, sous réserve que la SARL Thalassa rapporte la preuve des sommes qu'elle a versées à ce titre à la Coopérative Bidassoa,
- débouté la SARL Thalassa de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d'immobilisation,
- condamné la société Iveco France à payer à la SARL Thalassa la somme de 10 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- rejeté comme inutiles et non fondées toutes autres demandes, fins et conclusions contraires des parties,
- condamné la société Iveco France aux entiers dépens dont les frais de greffe taxés et liquidés à 360,60 F, TVA à 20,6 % inclus, en ce compris les frais d'expertise et le coût de l'expédition du présent jugement.
La SA Iveco France a interjeté appel le 17 juin 1998.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2000.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
L'appelante a conclu:
- à la réformation du jugement entrepris,
- au débouté de la SARL Thalassa de toutes ses demandes,
- à la condamnation de la SARL Thalassa à lui payer une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle a fait valoir que le vice caché n'était pas établi.
Subsidiairement, elle a souligné qu'étaient exclues de la garantie les conséquences de l'immobilisation du véhicule et que le vendeur de bonne foi ne peut être condamné à rembourser le montant des réparations causées par les vices cachés.
La SARL Thalassa a conclu:
Vu les articles 1641 et suivants,
- à la résolution de la vente du camion,
- à la condamnation à ce titre de la société Locafrance Equipement à rembourser à la SARL Thalassa la somme principale de 259 093,56 F, outre intérêts légaux depuis le 29 décembre 1993,
- à la condamnation de la société Locafrance Equipement et de la société Iveco France in solidum, à réparer les conséquences financières de ce litige, à savoir:
- frais de réparation Pascassio: 9 568,21 F TTC,
- frais de location sur la base de 12 000 F HT, soit 14 472 F TTC par mois jusqu'à parfait paiement depuis le 15 avril 1996,
- à la condamnation des mêmes à régler à la SARL Thalassa une indemnité de 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'à tous les frais et dépens de première instance et d'appel, avec autorisation pour la SCP Piault, Lacrampe-Carraze, à recouvrer les dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
La SARL Thalassa a fait valoir que l'expertise avait révélé un vice caché de conception.
Elle a soutenu qu'elle avait agi à bref délai suivant la connaissance du vice, soit du jour de la notification du rapport d'expertise.
Elle a estimé que les frais de réparation du véhicule et les frais de location d'un véhicule de remplacement étaient justifiés.
La société Iveco France a subsidiairement demandé à la cour de juger:
- que la société Iveco France devrait indemniser la SARL Thalassa de la somme de 76 000 F correspondant au coût de remplacement de la boîte de vitesses,
- que la société Iveco France, et non la SARL Thalassa, dispose de la faculté de procéder elle-même à ce remplacement,
- que la période de location d'un camion de remplacement a pris fin le 18 juin 1998.
Elle a précisé qu'elle avait adressé à la SARL Thalassa, le 18 juin 1998, un chèque de 76 000 F afin de faire procéder au remplacement de la boîte de vitesses et de stopper le coût de la location d'un camion de remplacement.
La SARL Thalassa lui aurait retourné ce chèque.
La société GE Capital Equipement, venant aux droits de la société Locafrance Equipement, a demandé qu'il soit constaté qu'aucune partie n'avait formé de demandes à son encontre et qu'elle soit mise hors de cause, avec une somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à la charge de la SARL Thalassa.
Elle a également demandé la condamnation de la SARL Thalassa aux dépens, avec distraction au profit de la SCP Longin, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Subsidiairement, la société GE Capital Equipement a conclu à ce que la société Iveco Equipement la garantisse de toute condamnation qui serait prononcée à son égard.
Sur ce,
L'appel principal et l'appel incident sont recevables en la forme comme régulièrement diligentés.
I. Sur l'action en garantie pour vices cachés
La SARL Thalassa a fondé son action sur les articles 1641 et suivants du Code civil.
L'article 1641 stipule:
"Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropres à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus";
L'expert, Monsieur Larmane, a rappelé:
- que le 17 novembre 1992, la boîte à vitesses avait été partiellement reconstruite et ce, au kilométrage 88 280,
- que la même reconstruction est intervenue le 6 août 1994, au kilométrage 120 703,
- que la réfection de l'embrayage et de la commande relais est intervenue le 25 mars 1996 au kilométrage 155 662,
- qu'une panne est survenue en 1996 suite à la détérioration complète de la boîte de vitesses.
L'expert a estimé que la cause de la panne résidait dans la rupture du roulement d'entrée de boîte.
L'expert en a conclu que les éléments d'entrée de boîte, elle-même située dans la chaîne linématique, devant un système de frein électrique Telma, n'avait pas la robustesse adaptée.
Il a exclu toute erreur de conduite ou d'entretien.
Il en ressort qu'une erreur de conception a généré un vice caché inhérent au véhicule vendu, vice qui ne pouvait être décelé par un simple examen effectué par l'acquéreur.
Il n'est pas contesté que la société Locafrance Equipement n'avait pas averti la SARL Thalassa des pannes similaires survenues sur le véhicule.
Malgré les réparations effectuées en 1992, le camion a subi d'autres pannes qui ont diminué son usage.
En conséquence, la SARL Thalassa est bien fondée en son action en garantie du vice caché.
Le bref délai exigé par l'article 1648 du Code civil a été respecté dès lors que l'acquéreur, la SARL Thalassa, n'a eu connaissance du vice qu'au moment des conclusions de l'expert.
Certes, en 1994, lors d'un problème sur la boîte de vitesses, elle avait adressé à la société Iveco France une demande d'explications.
Néanmoins, la réparation effectuée par la société Iveco France ne permettait pas à la SARL Thalassa de deviner l'existence d'un vice rédhibitoire.
Seule la dernière panne d'avril 1996 et le refus du Garage Pascassio de procéder à des réparations avant que ne soit connue l'origine des pannes successives, l'ont légitimement amenée à demander une mesure d'expertise.
II. Conséquences
S'agissant d'un vice de conception existant dès la première vente, la garantie du vendeur initial et celle du vendeur intermédiaire sont dues.
La SARL Thalassa a demandé, à juste titre, la résolution de la vente. Elle est en droit d'obtenir le remboursement par la société GE Capital Equipement, venant aux droits de la société Locafrance Equipement, de la somme de 259 093,56 F (coût d'achat du camion), outre intérêts légaux depuis l'assignation du 10 juin 1996.
S'agissant de la société Iveco France, constructeur du camion litigieux, sa qualité de professionnel lui impose de réparer l'intégralité du préjudice provoqué par le vice affectant la chose vendue.
Tenu de connaître les vices de la chose vendue, il ne peut se prévaloir des clauses limitatives de garantie figurant au contrat le liant au vendeur intermédiaire Locafrance Entreprise.
Il s'agit de deux postes de frais, suivant justificatifs versés aux débats:
- 9 568,21 F pour les frais de réparation Pascassio,
- 14 472 F par mois depuis le 15 avril 1996, date à laquelle la SARL Thalassa, société de mareyage, a été obligée de louer un camion frigorifique afin de ne pas stopper son activité.
Cela ressort de l'attestation établie par la Coopérative Bidassoa qui a accepté de différer le paiement des factures dues par la SARL Thalassa jusqu'à l'issue de l'instance, ainsi que des disques tachygraphes portant le nom des utilisateurs du camion loué.
Cette indemnité ne doit néanmoins courir que jusqu'au 18 juin 1998 puisqu'à cette date, il n'est pas contesté que la société Iveco France a envoyé à la SARL Thalassa un chèque de 76 000 F afin qu'elle procède au remplacement de la boîte de vitesses, ce qui permettait de stopper le coût de la location.
Cette solution, qui permettait de réduire les frais, sans méconnaître les droits de l'acquéreur puisque l'expertise avait eu lieu, a été refusée par la SARL Thalassa qui ne peut, dès lors, qu'obtenir la somme de 14 472 F du 15 avril 1996 au 18 juin 1998.
Enfin, la société Iveco France, constructeur du camion litigieux affecté d'un vice de conception, devra garantir la société Locafrance Equipement de la condamnation prononcée à son encontre, suite à la résolution de la vente prononcée.
Le jugement entrepris sera donc réformé en toutes ses dispositions.
L'équité commande d'allouer à la SARL Thalassa une somme de 15 000 F au titre de ses frais irrépétibles. Cette somme sera supportée in solidum par les sociétés Iveco France et GE Capital Equipement.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Déclare recevables en la forme l'appel principal et incident; Au fond, Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions; Statuant à nouveau, Vu les articles 1641 et suivants du Code civil, Prononce la résolution de la vente intervenue en décembre 1993 entre la société Locafrance Equipement et la SARL Thalassa; En conséquence, Condamne la société GE Capital Equipement, venant aux droits de la société Locafrance Equipement, à rembourser à la SARL Thalassa la somme de 259 093,56 F (soit 39 498,56 euros) avec intérêts légaux à compter de l'assignation du 10 juin 1996; Dit que la société Iveco France devra garantir la société GE Capital Equipement de cette condamnation; Condamne la société Iveco France à réparer le préjudice subi par la SARL Thalassa, soit à lui payer les sommes suivantes: 9 568,21 F (soit 1 458,66 euros) au titre des frais de réparation Pascassio; 14 472 F (soit 2 206,24 euros) par mois du 15 avril 1996 au 18 juin 1998 au titre des frais de location d'un camion de remplacement; Condamne la société Iveco France et la société GE Capital Equipement, in solidum, à payer à la SARL Thalassa la somme de 15 000 F (soit 2 286,74 euros) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne les mêmes, in solidum, aux entiers dépens; Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, la SCP Piault-Carraze, avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.